30ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe– 22 to 24 mars 2016

La politique d’intégration des réfugiés au niveau local : un débat dans le cadre de la 30ème session du Congrès

Lors d’un débat sur l’intégration des réfugiés au niveau local, organisé le 22 mars 2016 dans le cadre de leur 30ème session, les membres du Congrès ont débattu des expériences et difficultés que les pouvoirs locaux en Allemagne et en Turquie affrontent dans le contexte de la vague migratoire actuelle. Les échanges ont abouti à une conclusion unanime : les réponses apportées à la crise doivent être à la hauteur du défi et permettre de faire face à une situation d’urgence à court et à moyen terme.

Bouleversés par les attentats de Bruxelles, survenus dans la même journée du 22 mars, les orateurs ont regretté que ces évènements risquent de rendre encore plus complexe le processus d’intégration des migrants dans les pays d’accueil, submergés par la peur de la menace terroriste. Ils ont souligné le rôle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe en tant que forum européen unique qui fournit aux représentants des administrations municipales et aux élus locaux l’opportunité d’échanger leurs expériences et de rechercher ensemble des solutions à des problèmes transversaux tels que l’intégration des réfugiés.

Le maire de la ville turque Osmangazi du district de Bursa Mustafa Dündar a, quant lui, exprimé son désir de voir l’Europe traiter la gravité des évènements qui surviennent sur son sol au même titre que celle des attentats qui se sont produits le 22 mars à Istanbul. La Turquie, d’après lui, ne serait pas assez soutenue par ses partenaires européens dans son effort de traiter  la crise migratoire : le drame le plus important que le pays a connu, après celui de la IIème guerre mondiale, une catastrophe humanitaire qui survient à ses frontières traversées au quotidien par des civils fuyant la guerre en Syrie. Selon lui, son pays supporte la charge la plus lourde de la crise en pratiquant, et ce dès 2011, une politique de portes ouvertes. Aujourd’hui, la Turquie accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens : 2 750 000 inscrits, sans compter ceux qui échappent aux statistiques officielles. Depuis le début de la guerre, 200 000 bébés syriens sont nés sur le sol turc.

L’effort de s’adapter d’urgence à la vague migratoire est cependant le lot de beaucoup d’autres villes, notamment en Allemagne qui a aussi pratiqué une politique de portes ouvertes avant de prendre la décision de fermer ses frontières. Thorsten Klute, Secrétaire d’Etat au Ministère du Travail, de l’Intégration et des Affaires sociales de Rhénanie Nord Westphalie a indiqué que ces derniers mois l’arrivée de 1 230 000  migrants a mis les pouvoirs nationaux, régionaux et locaux devant une situation sans précédent. En plus du budget que les pouvoirs régionaux et locaux sont en mesure d’allouer aux besoins d’intégration des réfugies, l’urgence a imposé une aide financière importante de la part de l’Etat fédéral.

L’objectif de la politique actuelle dans ce domaine serait, d’après lui, de profiter des leçons du passé, puis « non pas d’inventer la roue, mais de renforcer les rayons de la roue » rendant plus stables et efficaces les infrastructures déjà existantes. Il s’agirait d’embaucher plus du personnel dans les structures d’accueil, les écoles et les jardins d’enfants, mais également de resserrer les liens entre l’administration, les fondations caritatives et les associations. Ce processus nécessiterait aussi un travail de communication avec les parents réfugiés sur l’intérêt qu’ils ont à inscrire leurs enfants dans les structures périscolaires. Structures qui ont recruté des centaines d’enseignants et d’animateurs en plus, chargés en priorité à enseigner la langue allemande. En tout, 1300 classes d’intégration ont été créées afin de permettre aux enfants et aux parents réfugiés de se socialiser rapidement dans le pays d’accueil.

Malgré la montée de l’extrême droite en Allemagne, Monsieur Thorsten Klute a exprimé son enthousiasme face à l’ampleur de la vague de bénévoles, prêts à porter secours aux réfugiés en collaborant avec l’administration locale. Celle-ci devrait donc encourager les volontaires en prenant par exemple en charge leurs déplacements.  En effet, souligne le Secrétaire d’Etat au Ministère du Travail, de l’Intégration et des Affaires sociales, un quart de la population de son länder est issue de l’immigration, une réalité qu’il met en lien avec l’essor économique très important qu’a connu cette région.

La situation à Cologne où les évènements qui se sont produits le soir du Saint Sylvestre sur la place centrale, ont quelque peu atteint l’image de la ville et la confiance de l’opinion publique, parait également plus encourageante aujourd’hui. Gabriele C. Klug, adjointe au maire, chef ad intérim du service « Affaires sociales, intégration et environnement » de la Ville de Cologne, a porté l’attention sur le fait que ces actes d’agression n’ont pas été commis par des réfugiés, mais par une minorité agissante qui nereflète pas l’esprit cosmopolite et tolérant de la majorité des citoyens.

La ville a des traditions et des pratiques d’accueil que les pouvoirs locaux ont remobilisées pour rebondir avec succès, se félicite l’élue. Les citoyens se sont organisés à travers l’Appel de Cologne pour rappeler les principes de vie en société. Un nouveau pacte citoyen a été établi entre l’administration et la population civile : « Nous avons revu notre politique afin d’assurer la sécurité et la libre circulation des citoyens car la politique d’intégration passe aussi par un volet sécuritaire suivi d’un volet social », affirme Mme Kluge.

Le besoin de trouver un toit à environ 200 à 400 réfugiés par semaine (réfugiés syriens, mais aussi des migrants du Sud-Est européen), a suscité une série de mesures que la mairie de Cologne a répertoriées dans un rapport remis au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe : « Tous nos services municipaux devaient s’adapter et faire preuve de détermination face aux circonstances », souligne la responsable des affaires sociales de la ville.  Ainsi, la municipalité a recruté un nombre important d’enseignants et organisé des classes d’allemand pour les nouveaux arrivants, le défi principal étant, par ailleurs, de faire accepter à la population locale la nécessité de détourner une série de gymnases transformés en centres d’accueil. Une instance de coordination a été créée pour rendre plus efficace la collaboration entre les services municipaux, mais aussi entre l’administration et les associations concernées par les politiques d’intégration. L’Université de Cologne a également mis en place des projets d’enseignement de la langue allemande. L’organisation de classes d’intégration, les parrainages d’enfants de migrants par les habitants de la ville, tout comme la dispense de cours d’éducation pour adultes qui mobilisent des volontaires, prouvent que l’administration et les habitants travaillent main dans la main malgré tous les préjugés existants. 

Ce type de collaboration entre la population locale et les services municipaux paraît également au centre de l’attention des pouvoirs locaux de la ville d’Osmangazi en Turquie. Néanmoins, son maire Mustafa Dündar fait le constat qu’il est très difficile d’intégrer des personnes en souffrance dans une vie sociale partagée avec la population turque, d’autant plus que psychologiquement les réfugiés supportent mal leur déclassement. Dans leur pays d’origine certains d’entre eux étaient des ingénieurs ou des médecins. Aujourd’hui, ils se retrouvent sans compétence linguistique, obligés de prendre n’importe quel travail. En effet, dès le départ, les réfugiés reçoivent une carte d’identité et un permis temporaire de travail qui leur permet de gagner leur vie durant la période de séjour provisoire en Turquie. Actuellement, 400 000 Syriens travaillent sur le sol turc, une situation problématique qui encourage le travail au noir, l’embauche de mineurs et l’exploitation d’une main d’œuvre sans recours au droit du travail.

98% des réfugies Syriens ont rejoint les villes turques contre seulement 2% installés dans des camps. Une situation qui, d’après Monsieur Dündar, rend explicite la charge importante qui revient aux pouvoirs municipaux du pays. Il a rappelé que le district de Bursa a connu dans son histoire sept vagues migratoires dont un important exode rural durant les années 50-60. Aujourd’hui, il accueille 95 000 réfugiés Syriens, plus que toute autre municipalité turque. Avec le soutien de la Fondation d’aide humanitaire internationale, la mairie de Osmangazi a pu fournir des services de première nécessité aux réfugies tels que toit, nourriture, couvertures et mobilier. 9500 enseignants arabes ont été recrutés afin d’encadrer les enfants des réfugies. Les centres d’éducation populaire se sont mobilisés pour dispenser des cours de formation professionnelle.

Le tableau général que le débat a fait apparaître au sujet des politiques d’intégration des réfugiés au niveau local, indique qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions quant à leur réussite. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux devrait donc poursuivre cet échange fructueux et nécessaire entre élus locaux afin d’apporter des solutions durables à la crise migratoire au niveau local.