Conférence conjointe du Congrès et de la Ville de Strasbourg, “La participation fondée sur la résidence : une nouvelle réalité de la démocratie moderne”

Strasbourg, le 27 novembre 2013

Atelier II: “La démocratie participative dans une société interculturelle : la contribution des résidents étrangers au développement de la collectivité”

Allocution de Jean-Claude Frécon, Président de la Chambre des pouvoirs locaux du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Mesdames et Messieurs,

C’est un très grand plaisir pour moi que d’intervenir lors de cette conférence sur un sujet qui est à la base du processus de la construction démocratique en Europe aujourd’hui : la démocratie participative et la diversité interculturelle. Ces deux aspects constituent les deux composantes de la réponse à la crise actuelle et au déficit démocratique actuel.

D’une part, comme cela a été affirmé dans le premier atelier de cette conférence, la rupture dans la relation de confiance entre les citoyens et le pouvoir a créé une déconnexion de la classe politique et des institutions de gouvernance vis-à-vis des préoccupations et des attentes de nos concitoyens. Ce fossé est creusé du fait de la frustration de la population et il est aggravé par les difficultés de ces institutions à gérer les conséquences de la crise économique.

Une participation accrue des citoyens et de tous les résidents de nos collectivités ainsi que leur implication renforcée dans la prise de décisions et la gouvernance, c’est une réponse de plus en plus attendue. Les niveaux locaux et régionaux sont les plus appropriés pour mettre en pratique les éléments d’une telle démocratie participative du fait de leur proximité et des relations directes qu’ils permettent entre les résidents et les autorités publiques.

D’autre part, ce meilleur partage du pouvoir - quintessence de la démocratie participative - doit avoir lieu dans le contexte actuel d’une société de plus en plus multiethnique, multiculturelle et multiconfessionnelle. Aujourd'hui, il est presque impossible de trouver une collectivité qui soit homogène du point de vue de l’ethnicité ou de la culture. Non seulement les grandes métropoles mais aussi les petites villes et les villages sont de plus en plus fréquemment composés de populations locales d'origines ethniques, culturelles et religieuses très diverses. Les groupes minoritaires, qui se situaient auparavant dans des zones «cosmopolites», augmentent en nombre et en taille et atteignent la base de nos sociétés.

Les résidents étrangers, les migrants, les demandeurs d’asile, les réfugiés, les nationaux de « pays  tiers», les résidents issus de la migration constituent une population européenne qui est non seulement en forte croissance par rapport aux décennies précédentes mais qui est devenue une partie intégrante du tissu de nos sociétés ; elle constitue aujourd’hui une force importante grâce à sa contribution économique, sociale et culturelle. La population européenne se diversifie rapidement, tant en termes d’origine nationale ou ethnique que du point de vue – pour ce qui concerne les immigrés de première et de deuxième générations – de la durée de séjour, du parcours scolaire et de la position socio-économique.

Par exemple, selon la revue de Perspectives des migrations internationales 2013 de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, une hausse du taux d’emploi des migrants au niveau de celui des nationaux aurait des retombées économiques positives importantes compte tenu du niveau d’études plus élevé et de l’amélioration de la situation socio-économique des migrants d’aujourd’hui. Cependant, ce capital humain reste largement sous-exploité en raison, dans une large mesure, de la non reconnaissance des diplômes étrangers, de la complexité des procédures d’obtention d’un permis de travail ainsi que des attitudes discriminatoires et des préjugés contre le recrutement d’immigrés.

Par ailleurs, de plus en plus de migrants sont animés de l’esprit d’entreprise et ont créé leur propre entreprise. Ainsi, à Francfort 52% de l’ensemble des entreprises lancées en 2011 l’ont été par les migrants. Ici même à Strasbourg, presque 35% du nombre global d’entreprises en 2011 étaient opérées par les migrants. On peut prévoir – et on peut espérer –  que la progression actuelle de la création d’entreprises par des migrants contribuera de façon significative à leur intégration et au développement économique de leur ville de résidence.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux vient de traiter ces aspects de la diversité dans ces rapports adoptés en octobre dernier et visant à promouvoir l’entreprenariat local des migrants et à améliorer leur accès aux marchés du travail.

Mesdames et Messieurs,

Le paradigme de la construction sociétale en Europe a changé. Tandis que dans le passé nous avons cherché à atteindre une cohésion sociale et une participation à la prise des décisions sur la base de l’homogénéité, aujourd’hui nous nous trouvons face à la réalité d’une société interculturelle, non homogène.

Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités, intitulé « Vivre ensemble : Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle » - ce rapport préparé à la demande du Conseil de l’Europe et publié en 2011 - identifie la diversité européenne comme le défi le plus important de la démocratie moderne. Ce même rapport parle aussi du rôle crucial des collectivités territoriales, des pouvoirs locaux et régionaux, dans la mise en place de réponses efficaces et de leur rôle dans la construction de relations interculturelles harmonieuses entre les différents groupes de population.

Au Conseil de l’Europe et au sein de son Congrès, nous sommes convaincus que cette construction passe par la promotion de l’interculturalisme, par la mise en place des politiques interculturelles locales et par la création d'un environnement véritablement interculturel dans nos villes et régions, fondé sur la tolérance et le respect de la diversité.

C'est pourquoi le Congrès a appelé les autorités locales, depuis ses résolutions et recommandations sur les villes interculturelles de 2009, à développer et mettre en œuvre des politiques interculturelles visant à construire un espace urbain ouvert à la cohabitation, et aux échanges entre différentes cultures. Ces politiques, propices à la participation de tous les résidents locaux indépendamment de leur origine culturelle, ont des retours bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe et la Commission européenne ont établi, depuis 2008, un programme des Cités interculturelles qui est devenu aujourd’hui un réseau de près de 70 villes en Europe et au-delà.

Nous sommes convaincus que promouvoir l’action interculturelle, promouvoir les projets impliquant l’ensemble de la population locale ainsi que l’échange des bonnes pratiques et le travail en réseau est la voie la plus directe vers une meilleure participation des résidents étrangers au niveau local et cela doit devenir notre priorité. L’expérience positive des villes interculturelles et le succès de ce réseau montre les avantages clairs de telles politiques et de la diversité culturelle pour le développement des collectivités.

Cependant, cette même expérience met aussi en exergue le fait que l’établissement de relations interculturelles pâtit souvent de la réticence et des représentations négatives de la population locale. Cette réticence est enracinée dans les préjugés et les visions erronées reposant souvent sur des stéréotypes et des mauvaises informations. La méconnaissance des bénéfices de la diversité constitue un obstacle majeur à l’action interculturelle. Il est vrai aussi qu’aujourd’hui le racisme, l'intolérance, la xénophobie et la discrimination sont en hausse en Europe, alimenté en grande partie par les conséquences de la crise économique.

Les autorités locales et régionales peuvent apporter une grande contribution à la lutte contre ces fléaux, en travaillant à changer les préjugés et les attitudes négatives, en particulier à travers l'éducation et la communication interculturelles. De bonnes lois contre la discrimination ne peuvent suffire. Il est aussi important de changer nos perceptions mentales, de parvenir à une meilleure compréhension des autres cultures et de reconnaître les avantages de la diversité. Il faut développer l'éducation interculturelle de la population pour faire connaître ces avantages et appréhender la diversité dans un espace d’interaction entre les groupes locaux. Il faut aussi une formation aux compétences interculturelles des administrations publiques pour garantir des pratiques administratives et un environnement de travail et de loisir sans discrimination.

Enfin, et ce sera ma conclusion, il nous faut également des stratégies efficaces pour communiquer les atouts de l’action interculturelle aux résidents locaux. La diversité en Europe aujourd’hui offre une excellente occasion pour un tel apprentissage des cultures, tandis que nos villes et nos régions offrent un lieu d'interaction et de dialogue pratique entre les groupes culturels.

Je vous remercie.