Text Box: Discours de haine

Discours de haine

Introduction

Dans les sociétés culturellement diversifiées de l’Europe, il est nécessaire de concilier le droit à la liberté d’expression avec d’autres droits tels que la liberté de conviction, de conscience ou de religion, qui pourraient parfois être en concurrence les uns avec les autres. Il s’agit là d’un problème délicat car ces droits sont au cœur même de la démocratie.

Selon l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, « toute personne a droit à la liberté d’expression », notamment à la « liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». La Convention prévoit cependant aussi que l’exercice de ces libertés comporte des devoirs et des responsabilités, et elle établit que certaines restrictions de ce droit, notamment pour « la protection de la réputation ou des droits d’autrui », peuvent être possibles dans certaines circonstances.

En 2008, le Conseil de l'Europe a lancé un Guide sur le discours de haine qui vise à préciser cette notion et à guider les décideurs, les experts et l’ensemble de la société quant aux critères suivis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L’auteur est une experte en droits de l'homme, Anne Weber, qui a été chargée de ce projet par le Conseil[1].

Questions et réponses

Qu’est-ce que le discours de haine ?

Il n’existe pas de définition universellement reconnue. La plupart des pays ont adopté une législation interdisant les expressions que peut recouvrir cette notion, mais avec de légères différences. 

En 1997, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté une Recommandation sur le discours de haine selon laquelle ce terme « doit être compris comme couvrant toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration ».

Dans sa jurisprudence, sans adopter une définition précise, la Cour européenne des droits de l'homme a appliqué ce terme à des formes d’expression qui propagent, incitent à, préconisent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance, y compris l’intolérance religieuse. Le guide fait remarquer que, bien que la Cour n’ait pas encore traité de cet aspect, le discours homophobe relève aussi de ce qui peut être considéré comme le discours de haine. 

La Cour européenne des droits de l'homme a-t-elle fixé des restrictions de la liberté d’expression par rapport au discours de haine ?

Selon la jurisprudence de la Cour, il ne fait pas de doute que des expressions concrètes constituant un discours de haine, qui peuvent être injurieuses pour telle ou telle personne ou tel ou tel groupe, ne sont pas protégées par l’article 10 de la Convention et qu’elles peuvent donc faire l’objet de restrictions de la part des Etats dans leur droit interne. 

La mise en évidence des expressions qui pourraient être qualifiées de « discours de haine » est parfois difficile car cette forme de discours ne se manifeste pas nécessairement par l’expression de la haine ou d’émotions. Elle peut aussi se cacher dans des déclarations qui peuvent paraître à première vue rationnelles ou normales.

Qu’a fait le Conseil de l'Europe pour prévenir et combattre le discours de haine ?

La Recommandation de 1997 du Comité des Ministres sur le discours de haine condamne cette forme d’expression et entend donner aux Etats des critères communs pour leur législation interne. Le texte souligne entre autres que de telles expressions peuvent souvent être plus préjudiciables si elles sont diffusées par les médias. Il recommande aussi aux Etats d’opérer une nette distinction entre la responsabilité de l’auteur de la déclaration et celle des médias qui en rendent compte. Il y a eu ensuite d’autres déclarations et recommandations. 

Une Recommandation de 2007 de l’Assemblée parlementaire a mis l’accent sur la nécessité de sanctionner pénalement les déclarations qui incitent à la haine, à la discrimination ou à la violence contre des personnes ou des catégories de personnes pour des motifs religieux ou autres. L’Assemblée a demandé à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) d’élaborer un rapport sur le droit national en Europe concernant le blasphème, les insultes à caractère religieux et l’incitation à la haine religieuse.

La Commission de Venise a conclu que, dans une démocratie, les groupes religieux doivent, comme tous les autres groupes, tolérer les critiques dans les déclarations et débats publics concernant leurs activités, leurs enseignements et leurs croyances, dans la mesure où les critiques ne constituent pas des insultes délibérées et gratuites ou un discours de haine, une incitation à troubler l’ordre public, à la violence ou à la discrimination à l’encontre des personnes qui adhèrent à certaines religions. 

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a aussi recommandé que soient sanctionnées pénalement les expressions qui peuvent être considérées comme un discours raciste, notamment lorsqu’elles incitent intentionnellement et publiquement à la violence, à la haine ou à la discrimination pour des motifs fondés sur la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique. 

D’autres textes du Conseil de l'Europe traitent de cette question, notamment le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques de 2003.

Comment la Cour établit-elle si la liberté d’expression peut être restreinte ?

La Cour a deux moyens d’établir si la liberté d’expression est en concurrence avec un autre droit reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme : appliquer l’article 10, ce qu’elle fait le plus souvent, ou l’article 17, qui exclut l’expression de la protection de la Convention si elle vise à la destruction d’un autre droit prévu par cette dernière.

L’article 17 vise à garantir la préservation du système de valeurs démocratiques sur lequel repose la Convention, notamment en empêchant des groupes totalitaires d’exercer les droits reconnus par la Convention de manière à détruire les droits et libertés établis par la Convention elle-même. La Cour a appliqué cet article à des déclarations transmettant des messages incitant à la haine raciale, défendant le nazisme ou niant l’Holocauste. La Cour a, par exemple, déclaré que la liberté d’expression pouvait être restreinte pour éviter la propagation du déni de l’Holocauste (négationnisme), considérant qu’il s’agissait en même temps d’un déni de crimes contre l’humanité et d’une incitation à la haine à l’égard des Juifs.

Si une expression n’est pas exclue catégoriquement de la protection de la Convention conformément à l’article 17, la Cour va rechercher si les restrictions imposées par un Etat à la liberté d’expression satisfont à un certain nombre d’exigences :

-          les restrictions de la liberté d’expression étaient prévues par le droit interne ;

-          les motifs de ces restrictions font partie des objectifs légitimes énoncés à l’article 10 ;

-          elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre un ou plusieurs des objectifs légitimes mentionnés à l’article 10.

La Cour a jugé que les restrictions de la liberté d’expression n’étaient acceptables que si elles répondaient à un « besoin social impérieux » et si les moyens employés étaient proportionnés à l’objectif légitime poursuivi. Elle a cependant affirmé que les autorités nationales jouissaient pour ce faire d’une certaine « marge d’appréciation », qui varie d’une catégorie d’affaires à une autre, et qui est, en tout état de cause, soumise au contrôle de la Cour. Néanmoins, la Cour a aussi jugé que l’article 10 était applicable non seulement à des « informations » ou des « idées » qui sont accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou traitées avec indifférence, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent l’Etat ou une partie quelconque de la population.

Toute restriction de la liberté d’expression sera examinée par la Cour à la lumière du contexte global. Etant donné qu’il n’y a pas de facteur décisif qui marque la limite entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, il faut prendre en considération ensemble, dans chaque cas, un certain nombre d’éléments. 

Quels facteurs la Cour prend-elle en considération dans chaque cas ?

D’après le guide, la Cour tient compte des facteurs suivants :

 

- l’objectif de la personne dont la liberté d’expression a été restreinte ; 

- le contenu de l’expression ;

- le contexte, par exemple le point de savoir si la personne qui a fait la déclaration est

journaliste ou fait partie de la classe politique ;

- le profil des personnes qui sont les cibles des avis et expressions ;

- la publicité et l’incidence potentielle de l’expression, par exemple le point de savoir si la déclaration a été faite dans un journal à grand tirage ou dans un poème ;

- la nature et la gravité de la restriction.

Quel est le critère-clé pour déterminer si une expression constitue un discours de haine et peut faire l’objet de restrictions ?

Le critère fondamental qu’utilise la Cour pour déterminer si une restriction de la liberté d’expression est acceptable ou non réside dans l’objectif initial de l’auteur de la déclaration. Cela peut être difficile à déterminer et c’est pourquoi la Cour accorde une grande importance au contexte dans lequel la déclaration a été faite.

La question-clé que la Cour examine est celle de savoir si l’auteur de la déclaration a propagé intentionnellement des idées racistes ou intolérantes en employant un discours de haine ou s’il essayait d’informer le public sur un problème d’intérêt général. La réponse à cette question devrait permettre de déterminer quelles sont les expressions qui, bien que choquantes ou offensantes, sont protégées par l’article 10, et celles qu’il ne faut pas tolérer dans une société démocratique et qui sont exclues de la protection de la Convention en vertu de l’article 17.

Le profil des personnes qui propagent des discours de haine influence-t-il les critères de la Cour ?

De manière générale, la Cour estime que les limites des critiques acceptables sont plus larges lorsque la cible est une personnalité politique que lorsqu’il s’agit d’une personne privée. Contrairement à cette dernière, la première se prête inévitablement et en toute connaissance de cause à un examen minutieux de chacune de ses paroles et de chacun de ses actes par les journalistes et le public, et elle doit en conséquence faire preuve d’un plus grand degré de tolérance.

En ce qui concerne la propagation d’un discours de haine, la Cour est plus stricte avec les membres de la classe politique et elle insiste sur la responsabilité particulière qui leur incombe de ne pas employer un langage qui envenime encore la tolérance. En ce qui concerne les médias, le guide fait une distinction entre deux situations : lorsque les journalistes sont les auteurs des déclarations, ce qui n’est pas acceptable, et lorsqu’ils ne sont que des intermédiaires en rendant compte de déclarations faites par autrui et qu’ils ne font pas eux-mêmes ou auxquelles ils ne souscrivent pas.

La Cour se montre stricte s’agissant des restrictions envisageables de la liberté des médias, en raison du rôle important que jouent ces derniers dans les sociétés démocratiques. Elle souligne que, bien que la presse ne doive pas franchir les limites fixées notamment pour la « protection de la réputation d’autrui », il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions politiques tout comme sur des questions qui relèvent d’autres domaines d’intérêt général. Non seulement la presse a pour tâche de communiquer de telles informations et de telles idées mais, en outre, le public a le droit d’en prendre connaissance.

 

Comment la Cour a-t-elle traité les restrictions liées à des attaques contre d’autres religions ?

La position établie de la Cour est que ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils le fassent ou non en tant que membres d’une majorité ou d’une minorité religieuse, ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à échapper à toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs convictions religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi.

Néanmoins, dans les cas où les attaques peuvent être offensantes ou concerner des questions qui sont considérées comme sacrées par les croyants, la Cour reconnaît dans sa jurisprudence la possibilité pour les Etats d’adopter des restrictions de la liberté d’expression, à condition qu’elles satisfassent aux exigences de l’article 10 (c'est-à-dire qu’elles soient prévues par la loi, qu’elles poursuivent un objectif légitime et qu’elles soient nécessaires dans une société démocratique). En ce sens, elle considère que les convictions religieuses d’autrui font partie des « droits d’autrui » mentionnés à l’article 10 de la Convention. La Cour s’est montrée favorable à une large marge d’appréciation pour les Etats lorsque de telles attaques se produisent. Cette marge d’appréciation n’est cependant pas limitée, et elle est soumise au contrôle de la Cour.

 

Dans la plupart de ses arrêts à ce sujet, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 10, considérant que la restriction de la liberté d’expression imposée par l’Etat concerné était nécessaire à la protection des droits d’autrui. Dans d’autres affaires, elle a jugé qu’il y avait eu une violation de la liberté d’expression et elle a admis que certaines expressions qui pouvaient être « choquantes » ou « offensantes » ne devaient pas faire l’objet de restrictions dans la mesure où :

- elles n’étaient pas offensantes de manière gratuite ;

- le ton injurieux ne visait pas directement des croyants bien précis ;

- les expressions n’étaient insultantes ni pour les croyants ni pour des symboles sacrés ;

- elles n’attaquaient pas le droit des croyants à manifester ou à pratiquer leur religion et elles ne dénigraient pas leur foi ;

- en particulier, elles n’incitaient pas au manque de respect, à la haine ni à la violence.

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Jaime Rodríguez, attaché de presse

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Mise à jour : août 2009



[1] Les opinions exprimées dans ce  guide sont celles de l’auteur et elles ne reflètent pas nécessairement celles du Conseil de l'Europe.