Strasbourg, le 21 février 2001

Rapport de monitoring 2000 CG BUR (7) 95

Rapport du groupe de rapporteurs du CPLRE sur l’Ukraine (visite à Kiev, 6-8 décembre 2000)

Bureau du Congrès, document approuvé le 1er février 2001 

Rapporteurs: M. Kieres (Pologne, R) et M. Roppe (Belgique, L)

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Introduction

A la demande du Bureau du CPLRE, son Groupe de rapporteurs sur l'Ukraine (M. Kieres et M. Roppe) s'est rendu à Kiev en compagnie du secrétariat (M. Hartley) du 6 au 8 décembre 2000.

Cette visite avait un triple objectif:

a. participer à une cérémonie organisée le 7 décembre à l'initiative de l'Association des villes d'Ukraine et avec le soutien du Président ukrainien, à l'occasion du 10e anniversaire de la législation ukrainienne sur l'autonomie locale;

b. réfléchir avec les représentants du Conseil municipal et de l'administration de la ville de Kiev à l'organisation de la conférence du CPLRE sur la "gestion des capitales et des grandes villes", prévue pour 2001.

c. mettre à jour ses informations et recueillir des impressions sur le rythme et l'ampleur de la réforme de la démocratie locale et régionale dans ce pays.

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Le présent rapport a trait au dernier objectif (c) de la visite du Groupe.

1. Contexte

Le Groupe de rapporteurs s'est rendu plusieurs fois en Ukraine depuis la première visite qu'il avait effectuée dans ce pays en 1997, à la suite de la polémique soulevée par la destitution de l'ancien Maire de Kiev. Présent lors des élections municipales de 1998, le Groupe de rapporteurs est ensuite retourné à Kiev pour l'élection du maire; en 2000, il s'est rendu à Lviv et à Kiev. Ainsi, il a toujours suivi de près l'évolution de l'autonomie locale et régionale.

Plusieurs propositions ont été formulées dans une Recommandation adoptée par le CPLRE à sa session plénière de 1998.

Cette dernière visite a eu lieu à la demande du Bureau du CPLRE, de plus en plus impatienté par la lenteur des réformes, ainsi que de la Commission institutionnelle du CPLRE, préoccupée par des informations selon lesquelles des maires élus auraient été destitués dans certaines régions.

2. Programme

A cette occasion, le Groupe de rapporteurs a rencontré:

- M. Y. Ioffe, président de la Commission permanente sur le développement national et l'autonomie locale du Parlement ukrainien;

- M. V. Kravchenko, membre de la Commission d'Etat sur la réforme administrative et de la Commission sur la structure administrative et territoriale;

- M. M. Pytsyk, vice-président de l'Association des villes d'Ukraine.
Lors d'une réunion organisée par la Fondation pour l'autonomie locale en Ukraine, le Groupe de rapporteurs a tenu un échange de vues avec:

- Dr M. Pukhtinsky, président de la Fondation;

- Dr V. Kuybida, maire de Lviv, vice-président de l'Association des villes d'Ukraine, chef de la délégation ukrainienne auprès du CPLRE; vice-président du CPLRE;

- Dr V. Udovychenko, maire de Slavutych, membre de la Commission institutionnelle du CPLRE;

- M. A. Voytenko, président du Conseil régional de Zhytomyr, membre de la Commission institutionnelle du CPLRE;

- M. I. Sagach, vice-président de la Fondation; membre du CDLR;

- M. V. Likhachov, maire de Vasylkiv;

- M. G. Levchenko, président par intérim du Conseil municipal de Myrgorod, secrétaire du Conseil municipal de Myrgorod;

- M. O. Glavlovsky, membre du Conseil municipal de Myrgorod.

3. Les carences législatives en matière d'autonomie locale

L'Ukraine a adopté une loi sur l'administration locale en 1992 et ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale en 1993.

Au moment de la ratification de la Charte, les conséquences de cet acte, à savoir la nécessité d'une réforme radicale de l'organisation territoriale, n'ont peut-être pas été perçues dans toute leur étendue.

Certains changements législatifs recommandés dans les rapports établis par le CPLRE au cours des trois dernières années ont été menés à bien. Ainsi, une nouvelle loi relative à la capitale, Kiev, a été adoptée.

Néanmoins, le retard reste considérable. Ce ne sont pourtant pas les programmes, propositions, décrets qui ont manqué, en provenance de différentes sources (Présidence, Ministres, groupes parlementaires) et sur les sujets les plus divers: ressources financières et relations budgétaires, fiscalité locale et tarification des services municipaux, biens des communes, police municipale, réforme de l'administration territoriale, contrôle de l'exécutif par les conseils élus, emploi et statut des fonctionnaires territoriaux. Il y a même eu une importante initiative présidentielle concernant le soutien de l'Etat à l'autonomie locale.

Toutefois, aucune de ces propositions ne s'est concrétisée, en dépit d'assurances et de promesses répétées quant à l'imminence de l'adoption des textes pertinents. Pour de multiples raisons – les élections présidentielles/législatives/municipales; la nécessité de créer de nouvelles commissions parlementaires; et dernièrement le programme législatif chargé consécutif au référendum présidentiel –, le Groupe de rapporteurs du CPLRE s'est toujours entendu dire que le programme, tel que proposé, ne pouvait être mis en œuvre.

Tout cela donne l'impression d'un manque de volonté politique, aggravé par la pléthore de propositions de lois souvent contradictoires.

Il importe de se concentrer sur la réglementation de deux ou trois questions essentielles: répartition des compétences entre les différents niveaux de gouvernement; relations budgétaires entre l'Etat central, les collectivités régionales et les collectivités locales, de manière à accroître l'indépendance financière de ces dernières; relation entre les conseils locaux et régionaux élus et l'administration d'Etat locale et régionale.

Par ailleurs, il est indispensable de définir précisément à qui incombe la responsabilité d'élaborer et d'adopter ce programme, et de consulter des experts (par exemple l'Association des villes d'Ukraine et les experts du Conseil de l'Europe). Enfin, il faut qu'une véritable dynamique politique en faveur de la réforme se développe au sein du Parlement ukrainien.

4. Un manque de démocratie régionale

L'absence d'une véritable démocratie régionale, avec tout ce que cela suppose sur le plan de l'autonomie locale, est une carence majeure.

Certes, il existe des conseils régionaux élus, mais ils ne disposent pas en propre d'une administration ou d'un exécutif de quelque importance. Ce rôle revient à l'administration d'Etat.

La répartition des attributions entre les gouverneurs régionaux nommés, les conseils régionaux élus et les exécutifs régionaux n'est pas clairement définie. De ce fait, les gouverneurs disposent de pouvoirs considérables, y compris et en particulier vis-à-vis des autorités locales élues dans la région qui relève de leur compétence. Ainsi, les ressources financières sont réparties entre les collectivités locales d'une même région sous le contrôle du gouverneur régional, ce qui est forcément source d'iniquité et entraîne des disparités importantes dans les budgets des collectivités locales, même lorsqu'elles ont une taille et une densité de population comparables.

De plus, les administrations régionales ont la haute main sur des secteurs clés de la vie publique, comme l'approvisionnement en énergie.

Bien que la nomination des gouverneurs régionaux soit régie par la loi, les procédures sont parfois enveloppées de mystère et, en tout cas, échappent à tout contrôle démocratique. Le profil de certains de ces gouverneurs tout-puissants – dont beaucoup sont d'anciens responsables d'institutions soviétiques ou des hommes ayant réussi récemment dans les affaires – risque de favoriser le maintien du pouvoir vertical et de provoquer des conflits d'intérêts.

Cette situation est inévitablement source de conflits entre les administrations régionales et les maires localement élus. Ces derniers sont soumis à des pressions politiques et judiciaires qui vont parfois jusqu'à la destitution. Un certain nombre de cas ont été signalés au CPLRE, notamment à Zaporizzhia, Vasylkiv, Cherkasy, Kremenchuk, Derazhnia, Myhrorod, Chortkiv, Sukhodilsk, Sumy, Hlukhiv, Lebedyn Tsiuriupynsk et Pryluky.

Sans vouloir porter de jugement sur les motifs de ces destitutions ou les méthodes utilisées, et encore moins sur l'opinion de l'Association des villes d'Ukraine selon laquelle "on dirait que les oblasts d'Ukraine rivalisent à qui parviendra à discréditer le plus grand nombre de dirigeants de villes élus légalement par les communautés territoriales", le Groupe de rapporteurs du CPLRE déplore la fréquence de ces conflits.
La solution ne consiste pas seulement à remplacer le système de nomination des gouverneurs par un mécanisme électif – ce qui représenterait en soi une amélioration sur le plan de la démocratie. La véritable solution réside dans une définition parfaitement claire sur le plan législatif et financier des rôles et des compétences des différentes parties concernées: les divers échelons de gouvernement, les conseils et leurs administrations respectives.

5. Des éléments encourageants

L'un des points les plus encourageants est sans nul doute la personnalité du Président ukrainien qui, si l'on en juge par ses déclarations publiques et certaines mesures effectivement mises en œuvre, est favorable au principe d'une administration territoriale équilibrée, dans laquelle l'autonomie locale aurait une place définie et reconnue. La présence dans la Constitution de garanties relatives à l'autonomie locale et la loi sur l'autonomie locale adoptée en 1992 sont des acquis indéniables, qui n'auraient peut-être pas été obtenus aussi rapidement sans le soutien actif du Président.

La création du Conseil de coordination, puis du Comité consultatif sur les pouvoirs locaux et régionaux qui lui a succédé, est également une initiative présidentielle, de même que la désignation du 7 décembre comme la journée annuelle de l'autonomie locale.

Une série de décrets présidentiels et de notes d'orientation à l'intention du Parlement ont été publiés sur l'application de la Recommandation du CPLRE de 1998; le soutien de l'Etat à l'autonomie locale; la réglementation de la relation entre les conseils régionaux et l'administration d'Etat. Le nouveau premier adjoint au chef de l'administration présidentielle a une solide expérience en matière communale, ce qui était aussi le cas de l'ancien chef de l'administration présidentielle, M. Kushnaryov.

Des progrès ont été réalisés sur le plan législatif en ce qui concerne le statut des conseillers municipaux et la limitation de l'exercice par ces derniers d'une fonction au sein de l'administration locale, ainsi que le renforcement de l'autonomie locale en Crimée; la situation semble s'apaiser à Kiev et à Odessa après des campagnes électorales énergiques et parfois entachées par des manœuvres d'intimidation.

La voix de la délégation ukrainienne auprès du CPLRE est entendue dans les cercles parlementaires et présidentiels, la position et le rôle de l'Association des villes d'Ukraine se renforcent et la Fondation présidentielle pour l'autonomie locale demeure une source active de propositions et d'assistance.

Les élections municipales intéressent la population et le taux de participation y est élevé. Dans l'ensemble, les maires sont respectés par leurs concitoyens, qui pensent qu'ils font de leur mieux dans une situation difficile et confuse sur le plan législatif et dans un climat d'incertitude financière.

6. Conclusion et proposition du Groupe de rapporteurs

La situation de l'autonomie locale et même régionale en Ukraine est assez singulière. Il ne fait aucun doute que l'affermissement de l'autonomie locale est une question qui suscite l'intérêt et recueille l'adhésion tant de certains responsables politiques que du public, qui reconnaissent sa contribution au bon fonctionnement d'une société démocratique.

Toutefois, cet état d'esprit ne trouve pas d'écho dans la réalité. De nombreuses propositions figurant dans la Recommandation du CPLRE de 1998 n'ont pas encore été mises à exécution.

Si le Groupe de rapporteurs du CPLRE veut bien admettre que Rome ne s'est pas faite en un jour, il est aujourd'hui persuadé que les forces favorables à l'autonomie locale et régionale en Ukraine ont besoin d'une nouvelle impulsion internationale pour relancer la dynamique de réforme.

C'est pourquoi le Groupe de rapporteurs estime que le moment est venu d'élaborer une nouvelle recommandation du CPLRE sur l'autonomie locale et régionale en Ukraine, en vue de son adoption lors de la mini-session de novembre 2001.

Auparavant, le Président de la Commission parlementaire chargée des questions d'autonomie locale ainsi qu'un représentant du Gouvernement ukrainien pourraient être invités à la session de mars de la Commission permanente, afin de dialoguer avec ses membres.

De plus, le CPLRE devrait être associé au programme ADACS pour l'Ukraine en 2001, notamment en vue d'un complément d'information concernant la relation financière entre les différents échelons de gouvernement. En 2002, le programme ADACS pourrait prendre en considération les propositions qui ressortiront du nouveau rapport du CPLRE.

Enfin, le Groupe de rapporteurs est convaincu que ce rapport devrait être élaboré en étroite collaboration avec la délégation ukrainienne auprès du CPLRE, l'Association des villes d'Ukraine ainsi que d'autres organismes compétents, comme USAID, qui œuvrent à la réalisation des mêmes objectifs.