NB_CE

CCJE(2015)4

Londres, le 16 octobre 2015

                               

CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPÉENS (CCJE)

AVIS n° 18 (2015)

« La place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne »

I. Introduction. Justification et champ d’application de l’Avis

1.    Au cours de ces dernières décennies, les relations entre les trois pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et judiciaire) ont beaucoup évolué. Les pouvoirs exécutif et législatif sont devenus plus interdépendants. La capacité du législateur à demander des comptes à l’exécutif a diminué[1]. Dans le même temps, le rôle du pouvoir judiciaire a évolué. Le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et le nombre  de textes législatifs que les tribunaux doivent appliquer ont connu une très forte augmentation. Le rôle accru du pouvoir exécutif a conduit à la multiplication des contestations de ses actes devant la justice, ce qui, à son tour, a conduit à s’interroger sur l’étendue du rôle du pouvoir judiciaire dans le contrôle de l’exécutif. Les contestations devant les tribunaux visant les compétences et les actions du législateur se sont multipliées. En conséquence, le pouvoir judiciaire est devenu plus actif dans le contrôle, voire dans la limitation, des deux autres pouvoirs[2]. Aujourd’hui, pour les parties aux procédures et pour la société dans son ensemble, le processus judiciaire offre en quelque sorte un autre espace démocratique, où une partie du public peut échanger des arguments avec les pouvoirs de l’Etat et débattre de questions d’intérêt général. Les tribunaux statuent sur des questions importantes du point de vue économique et politique. Des institutions internationales, en particulier le Conseil de l’Europe et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CrEDH), l’Union européenne et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), exercent une influence considérable au sein des États membres, notamment dans le renforcement de l’indépendance de la justice et de son rôle en matière de protection des droits de l’Homme. En outre, les règles et normes européennes et internationales et les décisions de la CrEDH et de la CJUE posent de nouveaux défis aux systèmes judiciaires des États membres et il arrive que leur mise en œuvre par les tribunaux soit contestée par des responsables politiques ou par des observateurs.

2.    Bien qu’en général l’ensemble des États membres accepte « la séparation des pouvoirs », un cerain nombre de conflits et tensions survenus ces dernières années suscitent des inquiétudes. De telles inquiétudes ont été soulignées par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe dans ses rapports en 2014 et 2015[3], et par les rapports de situation du CCJE en 2013 et 2015. Dans certains pays, par exemple, de nouvelles majorités politiques ont mis en cause la position des juges en fonction[4]. En 2015, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a relevé des lacunes dans l’exécution des décisions de justice[5]. Dans certains États membres, l’exécutif exerce une influence considérable sur l’administration du système judiciaire, ce qui remet en question l’indépendance institutionnelle de la justice et celle des juges individuellement[6]. Les crises économiques et l’insuffisance chronique du financement du système judiciaire dans plusieurs États membres posent la question de la responsabilité budgétaire du pouvoir législatif à l’égard du pouvoir judiciaire[7]. L’absence de législation ou (à l’autre extrême) une législation changeant rapidement peuvent être contraires au principe de sécurité juridique[8]. Des membres du pouvoir judiciaire ont également essuyé des attaques verbales de la part de membres des pouvoirs exécutif et législatif. En 2014 et 2015, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a observé que ces dernières années, en critiquant publiquement des décisions de justice, des responsable politiques et autres commentateurs avaient ébranlé la confiance du public à l’égard du système judiciaire dans différents pays[9]. Certains milieux politiques et médiatiques ont laissé entendre que les pouvoirs judiciaires ne rendaient pas suffisamment compte à la société. Ces  commentaires, incluant des déclarations contestant « la légitimité » des pouvoirs judiciaires, ont été rapportés par certains États membres en réponse au questionnaire destiné à préparer le présent Avis. Il est clair que tous ces commentaires et actions doivent être analysés compte tenu du fait qu’aujourd’hui, dans la plupart des pays européens, les sources traditionnelles de l’autorité sont moins bien acceptées qu’elles ne l’ont été auparavant. La « déférence » envers les institutions publiques a décliné. Dans le même esprit, on entend souvent dire que l’application des principes démocratiques fondamentaux exige plus d’ouverture et de transparence dans le travail des institutions publiques. Tout ceci signifie que les acteurs impliqués dans les services publics doivent de plus en plus rendre compte de la manière dont ils effectuent leur travail.

3.    Aussi, conformément au mandat qui lui a été confié par le Comité des Ministres, le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a décidé de réfléchir à la légitimité et à la responsabilité du pouvoir judiciaire, ainsi qu’à la façon d’instaurer de bonnes relations entre les trois pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne et à leurs responsabilités réciproques et vis-à-vis la société du XXIe siècle en général.

4.    Cet Avis examine les questions suivantes :

i. Quelle relation devrait-il y avoir entre le pouvoir judiciaire d’un État et les pouvoirs  législatif et exécutif ?

ii. Sur quelles bases les pouvoirs judiciaires établissent-ils leur droit d’agir en tant que tels dans une société démocratique ? Comment leur « légitimité » est-elle établie ?

iii. Dans quelle mesure et selon quelles modalités les pouvoir judiciaires devraient-ils rendre des comptes aux sociétés qu’ils servent et aux autres pouvoirs de l’État ?

iv. Comment les trois pouvoirs de l’État peuvent-ils exercer leur autorité respective de manière à créer et à conserver un bon équilibre entre eux et à agir dans l’intérêt de la société qu’ils ont tous vocation à servir ?

Les principes fondamentaux de l’indépendance judiciaire ayant été examinés dans l’Avis du CCJE n°1 (2001), ils ne le seront pas dans le présent Avis. Les relations entre les tribunaux et les media ont été traitées dans l’Avis n° 7 (2005), partie C, et ne seront donc pas non plus examinées en détail dans le présent Avis.

  1. Le présent Avis a été élaboré en se fondant sur des avis antérieurs du CCJE, sur la Magna Carta des juges (2010) et sur les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, dont notamment la Charte européenne de 1998 sur le statut des juges et la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (ci-après « Recommandation CM/Rec(2010)12 »). Il tient également compte des textes suivants : la Recommandations de Kyiv de l’OSCE/BIDDH sur l’indépendance de la justice en Europe orientale, dans le Caucase du Sud et en Asie centrale (2010) – Administration judiciaire, sélection et responsabilité (ci-après « Recommandations de Kyiv ») ; le rapport 2013-2014 du Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ) sur l’indépendance et la responsabilité des juges (ci-après « rapport RECJ 2013-2014 ») ; les rapports de la Commission de Venise sur la prééminence du droit (mars 2011), sur l’indépendance du système judiciaire, partie I : l’indépendance des juges (mars 2010) et l’avis de la Commisison de Venise sur les nominations judiciaires n° 403/2006, adopté lors de sa 70e session plénière, 16-17 mars 2007 (ci-après « Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007 ») ; les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002) ; les rapports du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (2014) et (2015) ; le Code de New Delhi sur les normes minimales de l’indépendance judiciare (New Delhi Standards 1982). Le présent Avis prend en compte les réponses des États membres au questionnaire sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et sa relation avec d’autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne, ainsi qu’un rapport préparatoire établi par l’experte scientifique nommée par le Consiel de l’Europe, Madame Anne SANDERS (Allemagne). De plus, l’Avis a bénéficié des contributions présentées dans le cadre d’un séminaire qui s’est tenu à Strasbourg le 19 mars 2015[10]. Le présent Avis a également bénéficié des contributions faites lors du séminaire organisé à Bergen (Norvège) le 4 juin 2015 par l’Association norvégienne des juges[11].

II. Le cadre constitutionnel dans une démocratie moderne : où le pouvoir judiciaire s’intègre-t-il ?

6.    Il est généralement admis que le principe de la séparation des pouvoirs devrait être à la base de tout État moderne démocratique[12]. Le pouvoir judiciaire est l’un des trois piliers essentiels de l’État démocratique moderne, et il a la même valeur que les deux autres pouvoirs[13]. Ces trois pouvoirs fournissent un service public et doivent se rendre mutuellement compte de leurs actions. Dans un État démocratique soumis aux règles de la prééminence du droit, aucun de ces trois pouvoirs étatiques n’agit dans son propre intérêt, mais sert les intérêts de l’ensemble de la population. Dans un État démocratique soumis aux règles de la prééminence du droit (“Etat de droit” ou “Rechtsstaat”), les trois pouvoirs doivent agir sur la base de la loi et dans les limites qu’elle prescrit. Les réponses des États membres au questionnaire montrent que tous les États membres reconnaissent ces principes fondamentaux.

7.    Dans une société démocratique, il est de la responsabilité du législateur d’établir le cadre juridique dans lequel et grâce auquel la société fonctionne. Le pouvoir exécutif est chargé d’administrer la société (dans la mesure où cette tâche est confiée à des agents publics) dans le respect du cadre juridique établi par le pouvoir législatif. Il appartient au pouvoir judiciaire de se prononcer sur les relations entre les membres de la société et l’État, ainsi qu’entre les membres de la société eux-mêmes. Le pouvoir judiciaire est aussi souvent appelé à statuer sur les relations entre deux pouvoirs, voire entre les trois pouvoirs de l’État[14]. Tout cela doit être fait selon les principes de l’État de droit. Un système de tribunaux indépendants et efficaces constitue l’une des pierres angulaires d’un État de droit[15]. L’objectif de tout système judiciaire efficace et indépendant est donc de faire en sorte que les litiges soient tranchés de manière équitable et impartiale, protégeant ainsi les droits et les libertés de toutes les personnes qui demandent justice. Pour atteindre cet objectif, le tribunal doit dans chaque affaire rechercher les faits pertinents et appliquer la règle de droit au moyen d’une procédure équitable et offrir des voies de recours effectives. Dans les affaires pénales, les tribunaux doivent décider en toute indépendance et impartialité si certains actes appellent une sanction et, dans l’affirmative, laquelle[16]. Dans les États démocratiques modernes, un pouvoir judiciaire indépendant veillera à ce qu’il puisse être demandé aux gouvernements de rendre compte de leurs actions susceptibles de donner lieu à un contrôle judiciaire et devra s’assurer que les lois dûment promulguées sont correctement appliquées. Suivant les cas (en fonction des dispositifs constitutionnels propres à chaque État), le pouvoir judiciaire s’assurera aussi que les lois sont conformes aux dispositions constitutionnelles ou à tout autre ordre juridique supérieur tel que celui de l’Union européenne[17].

8.    L’histoire, les cultures et les traditions juridiques très différentes des États membres du Conseil de l’Europe ont produit des « modèles » très différents de structures constitutionnelles qui sont, souvent, en constante évolution. La mondialisation et l’influence croissante d’organisations internationales et européennes appellent des changements dans les structures constitutionnelles des États membres. Notamment, les décisions de la CrEDH ont beaucoup contribué à faire progresser la protection des droits de l’Homme et l’indépendance judiciaire et ont influé sur les constitutions des États membres. Cependant, toutes ces influences ont également engendré des conflits entre les trois pouvoirs de l’État, notamment entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs.

9.    En principe, les trois pouvoirs d’un État démocratique devraient être complémentaires, aucun des trois n’étant «suprême» ou ne dominant les autres[18]. Dans un État démocratique, la suprématie appartient en fin de compte à la volonté du peuple, telle qu’exprimée à travers un processus démocratique (souverainté populaire). Il est également illusoire d’imaginer que l’un ou l’autre des trois pouvoirs de l’État pourrait fonctionner de manière isolée par rapport des autres. Chaque pouvoir dépend des autres pour assurer l’intégralité des services publics nécessaires dans une société démocratique. Ainsi, tandis que le législateur fournit le cadre législatif, il revient à la justice de l’interpréter et de l’appliquer à travers ses décisions, et souvent à l’exécutif de faire exécuter les décisions de justice dans l’intérêt de la société[19]. Les trois pouvoirs entretiennent ainsi des rapports d’interdépendance, ou de convergence et de divergence. Par conséquent, il ne peut jamais y avoir une complète « séparation des pouvoirs »[20]. Au contraire, les trois pouvoirs agissent en s’équilibrant l’un l’autre, ce qui entraîne qu’ils doivent se rendre mutuellement compte dans l’intérêt de la société. Il convient donc d’accepter qu’un certain niveau de tension est inévitable entre les pouvoirs d’un État démocratique. S’il s’agit d’une « tension créative », cela prouve que chaque pouvoir joue le rôle de garde-fou à l’égard des autres et qu’il contribue ainsi à préserver un juste équilibre. En l’absence de telles tensions entre les trois pouvoirs, on pourrait soupçonner qu’un des pouvoirs a cessé de contraindre les autres, au nom de l’ensemble de la société, à rendre des comptes et a donc affirmé sa suprématie sur les autres. Ainsi, les tensions entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs ne devraient pas nécessairement être vues comme une menace pour le pouvoir judiciaire ou son indépendance, mais plutôt comme un signe que ce dernier remplit son obligation constitutionnelle consistant, au nom de la société toute entière, à veiller à ce que les autres pouvoirs rendent des comptes,

III. Indépendance du pouvoir judiciaire et séparation des pouvoirs

10.  Pour remplir son rôle à l’égard des autres pouvoirs de l’État, de la société en général et des parties aux procès, le pouvoir judiciaire doit être indépendant[21]. L’indépendance des juges n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans leur propre intérêt : elle leur est garantie dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice. L’indépendance judiciaire est le moyen de garantir l’impartialité des juges. C’est donc la condition préalable pour garantir à tous les citoyens (et aux autres pouvoirs de l’État) un procès équitable devant les tribunaux[22]. Elle est un elément inhérent au devoir de rendre des décisions impartiales[23]. Seul un pouvoir judiciaire indépendant  peut faire respecter les droits de tous les membres de la société, et notamment des groupes vulnérables ou impopulaires[24]. Aussi l’indépendance est-elle la condition fondamentale permettant au pouvoir judiciaire de défendre la démocratie et les droits de l’Homme[25].

11.  Le principe de la séparation des pouvoirs est en soi une garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire[26]. Pourtant, bien que l’importance de l’indépendance de la justice ait été soulignée à maintes reprises, il faut  indiquer que personne, y compris le pouvoir judiciaire, ne peut être complètement indépendant à l’égard de toute influence, notamment des influences sociales et culturelles de la société dans laquelle ce pouvoir fonctionne. En effet, « nul homme n’est une île, un tout en soi[27] ». Aucun système judiciaire – pas plus qu’un autre pouvoir dans un système démocratique – n’est totalement indépendant. Le pouvoir judiciaire s’en remet aux autres pour lui fournir des moyens et des services, en particulier au pouvoir législatif pour son financement et pour le cadre juridique qu’il doit interpréter et appliquer. Si la tâche de trancher les litiges en appliquant la loi revient à la justice, la société compte sur le pouvoir exécutif pour faire exécuter les décisions de justice. Les lacunes dans l’exécution des décisions de justice sapent l’autorité de la justice et remettent en question la séparation des pouvoirs[28]. Bien que les trois pouvoirs partagent la responsabilité de veiller à une séparation appropriée entre eux, ni ce principe ni celui de l’indépendance judiciaire ne devrait exclure le dialogue entre eux. Au contraire, un discours respectant les prérogatives des autres pouvoirs, qui tienne compte tant de leur nécessaire séparation que de leur nécessaire interdépendance, est fondamental. Il reste vital, toutefois, que le pouvoir judiciaire demeure à l’écart de relations inadéquates avec les autres pouvoirs de l’État et des influences indues de la part de ceux-ci[29].

IV. La légitimité du pouvoir judiciaire et ses éléments

A.   Importance de la légitimité

12.  Chacun des trois pouvoirs de l’État exerce une autorité très importante. Le pouvoir législatif rédige les lois et répartit le budget de l’État. Le pouvoir exécutif exerce une autorité pouvant aller jusqu’au recours à la force physique (dans les limites de la loi) pour affirmer et faire appliquer les lois. Le pouvoir judiciaire statue sur des questions d’une importance fondamentale pour les individus et la société en général, mais il touche aussi, par ses jugements et décisions, les affaires des individus qui cherchent l’aide du tribunal. Pour ce faire, les juges jouissent d’une autorité et d’un pouvoir très larges. Cette autorité et ce pouvoir s’exercent au nom de la société toute entière. Par conséquent, les citoyens et les autres pouvoirs de l’État doivent être convaincus que tous ceux qui sont investis d’une autorité et de pouvoirs, y compris les juges individuellement et collectivement, ont une base légitime pour les exercer au nom de l’ensemble de la société. Dans tous les pays démocratiques modernes, au moins un organe du pouvoir législatif est élu directement par les citoyens du pays. On peut donc affirmer, que les pouvoirs législatifs et exécutifs dont les représentants sont élus, directement ou indirectement, ont une « légitimité démocratique ». Il est parfaitement légitime de se demander d’où le pouvoir judiciaire tire sa « légitimité » ?

B.   Les différents éléments de la légitimité du pouvoir judiciaire

(1)  Le pouvoir judiciaire dans son ensemble

13.  Le pouvoir judiciaire s’inscrit dans le cadre constitutionnel des États démocratiques fondés sur la prééminence du droit. Par définitition, dès lors que le cadre constitutionnel d’un État est légitime, le pouvoir judiciaire mis en place par la Constitution est, comme composante de l’État démocratique, tout aussi légitime et nécessaire que les deux autres pouvoirs[30]. Tous les États membres ont, sous  une forme ou une autre, une constitution qui, par des moyens divers (par exemple la coutume ou le vote populaire), est acceptée comme fondement légitime de l’État. Les constitutions de tous les États membres reconnaissent et conçoivent (explicitement ou implicitement) le rôle d’un pouvoir judiciaire se devant de faire respecter l’État de droit et de décider des litiges en appliquant la règle de droit conformément à la législation et à la jurisprudence. Ainsi, le fait qu’une constitution crée un pouvoir judiciaire pour exercer ce rôle ne peut que conférer une légitimité à l’ensemble du système judiciaire. En tranchant un litige, chaque juge exerce son autorité en tant qu’élément du pouvoir judiciaire. Aussi, le fait même que le pouvoir judiciaire soit inscrit dans la constitution d’un État offre une légitimité non seulement au pouvoir judiciaire dans son ensemble, mais aussi à chaque juge.

(2)  Légitimité constitutionnelle ou formelle des juges considérés individuellement

14.  Afin d’exercer les fonctions judiciaires légitimées par la Constitution, chaque juge doit être nommé et devient ainsi membre du pouvoir judiciaire. Chaque juge nommé conformément à la constitution et aux autres règles applicables se voit ainsi investi de l’autorité et de la légitimité constitutionnelles. Une nomination respectueuse des normes constitutionnelles et légales confère implicitement l’autorité et les pouvoirs appropriés d’appliquer les lois telles que le législateur les a conçues ou que d’autres juges les ont interprétées. La légitimité conférée à un juge par une nomination en vertu de la constitution et des autres normes de l’État constitue la « légitimité constitutionnelle ou formelle » d’un juge.

15.  Le CCJE a recensé les différentes méthodes de nomination de juges pratiquées dans les États membres du Conseil de l’Europe[31]. Ce sont, par exemple, la nomination par un conseil de la justice ou par un autre organe indépendant, l’élection par le Parlement ou la nomination par le pouvoir exécutif. Comme l’a souligné le CCJE, chaque système a ses avantages et ses inconvénients[32]. On peut faire valoir que la nomination par le Parlement et, dans une moindre mesure, par le pouvoir exécutif peut donner une légitimité démocratique supplémentaire[33], bien que ces modes de nomination comportent un risque de politisation et de dépendance vis-à-vis de ces autres pouvoirs[34]. Pour faire face à ces risques, le CCJE a donc recommandé que toute décision liée à la nomination ou à la carrière d’un juge soit fondée sur des critères objectifs et prise par une autorité indépendante, ou assortie de garanties pour qu’elle ne soit pas prise sur une autre base que ces critères[35]. Le CCJE a également recommandé la participation d’une instance indépendante composée d’un nombre substantiel de juges choisis démocratiquement par d’autres juges dans les décisions concernant la nomination ou la promotion des juges[36]. La légitimité constitutionnelle des juges individuels nommés définitivement ne doit pas être menacée par des mesures législatives ou exécutives résultant de changements au sein du pouvoir politique.

(3)  Légitimité fonctionnelle des juges

  1. Une nomination conforme à la Constitution et aux lois de l’État, l’exercice par les juges de leur rôle constitutionnel consistant à trancher les litiges conformément au cadre juridique conçu par le législateur et la nécessité pour chaque juge de s’engager à travailler en respectant les dispositions légales en matière de déontologie, concourent à donner aux juges une légitimité initiale. Mais la légitimité ne saurait s’en tenir là. Comme l’a déjà souligné le CCJE, la confiance et le respect portés par le public à la magistrature sont les garanties de l’efficacité du système judiciaire[37]. Pour atteindre et préserver constamment la légitimité, chaque juge individuellement, de même que l’ensemble du pouvoir judiciaire, doivent obtenir et préserver la confiance du public. Ce second type de légitimité peut être appelé « légitimité fonctionnelle ».   

17.  La « légitimité fonctionnelle » doit être obtenue grâce à un travail de la meilleure qualité possible, qui respecte des normes éthiques rigoureuses. Dans ses précédents avis, le CCJE a examiné les différents aspects d’une bonne activité judiciaire, ainsi que les moyens de maintenir et d’améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires dans l’intérêt de la société. Le CCJE a ainsi formulé plusieurs avis sur les divers moyens pour atteindre cela, notamment sur la formation initiale et continue des juges[38], le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable[39], l’application effective du droit international et européen[40], les conseils de la justice au service de la société[41], la qualité des décisions de justice[42], l’exécution effective des décisions de justice[43], les technologies de l’information[44], la spécialisation des juges[45] et l’évaluation des juges[46]. Le CCJE a déclaré qu’afin de fournir des services judiciaires de qualité, le pouvoir judiciaire devait également travailler de manière appropriée avec les procureurs[47] et les avocats[48]. En appliquant ces principes, les juges et le système judiciaire devraient atteindre l’objectif général de rendre des arrêts de la meilleure qualité possible, conformément à des normes déontologiques rigoureuses. Pour obtenir la légitimité et le respect des citoyens, les juges ainsi que ouvoir judiciaire dans son ensemble du pdoivent faire la preuve de leur efficacité et de la qualité de leur travail.

18.  Les juges doivent s’acquitter de leurs obligations en respectant les règles disciplinaires et les procédures[49], ainsi que (évidemment) le droit pénal. Les pouvoirs d’un juge sont liés aux valeurs de vérité, de justice, d’équité et de liberté. C’est pourquoi il faut que les juges s’acquittent de leurs fonctions en appliquant une déontologie professionnelle rigoureuse[50]. Dans son Avis n° 3 (2002), le CCJE a examiné ces normes et principes de conduite professionnelle[51]. Travailler dans le cadre créé par de tels principes assure la légitimité des juges, partie du système judiciaire dans son ensemble.

19.  Comme tous les autres pouvoirs, le pouvoir judiciaire doit également gagner la confiance du public en rendant compte devant la société et les autres pouvoirs de l’État[52]. Il convient donc d’examiner pourquoi et comment le pouvoir judiciaire et les juges doivent rendre compte à la société.

V. Responsabilité* du pouvoir judiciaire

A.   Pourquoi la responsabilité* est-elle importante ?

20.  Au cours des dernières années, les services publics ont évolué vers davantage d’ouverture et ont accepté qu’ils devaient mieux expliquer leur travail aux citoyens qu’ils servaient. En conséquence, l’obligation de rendre des compte à l’égard du public est devenue de plus en plus importante dans la vie publique[53]. Un organisme public se montrera « responsable* » s’il fournit des explications sur ses actions et qu’il les assume. Cette « responsabilité* » est aussi vitale pour le pouvoir judiciaire que pour les autres pouvoirs de l’État car, comme pour eux, son rôle est de servir le citoyen[54]. En outre, sous réserve qu’un juste équilibre soit observé, les principes de l’indépendance et de la responsabilité* judiciaires ne sont pas inconciliables. Dans le contexte judiciaire, il faut comprendre le terme « responsable » comme impliquant l’obligation de rendre compte, à savoir justifier et expliquer les décisions et les actions. Cela ne signifie pas que le pouvoir judiciaire soit responsable devant – ou subordonné à – un autre pouvoir de l’État ; en effet, cela serait trahir son rôle constitutionnel d’organe indépendant dont la fonction consiste à trancher les litiges impartialement et selon les règles du droit. Si la « responsabilité *» du pouvoir judiciaire devant les autres pouvoirs de l’État consistait en un lien d’obligation ou de subordination, la justice ne pourrait pas, dans les affaires impliquant ces autres pouvoirs, remplir le rôle constitutionnel évoqué ci-dessus.

21.  Le pouvoir judiciaire (comme les deux autres pouvoirs de l’État) fournit un service public. Il va de soi qu’il devrait rendre compte (dans le sens expliqué ci-dessus) à la société qu’il sert. L’autorité judiciaire doit s’exercer dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice[55]. Aussi le pouvoir judiciaire se doit-il de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État et à la société dans son ensemble de l’usage qu’il fait de son pouvoir, de son autorité et de son indépendance[56]. Les justiciables demandent un système judiciaire toujours plus efficace et un meilleur accès aux tribunaux[57]. L’efficacité et l’accessibilité constituent deux aspects de cette « responsabilité *». Le CCJE a déjà reconnu ces évolutions. En affirmant que, dans une société démocratique, tout système judiciaire devrait rendre une justice de la plus haute qualité et rendre compte à la société, le CCJE a souligné l’un des aspects de la « responsabilité *» de la justice envers l’ensemble de la société[58].

22.  D’autres raisons justifient l’obligation faite au pouvoir judiciaire de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État au sens décrit précédemment. En premier lieu, c’est le pouvoir législatif qui établit le cadre légal appliqué par le pouvoir judiciaire. C’est pourquoi le législateur a le droit qu’on lui rende compte, en termes dûment motivés, des décisions portant interprétation et application des lois par le pouvoir judiciaire. En second lieu, pour remplir ses devoirs envers la société, le pouvoir judiciaire perçoit des ressources financières par le jeu des décisions du pouvoir législatif et, dans de nombreux États membres, du pouvoir exécutif. Comme l’a déjà souligné le CCJE, l’ensemble des principes généraux et normes du Conseil de l’Europe en matière de financement et de gestion des tribunaux met à la charge des États le devoir de dégager les moyens financiers permettant de répondre aux nécessités des différents systèmes judiciaires[59]. Il ressort clairement des réponses au questionnaire du CCJE que l’autonomie financière et administrative des systèmes judiciaires varie considérablement d’un État membre à l’autre. Le CCJE a préconisé une plus grande autonomie financière et administrative des tribunaux en vue de protéger l’indépendance judiciaire[60]. Toutefois, quelle que soit la méthode d’organisation de la gestion budgétaire et administrative du pouvoir judiciaire dans un État donné, ses ressources sont allouées par le Parlement et proviennent en fin de compte des contribuables. Ainsi, tout comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont responsables de la manière dont ils affectent les ressources, le pouvoir judiciaire doit également rendre compte à la société de la manière dont sont dépensées les ressources financières destinées à l’accomplissement de ses devoirs envers la société[61].

B.   Par quels moyens faut-il rendre compte ?

(1)  De quoi le pouvoir judiciaire devrait-il rendre compte ?

23.  L’activité judiciaire a pour but de trancher les litiges, et, par les décisions rendues, le pouvoir judiciaire remplit un « rôle normatif et éducatif », fournissant aux citoyens des informations pertinentes et des assurances quant à la loi et son application pratique[62]. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire doit avant tout rendre compte à travers la manière dont les juges connaissent des affaires dont ils sont saisis, plus particulièrement à travers leurs décisions et les motivations de ces dernières. Les décisions de justice doivent pouvoir être examinées et susceptibles d’appel[63]. On peut qualifier cette obligation primordiale de « responsabilité* judiciaire ». Conformément au principe fondamental de l’indépendance de la justice, le système de recours constitue, en principe, le seul moyen de réformer ou de modifier une décision de justice après qu’elle ait été rendue et la seule manière de demander à des juges de rendre compte de leurs décisions, sauf s’ils ont agit de mauvaise foi.

24.  Dans les pays où les juges sont responsables de la gestion du système judiciaire (ce qui peut inclure la gestion du budget des tribunaux), le pouvoir judiciaire doit rendre compte de sa gestion devant les autres pouvoirs de l’État et devant la société[64]. Dans ce domaine, les juges chargés de la gestion des fonds publics sont en principe dans la même position que tout autre autorité publique chargée de dépenser l’argent des contribuables.

(2) Devant qui les juges doivent-ils rendre compte?

25.  Les juges et l’ensemble du pouvoir judiciaire sont responsables* (dans le sens expliqué ci-dessus) à deux niveaux : en premier lieu, ils sont responsables devant les parties qui veulent obtenir justice dans le cadre d’une procédure judiciaire ; en second lieu, ils sont responsables * (dans le même sens) devant les autres pouvoirs de l’État et, à travers eux, devant la société toute entière.

(3)  Quelle est la méthode employée ?

(a)  Les différents éléments de la responsabilité*

26.  Il existe plusieurs formes de responsabilité*. Tout d’abord, comme expliqué plus haut, les juges rendent compte de leurs décisions via la procédure de recours (« responsabilité judiciaire »). Ensuite, ils doivent travailler dans la transparence. En tenant des audiences publiques et en rendant des jugements motivés qui sont mis à la disposition de la société, sauf circonstances exceptionnelles, ils expliquent leurs actions et décisions aux parties qui se sont adressées à la justice. Ce faisant, les juges rendent également compte de leurs actions aux autres pouvoirs de l’État et à la société. Cette forme de responsabilité* peut être décrite comme une « responsabilité d’explication ». Enfin, si un juge se livre à des actes inappropriés, il doit être tenu pour responsable de manière plus ferme, par exemple à travers l’application de procédures disciplinaires et, le cas échéant, du droit pénal. On peut ici parler de « responsabilité donnant lieu à sanction ».

(b)  Responsabilité d’explication

(i) Audiences et jugements ouverts au public

27.  Les règles fondamentales de l’activité judiciaire, telle l’exigence de tenir des audiences publiques et de rendre des décisions motivées et accessibles au public, s’appuient sur le principe selon lequel les juges sont tenus de rendre compte de leur conduite et de leurs décisions. Lors des audiences publiques, les juges entendent les dépositions des parties et des témoins, ainsi que les plaidoiries des avocats. Ils expliquent (habituellement) la loi en public. Le grand public peut assister à des audiences ouvertes pour se familiariser avec le droit et le comportement du (des) juge(s) envers les parties aux litiges[65]. Ce type de procédure ouverte garantit un procès équitable aux termes de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le fait d’assister aux audiences (ou, dans certains États, de les suivre à la télévision[66] ou en ligne) et d’en consulter les comptes rendus permet, en outre, à la société de mieux comprendre le processus juridictionnel. Par ces moyens, les juges et le pouvoir judiciaire rendent aussi compte. Si les règles de procédure formelles sont importantes pour la confiance du citoyen dans le pouvoir judiciaire, l’expérience concrète de l’observation du pouvoir judiciaire en action, ainsi que les informations pertinentes publiées par les media sur la conduite des procès, constituent également un élément déterminant[67].

28.  Les juges doivent motiver leurs décisions, qui devraient être rendues publiques, sauf circonstances exceptionnelles. De cette manière, ils rendent compte de leurs décisions et permettent aux justiciables et à la société en général de comprendre et de mettre en question leur raisonnement. C’est pourquoi, comme l’a déjà dit le CCJE[68], les décisions doivent être aisément compréhensibles. Dans une affaire où la partie perdante est en désaccord avec la décision, elle peut interjeter appel. L’existence (ou même la menace) d’une possibilité de recours devrait garantir un processus décisionnel de grande qualité dans un délai raisonnable et ce dans l’intérêt des parties et de la société dans son ensemble. Dans une affaire où la décision n’a pas été rendue dans un délai raisonnable[69], des recours spécifiques peuvent être intentés, de préférence devant les juridictions locales ou, si de tels recours ne sont pas possibles, devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Une fois que le juge a accompli son devoir et rendu sa décision, l’intérêt général exige qu’elle soit rapidement et effectivement exécutée[70]. A cet égard, le pouvoir judiciaire s’en remet souvent au pouvoir exécutif pour donner effet à ses décisions.

(ii) Autres mécanismes de responsabilité d’explication

  1. Il existe plusieurs autres moyens permettant d’obliger le pouvoir judiciaire à rendre compte de son travail et – le cas échéant – de sa gestion de l’administration de la justice. Les autres pouvoirs de l’État ne doivent jamais abuser de ces moyens pour s’ingérer dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. L’un des ces moyens évidents est d’ordre externe au pouvoir judiciaire : par exemple les rapports annuels accessibles au grand public. Parmi les autres moyens externes figurent les vérifications réalisées par des comités d’audit publics, les services d’inspection[71] ou encore les enquêtes. Au niveau local ou national, de nombreux États membres ont mis en place l’institution de l’« Ombudsman », du Défenseur ou Médiateur public ou du peuple, ou encore des Inspecteurs généraux, nommés par le pouvoir exécutif ou par le Parlement, souvent largement indépendants. Leur mission consiste souvent, entre autres, à veiller à ce que le pouvoir judiciaire rende compte. (La question de savoir comment parvenir à un juste équilibre entre la nécessité de rendre compte et l’ingérence extérieure sera examinée à la section VI ci-dessous).

  1. Les autres moyens sont internes au pouvoir judiciaire, à travers l’évaluation individuelle des juges. Dans la plupart des États membres, les juges sont soumis, sous une forme ou une autre, à une évaluation individuelle à un moment donné de leur carrière. L’évaluation peut être utile pour assurer que les juges rendent compte. Comme l’a expliqué le CCJE, l’évaluation individuelle du travail des juges peut aider à obtenir des informations sur leurs capacités indivisduelles, ainsi que sur les forces et faiblesses du système judiciaire. L’évaluation peut aider à repérer les meilleurs candidats à la promotion et ainsi maintenir ou même améliorer la qualité du système judiciaire[72]. Il convient de ne pas abuser de l’évaluation, notamment en vue d’exercer une pression politique sur un juge ou pour remettre en cause des décisions individuelles.  

(iii) Discussion avec d’autres pouvoirs de l’État

31.  Chacun des trois pouvoirs de l’État dépend des deux autres pour fonctionner efficacement. Le dialogue entre tous est indispensable pour améliorer l’efficacité de chaque pouvoir et la coopération avec les deux autres pouvoirs. A condition que ce dialogue se déroule dans un climat de respect mutuel et s’attache particulièrement à la préservation de l’indépendance et de l’impartialité de tout juge qui y prend part[73], ces échanges seront bénéfiques aux trois pouvoirs de l’État[74]. Le CCJE a souligné qu’il était important que les juges participent au débat sur la politique judiciaire nationale. En outre, les membres du pouvoir judiciaire devraient être consultés et jouer un rôle actif dans l’élaboration de toute législation relative à leur statut et au fonctionnement du système judiciaire[75]. Le savoir-faire des juges est également précieux pour des sujets ne relevant pas de la politique judiciaire. Par exemple, en témoignant devant les commissions parlementaires, les représentants du pouvoir judiciaire (par exemple la plus haute autorité du pouvoir judiciaire ou le conseil supérieur de la justice) peuvent exprimer les inquiétudes suscitées par des projets législatifs et donner le point de vue du pouvoir judiciaire sur des questions pratiques. Certains États membres ont fait part d’expériences positives relatives à ces échanges[76]. Dans plusieurs États membres, le pouvoir judiciaire noue un dialogue avec le pouvoir exécutif à travers les juges qui se mettent temporairement en congé du système judiciaire pour travailler dans les services de la législation civile ou pénale d’un ministère de la Justice[77].D’autres États membres, toutefois, considèrent cette pratique comme contraire à l’indépendance de la justice[78].

(iv) Dialogue avec le public

32.  Comme le CCJE l’a déjà fait observer, le dialogue avec le public, qu’il ait lieu directement ou par l’intermédiaire des media, est d’une importance capitale pour mieux faire connaître le droit aux citoyens et accroître leur confiance dans le pouvoir judiciaire[79]. Dans certains États membres, la nomination des juges non professionnels est considérée comme un maillon utile entre le pouvoir judiciaire et le public. Le CCJE a recommandé dans son Avis n° 7 (2005) sur « Justice et société » que le pouvoir judiciaire et les tribunaux instaurent un dialogue direct avec les media et le public[80]. Les tribunaux devraient, par exemple, remplir un rôle éducatif en organisant des visites à l’intention des élèves et des étudiants, en fournissant des informations et en expliquant les décisions judiciaires au citoyen et aux media afin d’améliorer leur compréhension du système et d’éviter les malentendus[81]. Bien que les relations avec les media présentent un risque, les tribunaux peuvent éviter que le citoyen se fasse de la justice une fausse représentation grâce à des contacts étroits et des explications dynamiques. Le pouvoir judiciaire peut de cette manière rendre compte à la société et s’assurer que le grand public se fait de la justice une représentation exacte, qui reflète les efforts consentis par les juges. Les juges peuvent, de cette façon, également montrer aux citoyens les limites du champ d’action de la justice[82].

(c)  «Responsabilité donnant lieu à sanction»

33.  Comme l’a déjà souligné le CCJE, toutes les actions de la justice doivent être conformes aux principes applicables en matière de conduite professionnelle, aux règles disciplinaires établies et – dans des conditions préservant l’indépendance et l’impartialité de la justice – au droit pénal. La définition des principes de déontologie professionnelle doit être distincte de leur application par le biais de régimes disciplinaires[83]. Étant donné l’importance de l’éthique et de l’intégrité pour la confiance du public dans la justice, les juges doivent se montrer intègres dans le cadre professionnel comme dans leur vie privée[84] et ont à répondre de leur conduite si elle s’écarte des normes acceptées. Il arrive que la conduite de certains juges soit à ce point aberrante que l’on ne saurait se satisfaire d’une simple explication. Le corollaire des pouvoirs et de la confiance considérables accordés par la société aux juges est qu’il doit être possible de les tenir pour responsables, et même de les démettre de leurs fonctions, en cas d’inconduite suffisamment grave pour justifier une telle mesure[85]. Ceci vaut particulièrement dans les cas de corruption judiciaire[86], qui sapent fondamentalement la confiance du public dans l’impartialité et l’indépendance de la justice. Dans d’autres cas de faute professionnelle, c’est la responsabilité pénale[87], civile[88] ou disciplinaire[89] qui sera applicable en fonction de la nature de la faute.

VI. Comment les exigences de «légitimité» et de «responsabilité*» influencent-elles les relations entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs de l’État ?

34.  Légitimité et responsabilité* sont étroitement liées. Le pouvoir judiciaire devrait s’efforcer de préserver et de démontrer sa légitimité en rendant compte au public. Le principal moyen d’y parvenir est de fournir un travail de très grande qualité et d’expliquer ses actions et sa conduite aux autres pouvoirs de l’État et – à la fois par leur intermédiaire et directement – à l’ensemble de la société. Comme indiqué plus haut, aucun pouvoir de l’État ne peut fonctionner de manière totalement isolée et séparée des autres. Tous les pouvoirs entretiennent une relation d’interdépendance. Aussi l’échange et le dialogue entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État sont-ils recommandés. Cependant, bien que tous les mécanismes susmentionnés puissent se révéler précieux pour garantir que le pouvoir judiciaire rende compte, ils risquent néanmoins d’être utilisés à mauvais escient.

35.  La pleine reconnaissance des garanties fondamentales de l’indépendance de la justice, telles que l’inamovibilité, l’interdiction d’un changement de fonction ou d'un déplacement sans le consentement du juge, l’absence d’influence politique sur les nominations et les promotions, une rémunération suffisante et la sécurité des personnes et des biens[90], constituent une condition préalable à tout débat constructif entre les trois pouvoirs de l’État. Si ces garanties de base sont respectées, l’indépendance judiciaire ne souffrira pas mais, au contraire, bénéficiera d’un surcroît de légitimité grâce à la combinaison d’un exercice satisfaisant de la fonction judiciaire et de la participation des juges à des échanges. La continuité de l'indépendance judiciaire et de la légitimité judiciaire ne sont pas automatiques: toutes deux doivent être constamment réaffirmées[91]. La légitimité et l’indépendance du pouvoir judiciaire sont garanties de la meilleure manière qu’il soit grâce à l’excellence de la performance. Pour atteindre cet objectif et gagner le respect du public, un pouvoir judiciaire indépendant et responsable* doit s’ouvrir à une critique qui doit être justifiée, il doit tirer des conclusions de ses erreurs, et ainsi améliorer continuellement son travail. Ainsi, l’indépendance et la responsabilité ne s’opposent pas mais s’enrichissent mutuellement. Il est toutefois important de souligner que le juge n’est pas responsable des politiques d’un précédent gouvernement ou régime. Les juges ne doivent pas être soumis à la critique ou à la procédure disciplinaire simplement parce qu’ils ont appliqué la loi adoptée par un régime antérieur, sauf s’ils ont, de mauvaise foi, détourné l’application de la loi.

36.  Il est particulièrement délicat de trouver un équilibre entre la nécessité de protéger le processus judiciaire contre les pressions ou distorsions d’origine politique et celle d’une discussion ouverte sur les questions d’intérêt général relatives à l’administration de la justice. D’une part, comme l’a souligné le CCJE, il faut que les juges acceptent d’être des personnages publics et qu’ils ne soient pas trop susceptibles[92]. Ainsi, dans leurs relations avec les autres pouvoirs de l’État et avec la société dans son ensemble, les juges doivent s’attacher eux-mêmes à préserver leur indépendance[93] et leur impartialité. D’autre part, dans tous leurs rapports avec le pouvoir judiciaire, les autres pouvoirs de l’État sont tenus de respecter les principes de l’indépendance et de l’impartialité de la justice. Le dialogue entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État, ainsi qu’avec le grand public, peut, dans certains cas, saper l’indépendance de la justice. Par exemple, il est inadmissible que d’autres pouvoirs de l’État critiquent des décisions de justice d’une manière qui sape l’autorité judiciaire et encourage la désobéissance, voire la violence à l’encontre des juges[94]. Il est également inacceptable qu’un membre du pouvoir judiciaire soit démis de ses fonctions par l’un des autres pouvoirs de l’État pour avoir exprimé dans le cadre de celles-ci des critiques justifiées au sujet d’un de ces autres pouvoirs ou de l’un de ses membres[95]. Il est essentiel que le dialogue entre les trois pouvoirs de l’État et entre le pouvoir judiciaire et le grand public, et que toute inspection et enquête, soient menés dans un climat de respect mutuel. Ces processus ne doivent en aucun cas être exploités pour influencer une décision judiciaire spécifique ou encourager l’irrespect ou la désobéissance vis-à-vis des décisions de justice.

37.  Concernant la responsabilité civile, pénale et disciplinaire (ce qui a été appelé ci-dessus « responsabilité donnant lieu à sanction »), le CCJE souligne que le principal recours contre les erreurs judiciaires, qui ne resultent pas de mauvaise foi, doit être la procédure d’appel. En plus, afin de protéger l’indépendance de la justice de pressions indues, il convient de définir avec le plus grand soin la position des juges au regard de la responsabilité pénale, civile et disciplinaire[96]. Les tâches d’interprétation du droit, de mise en balance des preuves et d'évaluation des faits auxquelles se livre un juge pour trancher un litige ne devraient pas engager sa responsabilité civile ou pénale, sauf en cas de malveillance, d'omission volontaire ou, le cas échéant, de négligence grave[97]. En outre, si l’État a dû verser un dédommagement à une partie en raison d'un défaut dans l'administration de la justice, seul l'État, et non pas un justiciable, devrait avoir le pouvoir d'établir, par une action en justice, la responsabilité civile d'un juge[98].

38.  Il est admis que les structures constitutionnelles des États membres présentent des différences considérables. Il en résulte des variations notables dans l’expérience de chaque État en matière d’interaction des trois pouvoirs. Chaque pays peut, toutefois, s’inspirer de l’expérience des autres. Il est possible non seulement de partager les bonnes pratiques, mais aussi et surtout de s’appuyer sur les échanges internationaux pour mieux comprendre les problèmes et les principes communs. C’est pourquoi les expériences et pratiques de l’ensemble des États membres devraient être partagées par l’intermédiaire d’institutions européennes et internationales, dont notamment les instances du Conseil de l’Europe.

VII. Retenue nécessaire dans les relations entre les trois pouvoirs

  1. Comme il a été souligné ci-dessus, les trois pouvoirs entretiennent une relation d’interdépendance. En ce sens, il ne peut donc jamais y avoir de complète « séparation des pouvoirs ». Cependant, pour qu’un juste équilibre soit atteint entre les trois pouvoirs de l’État, chaque pouvoir doit agir avec la retenue nécessaire dans ses relations avec les autres pouvoirs.

A.   La « retenue judiciaire »

40.  Le pouvoir judiciaire, en tant qu’un des trois pouvoirs de l’État, doit rendre compte à la société qu’il sert. Ainsi, comme les autres pouvoirs de l’État, il doit systématiquement tenir pour primordial l’intérêt supérieur des citoyens. Cela suppose qu’il doit tenir compte des conditions sociales et politiques dans lesquelles les deux autres pouvoirs de l’État doivent fonctionner. En outre, le pouvoir judiciaire doit être conscient de l’existence de limites quant à ses interventions se rapportant aux décisions politiques que doivent prendre les pouvoirs législatif et exécutif. Par conséquent, toutes les juridictions doivent être conscientes des limites de leurs prérogatives qui impliquent qu’elles ne peuvent pas interférer dans les prérogatives des autres pouvoirs. Le CCJE reconnaît que c’est à juste titre que le pouvoir législatif, comme le pouvoir exécutif, peuvent être préoccupés par le fait que le pouvoir judiciaire n’outrepasse pas son rôle.

41.  Dans ses rapports avec les deux autres pouvoirs de l’État, le pouvoir judiciaire doit éviter d’être perçu comme étant uniquement soucieux de ses intérêts et exagérant l’importance de ses propres préoccupations. Le pouvoir judiciaire doit, au contraire, se montrer compréhensif et responsable envers les besoins de la société et les exigences de bonne gestion des derniers publics. Le pouvoir judiciaire peut apporter son éclairage sur les incidences possibles d’une législation proposée ou de décisions de l’exécutif sur la capacité du pouvoir judiciaire à remplir son rôle constitutionnel. Le pouvoir judiciaire doit également prendre soin de ne pas s'opposer systématiquement aux modifications proposées concernant le système judiciaire en les qualifiant d'attaque contre l'indépendance judiciaire. Cependant, si l’indépendance judiciaire ou la capacité du pouvoir judiciaire à remplir son rôle constitutionnel sont menacées, le pouvoir judiciaire doit défendre sa position de manière déterminée. A titre d’exemples, on peut citer la baisse massive de l’aide judiciaire ou la fermeture de tribunaux pour des raisons économiques ou politiques.

42.  S’il est nécessaire de critiquer un autre pouvoir de l’État ou l’un de ses membres en particulier, dans le cadre du règlement d’un litige ou lorsque cela s’impose dans l’intérêt général, il faut que cela soit fait. Ainsi, par exemple, des membres du pouvoir judiciaire peuvent critiquer la législation ou l’incapacité du pouvoir législatif à adopter une législation qu’il considère appropriée. Cependant, tout comme les autres pouvoirs de l’État, le pouvoir judiciaire doit exprimer ses critiques dans un climat de respect mutuel. Les juges, comme tous les autres citoyens, ont le droit de participer au débat public, à condition de le faire d’une manière qui soit compatible avec le maintien de leur indépendance et impartialité. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais encourager la désobéissance ou l’irrespect envers les pouvoirs exécutif et législatif. Dans leurs relations professionnelles et privées avec les représentants des autres pouvoirs, les juges doivent éviter tout conflit d'intérêt et tout comportement qui pourrait créer une perception mettant en cause l'indépendance du juge ainsi que l'impartialité et la dignité du pouvoir judiciaire en général. Dans la mesure où les critiques sont formulées dans un climat de respect mutuel, elles peuvent être bénéfiques à l’ensemble de la société. On ne saurait souligner trop souvent, toutefois, qu’il est inacceptable que des commentaires critiques raisonnables du pouvoir judiciaire à l'égard des autres pouvoirs de l'État soient sanctionnés par la révocation de juges ou par d’autres mesures de représailles[99]. Le CCJE souligne qu’il arrive que des comportements inadmissibles de la part de représentants du pouvoir législatif ou exécutif ou du personnel politique se manifestent sous forme de connivence, voire parfois de soutien à des agressions ou des actions radicales, violentes et illégales à l’encontre du pouvoir judiciaire[100]. Le soutien direct ou indirect à de telles agressions totalement inacceptable. De telles actions sont d’une part une attaque directe contre l'indépendance de la justice, mais elles étouffent aussi le débat public légitime engagé par les juges.

B.   La retenue de la part des autres pouvoirs

43.  Les autres pouvoirs de l’Etat doivent faire preuve de la même responsabilité et de la même retenue que le pouvoir judiciaire. Avant tout, les autres pouvoirs de l’État doivent reconnaître la fonction constitutionnelle légitime du pouvoir judiciaire et veiller à ce qu’il soit doté de ressources suffisantes pour remplir ses fonctions. Cette fonction consistant à trancher l’ensemble des litiges et à interpréter et appliquer le droit est aussi indispensable au bien-être d’un État démocratique moderne respectueux de la prééminence du droit que le sont les fonctions des pouvoirs législatif et exécutif. Dans un État régi par le principe de la séparation des pouvoirs, les interférences entre les actions d’une « branche » de l’État et celles des autres « branches » doivent rester dans les limites du droit et des normes reconnues au niveau international. Le CCJE considère que lorsqu’une ingérence indue survient, les pouvoirs de l’État devraient coopérer loyalement pour rétablir l’équilibre et, par-là, la confiance de la société envers le bon fonctionnement des institutions publiques. Dans tous les cas de conflit avec le pouvoir législatif ou exécutif impliquant des juges, ces derniers devraient pouvoir se tourner vers un conseil de la justice ou vers une autre autorité indépendante, ou disposer d’autres voies effectives de recours[101].

(1)  Remise en question de la nomination de juges déjà sélectionnés

44.  Les décisions, même déguisées, qui suppriment les garanties fondamentales de l’indépendance de la justice sont inacceptables[102]. Par exemple, une nouvelle majorité parlementaire ou un nouveau gouvernement ne doivent pas remettre en question la nomination ou le mandat de juges ayant déjà été nommés dans les règles. Le mandat des juges ne peut être remis en question que s’il a été dûment établi, au terme d’une procédure judiciaire, que le juge a enfreint des règles disciplinaires ou le droit pénal.

(2)  Législation : modifications du système judiciaire

45.  Déterminer quand et à quel rythme il convient de modifier la législation relève de la responsabilité du législateur. De trop fréquents changements sur une courte période, devraient cependant être d’évités, plus particulièrement dans le domaine de l’administration de la justice[103]. Lorsque des modifications du système de la justice sont introduites, des précautions doivent être prises pour veiller à ce qu’elles soient accompagnées par des dispositions financières, techniques et procédurales adéquates et qu'il y ait suffisamment de ressources humaines[104]. Dans le cas contraire, il existe un risque d’instabilité de l’administration de la justice et le public pourrait croire, à tort, que les problèmes dans l'administration du nouveau système sont dus au pouvoir judiciaire. Cela peut ébranler la confiance du public et mener à des conflits inutiles.

(3)  Le pouvoir législatif : commissions d’enquête parlementaires

 

46.  Il existe un risque de doublon entre le rôle dévolu aux juges et celui des commissions d’enquête parlementaires. Le CCJE reconnaît que les organes parlementaires nationaux ou locaux peuvent, en vertu de la législation de nombreux États membres, mettre en place des commissions chargées d’enquêter sur des phénomènes sociaux ou sur des allégations d’atteintes au droit ou des lacunes dans son application. Les attributions de ces commissions sont souvent proches de celles des autorités judiciaires : convoquer des témoins, ordonner la production ou la saisie d’éléments de preuve, etc. Aux yeux du CCJE, afin de préserver la séparation adéquate des pouvoirs, en général, les commissions d’enquête ne devraient jamais s’ingérer dans des enquêtes ou des procédures ouvertes par les autorités judiciaires ou sur le point de l’être. Si les rapports de ces commissions contiennent des commentaires sur des décisions existantes relatives à des affaires individuelles, ils doivent faire preuve du plus grand respect et ils devraient éviter d’exprimer des critiques qui peuvent être comprises comme ayant pour but de de réviser ces affaires. Cependant, si l’enquête concerne de possibles dysfonctionnements dans l’administration de la justice mis en lumière à travers une affaire individuelle, ces procédures peuvent être examinées, tout en y apportant les précautions nécessaires. Une enquête ne peut pas remplacer une procédure judiciaire en bonne et due forme.  

(4) « Ombudsman », Défenseurs ou Médiateurs du peuple ou des citoyens et Inspecteurs généraux

47.  Les « Ombudsmans », Défenseurs ou Médiateurs du peuple ou des citoyens, et Inspecteurs généraux, nommés par le pouvoir exécutif ou par le Parlement, jouissent souvent d’un large degré d’indépendance. Leur mission consiste à défendre l’intérêt général en recevant des plaintes de particuliers concernant des atteintes au droit reprochées, le plus souvent, à des entités publiques, et en enquêtant à leur sujet. Cependant, les enquêtes relatives à ces plaintes et les efforts engagés pour les résoudre, le plus souvent à travers des recommandations (contraignantes ou non) ou une médiation, peuvent interférer avec le traitement d’affaires individuelles portées devant un tribunal ou sur le point de l’être. De telles interventions doivent être évitées. Par conséquent, le CCJE recommande que la législation des États membres clarifie les relations entre les pouvoirs des « Ombudsmans » (ou des instances similaires) et ceux des tribunaux. Rendre possible le recours à ces entités avant d’initier une procédure judiciaire, comme cela se fait déjà dans certains États, pourrait offrir une bonne solution ; mais lorsqu’’une procédure judiciaire est initiée, les parties ne pourraient se tourner vers cette entité que sur recommandation du juge en charge de l’affaire.

(5) Administration des tribunaux et inspections

  1. Au cours des dernières décennies, nombre d’États membres ont accordé l’autonomie au pouvoir judiciaire ou ont élargi sa portée. Les modèles utilisés pour l’administration de la justice varient. Dans certains pays, elle incombe au ministère de la Justice, dans d’autres à des organismes indépendants et dans d’autres encore à des conseils de la justice. Le CCJE a formulé des recommandations sur ces questions[105]. Dans certains pays, les ministères de la Justice exercent une forte influence sur l’administration des tribunaux par le biais des présidents de tribunaux et des inspections judiciaires ou de services administratifs des tribunaux dépendant directement du ministère de la Justice. La présence d’agents du pouvoir exécutif dans les instances de gestion des cours et tribunaux est à éviter. Une telle présence peut constituer une ingérence dans le fonctionnement de la justice, menaçant ainsi son indépendance.

  1. Les problèmes dans les relations entre les pouvoirs exécutif et judiciaire peuvent se produire dans les États où le ministre de la Justice ou d’autres ministères ou organismes, comme ceux ayant un pouvoir d’audit et/ou de contrôle financier, sont habilités à diligenter des inspections dans les tribunaux. Ces inspections peuvent avoir différents objets. Les informations recueillies peuvent, par exemple, servir à déterminer la répartition des budgets, à planifier une éventuelle réorganisation des services du tribunal ou à ouvrir une éventuelle procédure disciplinaire contre des membres du personnel du tribunal et/ou des juges. Les inspections sont parfois composées de juges ou d’anciens juges et parfois même mises en place au sein des conseils de la justice. De l’avis du CCJE, bien que le point de vue d’inspecteurs externes puisse aider à détecter des lacunes dans une institution donnée, comme le pouvoir judiciaire, il est vital que les activités des inspecteurs n’interfèrent jamais dans les enquêtes judiciaires et procès en cours. Dans tous les cas, les autres pouvoirs de l’État devraient exercer leur droit à s’informer sur le fonctionnement de la justice ou à enquêter à son sujet en tenant compte des limites imposées par l’indépendance de la justice et, lorsque la loi le prévoit, par le secret des enquêtes judiciaires. Les inspections ne devraient jamais concerner des affaires individuelles, en particulier si elles sont en attente de procès.

(6) Autonomie budgétaire

  1. Les conséquences des difficultés des finances publiques, causées notamment par la crise économique depuis 2008, soulèvent de sérieux problèmes dans les nombreux États membres. L’accès aux tribunaux et à l’aide judiciaire a été restreint, la charge de travail des tribunaux a augmenté et le système judiciaire a été restructuré. Dans leurs réponses au questionnaire, de nombreux États membres ont signalé des débats en cours sur la rémunération des juges. Les salaires des juges sont gelés depuis de nombreuses années ou ont même été récemment revus à la baisse.

  1. Il est admis que, sous réserve des dispositions constitutionnelles appropriées, les décisions relatives au financement du système judiciaire et à la rémunération des juges doivent relever de la compétence du pouvoir législatif, mais que les normes européennes devraient systématiquement être respectées. Le CCJE a formulé des recommandations sur le financement du pouvoir judiciaire[106]. Ce dernier devrait exposer ses besoins au Parlement et, le cas échéant, au ministère de la Justice. En cas de grave récession économique, les juges, comme tous les autres membres de la société, doivent s’adapter à la situation économique de la société qu’ils servent. Toutefois, un sous-financement chronique du système judiciaire devrait être considéré comme inacceptable par l’ensemble de la société, étant donné qu’il ébranle les fondements d’une société démocratique basée sur la prééminence du droit.

(7) Critiques formulées par les membres des pouvoirs exécutif et législatif

 

  1. Les responsables politiques et les autres personnes occupant une fonction publique dans les États membres exigent souvent une limitation des pouvoirs du juge ou font preuve de peu de compréhension pour ce qu’apporte l’indépendance du système judiciaire. Ces commentaires sont notamment formulés au cours des campagnes électorales, lorsque des décisions sur les questions constitutionnelles ont été prises,  ou concernant des affaires pendantes. En principe, le pouvoir judiciaire doit accepter les critiques dans le cadre du dialogue entre les trois pouvoirs de l’État et avec la société dans son ensemble. Cependant, selon le CCJE, il existe une différence nette entre, d’une part, la liberté d’expression et la critique légitime, et, d’autre part, l’irrespect et l’exercice d’une pression indue sur le pouvoir judiciaire. Lors des campagnes électorales, les responsables politiques ne devraient pas user d’arguments simplistes ou démagogiques afin de critiquer le pouvoir judiciaire pour le seul plaisir de la controverse ou afin de détourner l’attention de leurs propres lacunes. Les juges ne devraient pas plus subir d’attaques personnelles. Les responsables politiques ne doivent en aucun cas encourager le non-respect des décisions judiciaires, et encore moins, comme cela s’est produit dans certains Etats, la violence envers les juges. Les pouvoirs exécutif et législatif ont l’obligation de fournir toute protection nécessaire et adéquate si la mission des tribunaux est menacée par des atteintes ou des intimidations dirigées contre les membres du pouvoir judiciaire. La critique sans nuance de la part de responsables politiques est irresponsable et elle représente un sérieux problème, car la confiance du public dans le système judiciaire peut ainsi être involontairement ou délibérément mise à mal. Le pouvoir judiciaire doit alors souligner qu’un tel comportement est autant une attaque contre la Constitution d’un État démocratique qu’une atteinte contre la légitimité d’un autre pouvoir de l’État. De tels comportements vont aussi à l’encontre des normes internationales.

 

  1. Il faut que les tribunaux et l’ensemble du pouvoir judiciaire débattent des moyens de faire face à ces critiques. Les juges qui ont été attaqués hésitent souvent à se défendre (notamment dans le cas d'un procès en cours), afin de préserver leur indépendance et de démontrer qu’ils demeurent impartiaux. Dans certains pays, ce sont les conseils de la justice ou la Cour suprême qui défendent les juges dans de telles situations. Ces mesures peuvent alléger les pressions exercées sur un juge. Elles peuvent être plus efficaces si elles sont organisées par des juges ayant des compétences en matière de communication.

  1. La règle selon laquelle les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel est tout aussi valable pour les membres du pouvoir judiciaire que pour les membres des pouvoirs législatif et exécutif. En fait, il est encore plus important pour le pouvoir judiciaire de prendre des précautions supplémentaires, parce que les juges doivent souvent décider si l'exécutif ou le législatif a agi conformément à la loi. En outre, il n'y aura pas de confiance dans les décisions d'un pouvoir judiciaire qui permet à ses membres de faire des commentaires déraisonnables ou irrespectueux envers les autres pouvoirs de l'État. Ces types de remarques mèneront à une «guerre verbale», qui va elle-même affecter la confiance du public dans le système judiciaire. En définitive, une telle «guerre» pourrait conduire à un pouvoir judiciaire incapable de remplir sa mission constitutionnelle de trancher, d'une manière indépendante et impartiale et perçue comme telle, les litiges entre citoyens et entre citoyens et services de l'État. La société et la démocratie, que le pouvoir judiciaire doit servir et protéger, en subiraient les conséquences.

VIII. Resumé des points principaux

1.    Le pouvoir judiciaire est l'un des trois pouvoirs de l'État dans une démocratie. Ces trois pouvoirs sont complémentaires. Aucun de ces trois pouvoirs n’est «suprême» ou ne domine les autres (paragraphe 9).

2.    Dans un État démocratique, les trois pouvoirs agissent en s’équilibrant l’un l’autre ; ils doivent donc se rendre mutuellement compte dans l’intérêt de la société dans son ensemble (paragraphe 9).

3.    Le principe de la séparation des pouvoirs est en lui-même une garantie pour l'indépendance de la justice. Le pouvoir judiciaire doit être indépendant pour remplir son rôle constitutionnel par rapport aux autres pouvoirs de l'État, à la société en général et aux parties à un procès  spécifique (paragraphe 10). 

4.    La légitimité du pouvoir judiciaire et de chaque juge est conférée, en premier lieu, par la constitution de chacun des États membres qui sont tous des démocraties fondées sur l’État de droit. La constitution établit le pouvoir judiciaire et confère ainsi une légitimité à ce pouvoir dans son ensemble et à chacun des juges qui exercent leur autorité comme partie du pouvoir judiciaire. La légitimité constitutionnelle des juges individuels qui ont été nommés définitivement ne doit pas être menacée par des mesures prises par le pouvoir législatif ou exécutif résultant de changements au sein du pouvoir politique (paragraphes 13 - 15 et 44).

5.    Cette légitimité constitutionnelle est réaffirmée par la confiance du public dans le pouvoir judiciaire et son respect pour ce pouvoir. Ceux-ci doivent être constamment réaffirmés par le pouvoir judiciaire grâce à l’excellence du travail accompli : c’est ce que le CCJE appelle la « légitimité fonctionnelle » (paragraphes 16 – 19).

6.    Le pouvoir judiciaire, comme les deux autres pouvoirs de l’État, constitue un service public. Par conséquent, il a le devoir de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État et à la société de l’usage qu’il fait de son pouvoir, de son autorité et de son indépendance. Cela peut être appelé « responsabilité* » (paragraphes 20 - 22). Cette « responsabilité* » prend plusieurs formes. 

7.    En premier lieu, le système de recours constitue le seul moyen de réformer ou de modifier une décision de justice et la seule manière de demander au juge de rendre compte de ses décisions. C’est ce que le CCJE appelle une « responsabilité* judiciaire » (paragraphes 23, 26).

8.    Deuxièmement, les juges rendent compte en travaillant d'une manière transparente, en tenant des audiences publiques et en rendant des jugements motivés les engageant à l’égard du public et des autres pouvoirs de l'État. C’est ce que le CCJE appelle une « responsabilité d’explication » (paragraphes 27-32).

9.    Troisièmement, si un juge se livre à des actes inappropriés de nature suffisamment grave, il doit être tenu pour responsable de manière rigoureuse, par exemple à travers l’application de procédures disciplinaires et, le cas échéant, du droit pénal. Le CCJE parle ici d’une « responsabilité donnant lieu à sanction ». Il faut, cependant, veiller, dans tous les cas, à préserver l'indépendance judiciaire (paragraphes 33 et 37).

* Le terme « responsabilité » doit être ici entendu au sens du terme anglais « accountability », c’est-à-dire l’obligation de rendre compte.

10.  En ce qui concerne les relations entre les trois pouvoirs de l'État, tout d'abord, les juges, comme tous les autres citoyens, ont le droit de participer au débat public, d’une manière qui soit compatible avec son indépendance et son impartialité (paragraphe 42).  

11.  Tous les autres pouvoirs de l'État devraient reconnaître la fonction constitutionnelle légitime portée par le pouvoir judiciaire et veiller à ce qu’il soit doté de ressources suffisantes pour remplir ces fonctions. Les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel (paragraphe 42).

12.  Le pouvoir judiciaire doit être conscient de l’existence de limites quant à ses interventions se rapportant aux décisions politiques que doivent prendre les pouvoirs législatif et exécutif. Par conséquent, toutes les juridictions doivent être conscientes des limites de leurs prérogatives qui impliquent qu’elles ne peuvent pas interférer dans les prérogatives des autres pouvoirs (paragraphe 40).

13.  Les décisions des pouvoirs législatif ou exécutif, même déguisées, qui suppriment les garanties fondamentales de l’indépendance de la justice, sont inacceptables (paragraphe 44).

 

14.  Les ministères de la Justice ne doivent pas exercer une influence sur l’administration des tribunaux par le biais des présidents de tribunaux et des inspections judiciaires d'une manière qui pourrait menacer l'indépendance judiciaire. La présence d’agents du pouvoir exécutif dans les instances de gestion des cours et tribunaux est à éviter. Une telle présence peut constituer une ingérence dans le fonctionnement de la justice, menaçant ainsi son indépendance (paragraphes 48-49).

15.  Afin de préserver la séparation adéquate des pouvoirs, les commissions d’enquête (qu'elles soient ou non parlementaires) ne devraient jamais s’ingérer dans des enquêtes ou des procédures ouvertes par les autorités judiciaires ou sur le point de l’être. Une telle enquête ne peut jamais remplacer une procédure judiciaire (paragraphe 46).   

16.  Le CCJE recommande que la législation des États membres clarifie les relations entre les pouvoirs des « Ombudsmans » (ou instances similaires) et ceux des tribunaux (paragraphe 47).

 

17.  Un sous-financement chronique du système judiciaire devrait être considéré comme une ingérence inacceptable dans le rôle constitutionnel du pouvoir judiciaire, parce qu'il ébranle les fondements d’une société démocratique basée sur l’État de droit (paragraphe 51).

18.  Les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel. La critique sans nuance de la part de responsables politiques est irresponsable et elle représente un sérieux problème. Elle peut saper la confiance du public dans le pouvoir judiciaire et   pourrait, dans un cas extrême, correspondre à une attaque contre l'équilibre constitutionnel d'un État démocratique (paragraphe 52). Il faut que les tribunaux et l’ensemble du pouvoir judiciaire débattent des moyens de faire face à ces critiques (paragraphe 53).

19.  Les pouvoirs exécutif et législatif ont l’obligation de fournir une protection nécessaire et adéquate si la mission des tribunaux est menacée par des atteintes ou des intimidations dirigées contre les membres du pouvoir judiciaire (paragraphe 52).

20.  Les responsables politiques ne doivent en aucun cas encourager le non-respect des décisions judiciaires, et encore moins, comme cela s’est produit dans certains Etats, la violence envers les juges (paragraphe 52).



[1] Voir Gardbaum, « Separation of Powers and the Growths of Judicial Review in Established Democracies (or Why Has the Model of Legislative Supremacy Mostly Been Withdrawn From Sale?) », 62 American Journal of Comparative Law (2014) 613.

[2] Des universitaires ont mis en évidence «une expansion mondiale du pouvoir judiciaire» : Voir Tate et Vallinder (éd.), Global Expansion of Judicial Power, New York University Press, 1997.

[3] Voir respectivement les rapports du Secrétaire Général sur la « Situation de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'Etat de droit en Europe » pour 2014 et 2015, ci-après dénommés respectivement le « Rapport du Secrétaire Général du CdE (2014) » et le « Rapport du Secrétaire Général du CdE (2015) ».

[4] Voir le rapport du CCJE sur la situation de pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (2013), par. 13-18.

[5] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17, 27.

[6] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 20-21.

[7] Concernant l’aide juridictionnelle, voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 22-23.

[8] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 19.

[9] Voir les rapports du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22, et (2015) p. 27.

[10] A ce séminaire, participaient, outre les membres du Groupe de travail du CCJE, le professeur Robert Hazell (Département d’étude de la Constitution, University College, Londres, Royaume Uni), M. Andrew Drzemczewski, (Chef du Service des questions juridiques et des droits de l'Homme du Secrétariat de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), Mme Anna Maria Telvis et Mme Ann Speck (Association des Droits de l’Homme) et M. Ziya Tanyar (Secrétariat de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe).

[11] Contributions du professeur Jørn Øyrehagen Sunde (Université de Bergen), Mme Hanne Sophie Greve (Présidente de la Cour d’appel de Gulating, ancienne juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme) et Mme Ingjerd Thune (Présidente de l’Association norvégienne des juges).

[12] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 16.

[13] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 ; voir également la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 1.

[14] Le CCJE reconnaît que cette dernière tâche est parfois assumée par une cour constitutionnelle et que, dans certains systèmes, les cours constitutionnelles ne sont pas nécessairement considérées comme faisant partie du système judiciaire.

[15] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22.

[16] Voir aussi, pour les fonctions du système judiciaire : Garapon, Perdriolle, Bernabé, La prudence et l’autorité : l’office du juge au XXIe siècle, synthèse du rapport de l’IHEJ (2013).

[17] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11.

[18] Alexander Hamilton, dans Le Fédéraliste 78, décrit le pouvoir judiciaire comme le moins redoutable des trois pouvoirs : il « n’influence ni sur l’épée, ni sur la bourse. […] On peut dire avec raison qu’il n’a ni FORCE, ni VOLONTÉ, mais un simple jugement ; et c’est, en définitive, du secours du bras exécutif que dépend l’efficacité de ses jugements » . L’opinion d’Hamilton peut ne pas refléter la réalité du pouvoir de la justice sur les actions de l’exécutif ou même du législateur dans l’Europe du XXIe siècle.

[19] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010) sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires.

[20] Voir Aharon Barak, “The Judge in a Democracy” (“Le juge dans une démocratie”), (Princeton Press 2008) Ch 2.

[21] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 et 12.

[22] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 9.

[23] Par exemple, lors de leur nomination, tous les juges anglais et gallois doivent jurer de statuer conformément aux lois et usages du Royaume, sans crainte, favoritisme, prévention ni malveillance.

[24] Voir, par exemple, les arrêts de la CrEDH dans les affaires suivants: Orsus c. Croatie, 16 mars 2010, n° 15766/03, par. 147 ; Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, 22 décembre 2009, n° 27996/06 et 34836/06, par. 43 ; Muñoz Díaz c. Espagne, 8 décembre 2009, n° 49151/07, par. 61 ; D.H. et autres c. Ukraine, 23 novembre 2007, n° 57325/00, par. 176 ; Gorzelik c. Pologne, 17 février 2004, n° 44158/98, par. 89-90 ; Eglise métropolitaine de Bessarabie c. Moldova, 13 décembre 2001, n° 45701/99, par. 116 ; Sidiropopulos c. Grèce, 10 juillet 1998, n° 26695/95, par. 41. Sur la protection des minorités par les tribunaux, voir Sandalow, « Judicial Protection of Minorities », Mich. L. Rev. 75 (1977) 1162 ; Cover, « The Origins of Judicial Activism in the Protection of MInorities », Yale Law School Legal Repository (1982).

[25] Voir Volkov c. Ukraine, Cour européenne des droits de l’homme, 9 janvier 2013, n° 21722/11, par. 199.

[26] Voir egalement le rapport du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22.

[27] Du poète anglais John Donne, in « Méditation XVII ».

[28] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17, 27. Voir aussi l’Avis du CCJE No. 13(2010) sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires.

[29] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11.

[30] Voir l’Avis du CCJE No. 1 (2001), par. 11; voir également la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 1.

[31] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 19-23 ; voir également la Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 9-17.

[32] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 33.

[33] Voir par ex.: Fabian Wittreck, Die Verwaltung der Dritten Gewalt, Mohr-Siebeck, Tübingen, 2006. Il affirme que la légitimité de tous les fonctionnaires d’un Etat tient en définitive à la « volonté du peuple » (art. 20.2 de la Constitution allemande). Un raisonnement analogue peut être avancé pour d’autres constitutions. Voir par ex. l’art. 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée à la Constitution française : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation ».

[34] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 33.

[35] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 37.

[36]Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 45, rec. 4 ; l’Avis No. 10(2007), par. 48-51. Selon la Cour européenne, des droits de l’homme, les nominations judiciaires par les pouvoirs législatif et exécutif sont autorisées dans la mesure où les juges nommés ne sont soumis à aucune influence ou pression dans l’exercice de leur rôle décisionnel. Voir Flux c. Moldova, 3 juillet 2007, n° 31001/03, par. 27. La notion de séparation des pouvoirs et son importance pour les nominations judiciaires ont également été discutées par la Cour européenne des droits de l’homme : voir Volkov c. Ukraine, 9 janvier 2013, n° 21722/11, par. 109, et Maktouf et Damjanovic c. Bosnie-Herzégovine, 18 juillet 2013, n° 34179/08, par. 49. La Commission de Venise considère inappropriée la nomination des juges ordinaires par vote du Parlement (Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 12) et recommande qu’elle soit effectuée par un conseil de la magistrature composé dans une grande mesure ou majoritairement de membres élus par les magistrats eux-mêmes : Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 29.

[37] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 22.

[38] Voir l’Avis du CCJE No. 4(2003).

[39] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004).

[40] Voir l’Avis du CCJE No. 9(2006).

[41] Voir l’Avis du CCJE No. 10(2007)

[42] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008).

[43] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010).

[44] Voir l’Avis du CCJE No. 14(2011).

[45] Voir l’Avis du CCJE No. 15(2012).

[46] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014).

[47] Voir l’Avis du CCJE No. 12(2009).

[48] Voir l’Avis du CCJE No. 16(2013).

[49] Un exemple d'une règle de procédure nécessaire est la nécessité d'un juge de se récuser, où il peut y avoir un conflit d'intérêt réel ou perçu.

[50] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 8.

[51] Voir aussi le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 9.

[52] Dans son rapport 2013-2014, le RECJ affirme qu’un pouvoir judiciaire qui prétend à l’indépendance mais refuse de rendre compte à la société, ne jouit pas de la confiance de cette dernière. Voir le rapport du RECJ 2013-2014, p. 4.

* Le terme « responsabilité » doit être ici entendu au sens du terme anglais « accountability », c’est-à-dire l’obligation de rendre compte.

[53] Pour une discussion sur la responsabilité du pouvoir judiciaire : Graham Gee, Robert Hazell, Kate Malleson et Patrick O’Brien, The Politics of Judicial Independence in the UK’s Changing Constitution, Cambridge University Press, 2015, pp. 16-22.

[54] Sur l’importance d’une bonne gouvernance en lien avec le pouvoir judiciaire, voir les Avis du CCJE No. 7(2005), No. 10(2007) et No. 14(2011).

[55] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 ; l’Avis No.10(2007), par. 9.

[56] Voir le rapport du RECJ 2013-2014, p. 13.

[57] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004), par. 1.

[58] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014), par. 23.

[59] Voir Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 32, et les Avis du CCJE No. 2(2001), par. 4, No. 10(2007), par. 37 et No. 17(2014), par. 35.

[60] Voir l’Avis du CCJE No. 2(2001), par. 14, et l’Avis No. 10(2007), par. 12.

[61] Les autres pouvoirs de l’Etat ont le devoir de dégager les moyens financiers permettant de répondre aux nécessités du système judiciaire : l’Avis du CCJE No. 2(2001).

[62] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 7.

[63] Dans « Reconciling independence et accountability un judicial systems », 3 Utrecht Law Review (2007) 26, 31-32, Contini et Mohr nomment cela la « responsabilité juridique et judiciaire ».

[64] Contini et Mohr (op. cit.) nomment cela la « responsabilité de gestion ».

[65] Sur les relations des tribunaux avec les justiciables, voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 24-26. Des exceptions sont possibles dans les affaires où le respect de la vie privée des parties aux litiges l’exige.

[66] Sur cette question sensible de la présence de caméras dans les salles d’audience, voir l’Avis du CCJE No. 7 (2005), par. 44-50.

[67] Voir l’Avis du CCJE No. 7 (2005), par. 9, 24-26 ; voir également Bühlmann et Kunz, « Confidence in the Judiciary: Comparing the Independence et Legitimacy of Judicial Systems », West European Politics vol. 34 n° 2 (2011) 317, 332.

[68] Sur la qualité des décisions de justice, voir l’Avis du CCJE No. 11(2008); l’Avis No. 7(2005), par. 56.

[69] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004).

[70] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010) ; voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17 et 27.

[71] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 27, 69 rec. 10.

[72] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014).

[73] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12, par. 99-102.

[74] Contini et Mohr, dans « Reconciling independence et accountability in judicial systems », 3 Utrecht Law Review (2007) 26, 41-42, ont préconisé le concept de « responsabilité coopérative ».

[75] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 34 ; la Belgique et le Monténégro ont signalé des échanges de ce type.

[76] Voir sur les relations entre les juges et le Parlement : Graham Gee, Robert Hazell, Kate Malleson et Patrick O’Brien, « The Politics of Judicial Independence in the UK’s Changing Constitution », Cambridge University Press, 2015, pp 92-125.

[77] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2003), par. 36.

[78] Voir la Décision du 21 décembre 1999 de la Cour constitutionnelle de Lituanie, IV.9.

[79] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005).

[80] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), C.

[81] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 7-23.

[82] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 27.

[83] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 49, recommandation iii).

[84] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 50, recommandation ii).

[85] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 51.

[86] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 24-25, voir également le travail du GRECO dans le cadre de la quatrième évaluation www.coe.int/greco .

[87] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 52-54.

[88] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 55-57.

[89] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 58-74 ; voir également Recommandations de Kiev, par. 25-26.

[90] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001) ; Recommandation CM/Rec(2010)12, chapitres II, V, VI ; Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 2-13.

[91] Voir le rapport du RECJ 2013-2014, par. 4,9.

[92] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 63.

[93] Le rapport du RECJ décrit la perception qu’ont les juges de leur propre indépendance en tant qu’aspect d’une « indépendance subjective » ; rapport du RECJ 2013-2014, p. 13, 3.3.2.

[94] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 18.

[95] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12.

[96] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, VII ; l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 51 ; pour un exemple d’abus dans ce domaine, voir Volkov c. Ukraine, CrEDH, 9 janvier 2013, n° 21722/11, en particulier le par. 199.

[97] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 75 et 76 ; voir également Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 66-71. La responsabilité de l'Etat est une autre question. Le présent Avis ne concerne pas cette question. Dans les decisions suivantes, la Cour de Justice de l’Union europeenne a décidé que la responsabilite de l’Etat était engagée pour les dommages causés par les decisions judiciaires. La Cour de Justice de l’Union europeenne n’a pas jugé que la responsabilité des juges ayant rendu la décision était engagée dans les décisions suivantes : CJUE (30 sept. 2003, C-224/01, Köbler vs. Autriche; Grande Chamber, 13 juin 2006, C-173/03, Traghetti del Mediterraneo s.p.a. in liquidazione v. Repubblica Italiana; 24 novembre 2011, C-379/10, Commission v. Repubblica Italiana; 9 sept. 2015, C160/14, João Filipe Ferreira da Silva e Brito v. Estado português).

[98] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 66-67, et la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 22.

[99] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12.

[100] Voir la lettre ouverte de la Cour Soupreme d’Ukraine, p. 2.

[101] Voir la Recommandation (2010) 12, art. 8.

[102] Voir le rapport du CCJE sur la situation de pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (2013), par. 13-18.

[103] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 17.

[104] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008).

[105] Voir l’Avis du CCJE No. 10(2007).

[106] Voir l’Avis du CCJE No. 2(2001).