Conférence sur la démocratie européenne – EuDEM 2014 Gouvernance à multi-niveaux – des communautés locales à une vraie communauté européenne

Strasbourg 5 mai 2014

Discours de Jean-Claude Frécon
Président de la Chambre des pouvoirs locaux du Congrès du Conseil de l’Europe

Chers amis, chers collègues,

Permettez-moi de dire pour commencer combien je suis heureux que cette conférence ait lieu ici à Strasbourg, sur proposition du Secrétaire général du Congrès, dans le cadre du programme de la présidence autrichienne du Comité des Ministres, à la veille du passage de témoin à la présidence azérie. Au Congrès, nous avons des liens étroits avec l’Autriche, un pays qui s’est toujours fermement engagé pour le Congrès et la démocratie locale.

Je m’exprime d’ailleurs ici au nom du Président Herwig van Staa et du Secrétaire Général Andreas Kiefer, tous deux en déplacement à Vienne pour la conférence ministérielle organisée par la présidence autrichienne.

Je vous félicite pour le thème choisi pour cette conférence. Nous sommes ici pour débattre de la gouvernance à multi-niveaux. La diversité des intervenants et des institutions qu’ils représentent nous rappelle à juste titre que la gouvernance à multi-niveaux est un concept complexe.

Nous avons trop tendance à le simplifier et à essayer de le réduire à quelques échelons administratifs simples.  La réalité est bien plus nuancée, plus compliquée, plus diverse et par là d’autant plus riche.

La gouvernance à multi-niveaux ne désigne pas simplement les différents niveaux de gouvernement et la façon dont ils interagissent. Lorsque nous parlons de la gouvernance à multi-niveaux, nous ne parlons pas simplement des Etats membres de l’UE. Nous devons garder présents à l’esprit tous les Etats membres du Conseil de l’Europe y compris ceux qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. Nous devons aussi tenir compte des pays voisins de l’Europe. Nous ne vivons pas en vase clos.

Récemment, nous avons pris davantage conscience de l’importance de développer nos relations avec les pays qui nous entourent et je pense particulièrement au sud de la Méditerranée et au-delà du Caucase.

Ainsi, la gouvernance à multi-niveaux n’est pas simplement une affaire d’échelons administratifs. Je suis très heureux que nous ayons aujourd’hui parmi nous un intervenant qui représente la Banque centrale européenne. L’un des problèmes auxquels nous devons faire face aujourd’hui et l’un des grands changements auxquels nous avons toujours du mal à nous adapter, c’est l’évolution rapide des systèmes financiers mondiaux. Pour des raisons historiques, le Conseil de l’Europe s’occupe peu de questions économiques.

Après la seconde guerre mondiale, la coopération économique a été confiée plus particulièrement à l’organisation qui est devenue l’OCDE. Bien qu’il y ait, chaque année, un débat sur les activités de l’OCDE au sein de l’Assemblée parlementaire, le Congrès n’a pas de relations directes avec l’OCDE et peut-être devrait-il en avoir, notamment quand on voit l’importance des finances locales pour notre économie.

Une partie du problème posé par la gouvernance aujourd’hui, ce n’est pas seulement qu’elle est à niveaux multiples, c’est aussi que le nombre des parties prenantes continue d’augmenter. Le terme « gouvernance à multi-niveaux » suggère un système de strates verticales de gouvernement, ce qu’on en France on appelle le « millefeuille », que mon ami Luc Van den Brande qualifie, lui, de « lasagnes ».

A chacun ses références et ses goûts. J’aime bien les deux. Toutefois, ces deux images donnent l’idée d’une structure relativement simple, faite de couches superposées.

Malheureusement, j’ai le sentiment que la réalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est loin d’être aussi simple. Pour filer nos métaphores culinaires, peut-être devrions-nous parler d’un « ragoût » plutôt que d’un millefeuille ou de lasagnes.


Lors de notre dernière session du Congrès, en mars, nous avons tenu un débat sur le thème « Etre élu local aujourd’hui ». L’un des intervenants a fait remarquer que le rôle des responsables politiques qui nous représentent n’a jamais été aussi complexe et qu’ils n’ont jamais autant risqué d’être marginalisés.

L’un des problèmes d’aujourd’hui, c’est que nous vivons dans un monde de plus en plus multipolaire où l’on ne sait pas toujours très clairement où les décisions sont prises et qui en est responsable.

Aussi nos populations et avec elles nos élus ont-ils de plus en plus le sentiment que les principales décisions politiques leur échappent. La vie devient plus complexe. Les structures de gouvernance avec lesquelles nous avons grandi évoluent rapidement et nous avons du mal à nous y adapter.

Ces propos semblent peut-être un peu pessimistes. Mais laissez-moi vous dire d’emblée que je suis moins pessimiste que réaliste. Plus nous serons prêts à faire face aux complexités de la situation dans laquelle nous nous trouvons, plus nous serons à même d’améliorer le monde dans lequel nous vivons.

Le titre de la Conférence « Gouvernance à multi-niveaux – des communautés locales à une vraie communauté européenne », ce titre-là suggère que la gouvernance à multi-niveaux est précisément la réponse, le ciment qui liera ensemble les pays de notre continent. Mais quelle est notre vision ? Quelle est cette vraie communauté européenne dont nous rêvons ?

Il y a 60 ans, certains de nos devanciers rêvaient d’une communauté européenne, comme un Etat fédéré unique qui couvrirait l’ensemble du territoire européen. Aujourd’hui, nous avons l’Union européenne, qui n’est pas encore une fédération, et autour nous avons tous ces Etats européens qui n’en font pas partie mais sont membres du Conseil de l’Europe.

Comment pouvons-nous parler d’une « vraie communauté européenne » puisque même le système conventionnel, qui est le trait distinctif du Conseil de l’Europe, est à géométrie variable. Très peu de traités, trop peu de textes ont, en effet, été signés par tous les Etats membres.

Ces quatre dernières années, j’ai assumé la fonction de Président de la Chambre des pouvoirs locaux du Congrès. J’ai fait du renforcement et de l’approfondissement de l’application de la Charte européenne de l’autonomie locale une priorité de ma présidence. Nous progressons étape par étape. Nous avons réussi à faire ratifier ce traité par l’ensemble des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe ; cette Charte européenne de l’autonomie locale compte à présent au nombre très restreint des traités, comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui s’appliquent à l’ensemble de notre continent.

Nous rappelons parfois que la Charte européenne est l’un des traités du Conseil de l’Europe consacrés à la démocratie, car il ne faut pas oublier le Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à des élections libres au scrutin secret.

Tout en nous employant à faire ratifier la Charte par l’ensemble des Etats membres, nous accordons une attention particulière à la façon dont elle est mise en œuvre, à la fois en renforçant notre capacité à assurer le suivi de son application et en encourageant nos gouvernements, dans notre dialogue politique avec les Etats membres, à améliorer la gouvernance de nos territoires. C’est ainsi que nous progresserons vers la cohésion territoriale que nous avons à l’esprit lorsque nous parlons d’une « communauté européenne ».

L’un des principaux éléments que nous avons recensés dans notre activité de suivi, et facteur clé du succès de la gouvernance à multi-niveaux, c’est la concertation, à savoir la nécessité pour les différents niveaux de gouvernement de se consulter de manière systématique. La concertation est l’un des principes majeurs inscrits dans la Charte européenne de l’autonomie locale.

Nous rencontrons des cas de bonne concertation, des cas de mauvaise concertation et des cas d’absence pure et simple de concertation. Beaucoup dépend d’abord d’une volonté politique. La transparence et la clarté sont ici essentielles.

En 2012, nous avons adopté un rapport, une recommandation et une résolution sur le droit des collectivités locales d’être consultées par d’autres niveaux de gouvernement.

Lors de notre dernière session plénière, nous avons adopté une stratégie pour mettre en œuvre ces recommandations. Notre but est de veiller à la mise en place de mécanismes de concertation efficaces dans l’ensemble de nos Etats membres.

Nous avons ainsi, chers collègues, la vision d’un territoire européen uni par nos idéaux que sont la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Cependant, il y a la réalité du quotidien, parfois très dure, à laquelle nos élus doivent faire face sur le terrain. Pour concilier ces idéaux et la réalité sur le terrain, nous disposons de plusieurs instruments importants ; j’ai parlé de la Charte européenne de l’autonomie locale et d’autres encore seront évoqués au cours de la présente conférence.

Toutefois, le plus important, ce sont les hommes et les femmes qui donnent vie à ces textes, c’est notre action commune et notre engagement à faire triompher les idéaux que nous partageons.

Ces débats sont essentiels pour l’avenir de ce continent, et c’est pourquoi je vous souhaite à tous une conférence riche et fructueuse.

Je vous remercie.