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Strasbourg, 16 octobre 2015

                                                                                                                        CCJE(2015)3

Conseil consultatif de juges européens (CCJE)

Rapport sur la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

Version mise à jour n° 2 (2015) adoptée par le CCJE lors de sa 16e réunion plénière (Londres, 14-16 octobre 2015)

1.      Le présent rapport a été élaboré conformément au mandat du CCJE pour 2014-2015, qui lui donne mission, entre autres tâches principales, d’« assurer une coopération ciblée à la demande d’Etats membres, des membres du CCJE, des instances judiciaires ou des associations de juges compétentes, en vue d’aider les Etats à se conformer aux normes du Conseil de l’Europe concernant les juges ».

2.      Il s’agit de la deuxième mise à jour du rapport adopté par le CCJE au cours de sa 12e réunion plénière (Strasbourg, 7-9 novembre 2011), puis, sous sa première version mise à jour (ci-après le « rapport de situation de 2013 »), lors de sa 14e réunion plénière (Strasbourg, 13-15 novembre 2013), et transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour information. Au cours de sa 13e réunion plénière (Paris, 5-6 novembre 2012), le CCJE a décidé de mettre ce rapport à jour tous les deux ans. La présente mise à jour couvre la période d'octobre 2013 à octobre 2015 inclus et a été adoptéepar le CCJE au cours de sa 16e réunion plénière, à Londres (14-16 octobre 2015).

3.      Le présent rapport résume les informations transmises au CCJE concernant les allégations de violations, par les Etats membres, des normes relatives au statut des juges et à l'exercice de leurs fonctions. Il se réfère aux demandes d’assistance législative adressées au CCJE et aux commentaires élaborés par ce dernier pour y donner suite, et énumère les informations fournies par les membres et les observateurs au cours de la période considérée. Quand les situations ont été examinées par le CCJE, les documents pertinents sont cités. Les observations formulées par les Etats membres au sujet du présent rapport seront publiées sur le site internet du CCJE.

I.             Introduction

4.      Le 19 mai et le 23 juin 2015, le CCJE a demandé à ses membres et aux observateurs de lui communiquer :

·       toute information à jour utile sur les questions abordées dans le rapport de situation de 2013 ;

·       toute information sur de nouveaux enjeux et problèmes relatifs à la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres.

5.      Ont répondu les membres suivants du CCJE : la Belgique, la République tchèque, la France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Irlande, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie, la Suisse et l’Ukraine, ainsi que les observateurs suivants auprès du CCJE : la Fédération européenne des juges administratifs (FEJA), le Conseil des barreaux européens (CCBE), le Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) et l’association « Magistrats européens pour la démocratie et les libertés » (MEDEL).

6.      Le présent rapport aborde uniquement les questions soulevées dans les demandes adressées au CCJE ainsi que celles évoquées par les membres du CCJE et les observateurs auprès du CCJE.

7.      Les catégories de violations alléguées sont les suivantes :

a.         des atteintes au statut, à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges ;

b.         des atteintes aux principes concernant la composition et le fonctionnement des Conseils de la justice ;

c.         des diminutions de la rémunération des juges ;  

d.         le manque de ressources ;

e.         des violations à la chose jugée commises par d’autres pouvoirs et la non-exécution des décisions judiciaires ;

f.          des anomalies dans l’organisation de la formation des juges ;

g.         l’absence de critères objectifs pour l’évaluation du travail des juges ;

h.         des atteintes à la liberté d’association des juges ;

i.           des difficultés concernant les codes d’éthique de la fonction judiciaire ;

j.           des difficultés dans les relations entre la justice et les médias.

k.         accès à la justice

l.           responsabilité des juges

8.      Le Conseil de l’Europe a établi un important cadre réglementaire visant à garantir l’Etat de droit et l’accès à la justice pour tous. De nombreux instruments précisant les exigences nécessaires à ces objectifs ont été adoptés.

9.      Le CCJE souligne l’importance d’examiner toutes les violations alléguées à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« la Cour »). Il rappelle que le droit à un procès équitable passe par un système de justice efficace et indépendant et par le bon exercice des devoirs et des responsabilités judiciaires.

10.    Dans son examen des violations alléguées, le CCJE a tenu compte de la Charte européenne sur le statut des juges (1998) et de la Recommandation Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités. Il s’est également appuyé sur ses propres Avis et sur la Magna Carta des juges, qui énonce les principes fondamentaux de la profession judiciaire (2010). Le CCJE a aussi tenu compte des Principes fondamentaux de l’ONU relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985) et du rapport 2014-2015 du Réseau européen des Conseils de la Justice (ENCJ): « Rapport de l’ENCJ sur l’indépendance et la responsabilité de la magistrature».

II.       Aperçu des faits présentés au CCJE

A.           Des atteintes au statut, à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges

11.    L’indépendance des juges suppose l’absence d’ingérence d’autres pouvoirs de l’Etat, notamment du pouvoir exécutif, dans la sphère judiciaire. Il n’est donc pas acceptable que le pouvoir exécutif puisse intervenir de manière directe et autoritaire dans le fonctionnement des institutions chargées, notamment, de la sélection des juges, de leur promotion ou de leur mutation, des mesures disciplinaires prises à l’encontre de juges ou de leur destitution. Ce risque existe, par exemple, lorsque les pouvoirs concernés sont transférés du Conseil de la justice au ministère de la Justice (voir le chapitre B). Parfois, c’est la législation qui menace directement le statut, l’indépendance ou l’inamovibilité des juges.

12.    L’indépendance a pour corollaires l’inamovibilité des juges et leur nomination jusqu’à l’âge légal de la retraite (Avis n° 1(2001) du CCJE sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges, paragraphes 52 et 57). Il ne peut donc être mis fin au mandat d’un juge que pour des raisons de santé ou à la suite d’une procédure disciplinaire. Cependant, « l’existence d’exceptions aux règles d’inamovibilité, notamment celles qui découlent de sanctions disciplinaires, conduit immédiatement à s’intéresser à l’instance et à la méthode par laquelle les juges peuvent être sanctionnés » (Avis n° 1(2001) du CCJE, paragraphe 59).

A1.  Sélection et nomination des juges

13.    Les documents européens et internationaux susmentionnés (voir point 10 ci-dessus) soulignent que les candidats à la magistrature doivent être sélectionnés selon des critères objectifs fondés sur le mérite et qu’une instance indépendante doit se charger de cette sélection. Dans les cas où une personne ou un organe extérieur(e) au système judiciaire, par exemple le chef de l’Etat, est investi(e) du pouvoir de nomination, il ou elle devrait, en règle générale, suivre la proposition de l’instance indépendante.

14.    La FEJA a souligné, le 15 juillet 2015, l’existence de problèmes dans la nomination des juges en Autriche. En effet, en vertu de l’article 134(2) de la Constitution fédérale, les juges administratifs des provinces devraient être nommés par les gouvernements de ces provinces. Sauf pour les fonctions de président et de vice-président de la Cour administrative, le gouvernement fédéral établit une proposition sur la base d’une liste de trois candidats (en vue de la nomination de nouveaux juges) soumise par l’assemblée plénière de la Cour administrative (ou d’une commission à élire par ses membres). La Constitution n’indique pas qu’une telle proposition a force obligatoire. Conformément à ces dispositions, quatre nouveaux juges ont été élus à la Cour administrative de Vienne, mais le gouvernement n’a pas suivi la proposition de cette cour. D’après la FEJA, cette procédure n’est pas conforme à l’article 47 de la Recommandation Rec(2010)12. Par ailleurs, l’article 11 de cette même recommandation n’a pas été respecté car le gouvernement local est intervenu dans la sélection des juges. La procédure de sélection adoptée par le gouvernement local n’a pas été transparente.

15.    Le représentant de la République tchèque au CCJE a indiqué, le 29 mai 2015, que le gouvernement n’avait pas respecté les règles – pourtant limitées – relatives à la participation du pouvoir judiciaire dans la procédure de nomination. Le chef du premier parti politique et le ministre des Finances ont décidé que le candidat retenu à la suite du processus de sélection pour le poste de vice-président de la Cour suprême ne pouvait être nommé à ce poste, et le ministre de la Justice a décidé de ne pas le nommer.

16.    Le représentant de l’Irlande au CCJE a indiqué, le 1er juillet 2015, qu’en Irlande, l’institution dans la législation d’un conseil de la justice et la garantie d’une plus grande transparence dans le système de nomination et de promotion des juges suscitaient un vif intérêt, renforcé par la publication, en 2014, du rapport sur l’Irlande du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe. Les recommandations formulées par le GRECO en matière judiciaire, par exemple l’établissement d’un conseil de la justice, la transparence des procédures de promotion et de nomination et la mise en place d’une structure indépendante chargée de l’examen des questions de rémunération et autres, s’alignent sur les objectifs du corps judiciaire, tels qu’exprimés par l’Association des juges d’Irlande (AJI). Le communiqué de presse du ministère irlandais de la Justice et de l’Egalité sur le rapport du GRECO, daté du 21 novembre 2014, cite le ministre de la Justice et de l’Egalité de l’Irlande en ces termes : « Certaines des recommandations, par exemple celles relatives à la mise en place d’un conseil de la justice officiel ou à l’examen des nominations judiciaires, sont déjà suivies d’effet et je me félicite de pouvoir faire avancer ces réformes essentielles dans les mois à venir »[1]. Le communiqué de presse poursuit en indiquant que la création proposée d’un conseil de la justice officiel permettra non seulement de promouvoir l’excellence et des normes de conduite élevées pour les juges mais aussi d’instruire les allégations de faute qui peuvent de temps en temps être soulevées à l’encontre de magistrats. De même, l’examen du fonctionnement du système de nomination des magistrats vise à garantir que ce système tienne compte des bonnes pratiques actuelles, qu’il soit ouvert, transparent et responsable et qu’il favorise la diversité. L’AJI a élaboré et présenté un document sur ce thème. Le débat est toujours ouvert.

17.    Dans le rapport de situation de 2013, la Lettonie évoquait un problème relatif à la nomination des juges. La FEJA a indiqué, le 15 juillet 2015, que la situation juridique en matière structurelle demeurait la même. Toutefois, aucun autre cas de la sorte n’a été signalé depuis le dernier rapport.

18.    Le représentant de Malte au CCJE a signalé, le 19 mai 2015, que des juges étaient toujours nommés directement par le gouvernement. Un article publié le même jour (19 mai 2015) par le journal « Times of Malta » a critiqué le gouvernement pour avoir nommé dix magistrats du siège depuis l’élection d’un gouvernement travailliste en 2013. En 2013, un rapport, commandé par le gouvernement lui-même, a recommandé à ce dernier de modifier le mode de nomination des membres de la magistrature. Cette recommandation n’a pas encore été suivie d’effet. Le gouvernement a indiqué qu’il souhaitait s’atteler à la réforme de la justice de manière globale en adoptant une loi du parlement unique et complète.

19.       Le rapport de situation de 2013 évoquait des problèmes dans le système d’élection des juges en Suisse. Le représentant de la Suisse au CCJE au titre a indiqué, le 2 juin 2015, que cette tradition de longue date n’avait pas changé. La préoccupation exprimée dans le rapport de situation de 2013 concernait le fait que certains députés menaçaient de ne pas réélire de juges ayant rendu des arrêts jugés défavorables par les politiques. Personne n’a proposé d’organiser un débat général sur la transformation du système de réélection des juges en Suisse. L’exercice de pressions indues par certains députés n’a pas empêché la réélection de juges, mais ce processus a parfois servi à critiquer indirectement des décisions judiciaires impopulaires. Ainsi, dans le cadre des dernières réélections, les juges de la Cour suprême ayant statué que le droit international pouvait l’emporter sur les normes constitutionnelles ont sans équivoque obtenu moins de voix.

20.       Le rapport de situation de 2013 relevait des problèmes structurels d’influence du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire en Turquie.

21.       L’influence du pouvoir exécutif sur le Haut Conseil des juges et des procureurs de Turquie (HCJP) n’a pas diminué et s’est même accrue[2]. Peu après l’adoption du rapport de situation de 2013, le HCJP a informé le CCJE d’un projet de loi visant à : a) modifier la compétence du HCJP (voir partie B) ; b) étendre le rôle du ministre de la Justice (MJ) au sein du HCJP (voir partie B) ; c) modifier l’organisation et l’administration de l’Académie de justice de Turquie (voir partie F) et d) mettre fin au mandat de certains titulaires actuels (Secrétaire général du HCJP, inspecteur en chef, etc.).

22.       Le rôle central du MJ, qui préside toujours le HCJP, a été étendu, en premier lieu, en conférant la compétence de certaines tâches, qui relevaient auparavant du HCJP tout entier, au président du HCJP exclusivement et en deuxième lieu, en accroissant l’influence du MJ au niveau de la sélection de membres essentiels du personnel.

23.       Le projet de loi propose également d’accroître l’influence du MJ sur le système d’inspection. Outre le système actuel d’inspection du MJ, les inspecteurs du service d’inspection du HCJP ne pourraient être que des personnes figurant sur une liste dressée au préalable par le MJ. Une influence aussi forte sur le système d’inspection constitue une ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire qui compromet l’indépendance de ce dernier.

24.       Le MJ serait également habilité à engager des procédures disciplinaires à l’encontre des membres du HCJP. Les personnes qui devraient – comme l’indiquent clairement l’Avis n° 10 du CCJE sur le Conseil de la Justice au service de la société (paragraphe 8 ff) et la Recommandation 2010/12 (paragraphe  26) – défendre l’indépendance du pouvoir judiciaire face aux autres pouvoirs de l’Etat se retrouveraient ainsi sous l’autorité d’un représentant du pouvoir exécutif pour ce qui est des mesures disciplinaires.

25.       Le Bureau du CCJE a adopté des commentaires sur ce projet de loi (CCJE-BU(2014)2) (en ce qui concerne la compétence du HCJP, voir la partie B ci-après). Le CCJE a souligné qu’il ressortait très clairement des modifications proposées que l’influence du MJ serait considérablement accrue, en particulier en ce qui concerne la nomination des juges et des procureurs, car le MJ pourrait désormais intervenir dans le fonctionnement du HCJP. En outre, la compétence du HCJP serait réduite et sa structure interne, ainsi que les pouvoirs de ses membres, seraient réorganisés. Le CCJE a renvoyé à ses principales normes et à d’autres instruments européens et internationaux et a souligné qu’il était manifeste que les modifications proposées étaient totalement incompatibles avec ces normes.

26.       En ce qui concerne les dispositions transitoires, la proposition de relever de leurs fonctions tous les titulaires actuels de fonctions au sein du HCJP à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, que leurs postes soient maintenus ou non, constitue une intrusion flagrante des autres pouvoirs de l’Etat dans les institutions centrales du pouvoir judiciaire et viole manifestement le principe de l’indépendance judiciaire.

A2. Lustration des juges

27.       Plusieurs cas de lustration de juges ont été enregistrés ces dernières années dans les Etats membres. Les normes internationales en vigueur en matière de lustration, une mesure extrême utilisée traditionnellement après une transition d’un système totalitaire (par exemple communiste) à un système démocratique, s’appliquent désormais dans d’autres circonstances. Sauf cas extrême, ces procédures sont toujours en conflit avec le principe d’inamovibilité, qui est un élément important de l’indépendance des juges.

28.       Le rapport de situation de 2013 évoquait le processus par lequel en Serbie, des juges avaient dû représenter leur candidature pour être de nouveau nommés à leur poste, ce que la Cour constitutionnelle serbe avait annulé. D’après les informations fournies par le représentant de la Serbie au CCJE, tous les juges concernés ont été rétablis dans leurs fonctions.

29.       Le 11 juin 2014, le CCJE a reçu une demande du représentant de la Slovaquie au CCJE au sujet de la récente loi constitutionnelle, qui modifie et complète la Constitution de la Slovaquie (4 juin 2014) concernant le système dit d’« habilitation de sécurité » pour les juges. Le Bureau du CCJE a examiné cette demande et formulé des commentaires (document CCJE-BU(2014)4 du 1er juillet 2014), dans lesquels il conclut comme suit :

·         La stabilité des fonctions des juges, élément essentiel de leur indépendance, sera indûment remise en cause et menacée si les juges peuvent être mis en examen en l’absence de soupçon concret et raisonnable.

·         La lustration de tous les juges en fonction n’est pas conforme aux normes internationales. La République slovaque est depuis longtemps attachée à l’état de droit et ne se trouve pas dans une ère postrévolutionnaire où elle serait en transition d’un régime totalitaire à un régime démocratique ; or, c’est la situation dans laquelle, à titre exceptionnel, de tels moyens peuvent être acceptables.

·         En règle générale, il est inapproprié d’exploiter des éléments recueillis par les services secrets dans le cadre de procédures visant à décider si des juges remplissent les conditions requises selon des lois clairement établies. Toute tentative d’utiliser à leur encontre des éléments recueillis par les services secrets selon leurs moyens habituels risque de compromettre gravement l’indépendance du pouvoir judiciaire.

·         L’influence des services secrets, qui font partie du pouvoir exécutif de l’Etat, sur l’efficacité et la carrière des juges est incompatible avec les principes de la séparation des pouvoirs.

30.       Le représentant de la Slovaquie au CCJE a signalé, le 27 mai 2015, qu’en septembre 2014, un recours constitutionnel avait été introduit par le président du Conseil judiciaire. La Cour constitutionnelle a jugé ce recours recevable et, dans l’attente des procédures subséquentes, a suspendu l’entrée en vigueur des modifications introduites par la loi constitutionnelle. En conséquence, le « nettoyage judiciaire » qui aurait dû commencer le 1er septembre 2014 a été suspendu.

31.  Le CCJE a reçu, le 12 mars 2014, une demande d’assistance et de conseil de la part du représentant de l’Ukraine concernant le « projet de loi sur la restauration de la confiance dans le pouvoir judiciaire en Ukraine ». Le Bureau du CCJE a examiné cette demande et un représentant du CCJE a été invité à participer à l’examen de ce projet de loi, élaboré en mars 2014 dans le cadre du projet du Conseil de l’Europe intitulé « Renforcer l’indépendance, l’efficacité et le professionnalisme de la justice en Ukraine ». Le projet de loi proposait que les juges ayant contribué à certaines décisions lors des « événements de Maïdan » ou relativement aux dernières élections législatives, ou ayant rendu une décision par la suite jugée contraire au droit par la Cour, fassent l’objet d’un processus de lustration. La plupart des propositions formulées à la suite de l’examen du projet de loi, relatives à des améliorations de procédure et à la composition et la compétence d’une commission nouvellement établie pour mener à bien ce processus de lustration, ont été suivies par le législateur ukrainien. En revanche, d’autres conclusions de cet examen n’ont pas été prises en compte, en particulier l’argument selon lequel les normes internationales en vigueur en matière de lustration, au sens classique, tel qu’exposées, notamment, dans la Résolution (1996)1096 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ne s’appliquent pas à la situation ukrainienne car il n’y a pas eu de transition récente d’un régime totalitaire à un système démocratique. Les propositions législatives demeurent inchangées.

32.  Le CCJE a également participé à l’élaboration d’un avis conjoint de la Commission de Venise et de la Direction des droits de l’homme de la Direction générale des droits de l’homme et de l’Etat de droit du Conseil de l’Europe sur un autre projet de loi ukrainien sur la lustration intitulé « projet de loi sur l’intégrité du gouvernement ». Ce texte concernait divers agents de l’Etat, y compris les juges et prévoyait que certains hauts responsables seraient automatiquement démis de leurs fonctions, que d’autres seraient révoqués s’ils avaient été membres du Parti communiste ou de l’une de ses organisations, s’ils avaient été condamnés pour corruption ou « contribué à l’usurpation du pouvoir » par l’ancien président ukrainien ou s’il existait un décalage entre le patrimoine déclaré et les revenus. Là encore, il n’a pas été possible de convaincre les autorités ukrainiennes de recourir à d’autres moyens d’engager la responsabilité des juges, par exemple par des procédures disciplinaires ou pénales.

33.       Par ailleurs, avec la participation du CCJE, la loi sur le respect du droit à un procès équitable a été examinée dans un avis conjoint de la Commission de Venise et de la Direction des droits de l’homme. Dans ses dispositions transitoires, cette loi prévoit un troisième processus de lustration des juges, qui doivent se conformer à un processus d’évaluation spécial comprenant notamment un examen théorique et pratique de leurs capacités et de leurs connaissances et susceptible d’entraîner, dans des cas extrêmes, leur révocation par les autorités compétentes.

34.       Dans ces trois examens, il a été souligné que la réforme la plus urgente pour sauvegarder les normes internationales était la réforme constitutionnelle, qui devrait permettre de réduire la forte influence qu’ont le président et le parlement sur le processus de nomination et de révocation des juges et sur la composition du conseil judiciaire suprême. Les débats sur cette réforme sont toujours en cours.

35.       En novembre 2014, la Cour suprême de l’Ukraine a introduit son premier recours en inconstitutionnalité concernant les dispositions de la loi relative à l’intégrité du gouvernement (dite « loi de lustration »). Dans sa requête, elle fait valoir que les dispositions relatives à la révocation des juges ayant rendu des arrêts en relation avec les manifestations survenues à Kiev en 2013-2014 sont anticonstitutionnelles. Elle indique également que ces juges seront déjà susceptibles d’être révoqués au titre des dispositions de la « loi sur la restauration de la confiance dans le pouvoir judiciaire » et qu’il existe donc une double menace. La Cour constitutionnelle de l’Ukraine a accepté d’examiner l’affaire en décembre 2014. Aucune décision n’a pour l’instant été rendue.

A3. Autres tentatives visant à démettre des juges de leurs fonctions

36.  Les procédures disciplinaires ou, en cas de faute extraordinaire et par conséquent criminelle, les procédures pénales sont les moyens par lesquels les juges sont soumis à l’obligation de rendre des comptes et, le cas échéant, révoqués. Or, ces moyens sont parfois détournés.

37.       MEDEL a indiqué, le 20 juillet 2015, qu’il avait suivi l’affaire des quatre juges de la Cour suprême géorgienne révoqués. A cet égard, MEDEL a indiqué que des progrès avaient été accomplis depuis les élections législatives d’octobre 2012. Une nouvelle phase de réforme judiciaire avait été engagée par le nouveau gouvernement, en concertation avec les représentants du pouvoir judiciaire. Ainsi, dans un climat de tension pourtant, les modifications apportées à la loi sur les tribunaux ordinaires avaient renforcé l’indépendance du système judiciaire. Le gouvernement avait exprimé son engagement politique à ne pas intervenir dans le système judiciaire et le travail des tribunaux. Reste désormais, d’après MEDEL, à concrétiser cet engagement. En ce qui concerne les quatre juges révoqués, en 2007, la Commission de Venise (avis n° 408/2006) avait conclu que la loi invoquée pour révoquer plusieurs juges de la Cour suprême géorgienne, ainsi que la mesure même, constituaient une menace pour le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans un avis, le Comité des droits de l’homme et de l’intégration civile du Parlement géorgien (Kutaisi, 6 août 2013) a conclu que les poursuites engagées contre les anciens juges de la Cour suprême étaient motivées par des considérations politiques et que le parlement géorgien devrait envisager de rétablir les droits de ces juges. Le parlement a demandé au Haut Conseil de la justice de la Géorgie son avis sur la constitutionnalité de la révocation des juges. Si les juges du Haut Conseil de la justice ont estimé qu’ils n’avaient pas compétence à se prononcer sur le sujet, les membres non professionnels du Haut Conseil ont conclu que la révocation était anticonstitutionnelle et contraire au principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire (18.03.2015). Un règlement à l’amiable pourrait être possible dans l’affaire Laliashvili et autres c. Géorgie (n° 88280) si leurs requêtes sont déclarées recevables par la Cour. Celle-ci n’a toutefois encore pris aucune décision quant à la recevabilité de la requête de Tamara Laliashvili ou des requêtes des autres juges. A la suite de la réintégration des juges Gvenetadze et Turava, d’autres mesures doivent être prises pour réintégrer les autres juges – Tamara Laliasvili et Murman Isaev, révoqués illégalement de la Cour suprême.

38.       Le rapport de situation de 2013 du CCJE soulevait le problème de la révocation de juges hongrois du fait de l’abaissement de l’âge de la retraite. Le représentant de la Hongrie au CCJE a signalé que depuis lors, les juges concernés avaient été soit réintégrés soit indemnisés. Ils avaient eu la possibilité de choisir, et la plupart avaient choisi l’indemnisation.

39.       L’Association européenne des juges (AEJ) a informé le CCJE du cas concret de deux juges turcs (Metin Özçelik et Mustafa Başer) qui ont été suspendus de leurs fonctions et arrêtés pour avoir pris des décisions présumées illégales. Une enquête pénale a été ouverte à leur encontre pour « soutien à une organisation terroriste ». La décision des juges de relâcher certains détenus n’a pas été exécutée. Des rapports européens et nationaux analogues sur la Turquie émanant de différents juges et avocats ont également été transmis au CCJE par le truchement de la Direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

40.       Le Bureau du CCJE, après consultation du représentant de la Turquie, a diffusé ses commentaires à cet égard (CCJE-BU(2015)5). Le CCJE n’était pas en mesure d’établir les faits des affaires sous-jacentes, et n’avait d’ailleurs pas pour mission de le faire, mais il a exprimé de sérieux doutes concernant les procédures et les décisions ayant conduit à la suspension et l’arrestation des deux juges. Le CCJE avait la forte impression que les juges avaient été révoqués parce qu’ils avaient pris certaines décisions, une impression renforcée par les nombreuses autres allégations selon lesquelles d’autres juges avaient été mutés contre leur volonté ces derniers mois.

La CCJE a réaffirmé que toute décision de muter des juges en raison des décisions qu’ils prononcent viole les principes de l’indépendance du pouvoir judiciaire et sape la confiance dans l’impartialité et l’indépendance de la justice dans son ensemble. Le CCJE a également explicitement condamné les tentatives visant à empêcher un juge de rendre sa décision. Il a souligné l’obligation qui incombe à tous, y compris les autres pouvoirs de l’Etat, d’accepter et d’exécuter les décisions judiciaires, car il s’agit d’une obligation essentielle de tout Etat qui découle des principes de l’état de droit. Le CCJE a cité son avis n° 13(2010) sur le rôle des juges dans l'exécution des décisions judiciaires (en particulier le paragraphe 7).

41.       A titre de précision générale, le CCJE a souligné que, si les enquêtes pénales visant des juges et des tribunaux ne sont pas illégales et que les juges ne bénéficient pas d’une immunité générale, les autorités concernées devaient respecter, garantir et faciliter le bon fonctionnement de la justice, qui est le troisième pouvoir de l’Etat. Il en découle que la plus grande prudence est de mise avant qu’une autorité de poursuite engage des mesures d’enquête susceptibles d’entraver ou d’empêcher le bon déroulement des procédures judiciaires. Dans cet esprit, la suspension d’un juge, voire son arrestation, au motif qu’il ou elle a rendu ou a tenté de rendre une décision, sont justifiées uniquement dans des circonstances absolument exceptionnelles. Une telle suspension et/ou arrestation équivaut nécessairement à empêcher le juge d’exercer ses fonctions en justice alors que, d’une manière générale, les décisions rendues par les juges devraient uniquement pouvoir être contestées en appel.

          Le Bureau du CCJE a souligné que, si l’efficacité des juges dans l’exercice de leurs fonctions officielles suscite des critiques, voire conduit à des enquêtes disciplinaires ou pénales, ces procédures doivent invariablement suivre les principes fixés en la matière par les lois applicables, conformément aux principes de régularité des procédures énoncés dans ces lois, et doivent être menées avec toutes les garanties procédurales nécessaires, pour toutes les parties concernées. Il est absolument inacceptable de remplacer ces procédures formelles par des mesures visant à sanctionner tel ou tel juge pour des arrêts qu’il ou elle aurait rendus ou pour influencer les futurs arrêts qu’il ou elle pourrait rendre.

A4. Mutation de juges

42.       D’après le rapport du représentant de la Belgique au CCJE, la réforme de la justice consiste également à imposer une nouvelle politique de mobilité, en particulier pour les juges. La section de législation du Conseil d’Etat a émis un avis critique sur la réforme et notamment sur cet élément, globalement considéré comme susceptible de porter atteinte à l’essence même du principe constitutionnel de l’inamovibilité. Le rapport de situation de 2013 mettait déjà en garde contre de tels développements.

43.       Le Groupement des magistrats luxembourgeois a adressé une lettre au CCJE le 2 octobre 2014 pour attirer son attention sur une modification de la loi relative à l’organisation judiciaire au Luxembourg par laquelle le président de la Cour supérieure de justice a le pouvoir, par ordonnance rendue sur les réquisitions du Procureur général d’Etat ou sur l’avis de celui-ci, de déléguer temporairement un magistrat d’un tribunal d’arrondissement au poste d’un autre magistrat.

           

44.  Ce problème a été examiné par le Bureau du CCJE et le CCJE a adopté un commentaire à cet égard (document CCJE-BU(2014)7). Le CCJE a réaffirmé que l’inamovibilité des juges est le corollaire nécessaire de leur indépendance et doit, comme celle-ci, être garantie au niveau interne le plus élevé par chaque Etat membre du Conseil de l’Europe. Un juge ne devrait recevoir une nouvelle affectation ou se voir attribuer d’autres fonctions judiciaires sans y avoir consenti, sauf en cas de sanctions disciplinaires ou de réforme de l’organisation du système judiciaire.

45.       Le représentant du Luxembourg au CCJE a précisé, le 16 octobre 2015, que la situation était en train d’être réglée, conformément au commentaire du CCJE.

46.       Au cours de l’année 2015, le CCJE a reçu plusieurs informations selon lesquelles des juges en Turquie avaient été mutés vers d’autres juridictions en raison des décisions qu’ils avaient rendues. La FEJA a indiqué que plusieurs juges administratifs étaient concernés par de telles menaces à leur indépendance sous la forme d’une mutation vers d’autres juridictions (fiscales principalement), d’un retrait soudain de certaines affaires ou d’une révocation à la suite de décisions qu’ils avaient prises. Ce type de problème a déjà été abordé de manière plus générale dans le rapport de situation de 2013.

A5. Pression directe

47.       En février 2015, le Conseil des juges d’Ukraine (CJ) a adopté sa Décision n° 1 et a adressé une lettre ouverte aux autorités publiques ukrainiennes et aux principales organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe (le CCJE et d’autres organes) pour connaître leur point de vue sur ce qui était décrit comme une situation menaçante pour le système judiciaire en Ukraine. En raison des dites « lois de lustration », plusieurs agents de l’Etat avaient été limogés par les autorités compétentes. Plusieurs juges avaient contesté ces mesures en justice et, dans ce cadre, avaient subi des pressions de la part de personnes et de groupes ; les médias avaient vivement critiqué certaines affaires et les représentants du ministère ukrainien de la Justice ainsi que certains députés avaient même menacé de révoquer certains juges et d’engager leur responsabilité pour avoir rendu certaines décisions, lesquelles n’avaient néanmoins pas été exécutées.

48.       Les juges dénonçaient également l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre de certains d’entre eux, conformément à l’article 375 du Code pénal ukrainien (relatif aux sentences, jugements, décisions ou ordonnances injustes rendus sciemment par un ou des juges), qui constituaient, selon eux, une tentative de pression indue sur les tribunaux. Dans cet esprit, le CJ a décidé d’adresser au Procureur général de l’Ukraine une proposition visant à examiner les raisons de fond des poursuites pénales engagées au titre de l’article 375 du Code pénal. Le CJ a également attiré l’attention des juges sur le fait qu’ils étaient légalement tenus d’informer les services répressifs de toute intervention dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles.

49.       Le 4 juin 2015, le CJ a souligné l’absence de tendance à la baisse des pressions exercées sur les juges, comme le confirmaient les nombreuses réclamations qu’il avait reçues de la part de juges. Les actions intentées par des organisations publiques et des particuliers pour exprimer leur attitude à l’égard de l’autorité judiciaire ont souvent été suivies d’attaques et d’actes d’influence indus, qui ont eu tendance à devenir systématiques. Le nombre de demandes de députés exprimant des exigences ou des offres en relation avec l’examen de certaines affaires a augmenté, ce qui équivaut essentiellement à une immixtion dans l’exercice des fonctions des autorités judiciaires.

50.       Le 20 février 2015, le président du tribunal administratif du district de Kiev, en Ukraine, a adressé une lettre au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe alléguant de perquisitions menées par des représentants du ministère public et la police dans certaines salles d’audience, auprès de juges et de personnels des tribunaux, et affirmant que ces mesures étaient infondées et visaient à exercer des pressions sur le pouvoir judiciaire. Le Secrétaire Général a transmis ces griefs au CCJE et au Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE), pour examen. Le Bureau du CCJE a élaboré ses commentaires (document CCJE-BU(2015)4 du 5 mai 2015) en réponse à cette réclamation et a réaffirmé que les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice et de l’indépendance personnelle des juges constituaient des conditions préalables nécessaires à une société démocratique régie par l’état de droit.

         

51.       Le représentant de l’Ukraine au CCJE, par une lettre du 30 mars 2015, a attiré l’attention du CCJE sur la lettre ouverte du Conseil des juges d’Ukraine, ainsi que sur sa Décision n° 1, datée du 5 février 2015. Les membres du Bureau ont examiné la réclamation en question et élaboré une réponse du CCJE, qui a été intégrée aux commentaires déjà formulés par le CCJE (document CCJE-BU(2015)4). 

52.       Le représentant de l’Ukraine au CCJE a indiqué, le 19 juin 2015, qu’en février 2014, le président de la Cour suprême ukrainienne avait invité dans une lettre ouverte le parlement à soutenir l’initiative du Président de l’Ukraine concernant l’adoption de la loi renforçant les garanties de l’indépendance judiciaire et la protection des droits et de la sécurité des juges et de la famille. De nombreux cas de pressions indues exercées à l’encontre de juges, d’agressions et d’actes d’intimidation ont été cités comme ayant motivé cette initiative, à l’image de l’agression armée et du meurtre du juge d’un tribunal d’arrondissement, qui constituent la motivation sous-jacente de la lettre. Le meurtre d’un juge du tribunal du district de Kharkiv et de membres de sa famille n’a toujours pas fait l’objet d’une enquête. Le projet de loi susmentionné a été retiré du parlement en novembre 2014. Apparemment, les juges ont continué à subir des menaces et des attaques en 2014.

A6. Influence du pouvoir exécutif sur l’administration de la justice

53.  La FEJA a signalé le 15 juillet 2015, à propos des nouveaux tribunaux administratifs de première instance créés récemment en Autriche, que, dans certaines provinces autrichiennes (Länder), le président du tribunal administratif est soumis aux ordres du gouvernement de la province dans l’exercice de ses fonctions administratives. Dans ces provinces (Vienne, par exemple), l’administration de la justice est largement sous l’influence du gouvernement de la province, ce que la FEJA juge n’être pas conforme aux articles 4 et 7 de la Recommandation Rec(2010)12.

54.       Le 15 juin 2015, le représentant de la Belgique au CCJE a informé ce dernier qu’en 2014, le Service public fédéral Justice a perdu son autonomie en matière de recrutement de personnel. Le système judiciaire est assimilé à cet égard à une administration publique : aucun magistrat, greffier ou secrétaire ne peut être nommé ou promu sans l’accord de l’Inspection des finances, qui contrôle uniquement les implications financières et économiques de la décision, sans prendre en considération la nécessité fonctionnelle des membres du système judiciaire.

La loi du 18 février 2014 a pour but de transférer la gestion du service public de la justice à des organes nouvellement créés au sein de l’administration judiciaire. L’article 41 de cette loi confie au roi le soin de déterminer l’ampleur, le phasage et les modalités du transfert des compétences de gestion. Cela soulève la question de la légalité de l’organisation judiciaire proposée. La loi du 18 février 2014 établit un système en vertu duquel les décisions de gestion du Collège des cours et tribunaux et de la Cour de cassation sont soumises à la surveillance des ministres de la Justice et des Finances. L’un des outils de cette surveillance est un contrat de gestion. Ce concept juridique est tiré de la loi sur les entreprises publiques autonomes. L’objectif déclaré est d’imposer certaines priorités aux collèges et à la Cour, d’orienter les moyens qui leur sont fournis en fonction de ces priorités, et donc de permettre à l’exécutif de jouer un rôle important dans la définition des politiques judiciaires. La loi autorise le ministre de la Justice à substituer sa propre décision à celle d’un collège à la suite d’un recours du comité de direction d’une entité judiciaire. Une double surveillance est aussi établie pour l’annulation des décisions. Le Collège des cours et tribunaux peut annuler une décision du comité de direction si celle‑ci est jugée contraire à une directive contraignante ou au plan de gestion. La loi crée en outre un mécanisme de contrôle et d’annulation des décisions du Collège des cours et tribunaux et du comité de direction de la Cour de cassation. Ce mécanisme prend la forme de la participation de deux délégués du ministre aux réunions des collèges et du comité de direction de la Cour de cassation, qui peuvent former un recours contre toute décision auprès du ministre de la Justice.

Le Collège des cours et tribunaux et la Cour de cassation de Belgique considèrent que ce système dans son ensemble méconnaît l’indépendance de la magistrature. Il crée un danger d’ingérence de l’exécutif dans l’exercice du pouvoir judiciaire.

55.  La FEJA a également signalé l’intervention suivante de l’administration dans le travail des juges en Lettonie. Bien que le juge administratif ait le droit de fixer la date de la première audience  (audience initiale) dans une affaire particulière, dans certains tribunaux régionaux (et surtout dans les juridictions administratives régionales), c’est le président qui, en pratique, décide de la date. Cela a des conséquences pratiques, car les juges peuvent avoir besoin de reporter une audience lorsqu’un jugement n’est pas prêt à être prononcé à la date prévue. La FEJA considère que cela n’est pas conforme aux articles 4 et 6 de la Recommandation Rec(2010)12.

 

56.       Le représentant de la Pologne au CCJE a indiqué qu’en Pologne l’indépendance des juridictions ordinaires (tribunaux de district, tribunaux régionaux et cours d’appels) n’est garantie qu’en matière de jugement, car le contrôle judiciaire de ces tribunaux est dévolu à la Cour suprême. Le contrôle administratif des tribunaux ordinaires, en revanche, est dévolu au ministre de la Justice. Ce dernier est aussi responsable de la part du budget se rapportant aux activités de ces tribunaux, tandis que, dans les tribunaux eux‑mêmes, les compétences du ministre en la matière sont délégues à des fonctionnaires qui dépendent de lui : les « directeurs des tribunaux ». La forte position d’une instance de l’exécutif – le ministre de la Justice – vis‑à‑vis des juridictions ordinaires est un trait traditionnel du système juridique polonais. Le rôle important que continue à jouer cet élément traditionnel dans l’interprétation de la réglementation applicable a été confirmé par la Cour constitutionnelle qui, dans un arrêt de janvier 2009, a déclaré que le contrôle administratif exercé par le ministre de la Justice sur les juridictions ordinaires était conforme à la Constitution. Dans un arrêt de mars 2013, la Cour constitutionnelle a également jugé que les dispositions de la loi sur la structure organisationnelle des juridictions ordinaires autorisant le ministre à créer et à supprimer des tribunaux par la voie réglementaire n’étaient pas contraires à la Constitution. Dans les deux cas, c’est le Conseil national de la magistrature qui avait pris l’initiative d’introduire une demande d’examen du caractère constitutionnel des dispositions légales.

Les arrêts de la Cour constitutionnelle ont été mal accueillis par de nombreux commentateurs juridiques car ils restreignent la notion constitutionnelle d’indépendance et la souveraineté des juridictions ordinaires à la sphère du jugement. Le Conseil national de la magistrature était d’avis que la souveraineté de la justice devait être affirmée en privant le ministre de la Justice de tout contrôle sur le fonctionnement des tribunaux. La fonction de contrôle devrait être confiée à un organe public indépendant, par exemple le Conseil national de la magistrature de Pologne ou une autorité administrative judiciaire spécifique créée à cette fin. L’arrêt de la Cour constitutionnelle confirmant le droit du ministre de la Justice de créer et supprimer des juridictions ordinaires a aussi été reçu de façon très critique par les collectivités locales. En effet, depuis le 1er janvier 2013, le ministre de la Justice a dissous 79 des plus petits tribunaux de district, en les intégrant à des entités plus larges en tant qu’antennes locales. Un quart des tribunaux de district ont ainsi été supprimés. Ces tribunaux facilitaient l’exercice par les citoyens de leur droit à un procès équitable. C’est pourquoi, bien que la Cour constitutionnelle ait indirectement déclaré que la réforme engagée par le ministre de la Justice était conforme à la Constitution, le Président polonais a soumis au parlement, en 2014, un projet de loi visant à rétablir la plupart des tribunaux dissous. Cette loi a été adoptée et, depuis le 1er janvier 2015, soit deux ans après leur dissolution, la plupart des tribunaux de district supprimés ont été rétablis.

En dépit de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de janvier 2009, la question de savoir quels aspects du fonctionnement des tribunaux doivent être placés sous le contrôle administratif du ministre de la Justice demeure litigieuse : ce contrôle doit‑il s’appliquer uniquement aux activités économiques et financières des tribunaux en tant qu’entités budgétaires, ou le ministre doit‑il aussi pouvoir intervenir à propos de l’efficience des procédures judiciaires et, si oui, dans quelle mesure ? La modification apportée à la loi sur la structure organisationnelle des juridictions ordinaires, adoptée en 2011 et entrée en vigueur en janvier 2013, a accru les pouvoirs de gestion dévolus aux directeurs des tribunaux (fonctionnaires dépendant du ministre de la Justice), en restreignant le contrôle exercé par les présidents des tribunaux sur leur fonctionnement, notamment en ce qui concerne les mesures relatives au personnel administratif. Les présidents des tribunaux, bien qu’occupant encore formellement une position hiérarchique plus élevée que celle des directeurs de tribunaux, ne disposent pas en fait d’outils efficaces leur permettant de peser sur l’action des directeurs de tribunaux, qui sont responsables devant le ministre de la Justice (le ministre les nomme et les relève de leurs fonctions, fixe leur salaire, décide de leurs primes et indemnités, de leur promotion, etc.). Le Conseil national de la magistrature a critiqué les solutions retenues, en soulignant leur caractère dysfonctionnel et la menace qu’elles font peser sur l’indépendance des tribunaux en tant que branche du pouvoir indépendante de l’exécutif. En 2012, le Conseil a introduit une requête devant la Cour constitutionnelle contestant le caractère constitutionnel de ces mesures. En novembre 2013, la Cour a jugé que la décision de confier aux directeurs des tribunaux la gestion du personnel administratif des tribunaux, en contournant les présidents de tribunaux, était conforme à la Constitution.

57.  Le représentant de la Pologne au CCJE a indiqué en outre que les dernières modifications apportées à la loi sur la structure organisationnelle des tribunaux ordinaires, qui portent sur la relation entre les juges/tribunaux et le ministre de la Justice, soulevaient un problème particulier. Le maintien de l’indépendance des tribunaux et des juges sous le contrôle administratif du pouvoir exécutif est l’un des problèmes cruciaux du système judiciaire. L’expression « contrôle administratif » est d’ailleurs trompeuse car, en fait, ce contrôle ne porte pas seulement sur les activités administratives des tribunaux mais aussi sur certains aspects comme les délais. Les prérogatives du ministre de la Justice polonais comprennent également : l’ouverture de procédures disciplinaires à l’encontre de juges, le détachement de juges (transfert temporaire de juges au ministère de la Justice), le contrôle de l’Ecole nationale de la magistrature ; le ministre intervient également dans la nomination des présidents de tribunaux.

Face à l’introduction d’un nouvel amendement à la loi sur la structure organisationnelle des juridictions ordinaires donnant au ministère de la Justice le pouvoir d’exiger des présidents de cour d’appel la communication de dossiers d’affaires, le Conseil national de la magistrature, agissant dans l’intérêt de l’indépendance des tribunaux et des juges, a déclaré que cet amendement était inconstitutionnel. Le représentant de la Pologne au CCJE a exprimé l’avis que ces dispositions et, en particulier, le pouvoir accordé au ministre de la Justice d’obtenir le dossier de n’importe quelle affaire, notamment dans le cas d’un litige entre un individu et l’Etat, mettait gravement en doute la possibilité de tenir un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial. La Cour constitutionnelle polonaise a jugé depuis lors que l’amendement était inconstitutionnel.

B.           Des atteintes aux principes concernant la composition et le fonctionnement des Conseils de la justice

58.       L’indépendance de la justice peut aussi être remise en cause par l’affaiblissement de l’organe chargé de défendre l’indépendance des magistrats ; il s’agit souvent du Conseil de la justice. Il peut être affaibli de plusieurs manières : modification de sa composition ou des règles d’élection de ses membres, réduction de ses pouvoirs ou réduction des ressources à sa disposition, financières ou autres.

59.       Les Conseils de la justice sont des instances qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire (Recommandation Rec(2010)12, article 26). La mise en place de tels Conseils est préconisée par le CCJE dans ses Avis n° 1(2001) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges (paragraphe 45) et n° 10(2007) sur le Conseil de la Justice au service de la société et par la Commission de Venise (le rapport sur l’indépendance du système judiciaire, partie I: l’indépendance des juges (paragraphe 32), adopté par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière (Venise, 12-13 mars 2010)) et la Recommandation Rec(2010)12 qui traite de ce point aux paragraphes 26 à 29.

60.       Ces textes susmentionnés traitent aussi de la composition des Conseils. D’après la Recommandation Rec(2010)12, au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire. L’Avis n° 10 (2007) du CCJE et la Magna Carta des juges indiquent que les Conseil de la justice devraient se composer d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs. Cet Avis prévoit aussi que les modalités d’élection des juges garantissent la plus large représentation possible de tous les degrés du système de justice. Il précise que les membres des Conseil de la justice ne devraient être ni des responsables politiques ni des membres du Parlement, du pouvoir exécutif ou de l’administration.

61.  Le rapport de situation de 2013 signalait l’absence d’un Conseil de la justice en République tchèque. Le 29 mai 2015, le représentant de la République tchèque au CCJE a déclaré que, depuis 2013, aucun développement significatif n’était intervenu à ce sujet. La République tchèque ne dispose toujours pas d’une forme d’autogouvernement de la justice. Le nouveau ministre de la Justice a même dissous la commission mise en place en vue de la création d’un tel organe.

62.       Le 11 septembre 2015, le représentant de la France au CCJE a déclaré que l’indépendance des juges était assez bien garantie grâce à la participation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) aux procédures de nomination et de promotion des juges. Même si, formellement, toutes les nominations doivent faire l’objet d’un décret du Président de la République, les décisions de nomination des juges de la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d’appel et des autres présidents de tribunaux appartiennent au CSM. Les nominations et promotions de tous les autres juges ont lieu sur proposition du ministre de la Justice, qui doit ensuite obtenir l’accord du CSM. Par conséquent, les responsabilités en la matière sont toujours partagées entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire, afin d’assurer la pleine indépendance de ce dernier. En France existe le principe de l’unité du corps des juges et procureurs : tout magistrat peut être nommé juge ou procureur et peut, au cours de sa carrière, passer d’une fonction à l’autre. Néanmoins, le statut des juges diffère de celui des procureurs : les juges sont indépendants et inamovibles, tandis que les procureurs sont hiérarchiquement subordonnés au ministre de la Justice qui occupe le sommet de la hiérarchie ; ils peuvent donc être mutés sans leur accord. Le CSM ne joue qu’un rôle consultatif lors des nominations de procureurs et le ministre n’est pas tenu de respecter ses avis. Une réforme prévoit d’accroître les pouvoirs du CSM en faisant de l’accord de ce dernier une condition nécessaire aux décisions de nomination de procureurs.

63.       Ce projet positif mis à part, il convient d’examiner la composition du CSM, ainsi que ses compétences. Dans le rapport de 2013, la composition du CSM faisait déjà l’objet de certaines critiques. Le représentant de la France au CCJE a souligné que les juges étaient minoritaires au sein du CSM. Il a indiqué que les conditions de nomination des membres du CSM, tant ceux des magistrats que ceux des membres extérieurs au système judiciaire, étaient actuellement discutées. Il a aussi mentionné l’absence de compétence du CSM concernant la formation des juges et la détermination du budget de la justice. Le débat sur la réforme du CSM se poursuit.

64.       Le 1er juillet 2015, le représentant de l’Irlande au CCJE a déclaré que le travail de discussion et d’élaboration du fondement juridique nécessaire à la création d’un Conseil de la justice se poursuivait et était déjà très avancé. Il reste à voir si ces dispositions juridiques seront promulguées avant les prochaines élections législatives, qui auront lieu au plus tard au printemps 2016.

 

65.       Le 19 mai 2015, le représentant de Malte au CCJE a signalé qu’un débat était en cours à Malte sur la réforme du Conseil de la justice. Le Conseil de la justice est composé en majorité de membres de la magistrature, mais il ne dispose d’aucun pouvoir exécutif et peut seulement émettre des avertissements.

66.       Le 27 mai 2015, le représentant de la Slovaquie au CCJE a fait état de progrès importants concernant le Conseil judiciaire. Aux termes de la loi constitutionnelle modifiant et complétant la Constitution de la République slovaque, depuis le 1er septembre 2014, la moitié des membres du Conseil judiciaire (CJ) sont élus par leurs pairs et l’autre moitié nommés par le ministère de la Justice (3), élus par le parlement (3) et nommés par le Président (3). Les compétences du président du CJ, ainsi que celles du CJ lui‑même, ont été étendues dans certains domaines concernant la magistrature.

 

67.       Le 10 octobre 2015, le représentant de l’Espagne au CCJE a signalé qu’en 2013, le Conseil général du pouvoir judiciaire a été réformé par la loi organique n° 4/2013 et, en conséquence, les membres de cet organe sont désormais nommés par le parlement sur la base d’un système de quotas entre les principaux partis politiques. Le Conseil général du pouvoir judiciaire est l’organe qui s’occupe en Espagne de questions sensibles comme les sanctions disciplinaires et la promotion professionnelle des juges. En raison de ses liens politiques manifestes, le Conseil général du pouvoir judiciaire ne peut garantir la séparation des pouvoirs de l’Etat. Au contraire, sa configuration même (puisqu’il se compose de juges et d’avocats choisis par les autorités politiques) constitue une menace potentielle pour l’indépendance judiciaire.

 

68.       Le rapport du GRECO de 2013, adopté lors de sa 62e réunion plénière (Strasbourg, 2‑6 décembre 2013), recommandait ce qui suit dans la section portant sur les juges espagnols : analyser le cadre législatif régissant le Conseil général du pouvoir judiciaire et ses répercussions sur l’indépendance effective ou perçue de cet organe ; inscrire dans la loi des critères objectifs et des règles d’évaluation pour les nominations aux hautes fonctions de l’ordre judiciaire. Les autorités espagnoles n’ont pas encore soumis au GRECO les mesures prises pour mettre en œuvre ces recommandations. La loi organique n° 7/2015 du 21 juillet 2015, en vigueur depuis le 1er octobre 2015, contenait des éléments allant à l’encontre de l’indépendance de la justice. La réforme a également eu des conséquences négatives sur la charge de travail des juges.

69.       Comme indiqué plus haut, le 10 janvier 2014, le CCJE a reçu du Secrétaire général adjoint du Haut Conseil des juges et des procureurs (HCJP) de Turquie une requête concernant le projet de loi visant à modifier la loi sur le HCJP et d’autres lois connexes. En outre, le 9 janvier 2014, le CCJE a reçu une communication de MEDEL, accompagnée d’une lettre de l’Association des juges et procureurs de Turquie (YARSAV), faisant part de ses préoccupations au sujet de ce projet de loi. L’AEM a également demandé un examen de ces amendements. La crainte était que ces amendements ne mettent en danger l’indépendance du HCJP et du système judiciaire turc dans son ensemble.

70.       Le Bureau du CCJE a préparé des commentaires le 12 février 2014 [document CCJE‑BU(2014)2], dans lesquels il constate que la réforme principale contenue dans l’ensemble de mesures proposées, qui concerne les prérogatives du HCJP et les pouvoirs en son sein, entraînerait un très fort accroissement de l’influence du ministre de la Justice, y compris sur la nomination des juges et des procureurs, et permettrait au ministre de la Justice d’intervenir dans le fonctionnement du HCJP. Les compétences du HCJP s’en trouveraient réduites, sa structure interne et les pouvoirs en son sein seraient réorganisés, l’Académie de la justice turque serait restructurée, le HCJP ne serait plus responsable de la formation continue et les fonctions de l’ensemble de la direction et des autres membres du personnel du HCJP cesseraient au moment de l’entrée en vigueur de la loi. Tout cela va à l’encontre des normes européennes mentionnées plus haut.

71.       Le 19 juin 2015, le représentant de l’Ukraine au CCJE a indiqué qu’avec l’entrée en vigueur de la loi « sur le rétablissement de la confiance dans la justice » en avril 2014, les pouvoirs des membres du Haut Conseil de la justice d’Ukraine (HCJ) et de la Haute Commission de qualification des juges d’Ukraine (HCQJ), à l’exception des membres qui en font partie au titre de leurs fonctions (président de la Cour suprême, ministre de la Justice, procureur général), seraient résiliés par les dispositions transitoires de cette loi. Le travail des deux principaux organes s’occupant de la nomination, de la révocation et de la responsabilité disciplinaire des juges serait donc gelé. Les pouvoirs des délégués du Congrès des juges, le plus haut organe autonome habilité à nommer les membres du HCJ et de la HCQJ et les juges de la Cour constitutionnelle, seraient aussi résiliés. Le parlement, le Président de l’Ukraine, le Congrès des juges, le Congrès des avocats et le Congrès des représentants des facultés de droit de l’enseignement supérieur et des institutions scientifiques a dû nommer trois membres du HCJ chacun et la Conférence pan-ukrainienne des procureurs deux membres. L’élection des nouveaux membres du HCJ par certains de ces organes a été retardée pour différentes raisons et, par conséquent, les organes dont la composition a été renouvelée n’ont pu commencer leur travail qu’en juin 2015. A cause de ce retard, certains juges n’ont pu prendre leur retraite ou être mutés dans un autre tribunal. Pour le moment, le quorum du HCJ a été établi. Cependant, le Conseil de la justice devrait être composé en majorité de juges élus par leurs pairs. Ce n’est toujours pas le cas, ce qui est contraire aux normes européennes.

C.           Des diminutions de la rémunération des juges 

72.       L’indépendance des juges passe aussi par l’indépendance économique, qui doit être inscrite dans la loi. La Recommandation Rec(2010)12 dispose que la rémunération des juges devrait être à la mesure de leur rôle et de leurs responsabilités et être de niveau suffisant pour les mettre à l’abri de toute pression visant à influer sur leurs décisions et de tout risque de corruption. Le versement d’une pension de retraite dont le niveau devrait être raisonnablement en rapport avec celui de la rémunération des juges en exercice devrait également être garanti. Des dispositions légales spécifiques devraient être introduites pour se prémunir contre une réduction de rémunération visant spécifiquement les juges. La même proposition figure dans l’Avis n° 1 (2001) du CCJE et dans la Charte européenne sur le statut des juges.

73.       Même en temps de crise économique, les pouvoirs législatif et exécutif des différents Etats membres devraient comprendre qu’une forte réduction des salaires des juges fait peser un risque sur leur indépendance et sur la bonne administration de la justice et peut nuire au travail des juges, sur un plan objectif comme subjectif. Lorsqu’elles s’avèrent nécessaires, de telles mesures devraient toujours être limitées dans le temps (voir Avis n° 2(2001) relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la CEDH, paragraphe 12).

74.       Plusieurs pays confrontés à une crise économique ont opté pour une diminution des salaires des agents de la fonction publique, y compris les juges. Quels que soient les motifs de ce type de mesures, la rémunération des juges ne peut faire l’objet d’une réduction proportionnellement supérieure à celle appliquée aux autres agents de la fonction publique. Cela violerait le principe d’égalité, consacré comme principe général du droit, et contredirait le paragraphe 54 de la Recommandation Rec(2010)12.

75.       Dans le rapport sur la situation de 2013, des réductions des salaires des juges ont été signalées en Allemagne, à Chypre, en Espagne, en Grèce, en Irlande, en Italie, en Lettonie, au Portugal, en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie. Depuis lors, il n’y a eu aucune réclamation et aucun rapport sur les développements de la part de l’Italie, de la Lettonie, du Portugal et de l’Espagne.

76.       Le 16 octobre 2015, lereprésentant de la Bulgarie au CCJE a indiqué qu’il existait des tensions entre le système judiciaire et l’exécutif à cet égard et que le Haut Conseil judiciaire de la Bulgarie consulterait le CCJE sur le problème de la rémunération des juges.

77.       Le 29 mai 2015, le représentant de la République tchèque au CCJE a signalé un développement positif : les juges ont obtenu gain de cause dans la procédure engagée contre l’Etat, la Cour suprême ayant jugé illégales leurs réductions de salaires. Les salaires des juges ont été augmentés et l’Etat a dû leur verser une part du manque à gagner. Des responsables politiques (et des journalistes) ont saisi cette occasion pour lancer des attaques injustifiées de grande ampleur contre les juges.

78.       Le 4 juillet 2015, le représentant de l’Allemagne au CCJE a déclaré que, s’agissant de la rémunération des juges pendant les années 2003 à 2012, plusieurs requêtes étaient en instance devant la Cour constitutionnelle fédérale. Une décision récente de la Cour affirme l’existence d’un droit constitutionnel à une rémunération appropriée aux fonctions [article 33(5) de la Constitution allemande]. Les lois adoptées par le parlement pour réglementer cette rémunération ne peuvent faire l’objet d’un examen juridictionnel que pour déterminer si la rémunération est « manifestement insuffisante ». Les critères suivants peuvent être utilisés à cet égard : l’existence d’écarts importants entre la rémunération des juges et les salaires des autres agents publics sur une période de plusieurs années ; des écarts importants au regard de l’évolution du niveau général des salaires pendant plusieurs années ; des écarts importants au regard de l’indice général des prix ; une échelle inadaptée de rémunération sur la base du grade et de la promotion ; et des écarts de rémunération importants entre les Länder. La Cour a estimé qu’une présomption de rémunération insuffisante existait si au moins trois de ces cinq critères étaient présents. Les autres éléments à prendre en compte sont : le degré de qualification et de responsabilité, les autres avantages (par exemple la couverture médicale), la comparaison avec la rémunération de certaines professions extérieures à la fonction publique (par exemple les avocats en exercice), mais aussi les restrictions budgétaires. D’après la Cour, afin d’assurer la prise en considération de ces différents paramètres, le parlement est tenu de motiver la législation pertinente.

79.       Le 30 juin 2015, le représentant de la Hongrie au CCJE a signalé que l’élaboration d’un modèle progressif suivant l’évolution de carrière des juges avait beaucoup avancé. L’objectif est de présenter un projet final de modèle de carrière au gouvernement pour adoption en octobre 2015. Le projet a été préparé par l’Office national de la justice, le Conseil judiciaire national, l’Association hongroise des juges et le Syndicat des employés des tribunaux, en coopération et en partenariat avec la Cour suprême. Un organe spécialisé a été créé pour coordonner le travail et conduire les consultations des parties prenantes. L’initiative a bénéficié d’un soutien général au sein du système judiciaire. Comme première étape du réexamen détaillé du cadre de rémunération des personnels judiciaires, les salaires des préposés aux tribunaux (fonctionnaires de justice du grade le plus bas ne disposant d’aucun pouvoir indépendant) et des secrétaires des tribunaux (fonctionnaires de justice de grade plus élevé dotés d’un pouvoir indépendant dans certaines affaires) ont été relevés de 10 % à partir de 2015.

80.       Le 1er juillet 2015, le représentant de l’Irlande au CCJE a déclaré que l’un des points clés de la réforme judiciaire était la nécessité de créer un organe indépendant pour examiner les niveaux de rémunération et les conditions de service des membres de la magistrature, et remédier aux importantes réductions de salaire qui ont été appliquées. La mise en place d’un organe de contrôle indépendant des rémunérations est considérée par l’Association des juges d’Irlande (AJI) et par les membres du secteur judiciaire irlandais en général comme une véritable priorité. Le sujet a été traité lors de réunions entre les représentants du système judiciaire et le gouvernement. Il n’existe guère en principe d’opposition à la création d’un tel organe. Cependant, le gouvernement est d’avis que la question présente certaines implications et pourrait avoir des incidences sur les négociations générales entre le gouvernement et les syndicats de la fonction publique. C’est la raison pour laquelle il est fort peu probable que la question soit résolue avant les prochaines élections législatives. Elle demeure néanmoins une priorité majeure pour l’AJI.

81.       Pendant la période de ralentissement de l’économie, des réductions très importantes ont été imposées à la magistrature irlandaise, comme à toutes les autres personnes rémunérées sur fonds publics. Lorsque l’économie irlandaise a commencé à se rétablir, le gouvernement a engagé, très lentement et de façon graduelle, un processus de désactivation des dispositions financières d’urgence. La magistrature devrait bénéficier de ce processus mais les progrès en ce domaine restent très lents.

82.       Le 19 mai 2015, le représentant de Malte au CCJE a signalé que le salaire des juges était garanti par la Constitution mais que leur rémunération effective comprenait aussi des indemnités. Il n’est pas encore établi si ces indemnités peuvent être réduites par le gouvernement ou si elles sont également garanties. L’incertitude à ce sujet est perçue comme un élément de nature à réduire l’indépendance de la justice.

83.       Le 27 février 2015, l’Association des juges du Monténégro a contacté le CCJE pour obtenir son avis sur la question des salaires des juges, notamment parce que le ministère monténégrin des Finances a élaboré un projet de loi sur les salaires de la fonction publique qui contiendrait des dispositions pouvant avoir une incidence négative grave sur les droits des juges.

84.       Le Bureau du CCJE a examiné cette requête et préparé la réponse du CCJE le 14 avril 2015 dans laquelle celui‑ci approuve la participation des organisations professionnelles créées par les juges aux décisions concernant la détermination de leurs ressources financières, et leur allocation au niveau national et local, et rappelle la Recommandation Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités, ainsi que plusieurs avis du CCJE et la Magna Carta des juges adoptée en 2010, que le Monténégro devrait examiner et suivre.

85.       Le 27 mai 2015, le représentant de la Slovaquie au CCJE a déclaré que les difficultés persistaient : les juges sont en permanence dévalorisés et la revalorisation de leurs salaires est toujours en suspens, malgré les déclarations officielles sur la forte amélioration de l’économie slovaque. En outre, la modification prochaine du régime de sécurité sociale des juges pourrait entraîner une diminution importante du montant de leurs retraites.

86.       La FEJA a déclaré le 15 juillet 2015 que les problèmes qu’elle avait signalés en 2013 au sujet de la Slovénie n’existaient plus. Ces problèmes avaient été provoqués par les déclarations de certains partis politiques défendant l’idée que la rémunération des juges devrait dépendre de leurs performances. Quoi qu’il en soit, aucune modification n’a été introduite dans la loi.

87.       En ce qui concerne la Suède, la FEJA a mentionné, le 15 juillet 2015, son courrier du 13 janvier 2013 sur le problème posé par la rémunération des juges sur la base de leurs performances, qui n’est pas conforme à l’article 55 de la Recommandation Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités. La FEJA a indiqué que ce problème subsistait en Suède. Le travail des juges devrait être évalué lors de la détermination du salaire en vue d’un accord individuel de salaire avec chaque juge ; cependant, l’employeur ne doit pas faire dépendre le résultat de la décision du juge dans telle ou telle affaire. L’augmentation annuelle de rémunération peut varier, par conséquent, de 1 à 5 % (ou plus) dans un même tribunal. L’absence d’augmentation de salaire (0 %) n’a encore jamais été utilisée comme mesure disciplinaire à l’encontre d’un juge « désobéissant ». 

88.       Le 19 juin 2015, le représentant de l’Ukraine au CCJE a signalé que la loi sur le système judiciaire et le statut des juges, adoptée le 7 juillet 2010, prévoyait l’augmentation progressive des salaires des juges, afin de parvenir à un niveau de rémunération suffisant et conforme aux normes européennes. A partir du 1er janvier 2014, le salaire officiel d’un juge de tribunal local devait être égal à douze fois le montant du salaire minimum et, à partir du 1er janvier 2015, à quinze fois ce même montant. Cependant, à la fin de 2013, la disposition sur l’augmentation du salaire officiel en 2014 a été suspendue. Pendant l’été 2014, la rémunération maximale d’un juge (qui inclut le salaire et d’autres indemnités) a été plafonnée au niveau de quinze fois le montant du salaire minimum. A la fin de 2014, la disposition concernant l’augmentation du salaire officiel a été supprimée et en 2015, par conséquent, le salaire officiel d’un juge de tribunal local est demeuré au niveau de 2013, c’est-à-dire dix fois le montant du salaire minimum. En outre, la loi a plafonné la rémunération maximale des juges, qui comprend le salaire officiel, la prime d’ancienneté dans un poste administratif, la prime d’ancienneté dans la fonction publique et d’autres indemnités, à sept fois le montant du salaire minimum en 2015. Le Conseil des juges d’Ukraine a appelé à plusieurs reprises les organes de l’Etat à réexaminer ces changements qui vont directement à l’encontre de la Constitution ukrainienne et des normes européennes sur les principes de la rémunération des juges. Depuis avril 2015, ces restrictions ont été annulées au niveau législatif. D’autres changements portent sur les pensions de retraite des juges. La loi susmentionnée fixant le salaire officiel des juges à dix fois le montant du salaire minimum a ramené le niveau de la pension mensuelle de retraite des juges, qui est versée à vie, de 80 % à 60 % de leur rémunération mensuelle. Depuis le 1er juin 2015, le versement de ces pensions a été complètement interrompu.

D.           Le manque de ressources

89.       L’article 30 de la Recommandation Rec(2010)12 affirme que l’efficacité des juges et des systèmes judiciaires est une condition nécessaire à la protection des droits de toute personne, au respect des exigences de l’article 6 de la CEDH, à la sécurité juridique et à la confiance du public dans l’Etat de droit. D’après l’article 33 de la même recommandation, chaque Etat devrait allouer aux tribunaux les ressources, les installations et les équipements adéquats pour leur permettre de fonctionner dans le respect des exigences énoncées à l’article 6 de la CEDH et pour permettre aux juges de travailler efficacement. Dans son Avis n° 2 (2001), le CCJE soulignait déjà que les tribunaux devaient disposer de ressources suffisantes pour fonctionner conformément aux principes énoncées à l’article 6 de la CEDH.

90.       Le rapport de situation de 2013 signalait que l’insuffisance des ressources allouées aux tribunaux était un problème en Belgique, en France, en Irlande, au Portugal et en Espagne.

91.       Le 15 juin 2015, le représentant de la Belgique au CCJE a communiqué des informations sur la politique de réduction du personnel et du budget de la justice, qui met différentes entités judiciaires en situation de concurrence pour obtenir une part du financement disponible, financement qui leur est vital. Ces réductions nuisent au fonctionnement du système judiciaire et entravent son aptitude à remplir sa mission constitutionnelle. L’exécutif a décidé de pourvoir seulement 90 % des postes vacants, bien que le maintien de ces postes soit garanti par la loi. Le personnel des greffes n’a pas non plus été remplacé, alors que ces postes sont également inscrits dans le cadre juridique. Le nombre de postes vacants représente 15 à 20 % du nombre total de postes prévus par la loi. Plusieurs juridictions ont dû réduire les heures d’ouverture des greffes ou les services proposés aux usagers des tribunaux. Le manque de juges et d’autres personnels a contraint à reporter des audiences déjà programmées et à remettre l’examen d’autres affaires jusqu’à 2017 et au‑delà, dans l’attente de nominations.

 

Les bâtiments des tribunaux sont mal entretenus et insuffisamment sécurisés, ce qui met en danger la santé et la sécurité des personnes qui y travaillent et des usagers des tribunaux. La modernisation des systèmes informatiques ne progresse guère. Les rapports, requêtes, plaintes, avertissements et mises en demeure adressés à l’administration restent sans réponse ou reçoivent pour toute réponse une déclaration sur le manque de crédits budgétaires.

         

92.       Le 10 juillet 2015, le Conseil des barreaux européens (CCBE) a signalé qu’en Belgique, le ministre de la Justice avait déclaré dans un entretien récent qu’aucun investissement sérieux n’avait été effectué dans le système judiciaire depuis un siècle. Selon le CCBE, cette déclaration donne une idée claire de l’état de délabrement du système judiciaire. Le CCBE a déclaré que le découragement et la frustration de toutes les parties prenantes, et le manque de confiance des usagers des tribunaux, étaient devenus des problèmes réels.

93.       Le 11 septembre 2015, le représentant de la France au CCJE a déclaré que le système judiciaire était gravement affecté par les problèmes budgétaires. Si le budget de la justice française semble avoir échappé aux réductions draconiennes imposées à d’autres services publics, c’est – il faut le souligner – à cause du coût du système pénitentiaire, qui absorbe une part importante du budget de la justice. Les tribunaux souffrent quant à eux d’un manque de ressources humaines, que ce soit de juges, de procureurs ou d’autres personnels. Leur direction est donc contrainte d’établir des priorités dans le traitement des affaires civiles et pénales. Les ressources matérielles sont insuffisantes et l’équipement informatique est souvent ancien, inefficace et remplacé très tardivement. Les budgets des tribunaux ne permettent pas d’assurer le paiement en temps voulu des personnes qui fournissent des services à la justice, notamment les experts. Il est malheureusement fréquent pour un tribunal de se trouver « en cessation de paiement » au milieu de l’année civile, ce qui fait que certaines personnes sont payées plusieurs mois après leur contribution à une procédure judiciaire. Cette situation risque non seulement de dissuader les meilleurs professionnels de prêter leur concours à la justice, mais aussi de nuire au pouvoir de décision des juges qui hésitent parfois à faire appel à ces professionnels car ils savent quelles en seront les conséquences financières.

94.       Le 15 juillet 2015, la FEJA a déclaré à propos de la Grèce que le budget de 2015 pour la justice s’élevait à 561 millions EUR, soit 0,36 % du budget national total. Les restrictions budgétaires de l’an dernier ont déjà eu des conséquences négatives et il est clair que ces ressources sont insuffisantes pour permettre au système judiciaire de remplir ses fonctions et, en particulier, le rôle important qui est le sien d’assurer la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le système judiciaire national ne peut fonctionner de façon efficiente dans ces conditions. La pénurie fondamentale de ressources va à l’encontre de l’article 33 de la Recommandation Rec(2010)12.

95.       Le 19 juin 2015, le représentant de la Lituanie au CCJE a déclaré que le statut des juges et du système judiciaire était défini dans la Constitution, et que la justice devait être entièrement indépendante des pouvoirs exécutif et législatif. Néanmoins, un problème qui perdure depuis longtemps n’a toujours pas été réglé par manque de financement. Il s’agit du niveau insuffisant de sécurité dans la plupart des tribunaux en Lituanie, à l’exception de la Cour suprême et du Haut Tribunal administratif. N’importe qui peut pénétrer sans difficultés dans les locaux de ces tribunaux, y compris les salles d’audience et même les bureaux des juges et d’autres membres du personnel. De ce fait, les juges et le personnel des tribunaux sont inquiets pour leur sécurité. Selon la réglementation antérieure, la police était responsable de la protection/sécurité des tribunaux, mais ces dispositions n’ont jamais été appliquées et, lorsque la législation a été modifiée, elles ont été supprimées.

96.       Le 19 mai 2015, le représentant de Malte au CCJE a signalé que l’Union européenne avait émis l’avis que le nombre total des membres de la magistrature à Malte était l’un des plus faible de l’UE et qu’il devrait être doublé. Cet avis a été soumis il y a plus d’un an et rien n’a encore été fait à cet égard : le nombre total de juges est demeuré inchangé. Les juges se plaignent fréquemment du fait que chacun d’eux doit faire le travail de deux juges. Le gouvernement a déclaré qu’il avait l’intention de nommer des juristes pour aider les juges à prendre leurs décisions et accélérer ainsi le prononcé des jugements. Cependant, le travail est trop important pour chaque juge et le recrutement de nouveaux membres de la magistrature est donc nécessaire.

97.       Le représentant des Pays-Bas au CCJE a indiqué que les juges étaient préoccupés par leur charge de travail et son impact négatif sur la qualité de leur travail, comme cela ressort d’un manifeste signé par quelque 700 juges et d’un rapport récent de la commission d’audit qui s’est rendue dans tous les tribunaux du pays.

98.       Le 27 mai 2015, le représentant de la Slovaquie au CCJE a signalé que le manque constant de ressources financières, techniques et humaines et l’augmentation de l’arriéré judiciaire des tribunaux de toutes instances avait conduit en février 2015 à l’organisation d’une grève du haut personnel judiciaire et des employés administratifs de la justice.

99.       Le 19 juin 2015, le représentant de l’Ukraine au CCJE a déclaré qu’à la fin de 2013, l’administration judiciaire de l’Ukraine s’était adressée aux organes gouvernementaux pour réclamer une modification du budget national pour 2014, la moitié seulement des fonds nécessaires ayant été alloués à la justice. En 2014, le financement du système judiciaire est resté à un niveau intermédiaire entre celui de 2011 et 2012. Un tiers seulement de la somme requise par l’administration judiciaire a été alloué dans le budget national pour 2015. Les montants prévus dans le budget national pour les salaires des juges et du personnel des tribunaux permettront seulement de couvrir la période allant jusqu’à octobre 2015.

100.     Le Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) a présenté ses constats dans le rapport 2014-2015 « Independence and accountability of the judiciary and of the prosecution ». L’une des conclusions générales de ce rapport (page 24) est que, du point de vue de l’indépendance objective, les dispositifs de financement de la justice ne sont généralement pas adéquats et que les systèmes judiciaires dépendent de décisions discrétionnaires du gouvernement. La gestion des tribunaux est encore souvent – directement ou indirectement – aux mains des ministères de la Justice. Il s’avère difficile de modifier les dispositifs en place dans l’un et l’autre cas. 

E.           Atteintes à la chose jugée commises par d’autres branches du pouvoir d’Etat et non‑exécution de décisions judiciaires

101.     Le 10 octobre 2015, lereprésentant de l’Espagne au CCJE a déclaré que la loi organique n° 7/2015 du 21 juillet 2015, en vigueur depuis le 1er octobre 2015, incluait une disposition visant à renforcer l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui prévoient des mesures spécifiques dans les cas de violation des droits reconnus dans la CEDH et ses Protocoles.

102.     S’agissant de la non-exécution des décisions de justice définitives, la FEJA a mentionné la situation en Grèce où des décisions définitives ont été invalidées par des lois nationales (promulguées dans le cadre des programmes d’ajustement économique et des mémorandums d’accord).

103.     L’AEJ a déclaré qu’en Turquie, dans les affaires concernant les juges turcs Özcelik et Baser, les décisions avaient été bloquées (voir section A ci-dessus).

104.     La FEJA a confirmé cette déclaration en ajoutant que d’autres décisions de justice, principalement des décisions de juges administratifs, n’avaient pas été exécutées. La FEJA considère que cela n’est pas conforme à l’Avis n° 13(2010) du CCJE, non plus qu’à l’article 12 de la Recommandation Rec(2010)12.

F.         Des anomalies dans l’organisation de la formation des juges

105.     Le CCJE rappelle que, selon le paragraphe 56 de la Recommandation Rec(2010)12, les juges devraient bénéficier d’une formation initiale et continue théorique et pratique, entièrement prise en charge par l’Etat. Le paragraphe 57 de la même Recommandation stipule qu'une autorité indépendante devrait veiller, en respectant pleinement l’autonomie pédagogique, à ce que les programmes de formations initiale et continue répondent aux exigences d’ouverture, de compétence et d’impartialité inhérentes aux fonctions judiciaires. Dans son Avis n° 4(2003) sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen,  le CCJE a élaboré des normes plus détaillées sur la formation des juges. Selon le paragraphe 16 de cet Avis, les responsabilités de formation devraient être confiées non au ministère de la justice ou à une autre autorité relevant des pouvoirs législatif ou exécutif, mais au pouvoir judiciaire lui-même ou à un autre organe indépendant. Conformément au paragraphe 8 de la Magna Carta des juges, la formation initiale et continue est un droit et un devoir pour les juges.

106.     Il n’a pas été fourni d’informations sur la mise en place de nouveaux équipements de formation en République tchèque et en Turquie, ces deux pays ayant déclaré des insuffisances en ce domaine dans le rapport de situation de 2013.

107.     Le 11 septembre 2015, le représentant de la France au CCJE a signalé que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n’avait aucune compétence en matière de formation des juges.

108.     Le 19 mai 2015, le représentant de Malte au CCJE a indiqué que les avocats ne suivaient aucune formation avant d’être nommés dans un tribunal.

109.     Le 19 juin 2015, le représentant de la Pologne au CCJE a déclaré que l’Ecole nationale des juges et procureurs, qui est responsable de la formation initiale (formation des candidats aux fonctions de juge ou de procureur) et de la formation continue des juges en exercice, était placée sous le contrôle du ministre de la Justice, comme indiqué dans le rapport de 2013. Le ministre nomme et révoque le directeur et les directeurs adjoints de l’Ecole, fixe leurs salaires, définit le budget de l’Ecole et contrôle les programmes de formation, et même le choix des enseignants. Le Conseil national de la justice a exprimé l’avis que l’Ecole devrait être placée sous le contrôle du Conseil, car son travail et ses activités ont un lien avec l’indépendance des tribunaux et des juges.

110.     En Turquie, le Haut Conseil des juges et des procureurs (HCJP) était jusqu’ici responsable de la formation continue des juges. Le projet de loi mentionné plus haut au paragraphe 21 [et qui a été commenté par le CCJE dans le document CCJE-BU(2014)2] propose que la responsabilité de la formation continue des juges soit transférée à l’Académie de justice qui serait complètement réorganisée, avec le renvoi des membres actuels et la nomination de nouveaux membres. Cela donnerait une influence décisive au ministre de la Justice. Le CCJE a déclaré que cet amendement allait clairement à l’encontre des normes européennes. L’Avis n° 4 (2003) du CCJE sur la formation initiale et continue des juges et l’Avis n° 10 (2007) sur le Conseil de la justice au service de la société affirment que c’est au pouvoir judiciaire lui‑même, et non au ministre de la Justice, qu’il incombe d’exercer l’influence la plus importante sur la formation.

G.        L’absence de critères objectifs pour l’évaluation du travail des juges

111.     Dans son Avis n° 11(2008) sur la qualité des décisions de justice (paragraphe 57 à 75), le CCJE a élaboré des normes pour l'évaluation des juges et du système de justice. L’évaluation de la performance des juges ne doit pas menacer leur indépendance. Comme leur nomination et leur promotion, cette évaluation doit reposer sur des critères objectifs et définis à l’avance et reposer uniquement sur leurs compétences professionnelles. Les méthodes d’évaluation de la qualité des décisions judiciaires ne devraient pas nuire à l’indépendance de la justice, au niveau global comme individuel.  L'évaluation de la qualité des décisions de justice doit être réalisée avant tout au regard des principes fondamentaux consacrés par la CEDH. Elle ne saurait se faire à la lumière des seules considérations de nature économique ou de gestion des procédures. L’utilisation de certaines méthodes issues du monde économique doit être considérée avec précaution. Le rôle du système judiciaire est, en effet, avant tout d’appliquer la loi et de lui donner ses effets et ne saurait être analysé correctement en termes d’efficacité économique.

112.     Le rapport de situation 2013 affirmait qu’en Pologne, certains critères manquaient et qu’en Serbie, les critères étaient par trop d’ordre statistique. Aucune information n’a été reçue au sujet de nouveaux développements éventuels en Pologne et en Serbie.

H.        Atteintes à la liberté d’association des juges

113.     Aucun problème nouveau n’a été signalé dans cette catégorie.

I.                      Difficultés concernant les codes d’éthique de la fonction judiciaire

114.     Aucun problème nouveau n’a été signalé dans cette catégorie.

115.     Le 10 octobre 2015, le représentant de l’Espagne au CCJE a signalé qu’à la suite du rapport du GRECO de 2013, qui recommandait l’adoption par les juges d’un code d’éthique et sa mise à la disposition du public, le Conseil général du pouvoir judiciaire avait créé un groupe de travail chargé d’élaborer un code d’éthique des professions judiciaires. Ce groupe de travail considère que le code d’éthique doit constituer avant tout un outil et un guide pour les juges dans l’exécution quotidienne de leurs fonctions professionnelles.

J.         Des difficultés dans les relations entre Justice et médias

116.     Le CCJE se montre vigilant sur les situations dans lesquelles les médias pourraient être utilisés par d’autres acteurs (entités publiques ou privées ou particuliers) pour influencer les juges ou exercer des pressions sur eux. Une critique virulente ou continue exprimée dans les médias contre une décision de justice particulière peut constituer une pression. Il est particulièrement inacceptable que les médias soient utilisés par d’autres pouvoirs publics ou privés, et notamment par des responsables politiques, pour contester directement les décisions prises par un juge.

117.     Les relations sensibles entre les juges et les médias sont abordées dans l’Avis n° 7(2005) sur "justice et société"(paragraphes 22 à 55) du CCJE. La Recommandation Rec(2010)12 (paragraphe 18) demande que les pouvoirs exécutif et législatif évitent de commenter les décisions des juges d’une manière qui porterait atteinte à l’indépendance de justice ou entamerait la confiance du public envers elle.

118.     Le rapport de situation de 2013 faisait état de problèmes dans les relations entre le système judiciaire et les médias en Italie, en Pologne et en Slovaquie. Aucune information actualisée n’a été fournie sur la situation en Pologne et en Italie pendant la période couverte par le présent rapport.

119.     Le 27 mai 2015, le représentant de la Slovaquie au CCJE a déclaré que la situation s’était en partie améliorée. Néanmoins, il arrivait encore que des responsables politiques critiquent des décisions judiciaires par des responsables politiques.

K.        Accès à la justice

120.     Les articles 6 et 5 de la CEDH, ainsi que beaucoup d’autres instruments juridiques européens et internationaux, affirment le droit de tout individu à l’examen de ses droits par un tribunal. La jouissance effective de ce droit doit être assurée à tout individu en droit et en fait.

121.     Le 11 septembre 2015, le représentant de la France au CCJE a déclaré que l’accès à la justice devait être amélioré, notamment du point de vue de l’aide juridictionnelle et de la possibilité de contacter les tribunaux par la voie électronique. Le système judiciaire est trop complexe et se caractérise par la séparation des juridictions administratives et générales et la multiplicité des tribunaux (hautes cours, tribunaux d’arrondissement, tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes, tribunaux des affaires de sécurité sociale, etc.), dont la composition et les procédures diffèrent. Cela est une source de conflits artificiels et de retards dans le traitement des affaires, ce qui va à l’encontre des exigences de l’article 6 de la CEDH.

122.     En ce qui concerne la Grèce, la FEJA a déclaré le 15 juillet 2015 qu’au motif de l’« accélération » des procédures, des modifications ont été approtées aux dispositions procédurales. En conséquence, le droit à l’accès à la justice et à une protection judiciaire effective (notamment celui des citoyens économiquement plus faibles) n’est plus garanti, en particulier dans les affaires fiscales.

L.         Responsabilité des juges

123.     Le 16 octobre 2015, le représentant de l’Italie au CCJE a signalé la réforme de la responsabilité civile individuelle des juges en Italie. Une loi (n° 18/2015) a été adoptée dans le but déclaré de mettre le système italien en conformité avec les décisions de la Cour de justice de l’UE (qui portent sur la responsabilité de l’Etat et non sur la responsabilité individuelle des juges). Cette loi modifie la loi fondamentale n° 117/1988 sur la responsabilité civile individuelle des juges. Bien que maintenant formellement inchangé le principe de la responsabilité indirecte des magistrats, la loi étend leur responsabilité générale, en particulier comme suit: 1) en modifiant la « clause de sauvegarde » (en vertu de laquelle aucune responsabilité ne pouvait découler de l’interprétation des dispositions de la loi ou de l’évaluation des faits et éléments de preuve) ; 2) en redéfinissant de manière plus large les motifs de responsabilité ; 3) en supprimant le « filtre » constitué par l’obligation de se prononcer immédiatement sur la recevabilité des requêtes ; 4) en rendant obligatoire l’action de l’Etat à l’égard du magistrat dont la responsabilité est établie. En ce qui concerne le « filtre de recevabilité », une disposition de la loi n° 117/1988, supprimée dans la nouvelle loi, prévoyait que le tribunal, après audition des parties, devait immédiatement soit déclarer la requête irrecevable, soit prendre les mesures nécessaires à la poursuite de la procédure. Ce filtre avait pour but d’éviter de maintenir le juge dans une situation d’incertitude, même en cas d’absence apparente de responsabilité, pendant le long délai généralement nécessaire pour recueillir les éléments, etc.

III. Conclusions

·         Les demandes et rapports adressés au CCJE pendant la période couverte par le présent rapport (octobre 2013 à octobre 2015) montrent clairement que l’application des normes pertinentes du Conseil de l’Europe continue à poser problème dans un nombre d’Etats membres.

·         Le CCJE réaffirme que « ce qui importe n’est pas la perfection des principes et encore moins l’harmonisation des institutions, mais la mise en pratique effective des principes déjà élaborés » (Avis n° 1(2001), paragraphe 6).

·         Le CCJE s’inquiète de tendances qui, semble-t-il, risquent de remettre en cause à la fois l’indépendance et l’image d’indépendance de la justice, entamant ainsi la confiance de la société envers le système judiciaire.

·         Le CCJE attire l’attention du Comité des Ministres sur ces questions, ainsi que sur les informations fournies par les délégations du CCJE et par d’autres parties concernées. Il attire aussi l’attention sur les observations formulées par le CCJE dans le contexte de ses Avis et d’autres textes pertinents. Ces problèmes, que le CCJE se doit de commenter, ne font que souligner une fois de plus l’importance des travaux du Conseil de l’Europe pour l’amélioration du respect de l’Etat de droit dans toute l’Europe.

·         Conformément à son mandat, le CCJE continuera d’examiner les allégations d’atteintes au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions. Il invite les autorités compétentes des Etats membres à prendre note du présent rapport et à se conformer aux normes pertinentes du Conseil de l’Europe.

·         Le CCJE invite ses membres, les autorités nationales compétentes, les instances judiciaires ou les associations de juges et les organisations ayant le statut d’observateur auprès du CCJE à fournir des observations et informations complémentaires sur les problèmes soulevés ici et charge son Bureau de mettre régulièrement à jour le présent rapport, qui sera transmis aux organes concernés du Conseil de l’Europe.