29ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 20-22 octobre 2015)

Discours d’Arnaud Bazin, Président du Conseil départemental du Val d'Oise, France

Verification à l’écoute

Je remercie le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de son invitation pour représenter le Conseil départemental du Val d’Oise et présenter son action volontariste en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation vers l’extrémisme violent ou le terrorisme.

Je suis comme de nombreux élus locaux confronté à un double défi.

- le premier défi est celui de la crise économique et financière, un défi majeur qui nous invite à être inventifs pour agir sur nos territoires dans un contexte budgétaire chaque année plus contraignant.

- le second défi est celui qui nous réunit aujourd’hui, et qui menace notre équilibre social. Animés par nos convictions et responsables de notre action devant les citoyens, nous devons agir fermement et efficacement pour prévenir et lutter contre une radicalisation violente ou terroriste qui prolifère à mesure notamment de l’aggravation des tensions aux Proche et Moyen Orient. Je dois dire que nous avons été très touchés, en France, par les manifestations de la solidarité internationale après les attentats que nous avons connus en janvier. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.

De par leur violence insensée et leur impact sans précédent sur l’opinion publique, ces attentats nous ont amené, nous élus locaux, à réaffirmer que le vivre ensemble et la cohésion sociale sont les piliers nécessaires de toute vie en société. A côté de l’Etat, de façon complémentaire à sa propre action, il nous revient de rester vigilants pour la sécurité de nos concitoyens tout en restant attentifs aux fragilités de certains de nos ressortissants. Car, chez un certain nombre de personnes, une certaine forme de vulnérabilité peut les conduire à se mettre en danger, et les amener à menacer les autres.

Garant des solidarités territoriales et humaines, la collectivité que je représente a à cœur cette double dimension : la protection d’une part et, la sécurité des personnes d’autre part, bien que cette dernière soit à titre principal une compétence régalienne. Nous avons néanmoins un rôle à jouer, un rôle qu’il nous appartient de définir et d’affirmer. Ce sera le sens de mon propos d’aujourd’hui.

Chef de file de l’action sociale, le Conseil départemental et ses agents accueillent, accompagnent et prennent en charge les personnes vulnérables au 1er rang desquelles les enfants en danger ou en risque de l’être, ou les personnes en rupture, confrontées à des difficultés de tout ordre (sociales, éducatives, sanitaires). De par ses actions, le Conseil départemental agit donc en faveur de ceux dont les parcours ne sont pas linéaires et qui peinent parfois à trouver leur place dans notre société. Nous devons accompagner et soutenir les personnes vulnérables de façon à les protéger d’une exposition à des trajectoires qui les éloigneraient des valeurs et libertés fondamentales que sont le respect de la vie humaine, le droit à la sûreté, la liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté de conscience. Ces libertés fondamentales doivent être garanties par l’Etat bien sûr, mais relayées et appuyées par les élus locaux dans le cadre des compétences et des moyens qui sont les leurs.

Le propos que je développerai devant vous ne concernera pas la répression parce qu’il s’agit essentiellement d’actions conduites par les Etats auxquelles néanmoins nous contribuons par la coordination indispensable entre nos services.

Nous savons que nous, élus locaux, avons un rôle à jouer en matière de sécurité urbaine. Mais si la délinquance est une réalité, le terrorisme en est une autre, même si des liens indéniables entre les deux existent. Les évènements tragiques vécus cette année nous l’ont montré. Nous observons que le trafic de stupéfiants et le trafic d’armes sont susceptibles de nourrir les groupes les plus extrémistes et de faciliter les passages à l’acte.

En matière de sécurité urbaine, l’élu local impulse, donne une vision, coordonne, organise.

En matière de terrorisme, l’élu local coopère principalement et c’est déjà essentiel. Un traitement global et intégré se traduit nécessairement par une coopération entre les institutions, les services, les personnes. En tant que responsable politique, je me dois de favoriser cette coopération.

Je choisirai davantage de présenter les actions dont je suis convaincu de la plus-value d’une collectivité territoriale dans le domaine qui nous concerne plus particulièrement aujourd’hui : la prévention.

A cet effet, je déclinerai le rôle qui est le mien en deux parties.

 Mon rôle est en effet :

- de mobiliser les professionnels placés sous ma responsabilité par la formation (1).

- et de promouvoir l’interdisciplinarité comme condition de réussite nécessaire à la conception et la mise en œuvre d’actions de prévention (2).

1. La mobilisation des professionnels par la formation

La mobilisation des professionnels est indispensable car nous ne devons pas laisser d’espace à l’incitation à la haine ni à l’expression de la violence, surtout lorsqu’il s’agit de crimes de masse perpétrés sur notre territoire. Cette mobilisation doit néanmoins être accompagnée. Phénomène nouveau et d’ampleur, nous devons soutenir, par la formation, nos professionnels à agir en prévention de la radicalisation.

Le groupe projet piloté au plus haut niveau de mon administration par le Directeur Général des Services, en lien avec l’ensemble des services concernés, a conçu, avec le concours de l’Etat, un dispositif de formation dédié aux agents du Conseil départemental. Ces agents sont en priorité les professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance (référents éducatifs, psychologues, éducateurs spécialisés), travailleurs sociaux généralistes amenés à accompagner les personnes dans leurs démarches ainsi que les personnels de santé (infirmiers, puéricultrices, médecins…).

Cette action a été conçue au 2nd semestre 2015, et sera mise en œuvre dès novembre prochain. Ce dispositif repose sur deux modules, l’un en direction d’un groupe de 15 personnes ressources, et l’autre en direction des agents du Département. Les deux modules reposeront chacun sur les fondamentaux de connaissances et de compréhension du phénomène, et le 1er groupe de 15 personnes sera également formé à l’élaboration d’outils de prévention ou de prise en charge de sorte à accompagner les professionnels dans leurs missions.

Ce dispositif est d’envergure car il a pour objectif de traiter la question de manière globale et de former (outiller) une centaine de professionnels.

2. La promotion de l’interdisciplinarité comme condition de réussite des actions de prévention

La journée professionnelle organisée par le Conseil départemental le 30 juin dernier en direction de 350 agents et partenaires associatifs et institutionnels a montré le nécessaire recours à la transdisciplinarité.

Cette journée a réuni sociologue, psychologue, bénévole associatif, chargé de projet, coordinateur, commissaire de police, juriste…autant de professionnels indispensables à la compréhension de ce qui se joue. Cette pluridisciplinarité s’est traduite par des éclairages sur la violence politique, le processus sectaire, les mécanismes d’emprise…

Cette pluridisciplinarité s’est de plus enrichie également d’expériences étrangères qui ont été portées à notre connaissance par le Forum européen pour la Sécurité urbaine (EFUS) ou le Réseau de sensibilisation à la radicalisation de l’Union européenne (RAN).

Fort de cette journée, le Conseil départemental n’entend pas faire l’économie de connaissances et de partage de bonnes pratiques mises en œuvre à l’étranger (Danemark, Belgique, Allemagne). Mes services sont d’ailleurs allés rencontrer la ville de Bruxelles qui développe depuis trois ans des actions de prévention et de prise en charge en direction des personnes, mais aussi des quartiers touchés par la radicalisation. Impliquer la société civile, en l’informant, l’écoutant, la mobilisant, tel est aussi un des précieux enseignements que nous pouvons par exemple retirer d’expériences étrangères et qui est pour nous un champ de travail encore à développer.

La prévention passe donc pour moi par des actions essentielles telles que la formation, la connaissance et l’échange entre collectivités, l’interdisciplinarité. Cela nous permettra d’impliquer chacun et chacune pour que tous se sentent concernés par la prévention et la lutte contre la radicalisation. Car, ce défi, les Etats seront incapables de le relever seuls.

Voici les actions que je souhaitais porter auprès de vous et qui traduisent l’engagement du Conseil départemental du Val d’Oise, et je conclurai par une notion qui m’est chère, et dont je me sens l’héritier : la République laïque. Cette exception française a émergé pour garantir à chacun la liberté de conscience, celle de choisir de croire ou non, et celle de choisir sa religion. La religion peut investir l’espace privé, et non l’espace public.

Nous nous attachons en France à préserver cet acquis qui renvoie à ce qu’il y a de plus intimement intégré dans notre pacte social. Cette conception qui est notre expérience de la citoyenneté vient de notre Histoire nationale, des philosophes de Lumières, de la Révolution Française. Cette façon de faire vivre notre appartenance à la République Française s’est stabilisée au fil du temps et sans faire l’économie de périodes de grandes tensions que la France a su surmonter. Les défis d’aujourd’hui ne sont pas à placer sur le même plan. Il s’agit aujourd’hui de nous positionner face au défi inédit d’une résurgence de l’expression de l’Islam dans notre société laïque, développée et post coloniale, une société qui connaît également depuis plus de 30 ans une lourde problématique de chômage et de ghettos urbains.

C’est aussi parce que les phénomènes dont il est question aujourd’hui sont complexes que nous nous considérons à notre place quand nous prenons les initiatives que je vous ai décrites pour contribuer à les résoudre.

Je vous remercie.