24e SESSION

Strasbourg, 19-21 mars 2013

CG(24)11

18 mars 2013

Mission d’enquête en Géorgie (27-28 février 2013)

Rapporteurs:     Nigel MERMAGEN, Royaume-Uni (L, GILD)[1]

                        Helena PIHLAJASAARI, Finlande (R, SOC)

Document adopté par le Bureau et soumis pour information au Congrès le 18 mars 2013


I.    INTRODUCTION

1.   Conformément à l’article 2 de la Résolution statutaire CM/Res (2011)2 du Comité des Ministres, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (ci-après « le Congrès ») prépare régulièrement des rapports sur la situation de la démocratie locale et régionale dans les Etats membres ainsi que dans les Etats candidats à l’adhésion au Conseil de l’Europe. 

2.   La Géorgie a adhéré au Conseil de l’Europe le 27 avril 1999 ; elle a signé la Charte européenne de l’autonomie locale (STE 122, ci-après dénommée « la Charte ») le 26 octobre 2004 et l’a ratifiée le 8 décembre 2004 ; elle est entrée en vigueur à son égard le 1er avril 2005.

3.   La situation de la démocratie locale et régionale en Géorgie a déjà fait l’objet d’un rapport en 2004 et un nouveau rapport sera soumis à la session plénière du Congrès en mars 2013.

4.   Les 6 et 29 novembre 2012, le président de l’Association nationale des pouvoirs locaux de Géorgie (NALAG) a attiré l’attention du Congrès sur le fait que ses membres faisaient l’objet de « pressions de la part des représentants de la coalition Rêve géorgien ». L’Association a également signalé une série de violences commises à la suite des élections législatives d’octobre 2012, dans des villes telles que Marneuli, Poti, Tetriskaro et Tsalka, où la confrontation a « tourné à l’affrontement physique entre les manifestants et les membres de la minorité parlementaire ». Les médias ont fait état d’allégations selon lesquelles les élus et les personnels administratifs locaux membres de l’opposition seraient incités à démissionner de leur mandat ou de leur fonction ou à changer d’affiliation politique.

5.   Conformément aux articles 2 et 10 de la Résolution 307 (2010) révisée du Congrès, le Bureau du Congrès a décidé le 3 décembre 2012 d’envoyer dans le pays une délégation d’enquête chargée de vérifier ces allégations, de collecter des informations permettant d’avoir une vision plus complète et actualisée de la situation avant l’examen, lors de la session de mars, du rapport sur la démocratie locale et régionale en Géorgie, et de déterminer s’il y avait dans le pays des violations des articles de la Charte européenne de l’autonomie locale ratifiés par la Géorgie.

6.   Les rapporteurs sur la démocratie locale et régionale en Géorgie – M. Nigel Mermagen (Royaume-Uni, L, GILD) et Mme Helena Pihlajasaari (Finlande, R, SOC) – se sont rendus en Géorgie les 27 et 28 février et ont rencontré divers interlocuteurs afin de collecter des informations (pour plus de détails, voir le programme de la visite ci-annexé). Ils ont été reçus par le Président de la République, M. Mikheil Saakashvili, le Premier ministre, M. Bidzina Ivanishvili, le Président du Parlement, M. David Usupashvili, et le vice-ministre du Développement régional et des Infrastructures, M. Tengiz SHERGELASHVILI. Ils ont aussi rencontré, M. Georgi Ugulava, maire de Tbilissi, ainsi que M. Erekli Tripoliski, M. George Zhorzholiani et M. George Tevdoradze, respectivement président et vice-présidents de la commission parlementaire de l’administration locale.

7.   Les rapporteurs ont par ailleurs eu des entretiens avec la délégation géorgienne du Congrès, des membres de NALAG et les présidents des conseils municipaux d’Abasha, Batoumi, Sackhere, Akhmeta et Gori, ainsi qu’avec des membres de l’assemblée municipale de Tbilissi appartenant à différents groupes politiques (à la fois la coalition au pouvoir et des partis d’opposition), qui leur ont apporté un témoignage de première main sur les événements qui s’étaient produits dans leurs municipalités.

8.   Les rapporteurs souhaitent remercier les autorités géorgiennes pour leur coopération et leur assistance lors de l’organisation de la visite et pour les informations qu’elles lui ont fournies. La délégation a apprécié la disponibilité de ses interlocuteurs et leur ouverture au dialogue avec le Congrès.

9.   Lors de ces rencontres, les rapporteurs se sont surtout intéressés aux circonstances des incidents signalés impliquant des attaques contre les autorités locales, aux allégations de pressions exercées sur des élus locaux ayant abouti à leur démission et aux investigations conduites par la police financière ou le ministère public au sujet de responsables locaux.


II.   FAITS ET CONCLUSIONS

Faits

10. Les rapporteurs attirent l’attention du Congrès sur les informations suivantes, dont certaines peuvent poser problème du point de vue de la Charte :

11. Après les élections législatives d’octobre 2012, sur lesquelles les observateurs internationaux de l’OSCE/BIDDH, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement européen ont émis un avis positif, la coalition du Rêve géorgien (RG) a succédé au Mouvement national uni (UNM).

12. M. Bidzina Ivanishvili, chef de la coalition (RG) ayant remporté les élections avec approximativement 55 % des voix, est devenu Premier ministre. Pour la première fois de son histoire, la Géorgie s’est ainsi trouvée dans une situation de cohabitation, le Président Saakashvili, chef de l’UNM, restant au pouvoir.

13. Peu de temps après cette alternance au niveau national, les médias ont fait état d’incidents concernant des manifestations et des attaques contre des élus locaux membres de l’ancien parti au pouvoir, incidents pendant lesquels la police n’est pas intervenue.

14. Par exemple, des militants ont pris position devant des bâtiments administratifs municipaux, bloquant et paralysant l’administration dans huit municipalités où les manifestants ont appelé les élus locaux à démissionner ; dans un cas, à Martvili, le siège a duré 28 jours et quelque 200 militants sont entrés dans le bureau du maire et ont jeté son fauteuil par la fenêtre.

15. Le ministère de l’Intérieur est intervenu après les incidents de Martvili, indiquant clairement que la police ne resterait pas passive si de tels incidents se reproduisaient à l’avenir.

16. Les présidents de 19 conseils municipaux et les chefs de l’exécutif (Gamgebeli) de 31 municipalités ont démissionné.

17. Tous ont été remplacés par des membres du RG : le plus souvent, cela s’est fait par un changement d’affiliation politique des conseillers, qui ont alors élu un nouveau président du conseil, lequel a lui-même désigné un nouveau chef de l’exécutif (Gamgebeli) chargé à son tour de nommer le personnel administratif ; dans d’autres cas, cependant, comme par exemple à Tsalka, le chef de l’exécutif (Gamgebeli) a accepté de démissionner après cinq semaines de siège, une opération de la police financière et l’échec d’une procédure de destitution.

18. Bien que certains changements aient pu se produire sous la pression, en particulier au moyen d’investigations de la police financière et du ministère public, d’autres ont semble-t-il été volontaires.

19. Dans le même temps, il apparaît que le gouvernement a entamé une série de procédures financières et judiciaires à l’encontre d’autorités locales pour des motifs de corruption, et la police financière a ouvert des enquêtes dans 34 municipalités.

20. Le maire de Tbilissi a été accusé d’abus de pouvoir pour avoir utilisé des fonds publics afin de financer son parti politique et d’accorder des emplois fictifs à des membres de son parti.

21. D’après les informations recueillies, les membres UNM du conseil municipal de Tbilissi, où ils sont encore majoritaires, ont souvent été convoqués pour témoigner dans les locaux du ministère public le vendredi, au moment de la séance du conseil, ce qui a empêché d’atteindre le quorum lors de ces réunions.

22. Dans sa déclaration à l’occasion de la conférence du 5 février 2013 sur les « Cent jours du Gouvernement et les Plans pour l’avenir », le Premier ministre a indiqué que son « … intention au tout début était de ne pas s’ingérer [dans les affaires locales] et de laisser les anciens Gamgebelis poursuivre leurs activités ». Cependant, a-t-il ajouté, « j’ai rapidement été persuadé d’agir différemment, car sinon la situation aurait encore empiré ».

23.  De l’avis des rapporteurs, ces incidents et l’attitude des autorités auraient pu être interprétés comme une forme de caution à l’établissement d’un climat d’impunité, encourageant les militants à conduire leurs actions, même si le gouvernement n’était pas directement à l’origine de ces événements.

24.  Ils concluent aussi qu’à tous les niveaux, des militants locaux jusqu’aux plus hautes instances du pouvoir, chacun s’attendait à ce que les résultats des élections nationales aient une influence sur la représentation locale et modifient sa structure, en vertu d’un alignement systématique sur le paysage politique national. Plusieurs interlocuteurs ont expliqué aux rapporteurs que cette situation découlait d’une certaine culture politique héritée d’une ère où le pouvoir d’un parti politique et celui de l’Etat étaient confondus. Selon certains, l’UNM ne ferait que perpétuer cet héritage.

Conséquences au regard des dispositions pertinentes de la Charte

25. Quelles que soient les raisons qui expliquent l’existence d’une telle culture politique, les rapporteurs estiment que la démocratie locale doit fonctionner sans aucune ingérence et que l’esprit de la Charte, tel qu’il est exprimé dans son Préambule et notamment dans le dernier paragraphe de celui-ci, doit être respecté :

« Affirmant que cela suppose l’existence de collectivités locales dotées d’organes de décision démocratiquement constitués et bénéficiant d’une large autonomie quant aux compétences, aux modalités d’exercice de ces dernières et aux moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission » ;

26. Dans le même esprit, les rapporteurs considèrent que les faits susmentionnés remettent en question l’application de l’article 3, qui dispose ce qui suit :

« Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.

Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d’organes exécutifs responsables devant eux. Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là où elle est permise par la loi. »

Les rapporteurs, sur la base du Rapport explicatif de la Charte, estiment que le fait que les autorités centrales n’aient décidé que tardivement de prendre les mesures appropriées peut être considéré comme une obstruction de fait à la capacité des élus de gérer leur part des affaires publiques, sous leur propre responsabilité, en tant qu’autorités démocratiquement constituées. Les rapporteurs appellent au respect de cette disposition de la Charte, qui énonce le « concept de l’autonomie locale ».

27. L’article 7, paragraphe 1, de la Charte dispose ce qui suit :

« Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat. »

Les rapporteurs considèrent que, lors des événements mentionnés ci-dessus, les élus n’ont pas été en mesure d’exercer leurs fonctions librement. Ils rappellent au Gouvernement que le principe garanti par la Charte à cet égard, qui mentionne les « conditions de l’exercice des responsabilités au niveau local », doit être respecté.

28. L’article 6 de la Charte dispose ce qui suit :

« Sans préjudice de dispositions plus générales créées par la loi, les collectivités locales doivent pouvoir définir elles-mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace.

Le statut du personnel des collectivités locales doit permettre un recrutement de qualité, fondé sur les principes du mérite et de la compétence ; à cette fin, il doit réunir des conditions adéquates de formation, de rémunération et de perspectives de carrière. »

Lors de la visite, la délégation a eu connaissance de plusieurs cas de pressions politiques exercées sur des personnels administratifs locaux qui ont ensuite démissionné. D’après les rapporteurs, cette situation doit être mise en conformité avec l’article 6, de manière à ce que les collectivités locales aient le droit de définir elles-mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter.

29. Les rapporteurs estiment que les points ci-dessus posent problème du point de vue de la Charte, que la Géorgie a ratifiée.

30. La délégation considère en outre que toutes les autorités politiques qu’elle a rencontrées lors de la visite, et en particulier les représentants du Gouvernement et le Premier ministre lui-même, ont montré qu’elles avaient conscience du problème. Les rapporteurs ont pris note du fait que le Gouvernement avait entrepris une réforme générale et ambitieuse de l’administration locale, actuellement au stade initial de la consultation, qui pourrait être bénéfique pour les collectivités locales de Géorgie.

31. Les rapporteurs demanderont au Bureau du Congrès de prendre le présent rapport en considération et proposent au Congrès d’apporter, lors de sa session plénière, une modification globale à leur recommandation sur la démocratie locale et régionale [CGMON(23)1], afin d’attirer l’attention sur le principe fondamental de la démocratie locale selon lequel les élus conservent leur mandat indépendamment des changements consécutifs aux élections des autres niveaux de gouvernance, qu’il s’agisse d’élections locales, régionales, législatives ou présidentielles.

32. Les rapporteurs se félicitent de l’intention du Premier ministre de poursuivre les consultations et le dialogue avec NALAG. Compte tenu de la bonne volonté dont toutes les parties ont fait preuve lors de la mission d’enquête, le Congrès est disposé à poursuivre le dialogue politique avec tous ses partenaires en Géorgie en vue de les aider dans la recherche d’un consensus.



[1] L : Chambre des pouvoirs locaux / R: Chambre des régions

PPE/CCE : Groupe du parti populaire européen au Congrès

SOC : Groupe socialiste

GILD : Groupe indépendant libéral et démocratique

CRE : Groupe des conservateurs et réformistes européens

NI : Non-inscrits