Text Box: Port de symboles religieux en public


Port de symboles religieux en public

Introduction

De nombreux conflits entre défenseurs de convictions religieuses et non religieuses diverses et variées ont marqué l’histoire européenne. L’idée que tout individu a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est maintenant universellement reconnue dans les textes juridiques internationaux, tels que la Convention européenne des droits de l’homme.

La diversité culturelle des sociétés européennes, qui connaît une croissance rapide, pose de nouvelles questions sur la protection des droits de l’homme, notamment sur le droit de manifester publiquement sa religion. Ces dernières années, les dispositions réglementaires nationales sur le port de symboles religieux dans les lieux publics ont fait l’objet de vives controverses et d’intenses débats.

En 2008, le Conseil de l’Europe a publié un Manuel sur le port de symboles religieux dans les lieux publics (Manual on the Wearing of Religious Symbols in Public Areas) qui entend clarifier cette idée et proposer des orientations aux décideurs politiques, aux experts et autres personnes concernées, sur les critères employés dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Professeur Malcolm Evans, doyen de la Faculté de sciences sociales et de droit de l’université de Bristol, a été choisi par le Conseil de l’Europe pour rédiger ce manuel[1].

Dans sa jurisprudence, la Cour prévoit que les États disposent d’une marge de discrétion importante pour décider comment assumer leurs responsabilités d’autorités de contrôle « neutres et impartiales » de la vie religieuse. Elle met aussi l’accent sur le fait que les États doivent veiller à la pleine jouissance de la liberté de religion ou de conviction, tout en respectant les droits et les libertés d’autrui.

Questions et réponses

La Convention européenne des droits de l’homme fixe-t-elle des limites à la liberté de religion ?

Le système moderne de protection des droits de l’homme s’efforce de protéger les individus contre toute intrusion excessive de l’État, en exigeant de ce dernier qu’il propose un cadre de vie équilibré qui permet aux individus d’exercer pleinement leurs droits dans le respect des droits et libertés d’autrui.

La Convention européenne des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Cette liberté ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Quels sont les objectifs du manuel?

Le manuel analyse comment la Convention européenne des droits de l’homme se rapporte à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il identifie les concepts clés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier les principes de respect, d’autonomie individuelle et collective et de non-discrimination. De plus, il examine le rôle et les responsabilités de l’État (neutralité, impartialité, promotion du pluralisme et de la tolérance et protection des droits d’autrui) et des individus.

Le manuel entend clarifier les principes relatifs à la visibilité des religions et des convictions dans la sphère publique, ainsi que la notion du port de symboles religieux. En outre, il s’intéresse aux questions essentielles que doivent poser les responsables de l’élaboration des politiques sur le port de symboles religieux. Enfin, il applique ces principes et démarches aux éléments clés de la société, tels l’emploi public, les services médicaux, l’armée, les établissements scolaires publics, le secteur privé et le système de justice pénale.

Qu’est-ce qu’un symbole religieux ?

Il n’existe pas de définition universelle des symboles religieux, mais différentes façons de se les représenter. Pour l’une d’elles, les symboles religieux se limitent aux symboles de dévotion religieuse, tandis que pour une autre, tout objet faisant partie de la vie religieuse d’un croyant est un symbole religieux. Il peut s’agir par exemple d’un vêtement, d’un accessoire, d’un document, d’une image ou d’un bâtiment. La Cour semble favoriser une approche souple selon laquelle les individus, plutôt que l’État ou la Cour, doivent décider si, à leurs yeux, un objet a valeur de symbole religieux. Cette façon d’envisager les choses ne signifie pas pour autant que le port de symboles religieux ne peut faire l’objet de restrictions.

Qu’est-ce qu’un lieu public ?

Dans le dispositif de la Convention européenne, il n’existe pas de définition reconnue par tous de ce que l’on entend par « lieu public ». Le manuel souligne toutefois que la Cour a préféré mettre en avant ce que l’on peut qualifier de « vie publique » ou de domaines d’engagement public contrôlés ou réglementés par l’État, plutôt que la dimension physique de la sphère publique.

Quels critères devraient remplir les restrictions au port de symboles religieux ?

Selon la jurisprudence de la Cour, les restrictions au port de vêtements et d’objets religieux devraient correspondre à une approche globale neutre et impartiale de toutes les formes de religion ou de conviction. Les restrictions peuvent aussi viser directement la protection des droits d’autrui.

Les responsables politiques doivent s’assurer que les restrictions à la liberté de manifester ses convictions par le port de vêtements ou d’objets évoquant la religion sont imposées par la loi dans un but légitime (par exemple, pour protéger les droits et libertés d’autrui ou la sécurité publique), qu’elles sont nécessaires dans une société démocratique et proportionnelles au but légitime poursuivi. Plus généralement, ces restrictions doivent être compatibles avec le principe de respect et la nécessité de favoriser la tolérance et le pluralisme.

Dans quels cas peut-on imposer des restrictions au port de symboles religieux ?

La Cour a décidé que les restrictions au port de symboles religieux devaient être imposées chaque fois qu’il est nécessaire – par exemple – de préserver la sécurité et l’ordre public, si tant est qu’elles aient un fondement juridique ou légal et soient proportionnelles au but légitime poursuivi. L’État peut faire des ajustements pour s’adapter aux besoins des croyants ; il doit toutefois accorder une attention similaire aux besoins des adeptes de toutes les religions.

Le manuel identifie des contextes particuliers pour lesquels la Cour a décidé que des restrictions plus générales pouvaient être légitimes, et analyse certains des principes qu’elle a suivis, notamment :

- les restrictions au port de symboles religieux dans la fonction publique

Tout fonctionnaire est libre de manifester sa religion ou ses croyances par le port de symboles religieux, dans la limite du devoir de discrétion que lui impose son statut. Il peut être légitime de restreindre cette liberté si cela s’avère nécessaire pour préserver la confiance générale dans l’État et dans ses agents en leur qualité de représentants objectifs. Il est possible que l’appel général à la laïcité ne suffise pas pour justifier une restriction générale pour les fonctionnaires qui manifestent leurs convictions dans leur tenue vestimentaire.

Pour décider de la légitimité d’une restriction, il convient de mettre l’accent sur la fonction de l’agent plutôt que sur le fait même d’être fonctionnaire. Il est certain que l’État a le droit de garantir l’absence de toute perception éventuelle de parti-pris pour des motifs religieux lorsqu’il est question, par exemple, de fonctions judiciaires.

- les restrictions au port de symboles religieux dans les services médicaux

Les professionnels du corps médical ne doivent pas laisser leurs croyances personnelles influencer leur jugement clinique ni affecter l’exercice de leurs responsabilités professionnelles. Bien que la Cour ne se soit pas encore prononcée sur des affaires de ce type, on pourrait exiger des professionnels concernés qu’ils ne portent pas de symboles religieux pouvant inquiéter à bon droit les patients et leurs proches quant au professionnalisme et à l’objectivité du corps médical.

La Cour ne s’est pas penchée sur cette question ; on peut tout de même supposer que l’État emploie des prêtres ou tout autre représentant religieux, ou leur autorise l’accès aux services médicaux. La fonction de ces intervenants étant religieuse par nature, ils ne devraient donc pas être concernés par les restrictions au port de symboles ou de vêtements religieux . De plus, l’État ne devrait pas empêcher les patients de porter ou d’exposer les symboles religieux qui leur apportent un certain réconfort, même si des restrictions peuvent s’avérer nécessaires, dans ce cas, pour veiller au respect mutuel et aux droits des autres patients.

- les restrictions au port de symboles religieux dans les milieux militaires

Les personnels de l’armée peuvent faire l’objet de restrictions plus rigoureuses que les civils à la liberté de manifester leur religion ou leurs convictions. Tout comme dans les milieux hospitaliers, on peut imaginer que l’État emploie des personnes pour répondre aux besoins spirituels des forces de sécurité, autorisées à porter des symboles et vêtements religieux. Cette forme de soutien peut être mise en doute si l’État ne se soucie du bien-être spirituel que d’un seul groupe de ses agents et défavorise par conséquent les adeptes d’autres religions ou ceux qui n’ont pas de religion.

- les restrictions au port de symboles religieux dans les établissements scolaires publics

Les enfants ayant droit à la liberté de religion et de convictions, l’État doit veiller à ce que les programmes scolaires soient enseignés de façon objective, critique et pluraliste. Les enseignants peuvent manifester leur religion ou leurs convictions, en revanche, ils ne doivent pas profiter de leur position pour imposer des croyances personnelles qui ne correspondent pas à celles de leurs élèves.

Il peut sembler légitime d’imposer un ensemble de restrictions aux enseignants dans la salle de classe afin de garantir un environnement éducatif approprié ainsi que le respect des droits fondamentaux des enfants et des parents. Toute restriction imposée aux élèves concernant la manifestation de leur religion ou de leurs convictions doit être strictement nécessaire dans la poursuite d’objectifs légitimes de sécurité, de santé et d’ordre public ou de protection des droits d’autrui.

- les restrictions au port de symboles religieux dans le secteur privé

Lorsque l’État a recours au secteur privé pour réaliser ce qui relève de fonctions publiques, les considérations pertinentes pour le secteur public s’appliquent à mesure égale au secteur privé. Par ailleurs, les employeurs du secteur privé bénéficient généralement d’une marge de manoeuvre plus importante que le secteur public pour formuler leurs politiques relatives au port de symboles religieux sur le lieu de travail. L’État est néanmoins obligé de garantir que les restrictions imposées aux employés du secteur privé sont compatibles avec la législation nationale et avec la Convention européenne des droits de l’homme.

- les restrictions au port de symboles religieux dans le système de justice pénale

Les individus en contact avec le système de justice pénale en tant que suspects, témoins, accusés ou inculpés ont le droit de manifester leur religion ou leurs convictions, notamment par le port de symboles religieux. Cependant, ce droit peut être limité dans l’intérêt de la sécurité nationale. Les forces de l’ordre sont souvent autorisées à faire enlever des objets ou vêtements au moment d’emmener une personne en détention si celle-ci oppose une résistance ou si cela empêche son identification. Néanmoins, elles ne sont pas autorisées à limiter ni à empêcher le port de symboles ou de vêtements religieux pour faire pression sur un suspect, un témoin ou un prisonnier, ou pour le punir.

Le Conseil de l’Europe a-t-il fait des recommandations aux États membres sur les façons de légiférer en la matière ?

Le Conseil de l’Europe n’a adopté aucun texte juridique ni fait de recommandation spéciale sur cette question, compte tenu de sa complexité et du principe de la Cour selon lequel chaque situation doit être étudiée attentivement à la lumière du contexte global.

En février 2007, le Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié un rapport intitulé  « Les droits de l’homme dans une société multiculturelle, le port de symboles religieux dans les lieux publics », où il conclut qu’un instrument normatif ne serait pas approprié à ce stade. Il fait néanmoins ressortir les principes et facteurs de la jurisprudence pertinente de la Cour, qui ont servi de base au manuel, afin de donner des orientations sur la façon de traiter ce genre de question.

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Mise à jour : août 2009



[1] Les points de vue exprimés dans ce manuel sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux du Conseil de l’Europe.