Forum mondial de la Démocratie

18-20 novembre 2015, Strasbourg (France)

Prévenir pour mieux lutter contre la radicalisation au niveau des municipalités : un débat dans le cadre du Forum mondial de la démocratie.

Après la conférence internationale sur la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent qui s'est tenue à Aarhus le 18 novembre, le Congrès des Pouvoirs Locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a organisé un laboratoire-débat sur ce thème dans le cadre du Forum Mondial de la Démocratie le 19 novembre 2015 à Strasbourg (France). Les participants ont discuté des nouvelles stratégies pour prévenir la marginalisation, source de radicalisation des populations immigrées. Leurs interventions ont souligné l’importance d'une réponse équilibrée entre le travail de surveillance et travail de dialogue et d'aide au plus près des populations.

Chef de l'Unité de prévention du crime et du service des étrangers de la police danoise du Jutland de l’Est,Sten Sorensen a insisté sur l'importance de la collaboration entre les services de la police et les communautés locales. En créant au sein même de la population un système de mentors qui connaissent de près la culture islamique, la police devient un acteur social dont le rôle n'est plus seulement répressif. Le modèle de prévention du crime dont elle s'inspire est celui mis au point par l'Organisation Mondiale de Santé dans le contexte de la lutte contre la drogue. Son travail combine une approche individuelle des personnes à risque en même temps que la création d'un réseau de surveillance et d'aide au niveau familial. Le programme de mentors contribue donc non seulement à identifier les problèmes, mais aussi à agir en vue de leur solution à travers la réintégration scolaire, l'insertion dans la vie associative et dans le marché de l'emploi.

La manière dont les services de la police traitent le retour des ressortissants Suédois, partis en Syrie dans le contexte de la guerre, illustre bien cette méthodologie. Attendus à l'aéroport dès leur retour du Proche Orient, ils passent un entretien sur leur éventuel engagement dans les combats. Ils sont immédiatement prévenus que toute preuve dans ce sens peut entrainer une mise en détention et une procédure pénale à leur encontre. Une fois relâchés dans la vie civile, ils continuent à être surveillés et aidés  pour retrouver une vie normale à travers le réseau des mentors  et le soutien des institutions locales (écoles, clubs de jeunes etc.) Des psychologues, des psychiatres ou des agents des services sociaux sont également sollicités.

La création d'un « terreau social » plus inclusif était également au centre de l'exemple présenté par  Rachel Péric, directrice adjointe de l’association Welcoming America  aux Etats-Unis. L’amélioration de l’accueil des étrangers lui tient d'autant plus à cœur qu'elle fait écho à l'histoire de sa propre famille. Réfugiés de l'Holocauste, ses grands-parents et ses parents se sont installés à New York en apportant ainsi leur petite pierre à l'essor économique de la ville. « Je suis persuadée, constate Mme Péric, qu'une ville s'épanouit grâce à ses immigrés et à la diversité culturelle qui s'y installe. Actuellement, les nouveaux arrivants sont attirés aussi par des plus petites villes, notamment celles qui pratiquent une politique d’accueil favorable. C'est par exemple le cas de Nashville, Tennessee où notre campagne Welcoming Tenessee a réussi à faire changer en quelques années (2006-2015) le climat social contribuant à un meilleur accueil des étrangers ». En quelques années, d'une ville en pleine crise, Nashville se serait transformée en ville prospère. Son économie florissante continue à attirer des nouveaux arrivants auxquels on essaye de communiquer un sentiment d’appartenance à la ville. Assurer un accueil positif en travaillant directement sur la transformation des mentalités à travers des campagnes de communication positive serait la clé du succès dans le combat contre la radicalisation. Une radicalisation qui ne doit en aucun cas être associée uniquement à l'islam ou aux immigrés en général car elle surgit également au sein de la population d’accueil : « Notre campagne a ciblé surtout les indécis, ceux qui n'ont pas encore une opinion définitive sur le problème migratoire. » Un sondage récent à Nashville a prouvé l'efficacité de cette méthode : 80 % des chefs d'entreprises et des leaders d'opinion dans les communautés locales estiment positive l'influence de l'immigration sur l'économie locale. C'est ainsi qu'en 2014, en visite dans la ville, le président Barak Obama, a félicité sa transformation rapide et inattendue. 90 autres villes aux Etats Unis ont ensuite adopté la même démarche. Elles ont élaboré des plans d'action facilitant la rencontre entre les personnes, le dialogue inter-religieux, l'insertion scolaire etc. « J'espère, poursuit Mme Peric, que l'Europe apprendra de nos erreurs et de nos succès dans ce domaine car le seul moyen de combattre la radicalisation est de travailler sans relâche sur le changement des mentalités ». 

Et comme pour illustrer ces propos, Karl Dean, ancien maire de Nashville, a partagé son expérience d'une campagne visant à éviter l'adoption par le Conseil municipal d'une réglementation qui devait interdire l'utilisation d'autres langues que l'anglais pour les transactions commerciales dans la ville. En 2009, avant la tenue d'un referendum à ce sujet, une campagne de communication positive a réussi à faire pencher l'opinion en défaveur de cette proposition restrictive.

D'après l’ancien maire, la création d'une Académie en coopération avec le service fédéral d'immigration a rendu possible une familiarisation rapide des immigrés avec le fonctionnement des institutions locales. Mettant en place leur propre organe de délibération, ils sont régulièrement invités à rencontrer les responsables de la Mairie.

L'intervention de Leen Verbeek (Pays-Bas, SOC), vice-président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, a attiré l'attention sur la montée en puissance de la violence en Europe. La radicalisation, d'après lui, est un phénomène qui concerne moins les réfugiés qui fuient la guerre que des groupes intérieurs à nos sociétés occidentales : « Quand on tire dans les écoles ou dans les institutions publiques, il s'agit bien d'une forme extrême de radicalisation à l'intérieur même de nos sociétés. »

Les politiques de prévention de la radicalisation soutenues par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux visent à aider les maires à ne pas se sentir seuls face à des problèmes de ce type qui ont pour origine l'intégration des immigrés, mais également des phénomènes sociaux internes. Les échanges d’expériences avec leurs collègues d'autres pays membres du Conseil de l'Europe, tels que la rencontre à Aarhus la semaine dernière, pourraient inspirer aux élus locaux des solutions originales et plus efficaces. « Les municipalités représentent le premier niveau de gouvernance en lien direct avec les populations.», souligne-t-il. « L'objectif est de créer un réseau d'élus locaux et d'ONG constituant ainsi une sorte de banque d'information et des modes d'action dans le domaine de la lutte contre la radicalisation ».

Mais la radicalisation se manifeste même dans des petites communes qui n'ont, à priori, peu ou pas de problèmes d'intégration sociale. Le maire de Saverne Stéphane Leyenberger a signalé que malgré la très bonne intégration de la communauté turque et maghrébine dans sa ville, plusieurs jeunes sont néanmoins partis combattre en Syrie. « La welcoming attitude n'est pas suffisante pour combattre la radicalisation et l'endoctrinement », insiste-t-il en proposant de faire tout ce qui est possible pour offrir une perspective de travail et de vie aux jeunes qui manifestent des problèmes d'estime de soi.

La discussion a inspiré plusieurs questions dans la salle, le débat portant notamment sur la possibilité de repérer les points de basculement dans l’extrémisme quand les jeunes décident soudainement de bifurquer vers une attitude radicale. A la frontière entre intervention et prévention, les actions de la police, des services sociaux et des élus locaux doivent être menées en étroite coopération interinstitutionnelle.