30ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe– 22 to 24 mars 2016

Débat « Combattre la traite des êtres humains : le rôle des pouvoirs locaux »

« Les élus locaux et régionaux doivent devenir des acteurs à part entière de la lutte contre la traite des êtres humains ».

Devenue aujourd’hui une « épidémie mondiale en pleine croissance » selon les mots du président de la Chambre des Pouvoirs Locaux Anders Knape (Suède, PPE/CCE), la traite des êtres humains prend des formes multiples, allant du travail et de la prostitution forcés à la vente d’enfants ou d’organes. Si les Etats s’organisent pour tenter d’enrayer ces crimes, les collectivités locales et régionales ont aussi un rôle primordial à jouer, d’autant qu’elles disposent de nombreux outils pour détecter et prévenir la traite sur leurs territoires. Un débat tenu le23 mars dans le cadre de la 30ème Session du Congrès a recensé les méthodes et les moyens à mettre en œuvre pour mieux la combattre.

Comme l’a rappelé Nicolas Le Coz, président du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), plusieurs régions et villes européennes se sont dotées de structures de coordination contre la traite associant prévention et protection des victimes. En Albanie, il existe par exemple 12 comités régionaux anti-traite, tandis que 9 communes bulgares ont créé des comités locaux contre cette dernière. La Belgique, les Pays Bas, l’Allemagne disposent aussi de structures locales et régionales combinant aide et prévention. Ces exemples doivent se multiplier d’autant que « les Etats ne peuvent pas agir seuls », a poursuivi M. le Coz, appelant les élus locaux et régionaux à devenir « des acteurs à part entière de la lutte contre la traite de des êtres humains ».

Le Conseil de l’Europe s’est doté, en 2008, d’une Convention européenne contre la traite des êtres humains, qui est selon M. le Coz l’instrument juridique le plus efficace et le plus complet existant actuellement. L’Union européenne s’en est inspirée pour rédiger une directive à ce sujet, et son Comité des Régions a lui aussi publié un avis sur ce thème en 2013. Rapporteure de cette question au sein du Comité des Régions, Jelena Drenjanin s’est dite « choquée de voir la progression actuelle de la traite des êtres humains », de même que celle des bénéfices réalisés par les trafiquants au détriment des migrants. Pour elle, « les autorités locales et régionales ont une mission importante de sensibilisation et de prévention, dans l’ensemble du bassin méditerranéen ».

Le fardeau de la prostitution forcée et de la vente d’enfants

Secrétaire de la commission locale de lutte contre la traite des êtres humains de Burgas (Bulgarie), Rositsa Yaneva a présenté les efforts de sa ville pour endiguer le phénomène, qui concerne particulièrement l’exploitation sexuelle dans des réseaux de prostitution, mais aussi la vente de nouveaux nés. Rien qu’en 2015, 60 cas de prostitution forcée et 42 ventes de nouveaux nés ont été décelés à Burgas et ses environs. La misère et l’ignorance favorisent ce type de trafic, au point, explique Mme Yaneva, « que nous apprenons aux enfants des écoles qu’ils ne sont pas à vendre,»… La prévention s’effectue particulièrement au sein de la communauté Rom, beaucoup plus touchée par ces pratiques en raison de sa grande pauvreté.

Des procédures administratives pour une détection précoce de la traite des êtres humains.

S’exprimant en tant que conseiller du département « Ordre public et sécurité » de la ville d’Amsterdam, Brian Varma a présenté les instruments administratifs qui permettent à sa ville, de détecter les cas de traite d’êtres humains. « Nous surveillons par exemple les demandes de travaux sur des chantiers, propices au travail clandestin ou forcé, mais aussi les autorisations d’ouverture de bars et de restaurants, de même que les hôtels et les agences de rencontres », a –t-il expliqué. Les services de santé, gérés au niveau municipal, fournissent de nombreuses informations, car ils accueillent souvent les victimes de sévices ou de blessures liés à des activités clandestines forcées. La ville sensibilise ses fonctionnaires à la prévention de la traite, et n’hésite pas à faire fermer des établissements si des pratiques douteuses y sont relevées. M. Varma estime que la lutte contre la traite des êtres humains « ne se limite pas à la police et à la justice, mais implique étroitement les municipalités, qui ont un rôle fondamental en matière d’identification précoce et d’information ». De plus, comme le rappelait un peu plus tard Lucia Kroon (Pays-Bas, PPE/CCE), « les victimes ont souvent moins peur d’aller voir un policier municipal qu’un officier de l’immigration ».

  Traite des êtres humains ou esclavage moderne ?

Anthony Steen préside l’association britannique « Human trafficking foundation », dont la particularité est d’associer à la fois des parlementaires et des ONG. Plutôt que de traite des êtres humains, il n’hésite pas à parler d’ « esclavage moderne » et déplore que le thème reste si mal connu, alors même que le phénomène progresse car « les pauvres rêvent d’une vie meilleure, et que la demande de sexe et de travail à bas prix augmente ». Selon lui, la traite constitue aujourd’hui le deuxième crime le plus répandu au monde, avec un chiffre d’affaires annuel de 180 milliards de dollars. L’esclavage toucherait 10 à 13 000 personnes rien qu’au Royaume-Uni, et 150 000 dans l’Union européenne, souligne-t-il. S’il souhaite la mise en place d’un « réseau des collectivités locales contre la traite des êtres humains », il rappelle que celle-ci ne s’observe pas que dans les villes, mais aussi, souvent, en milieu rural et isolé. Elle prend parfois des formes peu connues, à l’image du travail forcé dans des « fermes à cannabis », qui emploient, au Royaume Uni, de nombreux jeunes « esclaves » originaires d’Asie du Sud-Est. Pour M. Steen, comme pour plusieurs membres du Congrès intervenus pendant le débat, « il n’est plus possible de se voiler la face devant toutes ces formes de traite et d’esclavage ».

Enfin, Mary Hegarty (Irlande, PPE/CCE) s’est inquiétée du sort des 10 000 migrants mineurs non accompagnés, disparus en Europe depuis 2014. Ceux-ci ne risquent-ils pas de devenir les prochaines victimes de la traite et du crime organisé ? Les pays d’accueil construisent des écoles et des centres pour accueillir les enfants migrants et réfugiés, mais la tâche est immense : « Il y a 750 000 enfants syriens réfugiés en Turquie, expliquait Gaye Doganoglu (Turquie, PPE/CCE), nous en scolarisons la moitié et nous poursuivons nos efforts pour augmenter encore ce nombre ».


Discours

Jelena DRENJANIN, Rapporteure du Comité des régions pour l'éradication de la traite des êtres humains

Rositsa YANEVA, Secrétaire de la Commission locale de lutte contre la traite des êtres humains à Bourgas (LCCTHB Bourgas)

Brian VARMA, Conseiller principal approche administrative et intégrée, Département «Ordre public et sécurité», Ville d’Amsterdam

Anthony STEEN, Président de la «Human Trafficking Foundation»

Interviews MediaBox

Interview d’Anthony Steen

Vidéo du Débat : Français / Original

Dossier 30ème Session du Congrès