Conclusions du
Séminaire « Langues régionales ou minoritaires en Europe aujourd’hui » 
Paris, 9-10 décembre 2013
(par Jean-Claude Frécon, 1er Vice-Président du Congrès

des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe)

La protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires constituent une priorité de longue date du Conseil de l’Europe en général et de son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en particulier. Comme l’a rappelé hier le Président van Staa, c’est au sein du prédécesseur du Congrès, la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux, qu’ont été jetées les bases, au cours des années 1980, de ce qui allait devenir le premier instrument juridiquement contraignant en la matière : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

21 années se sont écoulées depuis l’adoption de cette Charte, et son ouverture à la signature le 5 novembre 1992. Des progrès significatifs ont été réalisés, en particulier dans les 25 Etats membres du Conseil de l’Europe qui l’ont ratifiée. Nous en avons eu de nombreuses illustrations lors de nos discussions. Nous avons également pu témoigner du rôle très actif joué par les autorités locales et régionales dans ces progrès. Ceci ne peut que conforter la volonté politique du Congrès – et en particulier de sa Chambre des régions – de continuer à faire de cette question une de ses priorités.

Tout comme le Congrès au niveau local et régional, le Parlement européen est une plate-forme politique indispensable et irremplaçable au niveau européen. D’où l’importance du rapport préparé par François Alfonsi pendant l’année 2013 et qui a permis l’adoption d’une Résolution du Parlement européen sur « Les langues européennes en danger et la diversité linguistique dans l’Union européenne », en septembre dernier. Cette Résolution fournit une base politique importante à la poursuite de nos efforts, d’autant plus qu’elle a été soutenue par le vote de près de 90% des députés européens, comme l’a rappelé le Rapporteur.

Il ne faut cependant pas se bercer d’illusions : la situation actuelle n’est pas très favorable, et les dynamiques politiques, économiques et sociales qui sont à l’œuvre ne poussent pas à des efforts accrus en faveur des langues régionales ou minoritaires. Il est symptomatique qu’aucune nouvelle signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ne soit intervenue depuis 2005, même si plusieurs pays qui l’avaient signée l’ont ratifiée récemment (en dernier lieu, la Bosnie-Herzégovine en 2010).

Ce désintérêt, voire cette réticence, vis-à-vis de la promotion des langues régionales ou minoritaires s’explique principalement – mais pas uniquement – par la crise politique, économique et sociale que traverse l’Europe depuis 2008. En temps de crise, certaines questions même importantes semblent être moins urgentes, et le travail de fond réalisé par les experts peine à trouver une résonance politique, comme l’a souligné la Présidente du Comité d’experts de la Charte, Vesna Crnic-Grotic. C’était l’objet même de notre séminaire : faire le lien entre ce travail de fond, les progrès enregistrés et les difficultés rencontrées, et les relais politiques dont il a besoin pour porter ses fruits.

A l’évidence, un constat s’impose : celui de l’importance de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Dès que l’engagement politique se traduit par des obligations juridiques, les choses bougent et des progrès sont réalisés, notamment grâce au travail en profondeur du Comité d’experts du Conseil de l’Europe et du dialogue que celui-ci noue avec les autorités des Etats concernés. Nos discussions l’ont amplement démontré, ainsi que les documents de référence sur lesquels elles se sont appuyées : le résumé des observations et des recommandations du Comité d’experts de la Charte pour la période 2012-2013 et l’analyse de l’impact de la Charte sur la législation et la pratique des Etats l’ayant ratifiée depuis son entrée en vigueur il y a 15 ans.

Lorsque la volonté politique existe, et lorsque les différents acteurs aux niveaux local, régional, national et européen conjuguent leurs efforts, les résultats sont là. Nous avons ainsi salué, entre autres : les progrès réalisés dans les pays scandinaves pour la protection de la langue sâme ; les mesures prises dans les pays d’Europe centrale, où les frontières ont tant fluctué au cours du siècle passé, pour favoriser la pratique de la langue des pays voisins ; les efforts faits pour protéger le yiddish ou le romani dans plusieurs pays ; ou le travail de réconciliation en ex-Yougoslavie (et plus largement dans les Balkans) à travers des politiques linguistiques tenant compte des bouleversements politiques qui se sont produits dans cette région au cours des années 1990.

 Nous avons consacré une session spécifique aux six pays qui se sont engagés, au moment de leur adhésion au Conseil de l’Europe, à signer et à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Il s’agit (par ordre d’« ancienneté ») de :

-          l’Albanie, la République de Moldova et « l’ex-république Yougoslave de Macédoine », dont les adhésions au Conseil de l’Europe remontent à 1995 ;

-          la Fédération de Russie, membre du Conseil de l’Europe depuis 1996 ;

-          la Géorgie, qui a rejoint notre Organisation en 1999 ;

-          et l’Azerbaïdjan, qui a adhéré au Conseil de l’Europe en 2001.

Dans tous les cas, un laps de temps important s’est écoulé – entre douze et dix-huit ans –, ce qui montre que cet engagement n’est pas facile à remplir. Il faut donc continuer le dialogue avec ces pays, en espérant que les exemples positifs qui ont été évoqués pendant notre séminaire les convaincront d’aller de l’avant. Nous avons eu quelques signaux positifs à cet égard ce matin, et je me réjouis en particulier de l’attitude positive du nouveau gouvernement albanais qui laisse espérer au moins une signature prochaine de la Charte.

Une autre session spéciale a été consacrée à deux pays importants, qui ont signé la Charte (respectivement en 1999 et en 2000) mais ne l’ont pas encore ratifiée : la France et l’Italie. Mon collègue du Sénat, Jean-Vincent Placé, qui préside par ailleurs le groupe de contact entre le Comité des Régions de l’Union européenne et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, nous avait confirmé hier l’engagement de la majorité parlementaire de faire en sorte que la promesse faite par le Président François Hollande pendant sa campagne en 2012 soit tenue, malgré la difficulté que représente la nécessité d’une révision de la Constitution française pour y parvenir, et je me réjouis que les discussions de ce matin sont allées dans le même sens. Du côté de l’Italie, les développements récents sont encourageants, en dépit de la situation politique instable qu’a connue le pays et de ses difficultés financières, et il semble qu’il n’est pas irréaliste d’espérer une ratification prochaine de la Charte par le parlement italien. Ceci constituerait à l’évidence un développement très important, de nature à donner un souffle nouveau aux efforts que nous faisons ailleurs pour atteindre le même objectif.

C’est sur cette note optimiste que je terminerai mon intervention, en remerciant nos partenaires qui se sont associés au Congrès pour organiser cet évènement – en particulier le Comité d’experts de la Charte et son secrétariat – et en soulignant une nouvelle fois notre volonté politique de continuer à porter cette question, aujourd’hui et à l’avenir.