La réforme du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux dans la réforme du Conseil de l'Europe

Strasbourg, 22 mars 2011, 20ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Allocution de M. Philippe Richert, Ministre des collectivités territoriales

Monsieur le Président, cher Keith Whitmore,

Messieurs les Présidents de Chambres,

Messieurs les Rapporteurs,

Mesdames, Messieurs les membres du Congrès,

Mesdames, Messieurs,

En intervenant devant vous aujourd’hui à Strasbourg, c’est devant les représentants de l’Europe des 200 000 collectivités locales que j’ai le sentiment de m’exprimer.

L’Europe des communes et des régions, des caractères et des identités, de la diversité et des territoires.

L’Europe de la démocratie.

Oui, la démocratie est née locale. Elle a inscrit, il y a plus de vingt-cinq siècles, le nom d’Athènes dans la mémoire des hommes. Elle a fait d’un nom propre, l’agora, un nom commun : le lieu de tous les échanges et de tous les débats. Les siècles ont passé, mais la démocratie, la démocratie locale, reste une idée neuve dans le monde, la plus neuve des idées.

C’est dire que les valeurs démocratiques que porte, depuis 1949, le Conseil de l’Europe donnent au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux une légitimité toute particulière.

Le Congrès a montré sa capacité à faire progresser la démocratie locale et régionale en Europe.

Il a prodigué ses bienfaits aux pays déjà membres du Conseil, comme à ceux qui les ont rejoints au fil du temps dans l’organisation paneuropéenne. Il poursuit aujourd’hui ce travail.

Monitoring, commissions d’enquête, observatoire des élections, programmes de coopération : chacun s’accorde à reconnaître que le Congrès a conduit ses actions avec pertinence, efficacité, exemplarité.

La Charte européenne de l’autonomie locale est devenue une référence internationale.

Les Agences de la Démocratie Locale se sont toujours situées – notamment dans les Balkans, où les premières ont vu le jour, et dans le Sud Caucause – à la pointe des processus démocratiques – processus sans lesquels il n’est pas de paix durable ni de stabilité véritable.

Il y a au fond, sur la scène internationale, deux manières de faire avancer la démocratie dans le monde : discourir et agir.

Le Congrès ne s’est pas payé de discours ni de déclarations. En politique, la rhétorique est utile. Mais elle n’est pas une condition suffisante à l’avènement ou au renforcement de la démocratie locale.

La démocratie locale, il lui faut de l’action, de l’engagement, des coopérations, des outils et des moyens.

Le Congrès a parlé. Beaucoup. Mais il a agi. Tout autant.

C’est ce qui confère à l’institution dans laquelle vous siégez sa singularité et son caractère irremplaçable.

Je veux vous le dire solennellement aujourd’hui : plus que jamais, la Grande Europe a besoin du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.

L’Europe de la démocratie locale, l’Europe des 200 000,  Mesdames, Messieurs, a besoin de vous.

Nous avons besoin de vous. Nous avons besoin du Congrès, parce que nous n’en avons pas fini, en Europe, avec la démocratie locale.

Nous avons, tout d’abord, besoin de la renforcer dans nos propres pays.

Parce que la décentralisation, la régionalisation, l’affirmation de pouvoirs locaux sont des choses toujours perfectibles.

C’est leur nature : la démocratie locale présente ceci de particulier qu’elle ne vit pas sa propre vie dans le ciel éthéré des idées.

Elle n’est pas un principe impalpable de gouvernance.

Ou si elle l’est, elle n’est pas que cela. Elle s’incarne dans l’existence quotidienne de femmes et d’hommes qui vivent dans nos communes, nos régions, nos collectivités locales.

Elle vit dans la réalité de nos territoires et leur diversité. Si la démocratie locale doit évoluer sans cesse, c’est parce que le monde lui-même évolue. Les situations bougent.

Ce ne sont pas nos collectivités qui tiennent l’agenda des enjeux auxquels elles sont confrontées. C’est la réalité qui les place face à de nouveaux défis.

La réforme est consubstantielle à la vitalité et à l’existence même de la démocratie locale.

Et si nos collectivités locales sont, par nature, des collectivités en mouvement, elles ont besoin de se retrouver, d’échanger, de partager leurs expériences.

Je le disais : la démocratie est née locale. Elle est née à Athènes. Aujourd’hui, l’actualité dirige nos regards vers l’autre rive de la Méditerranée, vers ces peuples que des aspirations propres et légitimes ont poussés à l’insurrection.

Le Congrès aura certainement, dans les circonstances actuelles, un rôle particulier à jouer. Si son expertise était jamais demandée dans ces pays voisins, comment pourrait-il la leur refuser ?

Les événements auxquels nous assistons dans le monde arabe et sur les rives de la Méditerranée appellent, d’une manière générale, le Conseil de l’Europe à jouer pleinement son rôle et à promouvoir la démocratie et les droits de l’Homme.

Après 1989, Vaclav Havel avait donné le nom de « génération Strasbourg » à tous ceux qui, en Europe centrale et orientale, avaient porté la démocratisation de leurs pays.

Parce que c’est à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, que ces femmes et ces hommes avaient trouvé du soutien et de l’appui… C’est ici au Conseil de l’Europe qu’ils ont été accueillis quand ailleurs on les laissait sur le seuil…

Aujourd’hui, l’époque porte en elle une nouvelle « génération Strasbourg ». Et je formule le vœu que la prochaine Université d’Eté de la Démocratie puisse s’ouvrir très largement à la jeunesse arabe.

Le temps est même venu, peut-être, qu’ici à Strasbourg, à la faveur des événements, ces Universités d’Eté deviennent un authentique Forum mondial de la démocratie.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux devra savoir y trouver sa place.

La situation pourrait nous sembler paradoxale : d’un côté, le Congrès est appelé à exercer la plénitude de sa mission et de son rôle ; de l’autre côté, étant donné l’état des finances publiques dans chacun de nos quarante-sept Etats, il va falloir faire des efforts, gagner en efficacité tout en dépensant moins.

Le Congrès est appelé à engager sa réforme.

Il y a d’abord la réalité qui appelle chacun d’entre nous – Etats, organisations internationales, collectivités locales – à la maîtrise budgétaire.

Il y a également une formidable opportunité à saisir : celle de recentrer le Congrès sur ses missions fondamentales et ses objectifs. Revenons-en à l’essentiel.

J’y vois là, au moins, un double intérêt.

Celui d’abord de répondre à la situation budgétaire dans laquelle nous nous trouvons Certaines questions se posent, très concrètes. Celle de l’enveloppe octroyée actuellement au Congrès pour organiser ses réunions à Strasbourg en est une. Pas des moindres.

Sur ce sujet, évitons le dogmatisme. Evitons surtout de décourager chacun à participer aux travaux du Congrès et à y apporter le meilleur de soi-même !

Il faut faire des économies ? Faisons-en : épargnons-nous, d’abord, la stricte approche comptable des choses.

Le fonctionnement du Congrès a un coût, parce que la démocratie a une valeur.

Il faut donc – c’est la position de la France – trouver un compromis acceptable et apporter, ensemble, une réponse pragmatique.

Nous devons dégager des marges de manœuvre suffisantes pour assurer le bon fonctionnement des travaux du Congrès.

En revenant sur son cœur de mission, le Congrès trouvera nécessairement des moyens de se réunir.

Car, pardonnez-moi de rappeler une évidence : la première des missions du Congrès est de se réunir…

Vous me permettrez de vous faire, au passage, une confidence : le ministre que je suis n’oublie pas qu’il est aussi le président de la Région Alsace…

Et je suis, naturellement, partisan d’une chose : continuer à vous voir siéger, au cours de plusieurs sessions annuelles, à Strasbourg.

Revenir aux missions essentielles du Congrès présente un second intérêt.

Celui de renforcer le positionnement du Congrès au sein de l’organisation paneuropéenne et sa notoriété auprès des opinions publiques européennes.

Se recentrer sur le cœur des missions, ne plus se disperser, revenir aux fondamentaux, ce n’est pas se réduire ni s’amenuiser : c’est, au contraire, se grandir.

La vie et l’expérience nous apprennent une chose : on ne peut pas exceller dans tous les domaines. On ne peut exceller, c’est-à-dire se renforcer soi-même et se surpasser, qu’à une condition : choisir les domaines dans lesquels on est en capacité d’être meilleurs et plus pertinents que quiconque.

La situation actuelle peut réellement être une aubaine pour le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux d’Europe.

Il garde toujours, devant lui, son ambition originelle : s’affirmer comme le pôle européen, la référence internationale, en matière de démocratie locale et régionale.

Dans le cadre de la grande réforme de son organisation que le Conseil de l’Europe a choisi de mener, le débat, les propositions doivent nous permettre d’avancer. Nous devons collectivement nous poser les vraies questions.

Quel est le socle des missions du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ?

J’ai évoqué les Agences locales de la démocratie, le suivi de la Charte européenne de l’autonomie locale. J’aurais mauvaise grâce de ne pas évoquer ici le monitoring.

Je l’évoque d’autant plus volontiers que la France a fait l’objet – c’était en décembre 2010 – d’une première visite de la mission de suivi et qu’elle s’apprête cette année, le 31 mars et le 1er avril, à en accueillir une deuxième. C’est la première fois, depuis la ratification de la Charte en 2007, que la France fait l’objet d’un monitoring.

Je voudrais d’ailleurs noter que la proposition de mon collègue espagnol, Manuel Chaves, mérite notre attention : il s’agit de traiter d’une manière plus globale certains sujets ayant trait à la démocratie locale en Europe. Dans cette perspective, le gouvernement français s’attachera à préparer activement la prochaine conférence ministérielle de Kiev au cours de laquelle le rapport Chaves sera discuté.

Le monitoring actuel de la France intervient à un moment clé de l’histoire de notre décentralisation : nous mettons en œuvre une réforme conséquente de nos collectivités territoriales.

Autant le dire : l’affirmation de pouvoirs locaux et régionaux forts ne fait pas partie de la tradition française. C’est une relative nouveauté : les premières grandes lois de décentralisation ont été promulguées au tout début des années 1980, il y a tout juste trente ans.

Si l’on regarde sur la longue durée, notre histoire aura plutôt été l’affaire d’un long effort de centralisation…

Il a fallu, en vérité, plusieurs siècles pour unir Bretons, Normands, Picards, Provençaux, Lorrains et Alsaciens, et fondre cette grande diversité culturelle et linguistique dans le creuset d’une même nation.

Cela s’est traduit, souvent, par une primauté de Paris et de l’Ile-de-France sur le reste du pays, c’est-à-dire sur ce que l’on appelle d’un mot dont il est difficile de trouver un équivalent dans les autres langues européennes : la province…

Cela s’est traduit également par la constitution d’une administration très centralisée, qui ne laissait souvent que peu de place aux pouvoirs locaux et accueillait de mauvaise grâce les projets de déconcentration qui se faisaient jour.

En un mot, puisque la France s’était faite grâce à la centralisation, on soupçonnait les partisans de la décentralisation de vouloir la défaire…

Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là. Fort heureusement.

Les lois de 1982 ont transféré aux collectivités territoriales des blocs entiers de compétences. Parfois sans leur transférer les ressources correspondantes.

La loi constitutionnelle de mars 2003 a posé le principe de l’autonomie financière des collectivités locales, allant jusqu’à inclure les termes de « région » et de « décentralisation » dans notre Loi fondamentale.

Aujourd’hui, le budget de la France avoisine les 300 milliards d’euros. L’effort global de l’Etat en faveur des collectivités territoriales, si l’on prend en compte la fiscalité transférée, dépasse les 99 milliards d’euros. C’est dire la place qu’occupe à l’heure actuelle les pouvoirs locaux dans le paysage institutionnel de notre pays.

Les choses ont changé. Mais, bon an, mal an, l’architecture de notre organisation territoriale est restée telle qu’elle avait été conçue initialement, c’est-à-dire pour satisfaire aux nécessités et aux exigences d’une gouvernance essentiellement centralisée.

Lorsque l’on décentralise sans modifier pour autant l’architecture générale de l’organisation de son territoire, on aboutit forcément à des incohérences. Et l’on en paie le prix. Un prix financier, mais aussi un prix démocratique…

A force d’empiler les structures, d’enchevêtrer les compétences, nous avons non seulement obtenu une multiplication des financements croisés, une diminution de l’efficience de l’action publique, mais aussi un manque total de lisibilité et de transparence.

Or, il n’y a pas de démocratie locale sans efficience de l’action publique, sans lisibilité, sans transparence.

La réforme que le gouvernement français entreprend aujourd’hui vise, avant tout, à rendre plus lisible par chaque citoyen et plus efficace notre organisation territoriale.

Les structures s’étaient empilées les unes sur les autres : nous en finissons avec cette situation et nous renforçons la complémentarité et la synergie des couples Région/Département, Commune/Intercommunalité.

Il y a 36 000 communes en France : une collectivité locale sur cinq est française en Europe…

Pour la démocratie locale, c’est un réel bienfait : 36 000 communes, ce sont autant de maires, d’adjoints, de conseillers municipaux, de femmes et d’hommes engagés pour le bien commun.

Mais le système rencontre ses limites lorsqu’il s’agit de conduire une action publique efficace.

Nous avons choisi, à travers la réforme que nous mettons en œuvre, de renforcer l’intercommunalité, en offrant la possibilité à toutes les communes de France de mieux s’inscrire dans une solidarité intercommunale rénovée et démocratisée.

Quant aux communes qui le souhaitent, elles pourront volontairement aller vers davantage d’intégration, en formant des métropoles ou des communes nouvelles.

Enfin, cette réforme clarifie l’exercice des compétences. Il existait alors un principe intangible : la clause de compétence générale.

Elle permettait à n’importe quel échelon local de s’emparer d’un problème et d’intervenir.

En abrogeant cette clause pour les régions et pour les départements, nous avons voulu supprimer la confusion, l’opacité des financements mais aussi les dépenses inutiles.

Mais toute réforme des collectivités territoriales est une réforme de la démocratie locale.

Le projet que nous mettons en œuvre a un but : rapprocher l’élu local du citoyen.

Les futurs conseillers territoriaux, qui succèderont tout à la fois aux actuels conseillers généraux et conseillers régionaux, seront élus au scrutin majoritaire à deux tours ; ce seront les élus d’une population et d’un territoire bien précis…

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Gagner en efficacité, en lisibilité, en démocratie, c’est le pari de la réforme que nous conduisons.

C’est une réforme qui rapproche la France des exigences de la Charte européenne de l’autonomie locale.

Et si j’ai souhaité vous présenter les grandes lignes de la réforme que je conduis, c’est parce qu’elle n’est pas née sui generis.

Elle ne vient pas de nulle part, cette réforme française.

Elle s’inspire des expériences de nos voisins européens, de tous ces pays qui ont une culture de la décentralisation plus ancienne de la nôtre et qui ont su accorder une véritable place aux pouvoirs locaux.

Elle s’inspire également – comment ne pas le rappeler ici ? – de la Charte européenne de l’autonomie locale. Imparfaitement, peut-être. Sans doute, même. Mais elle va dans le sens d’une affirmation plus grande en France des pouvoirs locaux et régionaux.

Cette réforme s’inspire, Mesdames, Messieurs, de vos travaux.

Et c’est la raison pour laquelle je suis venu vous confirmer ici, à Strasbourg, l’attachement du gouvernement français au Conseil de l’Europe et à son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.