Strasbourg, le 23 juin 1995

Rapport de monitoring 1995 CG/BUR (2) 35

Rapport sur la situation de la démocratie locale en Moldova (Strasbourg, 1er juin 1995)

Rapporteur : Jacques-Médéric CHEVROT (France)

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EXPOSE DES MOTIFS

I. AVANT PROPOS

Le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe a décidé d'élaborer un rapport détaillé sur l'état de la démocratie locale en République de Moldova dans la perspective de la nouvelle phase d'élargissement du Conseil de l'Europe.

La République de Moldova a présenté sa candidature afin de devenir membre à part entière du Conseil de l'Europe en 1992 et son Parlement bénéficie du statut d'Invité spécial auprès de l'Assemblée parlementaire depuis le 5 février 1993.

L'Assemblée Parlementaire se prononcera vraisemblablement sur cette candidature lors de sa prochaine Session plénière (juin 1995), sur la base d'un rapport élaboré dans le cadre de la Commission politique en collaboration avec la Commission juridique et des Droits de l'Homme et la Commission des relations avec les pays européens non membres.

Du point de vue du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe, il était important de vérifier, au moment où la demande d'adhésion de la Moldova est sous examen, si l'état de la démocratie locale est conforme aux principes de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Dans cet esprit, le Congrès a voulu examiner cette question sur la base d'une étude approfondie.

Cette étude, fondée sur les expériences vécues lors de deux visites sur place du Rapporteur, du 3 au 6 mars 1995 et du 12 au 14 avril 1995, et également sur les rapports de deux missions spécifiques concernant l'observation des premières élections locales (16 avril 1995) et l'observation du référendum relatif à l'adhésion à la "costituenda" région administrative à statut spécial de la Gagaouzie de 27 villages méridionaux du pays (5 mars 1995), fait aujourd'hui l'objet de ce rapport au Bureau du Congrès.

Dans cette perspective les données contenues dans le rapport se réfèrent principalement :

- aux entretiens avec les responsables politiques rencontrés lors des visites en République de Moldova au sujet des problèmes concernant l'état de la démocratie locale dans le contexte politique national et international ;

- aux textes de loi sur l'autonomie locale ;

- à l'observation des élections locales et du referendum dans la Région de la Gagaouzie.

II. INTRODUCTION HISTORICO-INSTITUTIONNELLE

La République de Moldova a une surface de 33.700 Km2 et une population de 4.359.100 habitants, dont 64,5 % d'ethnie roumaine, 13,8 % ukrainienne, 13 % russe, 3,5 % gagaouze (turcophones chrétiens), 2% bulgare, 1,5 % juive, 0,2 % allemande et 1,6% diverses.

La religion la plus répandue est la religion orthodoxe.

La capitale, Chisinau compte 667.100 habitants (données statistiques datant de 1989).

Le 27 août 1991 le Parlement a proclamé l'indépendance de la République de Moldova envers l'Union Soviétique et le 21 décembre de la même année la Moldova est devenue membre de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). Le 1er mars 1992 la Moldova est entrée à l'ONU et son intégrité territoriale ainsi que sa souveraineté sont reconnues aujourd'hui au niveau juridique international.

La Moldova est une République à caractère présidentiel.

Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour une période de 5 ans. L'activité politique exécutive est exercée par le Président de la République et le Gouvernement, dont la composition est proposée par le Président et confirmée par le Parlement.

L'activité législative est exercée par un Parlement à une Chambre, composée de 380 membres élus au suffrage universel direct pendant 5 ans. Un Bureau assure la continuité des travaux lors des intersessions.

Le Parlement se compose de 15 Commissions permanentes dont une est consacrée à l'administration et à l'économie locale.

Le Gouvernement est composé de 17 Ministères et 12 Départements.

Actuellement, les affaires concernant l'administration locale sont gérées directement par le Vice-premier Ministre.

Dans la République de Moldova 14 formations politiques différentes existent ; les plus importantes sont le Parti démocrate agraire et le Front populaire démocrate-chrétien.

III. L'ETAT DE L'AUTONOMIE LOCALE DANS LE CADRE DE LA SITUATION POLITIQUE INTERNE ET INTERNATIONALE.

1. Introduction

Un examen exhaustif et approfondi de la démocratie locale en Moldova doit obligatoirement prendre en compte les facteurs d'ordre politique, juridique et institutionnel.

Nous commencerons dans ce chapitre par l'analyse politique, pour aborder, dans les chapitres suivants, les questions relatives aux textes normatifs qui réglementent l'autonomie locale proprement dite et les élections locales.

Naturellement, étant donné la stricte liaison entre les données politiques et les données juridiques, ainsi que, pour ce qui est de l'examen des textes normatifs et de l'organisation des élections, l'incontournable relation existant entre le droit substantiel et le droit de procédure, nombreuses seront les références et les points de contact parmi les différents chapitres du rapport.

De plus il est important de préciser que le contexte politique dans lequel se situent les lois concernant l'autonomie locale récemment établies et l'organisation des premières élections locales démocratiques est sans aucun doute très complexe.

La difficulté de cette situation résulte à la fois des implications institutionnelles et internationales et, dans une mesure moindre d'une forte opposition politique de la part des partis de l'opposition à la législation concernant l'autonomie locale actuellement en vigueur.

2. La question de la Transnistria

Pour ce qui est du niveau institutionnel et international il faut tout d'abord observer qu'en Moldova persistent au niveau local des revendications autonomistes.

Suite à la proclamation par les autorités moldaves, en août 1989, de la langue roumaine comme langue officielle du pays, et sous la pression politique de la 14ème armée russe, présente dans le territoire à l'est du fleuve Dniestr, la Transnistria s'est auto-proclamée indépendante envers la République de Moldova et a pris la dénomination de "République moldave de Transnistria".

Bien entendu, cette auto-proclamation n'a pas été acceptée par les autorités moldaves et n'a également pas été reconnue par le droit international.

Cette situation est rendue encore plus compliquée par le maintien, sur le territoire de la Transnistria, de la 14ème Armée Russe, malgré les accords bilatéraux stipulés entre la République de Moldova et la Fédération Russe qui préconisent le retrait de la 14ème armée russe dans un délai déterminé.

Dans ce contexte, déjà extrêmement tendu, la "République auto-proclamée de Transnistria" a décidé de tenir des élections locales "autonomes" qui ont eu lieu le 26 mars 1995.

A cette même occasion les autorités transnistriennes ont organisé un referendum consultatif concernant le retrait de la 14ème armée russe du territoire transnistrien ainsi que de la station de police moldave de Bender.

Les Délégations de la France et des Etats Unis auprès de l'OSCE ont recommandé au Gouvernement russe de respecter les accords bilatéraux sans tenir compte du résultat du referendum.

Il est nécessaire de remarquer que la Douma Russe a pris la décision d'envoyer 20 Observateurs officiels à ces élections. Une telle action, de même que la décision approuvée par la Douma le 7 avril 1995 d'introduire dans l'ordre du jour la question de l'inadmissibilité du retrait de la 14ème armée russe du territoire de la Transnistria ont été qualifiées par le Parlement moldave d'"actes d'ingérence dans les affaires intérieures de la République de Moldova et de soutien franc aux régimes séparatistes situés en dehors du territoire de la Fédération Russe" (27 avril 1995).

Cette déclaration du Parlement moldave est fondée sur les assurances du Président et du Gouvernement de la Fédération de Russie pour une solution rapide et pacifique du différend transnistrien.

La Délégation russe auprès de l'OSCE a confirmé les engagements pris à ce sujet et a rejeté la responsabilité pour les activités d'observation des membres de la Douma lors des élections locales et du referendum organisés en Transnistria le 26 mars 1995.

En vue de trouver une solution définitive à l'affaire transnistrienne, le Gouvernement moldave a élaboré un projet de loi octroyant un statut spécial à la région de Transnistria qui est calqué sur la Loi concernant le Statut spécial de la Région de Gagaouzie.

Toutefois il faut remarquer que ce projet n'a pas encore été présenté officiellement.

Suite à ces épisodes, les élections locales de la République de Moldova n'ont pas pu être organisées dans le territoire de Transnistria, la seule exception possible étant celle de l'élection des organes locaux des districts couvrant à la fois une partie de la Transnistria et une partie du territoire Moldave proprement dit, dont la capitale se trouve en territoire "Moldave".

En revanche, en ce qui concerne les unités administratives plus petites, comme dans le cas des villes et des villages situés à l'est du fleuve Dniestr, le Gouvernement Moldave a dû, en vue d'éviter des incidents diplomatiques, voire militaires, renoncer à l'exercice de sa souveraineté nationale.

3. La question de la Gagaouzie

Toujours au niveau local, les problèmes de la Région de Gagaouzie, dans le sud du pays, n'ont pas exprimé une connotation aussi dramatique qu'en Transnistria puisqu'ils ont trouvé une solution juridique dans le cadre national.

Le 23 décembre 1994, le Parlement moldave a voté une loi octroyant un statut juridique spécial au territoire de la Gagaouzie, en raison de ses compositions éthnique et linguistique différentes.

Dans cette perspective, le 5 mars 1995 a eu lieu un referendum auquel a participé également, en tant qu'Observateur international, une Délégation du CPLRE, conduite par le Rapporteur.

Ce referendum a permis à 27 villages de décider de leur adhésion à la nouvelle Région à Statut spécial de Gagaouzie.

Grâce au résultat institutionnel positif du referendum, auront lieu, courant juin, les premières élections, où seront élus les organes de cette Région.

C'est sur cette base que les élections locales du 16 avril 1995, auxquelles est consacré un chapitre entier de ce rapport, se sont déroulées également dans la Région de Gagaouzie.

IV. LES TEXTES NORMATIFS CONCERNANT L'AUTONOMIE LOCALE

La référence principale en vue de l'établissement d'une étude approfondie sur l'état de la démocratie locale en Moldova est constituée par les dispositions normatives contenues dans la Constitution et par celles, concernant directement l'autonomie locale, qui ont été adoptés par le Parlement en décembre 1994.

En effet, étant donné qu'aucune élection locale n'avait eu lieu dans le pays auparavant, et que, les élections du 16 avril 1995 s'avèrent avoir été les toutes premières, il est évidemment difficile, à l'heure actuelle, d'exprimer un jugement complet sur l'autonomie locale en Moldova, en dehors de l'examen des dispositions normatives sus-mentionnées.

Dans cette perspective, dans la première partie de ce chapitre seront présentés d'une façon synthétique les textes normatifs qui disciplinent directement l'autonomie locale en Moldova ; dans une deuxième partie ces textes normatifs seront évalués par rapport aux normes contenues dans la Charte européenne de l'autonomie locale.

A cette fin, les actes nécessaires à prendre en considération pour notre analyse sont :

A) La Constitution, adoptée le 29 juillet 1994, aux articles 109, 110, 111, 112 et 113.

B) la Loi sur l'organisation administrative territoriale (n° 306-XIII, du 7 décembre 1994) ;

C) la Loi sur l'administration publique locale, (n° 310-XIII, du 7 décembre 1994) ;

D) la Loi sur les élections locales, (n° 308-XIII du 7 décembre 1994).

Nous relevons que la législation moldave ne comprend pas d'autres textes normatifs en matière d'autonomie locale.

1. La Constitution

Les principes de base codifiant l'autonomie locale se référent à :

- l'autonomie locale des unités administratives territoriales ;

- la décentralisation des services publics ;

- l'éligibilité des autorités publiques locales ;

- la consultation des citoyens sur des problèmes locaux ayant une importance particulière.

2. La Loi sur l'organisation administrative territoriale

Cette loi établit que le territoire de la Moldova est organisé en unités administratives territoriales : districts, villes et villages. A ces unités s'ajoutent des villes qui pour leur rôle particulier dans la vie économique, socio-culturelle, scientifique et administrative du pays, ont été déclarées municipalités et, dans cette optique ont été soumises à un régime d'autonomie particulier.

Actuellement, le statut de municipalité a été attribué aux villes de Chisinau, Balti, Bender et Tiraspol.

La Loi sur l'organisation administrative territoriale prévoit plusieurs unités administratives locales, à savoir :

- la ville, qui est une unité administrative-territoriale ayant une fonction administrative, industrielle, commerciale, politique et culturelle, et dont la plus grande partie de la population travaille dans le secteur industriel, dans les services ou exerce des activités intellectuelles.

- le village, qui est une unité administrative territoriale essentiellement rurale.

- le district, qui est l'unité administrative territoriale constitué de villages, qui peuvent se réunir et former une commune, et de villes (la ville où se trouve le siège du conseil du district est dénommée ville-résidence et le district porte le nom de la ville résidence).

3. La Loi sur l'administration publique locale

Cette loi décrit les organes des autorités de l'administration publique locale.

Dans cette perspective elle fait référence :

- aux organes délibératifs (les conseils des villages, des communes (associations des villages) des villes, des municipalités et des districts ;

- aux organes exécutifs monocratiques (les maires des villages, des villes, des municipalités et les présidents des districts);

- aux organes exécutifs collégiaux (exécutifs des villages, des villes et des municipalités et comités exécutifs des districts).

La loi sur l'administration locale aborde également le thème de la composition, de la constitution, du fonctionnement et des attributions des organes délibératifs et des organes exécutifs.

Les services publics des collectivités locales font l'objet d'un chapitre indépendant comme d'ailleurs le thème du patrimoine, celui des finances et celui des recettes locales.

La Loi sur l'administration publique locale prévoit que :

- les conseils des district, des municipalités, des villes, des communes et des villages sont élus pour un durée de 4 ans au suffrage universel direct sur une base proportionnelle ;

- les maires des villes et des villages sont élus, toujours pour une durée de 4 ans au suffrage universel direct, mais sur une base uninominale ;

- les maires des municipalités et les présidents des districts sont élus au sein du Conseil sur proposition du Gouvernement et, en cas de désaccord du Conseil, par le Président de la République, là encore sur proposition du Gouvernement ;

- les exécutifs des municipalités et les comités exécutifs des districts sont élus au sein des Conseils respectifs à la majorité politique de ceux-ci.

En ce qui concerne les relations institutionnelles entre les autorités locales et les autorités centrales, la Loi en question prévoit un contrôle sur les organes, sur la légalité ainsi que sur l'opportunité de l'action administrative des organes locaux.

Etant donné l'importance du sujet, cette question fera l'objet d'un examen plus approfondi dans le chapitre suivant.

La Loi sur les élections locales sera abordée dans le chapitre relatif à l'observation des premières élections locales.

4. Evaluation de la conformité de la législation moldave sur l'autonomie locale avec la Charte européenne de l'autonomie locale.

4.1. Le niveau constitutionnel

Il nous semble que les dispositions relatives aux principes de base soient quelque peu laconiques puisqu'elles ne font aucune mention aux compétences des autorités locales, au statut des élus locaux, à l'autonomie financière des collectivités locales, ainsi qu'aux relations institutionnelles existant entre les autorités centrales et les autorités locales.

Il nous semblerait opportun, en vue de souligner le principe de l'autonomie des élus locaux vis-à-vis des autorités centrales, de séparer d'une façon plus nette les dispositions concernant l'autonomie locale de celles relatives aux ministères et aux forces armées qui figurent dans le même chapitre que celles relatives à l'autonomie locale.

La Constitution fait une référence trop sommaire à l'organisation administrative territoriale et aux statuts spéciaux de certains territoires du pays. La distinction entre les organes de l'administration publique centrale et les organes des autorités locales n'est pas toujours claire.

4.2 Le niveau législatif

Le récent établissement du cadre législatif concernant l'autonomie locale constitue un élément très positif et un progrès important vers la démocratisation de la vie sociale et politique de la République de Moldova.

Les lois concernant l'administration publique locale et l'organisation administrative territoriale sont conformes à l'article 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale qui établit que le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne.

La Loi sur l'administration publique locale en particulier, respecte l'article 3 et 4 de la Charte européenne de l'autonomie locale puisqu'elle prévoit qu'une part importante des affaires publiques sera gérée par les collectivités locales et dans cette perspective elle donne aux organes délibératifs et exécutifs des autorités locales une large autonomie.

Conformément à l'article 9 de la Charte européenne de l'autonomie locale la Loi sur l'administration publique locale consacre une attention particulière à la question du patrimoine des collectivités locales ainsi qu'aux ressources financières et aux recettes de celles-ci.

La Loi sur l'organisation administrative territoriale prévoit que la formation et la dissolution des unités administratives territoriales et la modification de leurs frontières seront décidées par le Parlement sur la base des propositions du Gouvernement et des autorités de l'administration publique locale (art.12, par.1).

Cette disposition est conforme à l'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale mais il serait souhaitable qu'en vue d'une meilleure protection des limites territoriales des collectivités locales, soit faite mention expresse de la possibilité de consultation préalable de la population.

Au delà de ces premières constatations d'ordre général plutôt favorables, la Loi sur l'administration publique locale comporte quelques lacunes quant aux principes établis par la Charte européenne de l'autonomie locale dans le domaine des relations entre les autorités centrales et les autorités locales.

En effet la loi sus-mentionnée prévoit :

- le cumul des rôles de chef de l'autorité périphérique centrale (Préfet) et de président du district ou de maire de municipalités en un seul organe ; à ce sujet l'article 45 de la Loi 310-XIII établit que les dirigeants des autorités de l'administration publique locale, élus ou confirmés dans leurs fonctions par le Président de la République, sont des personnes officielles de l'autorité exécutive suprême dans le territoire ;

- le pouvoir du Gouvernement de proposer la candidature du président du district et du maire de la municipalité au sein, respectivement, du comité exécutif du district et du conseil municipal, et, dans ce même cadre, la possibilité pour le Président de la République -en cas de désaccord du conseil sur la première et la deuxième proposition du Gouvernement- de nommer ces organes locaux (art.7, par.6 et 7) ;

- la possibilité pour le Président de la République -sur proposition du Gouvernement- de destituer les maires des villages, des communes et des villes (sur propositions des conseils respectifs) ainsi que le président des comités exécutifs n'ayant pas respecté les intérêts de la collectivité locale ou, dans le cas des maires, n'ayant pas rempli leurs fonctions (Article 18 par.g et Article 49) ;

- la possibilité pour le Parlement -sur proposition du Gouvernement- de suspendre l'activité du conseil si les décisions de celui-ci sont contraires aux intérêts de la collectivité locale ou si le conseil, en dépassant ses pouvoirs, a pris des décisions politiques (art.31) ;

- la possibilité pour le Président de la République de révoquer -sur proposition du conseil du district ou de la municipalité et du Gouvernement- un maire de village, commune ou ville qui ne respecte pas les intérêts de la collectivité locale ou n'exerce pas ses attributions (art.55) ;

- la possibilité pour le Président de la République -sur proposition du Gouvernement- de démettre de leurs fonctions le président du comité exécutif ou le maire de la municipalité dans le cas où ceux-ci ne respectaient pas les intérêts de la collectivité locale, ou s'ils n'exerçaient pas leurs attributions (art.56) ;

Or, dans l'ensemble, ces dispositions normatives ne sont pas conformes aux principes fondamentaux de l'autonomie locale puisque les autorités centrales moldaves :

a) ont le droit de proposer (Gouvernement) ou de nommer (Président de la République) directement les organes exécutifs de l'administration locale.

En particulier les paragraphes 6 et 7 de l'article 7 de la Loi 310-XIII, qui établissent que les maires des municipalités et les présidents des districts peuvent être nommés par le Président de la République sur proposition du Gouvernement, ne sont pas conformes au paragraphe 2 de l'article 3 de la Charte européenne de l'autonomie locale qui prévoit le droit des conseils ou des assemblées de disposer d'organes exécutifs responsables devant eux.

b) exercent un contrôle sur l'opportunité des actes des organes locaux et un contrôle direct sur ceux-ci, avec la possibilité de les destituer, révoquer ou suspendre même en dehors d'une sentence définitive de l'autorité judiciaire compétente.

Dans cette perspective les articles 18, 31, 49, 55 et 56 de la Loi 310-XIII :

- sont en contradiction avec le paragraphe 2 de l'article 8 de la Charte qui prévoit que tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu'à assurer le respect de légalité et des principes constitutionnels et que le contrôle administratif peut comprendre un contrôle de l'opportunité, exercé par des autorités de niveau supérieur, en ce qui concerne les tâches dont l'exécution est déléguée aux collectivités locales à l'exclusion de celles étant de la compétence propre des collectivités locales :

- ne sont pas compatibles avec le paragraphe 3 l'article 8 de la Charte européenne de l'autonomie locale qui, établit que le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d'une proportionnalité entre l'ampleur de l'intervention de l'autorité de contrôle et l'importance des intérêts qu'elle entend préserver.

En particulier, ce principe commande à l'autorité centrale, lorsqu'elle intervient par le biais d'un contrôle administratif, de faire usage de mesures propres à atteindre le but recherché sans pour autant porter atteinte à d'autres intérêts adjacents.

En d'autres termes le contrôle des actes devrait remplacer le contrôle hiérarchique des personnes ou tout au moins lui être largement prioritaire.

On peut donc considérer que le contrôle exercé sur les personnes doit être subsidiaire au contrôle exercé sur les actes et il doit être considéré en tant qu'extrema ratio.

Dans cette optique les dispositions de la Loi 310-XIII concernant le contrôle des autorités locales suscitent quelques interrogations.

En effet les actes de destitution, révocation et de suspension des organes locaux prévus par cette loi portent certainement atteinte à l'autonomie des collectivités locales qui par définition ne doivent pas être soumises à un contrôle hiérarchique relatif à l'opportunité des actes qu'elles sont amenées à émettre. Ce principe est fondé sur le fait que les autorités locales sont des organes élus directement par la population et non pas nommés par l'autorité centrale.

Certains cas exceptionnels peuvent justifier cette atteinte. Dans la plupart des autres cas en revanche, des mesures moins attentatoires aux principes de l'autonomie locale, comme un recours contre le ou les acte(s) considérés comme illégaux, doivent être envisagés.

Dans cette perspective, il faut observer que la Loi sur l'administration publique locale, se révèle dépourvue de normes prévoyant un contrôle sur les actes des collectivités locales soit ex ante, pendant le processus de formation des mêmes actes, soit ex post moyennant un recours des autorités périphériques centrales aux instances du contentieux administratif.

Cette déficience normative est rendue encore plus évidente par le fait que selon l'article 45 de la Loi sur l'administration publique locale les responsables des autorités locales sont également les représentants de l'Etat au niveau périphérique.

En conclusion, notre impression est que la Loi 310-XIII sur l'administration publique locale devrait faire l'objet d'une révision en vue d'une totale séparation des fonctions des organes centraux de l'Etat des fonctions des organes locaux ainsi que de la création d'un système de contrôle fondé sur la légalité des actes et non sur leur opportunité.

5. L'attitude des Institutions moldaves vis-à-vis de la législation en vigueur.

5.1. Les Parlementaires faisant partie de l'opposition

L'attitude des Parlementaires de l'opposition vis-à-vis de la Législation sur l'autonomie locale actuellement en vigueur est fort critique.

En effet, les Parlementaires de l'opposition partent de la constatation que le système de subdivision territoriale préconisé dans la Loi sur l'organisation administrative territoriale (306-XIII/94), prévoit, au sommet de l'organisation territoriale, l'unité administrative du District, située juste en dessous de l'administration centrale.

Cette répartition administrative présenterait de nombreux défauts et ne constituerait pas la meilleure forme de décentralisation du pouvoir en raison de la fragmentation excessive des Districts (40 env.) et de la taille trop réduite de ceux-ci en relation avec la nécessité de réaliser une politique d'aménagement du territoire complète, cohérente et équilibrée.

Les Parlementaires de l'opposition estiment que le choix d'une telle subdivision administrative, et à leur avis déraisonnable, correspond à la volonté du Gouvernement et des partis politiques de la majorité, de garder le système actuel de pouvoir, défini, "pyramidal, corrompu, bureaucratique et compliqué", selon eux.

Cette volonté s'expliquerait en raison du fait que les organes exécutifs locaux sont compétents pour les problèmes de répartition des terres aux agriculteurs et que le Gouvernement souhaite à tout prix maintenir un contrôle strict sur une question si délicate et importante.

Ainsi, les parlementaires de l'opposition pensent qu'il est important d'interpréter les dispositions contenues dans la Loi sur l'Administration locale à la lumière de ces faits, en se référant notamment au pouvoir discrétionnaire de propositions que le Gouvernement s'est réservé, notamment pour la nomination du président du district (Art.7, par.6, 7).

En particulier, ils nous ont informé qu'un des arguments utilisés par le Gouvernement en vue de justifier cette anomalie démocratique est représenté par l'article 45 qui sanctionne le cumul de fonctions des organes exécutifs locaux qui agissent en tant que responsables des affaires locales, et en tant que représentants périphériques de l'administration centrale.

A ce sujet les parlementaires de l'opposition nous ont fait observer que ces dispositions sont contraires à la Constitution qui établit clairement le principe de l'autonomie locale et celui de l'élection directe des maires. Dans cette perspective ils préconisent, en ce qui concerne la démocratie locale, la révision de la législation existante.

5.2. Les membres de la coalition majoritaire

a) Le Vice-Premier Ministre responsable des affaires locales a reconnu les faiblesses de la Loi en question et a spontanément affirmé qu'il fera des propositions en vue de sa révision rapide.

Par ailleurs, le Vice-Premier Ministre a expliqué que la version actuelle de la Loi sur l'administration locale peut être considérée comme un compromis satisfaisant compte tenu que la Moldova est une République très jeune, actuellement engagée dans une phase de transition d'un régime totalitaire à une démocratie pluraliste et confrontée à des problèmes sociaux et économiques profonds.

b) Le Président de la Commission parlementaire dans le cadre de laquelle ont été approuvées les lois sur l'autonomie locale a expliqué que les propositions de l'opposition ont été refusées au sein de la Commission juridique puisque, bien que respectueuses des principes démocratiques et favorisant l'établissement d'une autonomie locale entière et complète, elles auraient provoqué en réalité des problèmes économiques insurmontables.

Le Président de la Commission juridique estime qu'une réforme du système actuel d'administration territoriale, avec la création d'un nombre limité de Régions et la scission définitive des organes locaux des représentants du Gouvernement au niveau périphérique mènerait respectivement à :

- la suppression d'un nombre important d'emploi au niveau des districts et par conséquent à l'augmentation du taux de chômage ;

- doubler le personnel administratif au niveau local et par conséquent à augmenter considérablement les dépenses de l'Etat.

Etant donné la contradiction de ces deux argumentations, le Président de la Commission parlementaire a argumenté sur le fait qu'un tel effort économique n'est pas à la portée de la Moldova et que, par conséquent, en cette période de transition et de crise économique, il est indispensable de trouver un compromis sur le plan juridique.

c) Le Vice Président du Parlement a expliqué que les lacunes de la législation actuelle :

- doivent être considérées dans le contexte de la période de transition du régime totalitaire au système démocratique ;

- répondent à la nécessité d'être graduels et prudents dans l'introduction de réformes structurelles qui pourraient bouleverser l'ordre public du pays ;

- sont à observer en fonction des difficultés socio-économiques.

Dans cette perspective, il a présenté la législation sur l'administration locale, avec ses défauts, comme le meilleur compromis. Il s'est déclaré prêt à voter à faveur d'une modification de cette législation dès que la situation socio-politique le permettra.

Cet engagement a été confirmé par le Vice-Premier Ministre, qui va mettre à l'étude une structure régionale généralisée dans le pays, ainsi qu'un statut de plus grande autonomie des pouvoirs locaux.

V. L'OBSERVATION DES PREMIERES ELECTIONS LOCALES

Une Délégation du CPLRE s'est rendue en Moldova pour une mission d'observation des premières élections locales démocratiques.

Dans cette optique, pour toute information détaillée à ce sujet, nous recommandons de se référer au Rapport concernant cette mission qui a été préparé par Mme BENNET.

Par ailleurs, nous tenons ici à faire des considérations spécifiques concernant la Loi sur les élections locales.

Cette loi représente un texte législatif très complet et conforme aux standards internationaux en matière d'élections.

Des normes fondées sur un esprit démocratique existent pour la réglementation de questions importantes comme :

- la composition des Commissions électorales ;

- l'administration du budget consacré à la campagne électorale ;

- la protection des langues minoritaires ;

- l'information des citoyens sur les procédures de vote et sur les organes à élire ;

- la sécurité lors du scrutin et du dépouillement ;

- la présentation des listes électorales et des partis inscrits aux élections ;

- l'égalité dans l'accès aux moyens d'information ;

- le nombre d'organes à élire, de mandats et de candidats inscrits.

De plus, la Commission électorale centrale s'est montrée très disponible avec les représentants du CPLRE. En particulier pour ce qui est des premières élections, les informations suivantes ont été retenues :

- les électeurs devront élire respectivement deux Conseils Municipaux, 37 Conseils de District, 51 Conseils de Ville, 852 Conseils de Villages (total = 942) ainsi que 903 Maires (Villes et Villages).

- les bulletins de vote seront imprimés en plusieurs langues et l'électeur aura la liberté du choix de la langue ;

- un contrôle strict sera mis en place au sujet du système des listes supplémentaires permettant de pallier le vieux système soviétique des visas de résidence ("propiska") qui empêchaient les citoyens de voter dans le cas de changement de résidence 15 jours avant le scrutin et qui avait suscité beaucoup de perplexités lors du referendum sur la Gagaouzie.

L'électeur aura donc dorénavant la possibilité de voter dans son nouveau lieu de résidence, pourvu qu'il lui soit délivré un certificat attestant son changement de domicile et sa radiation des listes du lieu de résidence précédent.

En revanche, en ce qui concerne la question de la par condicio en matière de propagande électorale, la Délégation du CPLRE a observé des comportements qui suscitent quelque perplexité.

En particulier il faut remarquer que les partis de l'opposition accusent le Gouvernement des actes suivants :

- mainmise généralisée sur les médias ;

- inégalité dans la concession des espaces d'expression à la télévision et instauration volontaire de pannes d'électricité empêchant la diffusion des émission télévisées des partis d'opposition ;

- réunions publiques perturbées par des coupures d'électricité localisées, obligeant les orateurs de l'opposition à tenir les réunions de parti dans l'obscurité, sans micro ou en plein air ;

- journaux officiels (de propriété publique) publiant les listes des partis pro-gouvernementaux sur plusieurs pages, réservant aux partis d'opposition un espace relégué à la moitié de la dernière page du journal ;

- menaces physiques sur les familles des leaders d'opposition ;

- financement additionnel aux partis pro-gouvernementaux en-dehors du budget administré par la Commission électorale centrale.

Les représentants du Gouvernement ont commenté ces faits d'une façon embarrassée, laconique et imprécise.

Dans cette perspective la Délégation du CPLRE a eu la sensation que les faits décrits, souvent appuyés par des preuves écrites, pouvaient correspondre à la vérité.

En ce qui concerne les élections, la Délégation du CPLRE a eu l'impression qu'elles se sont généralement bien déroulées ; la Délégation a constaté la bonne organisation des bureaux de vote, même en ce qui concerne la phase de dépouillement des bulletins.

L'accueil qui a été réservé aux membres du CPLRE a été, dans la plupart des cas, ouvert et disponible.

Les faiblesses les plus significatives se référent :

- au système de la liste d'émargement supplémentaire ;

- à la procédure de désignation des membres des commissions électorales locales (désignation politique) ;

- à la publicité électorale, même à l'intérieur des bureaux électoraux ;

- à la présence, dans certains cas, de la police à l'intérieur des espaces réservés au vote ;

- à la pratique courante de la population consistant à entrer à plusieurs dans les isoloirs (familial voting) ;

- à l'insuffisance des informations concernant les élections et les procédures de vote.

- au système prévu par la loi sur les élections locales concernant la nomination par le Président de la République des Maires n'ayant pu être élus en raison de l'insuffisance du taux de participation des citoyens au scrutin (- 50 %).


VI. CONCLUSIONS

Suite à l'examen approfondi des textes normatifs, de la situation politique ainsi que de l'observation des premières élections locales démocratiques, nous estimons qu'il existe dans la République de Moldova un cadre institutionnel et normatif qui, dans ses grandes lignes, est à même de garantir la réalisation future d'une démocratie locale réelle et d'une véritable autonomie des collectivités locales.

Toutefois, ce cadre institutionnel et normatif doit être modifié dans les parties qui ne correspondent pas aux standards internationaux pour devenir entièrement conforme aux principes contenus dans la Charte européenne de l'autonomie locale et, en particulier, en vue :

i. d'éviter le cumul des rôles de chef de l'autorité périphérique centrale et de chef de l'autorité locale en un seul organe en séparant d'une façon nette les fonctions des organes périphériques de l'Etat des fonctions des organes locaux ;

ii. d'exclure l'intervention des autorités centrales dans la mise en place des pouvoirs exécutifs locaux ;

iii. de privilégier le contrôle sur la légalité des actes au contrôle sur les personnes et de limiter le contrôle sur l'opportunité des actes au seul cas des compétences déléguées.

Sur ces points précis, renvoi est fait au titre IV du chapitre 4 et au titre V de ce Rapport.

Dans cette perspective, le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe, compte tenu des signes encourageants qu'on a pu relever dans le développement de l'autonomie locale dans la République de Moldova, est favorable à l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe, si au moment de l'adhésion un engagement formel est pris par les autorités moldaves en vue de la révision de son système normatif et institutionnel dans le sens souhaité.

Nous estimons d'autre part que l'éventuelle adhésion de la République de Moldova au Conseil de l'Europe devra être accompagnée de mesures d'assistance et de monitorage constants, efficaces et approfondis de la part des structures compétentes du Conseil de l'Europe.

En conclusion, nous encourageons les autorités moldaves à mettre en oeuvre la réforme sus-mentionnée puisque la non conformité de son système législatif aux standards préconisés par le Conseil de l'Europe en matière d'autonomie locale pourrait, à notre avis, mener à une dégradation de la situation économique et politique générale du pays.