Strasbourg, 15 novembre 2013

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Conseil consultatif de juges européens (CCJE)

Rapport sur la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

Version mise à jour n° 1 (2013) adoptée par le CCJE lors de sa 14e réunion plénière (Strasbourg, 13-15 novembre 2013)

I. Introduction

1.    Ce rapport  constitue la première mise à jour du rapport adopté par le CCJE au cours de sa 12e réunion plénière (Strasbourg, 7-9 novembre 2011) et transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour information. Au cours de sa 13e réunion plénière (Paris, 5-6 novembre 2012), le CCJE a décidé de mettre ce rapport à jour tous les deux ans. Le présent rapport couvre la période d’octobre 2011 à septembre 2013 inclus. Il a été adopté par le CCJE au cours de sa 14e réunion plénière, à Strasbourg (13-15 novembre 2013).

Ce rapport synthétise les informations transmises au CCJE concernant les allégations de violations par les Etats membres des normes relatives au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions. Lorsque nécessaire, le membre du CCJE représentant le pays concerné a été invité à commenter ces informations. Ces commentaires, ainsi que les éventuelles observations du CCJE, figurent dans le rapport.

2.    Dans certains cas, il y a eu coopération et/ou échange de vues avec d’autres organes du Conseil de l’Europe (par exemple la Commission de Venise, pour la Serbie et la Géorgie).

3.    Les informations étudiées par le CCJE constituent dix catégories de violations alléguées, qui sont présentées ci-dessous. Le CCJE a réalisé ce travail à la demande d’organes judiciaires et d’associations de magistrats des Etats membres, de membres du CCJE lui-même, de l’Association européenne des magistrats (AEM), de la Fédération européenne des juges administratifs (FEJA) et de l’association « Magistrats européens pour la démocratie et les libertés » (MEDEL). Ces trois derniers organismes ont le statut d’observateurs auprès du CCJE.

     Les catégories de violations alléguées sont les suivantes :

a.    des atteintes au statut, à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges ;

b.    des atteintes aux principes concernant la composition et le fonctionnement des Conseils de la justice ;

c.    des diminutions de la rémunération des juges ;  

d.    le manque de ressources ;

e.    des atteintes à la chose jugée commises par d’autres pouvoirs et la non-exécution des décisions judiciaires ;

f.     des anomalies dans l’organisation de la formation des juges ;

g.    l’absence de critères objectifs pour l’évaluation du travail des juges ;

h.    des atteintes à la liberté d’association des juges ;

i.      des difficultés concernant les codes d’éthique de la fonction judiciaire ;

j.      des difficultés dans les relations entre la justice et les médias.

4.    Le Conseil de l’Europe a établi un important cadre réglementaire visant à garantir l’Etat de droit et l’accès à la justice pour tous. De nombreux instruments précisant les exigences nécessaires à ces objectifs ont été adoptés.

5.    Le CCJE souligne l’importance d’examiner les violations alléguées à la lumière de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« la Cour »). Il rappelle que le droit à un procès équitable passe par un système de justice efficace et indépendant et par le bon exercice des devoirs et des responsabilités judiciaires.

6.    Dans son examen des violations alléguées, le CCJE a tenu compte de la Charte européenne sur le statut des juges (1998) et de la Recommandation Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités. Il s’est également appuyé sur ses propres Avis et sur la Magna Carta des juges, qui énonce les principes fondamentaux de la profession judiciaire (2010). Le CCJE a aussi tenu compte des Principes fondamentaux de l’ONU relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985) et du rapport 2012-2013 du Réseau européen des Conseils de la Justice (ENCJ): « Distillation of ENCJ Guidelines, Recommendations and Principles ».

II.  Aperçu des faits présentés au CCJE

7.    Au cours de son assemblée générale, les 24 et 25 mai 2013 à Saint-Gall (Suisse), l’AEM a adopté deux documents marquants : 1) une résolution sur la composition des Conseils de la justice, et 2) un appel de l’AEM pour une justice efficace, indépendante et de qualité en Europe. L’AEM a transmis ces deux documents au CCJE pour information et en vue d’actions éventuelles.

8.    Concernant la composition des Conseils de la justice, l’AEM souligne l’importance des normes internationales applicables et cite entre autres sources l’Avis n° 10(2007) du CCJE sur le Conseil de la Justice au service de la société et la Magna Carta des juges. Elle mentionne également la Recommandation Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

9.    La FEJA a transmis des informations au CCJE à la suite d’un atelier tenu à Palerme (Italie) les 8 et 9 novembre 2012, lors duquel des entorses à la Recommandation Rec(2010)12 ont été signalées. Le CCJE a confirmé les principes exprimés dans la Recommandation Rec(2010)12 et dans ses propres avis concernant la rémunération et la sélection des juges. Les allégations relayées par la FEJA à ce sujet sont exposées plus loin dans le présent rapport.

10.  MEDEL a organisé à Bruxelles (Belgique) une Journée d’alerte sur l’indépendance de la justice en Europe, le 23 mai 2013, et publié un livret sur les problèmes rencontrés par le pouvoir judiciaire en Europe. Les associations nationales de magistrats membres de MEDEL y relatent les évolutions qu’elles estiment dangereuses pour l’indépendance de la justice dans leur pays. Le CCJE a été invité à prendre note de cette brochure et à aider l’association MEDEL à s’opposer à ces évolutions. Les allégations relayées par MEDEL sont également reprises dans le présent rapport.

A.           Des atteintes au statut, à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges

11.  L’indépendance des juges suppose l’absence d’ingérence d’autres pouvoirs de l’Etat, notamment du pouvoir exécutif, dans la sphère judiciaire. Il n’est donc pas acceptable que le pouvoir exécutif puisse intervenir de manière directe et massive dans le fonctionnement des institutions chargées, notamment, de la sélection des juges, de leur promotion ou de leur mutation, des mesures disciplinaires prises à l’encontre de juges ou de leur destitution. Ce risque existe, par exemple, lorsque les pouvoirs concernés sont transférés du Conseil de la justice au ministère de la Justice (voir le chapitre B). Parfois, c’est la législation qui menace directement le statut, l’indépendance ou l’inamovibilité des juges.

12.  L’indépendance a pour corollaires l’inamovibilité des juges et leur nomination jusqu’à l’âge légal de la retraite (Avis n° 1(2001) du CCJE sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges, paragraphes 52 et 57). Il ne peut donc être mis fin au mandat d’un juge que pour des raisons de santé ou à la suite d’une procédure disciplinaire. Cependant, « l’existence d’exceptions aux règles d’inamovibilité, notamment celles qui découlent de sanctions disciplinaires, conduit immédiatement à s’intéresser à l’instance et à la méthode par laquelle les juges peuvent être sanctionnés » (Avis n° 1(2001) du CCJE, paragraphe 59).

 

13.  Dans un courrier daté du 10 octobre 2011, une Association suisse des juges (Schweizer Vereinigung der Richterinnen und Richter)  soutient que le système suisse d’élection et de réélection des juges contredit les normes européennes, telles qu’exprimées par exemple dans la Recommandation Rec(2010)12. Les magistrats sont élus par les parlements pour un mandat d’une durée déterminée. Ils doivent se porter candidats à leur réélection. Ils sont habituellement réélus ; depuis peu cependant, la pression sur les juges s’est accrue, certains membres des parlements les menaçant de non-réélection pour des raisons considérées comme indûment politiques. Le 3 mai 2011, la Commission des affaires juridiques de l’Assemblée fédérale a adopté des orientations concernant les procédures qu’elle doit suivre pour révoquer un juge ou ne pas le réélire, orientations qui semblent marquer un progrès. Cependant, ce texte ne s’applique pas à la plupart des magistrats suisses, dont la réélection dépend des autorités cantonales.

14.  La FEJA a signalé en janvier 2013 qu’en Lettonie, le Parlement avait refusé de reconduire le mandat d’un magistrat d’une haute juridiction pourtant proposé par le Conseil des qualifications judiciaires et par le ministère de la Justice. Cette action semble être en contradiction avec  l’article 47 de la Recommandation Rec(2010)12, selon lequel l’autorité de nomination doit suivre dans la pratique les propositions émises.

15.  Fin 2009 en Serbie (donc avant la période couverte par le présent rapport), 837 juges permanents ont perdu leur poste en raison d’une loi les obligeant à représenter leur candidature – que le Haut Conseil judiciaire n’a pas acceptée. Le CCJE a publié deux déclarations, en novembre 2008 et novembre 2010, dans lesquelles il soulignait que mettre ainsi fin à des fonctions judiciaires constituait une atteinte aux normes internationales et européennes. En outre, les demandes de réexamen et de recours ne doivent plus être adressées à la Cour constitutionnelle, mais au Haut Conseil judiciaire, qui examine les dossiers au cas par cas. La procédure de recours a présenté de graves lacunes : moins de 20 % des juges concernés ont obtenu gain de cause. En juin 2012, le CCJE a publié une troisième déclaration, dans laquelle il réitère son avis précédent et appelle à modifier la loi et à s’assurer, au minimum, de l’équité de la procédure de recours. En juillet 2012, la Cour constitutionnelle serbe a annulé toutes les décisions du Haut Conseil judiciaire et lui a ordonné de réintégrer quelque 600 juges.

Le 23 octobre 2012, une Association des juges de Serbie (Drustvo Sudija Srbije) a demandé l’avis du CCJE sur la responsabilité juridique des membres des Conseils de la justice et sur d’autres questions. L’examen de cette demande est en cours.

16.  En décembre 2012, la représentante de la Hongrie au CCJE a signalé qu’à la suite d’un règlement abaissant de 70 à 62 ans l’âge de la retraite pour les juges, 236 juges ont perdu leur poste le 30 juin 2012. Ce règlement a été déclaré anticonstitutionnel par la Cour constitutionnelle hongroise dans un arrêt du 16 juillet 2012 et dénoncé par plusieurs organismes internationaux, dont la Commission de Venise. Parmi les juges démis de leurs fonctions, 164 ont demandé leur réintégration devant une juridiction du travail. En outre, plusieurs d’entre eux ont déposé une requête contre la Hongrie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ces affaires sont toujours pendantes. Le 6 novembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt sur une requête déposée contre la Hongrie et déclaré qu’en adoptant au niveau national un règlement imposant à tous les juges de partir à la retraite à 62 ans, la Hongrie avait manqué à ses obligations en vertu du droit de l’Union européenne.

Le 16 octobre 2013, la représentante de la Hongrie au CCJE a signalé qu’en 2013, le Parlement hongrois avait entrepris de résoudre le problème en modifiant le règlement relatif à l’âge de la retraite pour les juges. En vertu du nouveau règlement, à compter du 1er janvier 2023, l’âge de la retraite pour les juges sera fixé à 65 ans. Jusqu’à la date susmentionnée, des dispositions spéciales s’appliquent : l’âge de la retraite dépend de la date de naissance, avec un départ à la retraite à 70 ans pour tous les juges nés avant 1945 et un abaissement progressif jusqu’à 65,5 ans pour les juges nés en 1956. Les juges qui ont été contraints à la retraite devraient se voir offrir trois possibilités : 1) réintégrer la juridiction dans laquelle ils travaillaient, 2) rester à la retraite avec versement d’un an de salaire en compensation, ou 3) recevoir 80 % de leur salaire pendant trois ans mais en ne travaillant qu’à temps partiel, lorsque des renforts sont nécessaires.

17.  En vertu des normes européennes, les juges ne devraient être mutés dans d’autres juridictions qu’avec leur accord et sur la base de critères objectifs.

18.  En juin 2013, une Association de juges administratifs de Serbie, relayée par MEDEL, a signalé au CCJE de nouvelles propositions de loi qui pourraient encore entamer la stabilité de la fonction de juge. Il est prévu de réformer le système judiciaire en réduisant le nombre de tribunaux. Les juges des tribunaux destinés à disparaître ne seront pas transférés vers le tribunal qui exercera les compétences de leur ancienne juridiction, mais vers un autre tribunal, sans leur consentement. L’Association de juges administratifs de Serbie y voit une nouvelle attaque contre l’inamovibilité des juges.

19.  Avant la période couverte par le présent rapport, une Association turque de juges et de procureurs (YARSAV) a signalé que le principe de l’inamovibilité des juges n’existait pas en Turquie, où les juges sont régulièrement mutés dans diverses régions du pays. Aucun critère ne s’applique : par exemple, la situation familiale n’est pas prise en compte. Certaines de ces mutations sont arbitraires.

Le 3 janvier 2013, le ministère turc de la Justice a affirmé en réponse que le Haut Conseil des juges et des procureurs (HCJP), en charge des mutations des juges, avait été réorganisé de manière à assurer l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire. Les mutations sont réglementées par la législation sur la base de critères objectifs et le Haut Conseil réorganisé prévoit de modifier la réglementation concernant les nominations et les mutations.

 

En juin 2013, YARSAV a fait savoir par le biais de MEDEL que ses préoccupations persistaient, affirmant que pour les « affaires médiatisées » – sans préciser lesquelles, les juges et procureurs étaient remplacés. YARSAV  soutient également que le Premier ministre et le parti politique majoritaire exercent de plus en plus de pressions sur le système judiciaire.

20.  En Belgique, en juin 2013, une Association syndicale de magistrats (ASM) a signalé à MEDEL qu’un projet de règlement préparé par le ministère de la Justice menaçait l’indépendance des magistrats en prévoyant des possibilités élargies de mutation dans d’autres juridictions.

21.  Avant la période couverte par le présent rapport, une Association arménienne de juges a informé le CCJE qu’à la suite d’une modification de la loi sur la fonction publique, le contrôle disciplinaire des juges allait être exercé par une Commission de déontologie des hauts fonctionnaires dépendant du pouvoir exécutif. Elle affirmait également qu’une proposition visait à transférer le département du système de justice, responsable de l’administration de la magistrature, sous l’égide du pouvoir exécutif.

En décembre 2012, le représentant de l’Arménie au CCJE a informé le CCJE que les compétences de cette Commission concernant les juges se limiteraient à contrôler leurs déclarations annuelles de patrimoine. Il a précisé que le département du système de justice continuerait à dépendre du pouvoir judiciaire et ne serait pas intégré au pouvoir exécutif.

B.           Des atteintes aux principes concernant la composition et le fonctionnement des Conseils de la justice

22.  L’indépendance de la justice peut aussi être remise en cause par l’affaiblissement de l’organe chargé de défendre l’indépendance des magistrats ; il s’agit souvent du Conseil de la justice. Il peut être affaibli de plusieurs manières : modification de sa composition, réduction de ses pouvoirs ou réduction des ressources à sa disposition, financières ou autres.

23.  Les Conseils de la justice sont des instances qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire (Recommandation Rec(2010)12, paragraphe 26). La mise en place de tels Conseils est préconisée par le CCJE dans ses Avis n° 1(2001) (paragraphe 45) et n° 10(2007) sur le Conseil de la Justice au service de la société et par la Commission de Venise (le rapport sur l’indépendance du système judiciaire, partie I: l’indépendance des juges (paragraphe 32), adopté par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière (Venise, 12-13 mars 2010)). La Recommandation Rec(2010)12 traite de ce point aux paragraphes 26 à 29.

24.  En juin 2013, une Association tchèque de juges (Soudconcska Ceske Republiky) a affirmé via MEDEL que la République tchèque ne respectait pas les principes énoncés dans l’Avis n° 10 du CCJE, la Magna Carta des juges et la Recommandation Rec(2010)13 car il n’existait pas d’instance indépendante de type Conseil de la justice en République tchèque. D’après l’association, la plupart des pouvoirs de nomination des juges et de gestion des tribunaux sont entre les mains du ministre de la Justice.

25.  Les textes susmentionnés traitent aussi de la composition de ces Conseils. D’après la Recommandation Rec(2010)12, au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire. L’Avis n° 10 du CCJE et la Magna Carta des juges indiquent que les Conseil de la justice devraient se composer d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs. Cet Avis prévoit aussi que les modalités d’élection des juges garantissent la plus large représentation possible de tous les degrés du système de justice. Il précise que les membres des Conseil de la justice ne devraient être ni des responsables politiques ni des membres du Parlement, du pouvoir exécutif ou de l’administration.

26.  L’importance de cette composition pour un Conseil de la justice a été affirmée dans une résolution de l’AEM, transmise au CCJE le 9 juillet 2013.

27.  Dans plusieurs Etats membres, la composition du Conseil de la justice ne remplit pas ces critères. Certains pays, où la composition des Conseils était auparavant conforme aux normes énoncées par les organes susmentionnés du Conseil de l’Europe, sont revenus en arrière en adoptant des réformes qui ont mis les juges en minorité.

28.  En octobre 2011, deux associations françaises de juges (l’Union syndicale des magistrats, USM, et le Syndicat de la magistrature, SM) ont signalé au CCJE un changement dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui supprimait la majorité des juges et mettait en minorité les juges élus par leurs pairs. Même pour les décisions portant sur des mesures disciplinaires contre des juges, la moitié des membres seraient des personnes élues par les deux autres branches du pouvoir.

En juin 2013, le SM (via le MEDEL) a de nouveau signalé que l’élection des membres du CSM par le pouvoir politique risquait de placer le système de justice sous influence politique.

29.  En mai 2013, les présidents des cours d’appel d’Espagne ont demandé au Conseil de l’Europe de commenter une proposition de réforme législative concernant le mode d’élection des douze membres du Conseil de la justice et la réduction de la composition de ce Conseil. Selon les juges, cette réforme compromettrait l’indépendance de la justice car elle limiterait fortement le pouvoir et les compétences du Haut Conseil de la justice sur des questions telles que la nomination des juges, la mesure de la charge de travail et l’organisation et le fonctionnement des tribunaux.

Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a demandé au CCJE d’étudier cette demande et d’y répondre.  Cette réponse du CCJE est en cours d’élaboration.

En juin 2013, dans un mémorandum relayé par MEDEL, deux associations espagnoles de juges (Jueces para la Democracia, JPD, et Unión Progresista de Fiscales, UPF) ont réitéré ces préoccupations et noté qu’une modification de la loi allait accroître l’influence politique sur le Conseil de la justice.

30.  Une Association turque de juges et de procureurs (YARSAV) a soutenu que le pouvoir exécutif exerçait une forte influence sur le HCJP. Elle souligne que le HCJP est présidé par le ministre de la Justice et que le sous-secrétaire à la Justice en est aussi membre.

Dans un courrier daté du 3 janvier 2013, le ministère turc de la Justice a répondu que la majorité des membres du HCJP étaient choisis par les juges et les procureurs, ainsi que par les membres de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat et par des juristes et professeurs d’université. Il affirme que le secrétariat du HCJP est indépendant et a été renforcé et doté d’un budget supplémentaire. S’agissant des enquêtes sur les juges, elles étaient autrefois menées par le ministère de la Justice. Cependant, le nouveau système prévoit le transfert de la plupart de ces pouvoirs au HCJP.

En juin 2013, via MEDEL, YARSAV a réitéré ses préoccupations et maintenu que l’influence du pouvoir exécutif allait s’exercer non seulement sur les membres d’office, mais aussi sur les membres élus par les juges et les procureurs, puisqu’ils sont nommés à partir d’une liste fournie par le ministère de la Justice. En outre, un projet d’amendement prévoit que certains membres soient sélectionnés par le Président turc, qui exercera un pouvoir exécutif en vertu d’un amendement proposé à la Constitution.

31.  En novembre 2011, la représentante de la Hongrie au CCJE a signalé qu’à la suite d’un référendum et d’une réforme constitutionnelle, une nouvelle institution avait été créée, présidée par une seule personne : un juge élu par le Parlement. La plupart des compétences du Conseil de la justice, auparavant en charge des décisions sur la carrière des juges et les questions de gestion et de budget, ont été transférées à la nouvelle institution. Devant les critiques, cette loi a été quelque peu modifiée, mais les compétences du nouveau Conseil de la justice restent moins larges que celles de l’ancien Conseil avant la réforme.

32.  Dans un courrier du 28 octobre 2011, l’USM  (France) a signalé un affaiblissement des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), désormais privé de la capacité d’exprimer en réunion plénière des commentaires et des réactions sur des faits concernant le système judiciaire.

33.  En Irlande, les discussions concernant la création d'un Conseil de la magistrature sont en cours. Le niveau de la représentation des juges dans ce Conseil n'est pas encore clair.

C.           Des diminutions de la rémunération des juges 

34.  L’indépendance des juges passe aussi par l’indépendance économique, qui doit être inscrite dans la loi. La Recommandation Rec(2010)12 dispose que la rémunération des juges devrait être à la mesure de leur rôle et de leurs responsabilités et être de niveau suffisant pour les mettre à l’abri de toute pression visant à influer sur leurs décisions et de tout risque de corruption. Le versement d’une pension de retraite dont le niveau devrait être raisonnablement en rapport avec celui de la rémunération des juges en exercice devrait également être garanti. Des dispositions légales spécifiques devraient être introduites pour se prémunir contre une réduction de rémunération visant spécifiquement les juges. La même proposition figure dans l’Avis n° 1 du CCJE et dans la Charte européenne sur le statut des juges.

35.  Même en temps de crise économique, les pouvoirs législatif et exécutif des différents Etats membres devraient comprendre qu’une forte réduction des salaires des juges fait peser un risque sur leur indépendance et sur la bonne administration de la justice et peut nuire au travail des juges, sur un plan objectif comme subjectif. Lorsqu’elles s’avèrent nécessaires, de telles mesures devraient toujours être limitées dans le temps (Avis n° 2(2001) relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la CEDH, paragraphe 12).

36.  Plusieurs pays confrontés à la crise économique ont opté pour une diminution des salaires des agents de la fonction publique, y compris les juges. Quels que soient les motifs de ce type de mesures, la rémunération des juges ne peut faire l’objet d’une réduction proportionnellement supérieure à celle appliquée aux autres agents de la fonction publique. Cela violerait le principe d’égalité, consacré comme principe général du droit, et contredirait le paragraphe 54 de la Recommandation Rec(2010)12.

37.  Des réductions des salaires des juges ont été signalées en Allemagne, à Chypre, en Espagne, en Grèce, en Irlande, en Italie, en Lettonie, au Portugal, en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie.  

38.  Le 14 août 2012, le représentant de la République tchèque au CCJE a informé le CCJE que les salaires des agents publics, dont les juges, allaient être réduits. Cependant, la Cour constitutionnelle a jugé contraires à la Constitution les projets de réduction des salaires des juges et les lois concernées ont été abrogées.

39.  Dans un courrier du 8 octobre 2011, une Association slovène de juges signale que la Cour constitutionnelle slovène a déclaré anticonstitutionnelle une disposition juridique réduisant la rémunération des juges. Cependant, le Parlement slovène ne s’est pas conformé à cette décision. Il a adopté de nouvelles lois prolongeant jusqu’à fin 2012 la diminution de salaire de 4 % pour les juges, creusant ainsi l’inégalité entre les fonctionnaires des trois branches du pouvoir. Les représentants du pouvoir judiciaire ont signalé aux représentants des deux autres branches du pouvoir que les juges étaient prêts à subir eux aussi des réductions de salaire pour des raisons d’économie, mais dans la même mesure que les députés et les ministres, après reconnaissance du fait que réduire la rémunération des juges était contraire à la Constitution. Après d’âpres négociations, les juges slovènes ont obtenu, le 1er juin 2012, la reconnaissance des décisions de la Cour constitutionnelle et du caractère anticonstitutionnel d’une réduction des rémunérations judiciaires plus forte que celle des rémunérations des fonctionnaires des deux autres branches. À compter du 1er juin 2012, la rémunération de l’ensemble des fonctionnaires (juges compris) a été diminuée de 8 % pour des raisons d’économie, diminution qui restera en vigueur jusqu’à ce que la croissance économique atteigne et dépasse le taux de 2,5 % du PIB.

40.  Le représentant de Chypre au CCJE a signalé en novembre 2011 (information modifiée par une communication écrite en décembre 2012) qu’une nouvelle législation, adoptée en 2011, prévoyait de nouvelles baisses de salaire pour tous les agents de la fonction publique. Initialement, les juges n’étaient pas concernés, en vertu d’une clause constitutionnelle : « La rémunération et les autres conditions de service de tout juge ne peut être modifiée à son détriment après sa nomination ». Cependant, des modifications législatives entrées en vigueur le 1er janvier 2012 ont mis fin à cette exception. Le gouvernement et la Chambre des représentants ont tenté de modifier à nouveau la législation pour l’aligner sur le principe de l’indépendance de la justice, mais sans succès, alors que les juges proposaient de participer aux efforts pour faire face à la crise économique sur la base du volontariat et dans des conditions identiques ou similaires à celles appliquées aux autres fonctionnaires.

Le 17 juillet 2013, le représentant de Chypre au CCJE a informé le CCJE que le 14 juin 2013, la Cour suprême de Chypre avait déclaré les dispositions juridiques concernées « nulles et non avenues » (affaire n° 397/2012).

     

41.  Le représentant de la Grèce au CCJE a signalé au CCJE en novembre 2011, information confirmée par écrit le 10 décembre 2012 puis par la FEJA et une association grecque de juges (Eteria Elinon Dikastikon Litourgon Gia ti Demokratia ke tis Eleftheries) en juin 2013 (via MEDEL), qu’en raison de la crise économique, les juges avaient subi une réduction de salaire drastique – de l’ordre de 40 à 45 %. Cela menace évidemment leur indépendance. Cette décision a provoqué de nombreuses protestations. Certains juges ont refusé d’accomplir certaines tâches; une grève a même été organisée.

42.  Avant la période couverte par le présent rapport, le représentant de l’Italie au CCJE a signalé que la rémunération des juges italiens avait été réduite et que leurs revenus avaient été gelés. En octobre 2012, il a informé le CCJE que la Cour constitutionnelle italienne, dans son arrêt n° 223 du 11 octobre 2012, avait déclaré anticonstitutionnelles certaines dispositions de la loi n° 122 du 30 juillet 2010 qui, afin de limiter les dépenses publiques, avait bloqué les augmentations salariales contractuelles des fonctionnaires et réduit les salaires dans la fonction publique de 5 % pour les salaires dépassant 90 000 euros par an et de 10 % pour ceux dépassant 150 000 euros par an. En outre, la loi a gelé certaines augmentations automatiques de la rémunération des juges. Selon la Cour constitutionnelle italienne, la loi précédente prévoyait l’ajustement automatique des mécanismes de rémunération des juges « en application du principe constitutionnel de l’indépendance de la justice, qui doit être préservée y compris sur le plan économique », et que les juges n’avaient donc « pas à reposer régulièrement leur candidature auprès d’autres autorités ». La Cour avait déjà jugé que l’indépendance de la justice devait être assurée par « des garanties … concernant, entre autres, non seulement la progression de carrière mais aussi les aspects économiques » (arrêt n° 1, 1978). La Cour constitutionnelle italienne a donc jugé que les règles mettant fin aux ajustements automatiques devaient être annulées, ainsi qu’une règle spéciale (et donc discriminatoire) ne s’appliquant qu’à la rémunération des juges.

43.  En juin 2013, deux associations portugaises de juges et de procureurs (l’Associacao Sindical dos Juizes Portugueses (AsJP) et le Sindicato dos Magistrados do Ministerio Publico (SMMP)) ont aussi signalé via MEDEL des diminutions de la rémunération des juges, qui viennent s’ajouter aux diminutions déjà imposées à tous les fonctionnaires.

44.  La FEJA a aussi informé le CCJE de problèmes particuliers concernant la rémunération des juges en Suède, où une partie des revenus des juges dépend de leurs performances. Cela pose clairement des questions concernant le paragraphe 55 de la Recommandation Rec(2010)12.

45.  En juin 2013, les associations allemandes de juges (Neue Richtervereinigung (NRV) et Bundesfachausschuss Richter und Staatsanwälte in der Vereinigten Dienstleistungsgewerkschaft (VERDI)) ont signalé via MEDEL que la crise économique avait entraîné des difficultés dans la rémunération des juges en Allemagne.

D.           Le manque de ressources

46.  L’article 30 de la Recommandation Rec(2010)12 affirme que l’efficacité des juges et des systèmes judiciaires est une condition nécessaire à la protection des droits de toute personne, au respect des exigences de l’article 6 de la CEDH, à la sécurité juridique et à la confiance du public dans l’Etat de droit. D’après l’article 33 de la même recommandation, chaque Etat devrait allouer aux tribunaux les ressources, les installations et les équipements adéquats pour leur permettre de fonctionner dans le respect des exigences énoncées à l’article 6 de la CEDH et pour permettre aux juges de travailler efficacement. Dans son Avis n° 2 (2001), le CCJE soulignait déjà que les tribunaux devaient disposer de ressources suffisantes pour fonctionner conformément aux principes énoncées à l’article 6 de la Convention.

47.  L’insuffisance des ressources allouées aux tribunaux et au système judiciaire a été soulevée à maintes reprises dans des communications en provenance de nombreux Etats membres : la Belgique (par l’ASM en juin 2013, concernant notamment l’aide juridique et les prisons), l’Espagne (par JPD et l’UPF en juin 2013), la France (par le SM en juin 2013), l’Irlande, le Portugal (par l’ASJP et le SMMP en juin 2013). MEDEL évoque aussi la crise économique en Italie, qui s’est répercutée sur les ressources à la disposition du système de justice.

E.        Des atteintes à la chose jugée commises par d’autres pouvoirs et la non-exécution des décisions judiciaires

48.  L’indépendance des tribunaux suppose que les décisions qu’ils rendent soient respectées, aussi bien par tous les acteurs publics et privés que par les autres pouvoirs de l’Etat. Les décisions judiciaires ne peuvent être modifiées, sauf par un recours devant une juridiction supérieure (voir l’Avis n° 13(2010) du CCJE sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires (paragraphes 11 et 31) et la Recommandation Rec(2010)12 (paragraphes 16 et 17)).

49.  Aucune autorité administrative ni aucune autre instance de l’Etat ne peut modifier une décision de justice ; une telle modification constituerait une ingérence dans le fonctionnement de la justice et une atteinte à l’indépendance des juges et à l’Etat de droit.

50.  En février 2013, le Président de la Cour suprême de Géorgie a transmis au CCJE, pour avis, un projet de loi « portant création d’une commission nationale temporaire d’examen des erreurs judiciaires ». Cette commission, qui devait se composer de quinze « spécialistes reconnus du droit » élus par le Parlement, devait avoir pour mandat d’étudier les cas d’erreurs judiciaires pour y mettre fin. Les « personnes intéressées » allaient pouvoir dénoncer des erreurs dans une procédure pénale, civile ou administrative précise pour la période de 2005 à septembre 2012. La commission devait pouvoir demander au tribunal concerné de réexaminer un dossier, pour éventuellement revoir son jugement en tenant compte de faits nouveaux, le cas échéant.

Le 21 mai 2013, le CCJE a publié un avis concluant que ce projet de loi risquait d’empiéter sur les principes de la sécurité juridique et de l’indépendance du système de justice.

51.  En juillet 2013, le membre du CCJE au titre de Chypre a informé le CCJE de la décision de la Cour suprême déclarant inconstitutionnelle la baisse de la rémunération des juges. Il a également signalé qu’immédiatement après cette décision, un projet de loi avait été présenté au Parlement en vue de modifier les dispositions constitutionnelles interdisant de réduire les salaires des juges. Le CCJE ignore à ce jour si cette proposition de loi, qui serait contraire à la décision de la Cour suprême, a été adoptée par le Parlement chypriote.

F.         Des anomalies dans l’organisation de la formation des juges

52.  Le CCJE rappelle que, selon le paragraphe 56 de la Recommandation Rec(2010)12, les juges devraient bénéficier d’une formation initiale et continue théorique et pratique, entièrement prise en charge par l’Etat. Le paragraphe 57 de la même Recommandation stipule qu'une autorité indépendante devrait veiller, en respectant pleinement l’autonomie pédagogique, à ce que les programmes de formations initiale et continue répondent aux exigences d’ouverture, de compétence et d’impartialité inhérentes aux fonctions judiciaires. Dans son Avis n° 4(2003) sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen,  le CCJE a élaboré des normes plus détaillées sur la formation des juges. Selon le paragraphe 16 de cet Avis, les responsabilités de formation devraient être confiées non au ministère de la justice ou à une autre autorité relevant des pouvoirs législatif ou exécutif, mais au pouvoir judiciaire lui-même ou à un autre organe indépendant. Conformément au paragraphe 8 de la Magna Carta du CCJE, la formation initiale et continue est un droit et un devoir pour les juges.

53.  En juin 2013, une Association polonaise de juges (IUSTITIA) a signalé via MEDEL que la formation des juges en Pologne dépendait entièrement du ministère de la Justice, qui nomme le directeur de l’École nationale de la magistrature et les procureurs, contrôle le fonctionnement de l’École et influence la teneur et les modalités des activités de formation.

54.  En juin 2013, l‘Eteria Elinon Dikastikon Litourgon Gia ti Demokratia ke tis Eleftheries grecque a déploré, via MEDEL, l’absence de possibilités de formation adéquates pour les juges en Grèce.

55.  En août 2012, le représentant de la République tchèque au CCJE a  signalé des défaillances dans les critères appliqués à la formation des juges dans son pays.

G.        L’absence de critères objectifs pour l’évaluation du travail des juges

56.  Dans son Avis n° 11(2008) sur la qualité des décisions de justice (paragraphe 57 à 75), le CCJE a élaboré des normes pour l'évaluation des juges et du système de justice. L’évaluation de la performance des juges ne doit pas menacer leur indépendance. Comme leur nomination et leur promotion, cette évaluation doit reposer sur des critères objectifs et définis à l’avance et reposer uniquement sur leurs compétences professionnelles. Les méthodes d’évaluation de la qualité des décisions judiciaires ne devraient pas nuire à l’indépendance de la justice, au niveau global comme individuel.  L'évaluation de la qualité des décisions de justice doit être réalisée avant tout au regard des principes fondamentaux consacrés par la CEDH. Elle ne saurait se faire à la lumière des seules considérations de nature économique ou de gestion des procédures. L’utilisation de certaines méthodes issues du monde économique doit être considérée avec précaution. Le rôle du système judiciaire est, en effet, avant tout d’appliquer la loi et de lui donner ses effets et ne saurait être analysé en termes d’efficacité économique.

57.  En juin 2013, une Association polonaise de juges (IUSTITIA) a signalé dans une déclaration transmise au CCJE par MEDEL que la loi sur l’organisation des tribunaux avait été modifiée, avec effet à compter du 1er janvier 2012, et risquait de poser problème. Cette loi ne précise aucun critère concernant la procédure d’évaluation des juges ou leur promotion. La définition de ces critères revient au ministère de la Justice.

58.  En juin 2013, une Association de juges de Serbie (JAS) a signalé via MEDEL qu’un projet de loi ou de règlement sur l’évaluation des juges menaçait de succomber à ce qu'ils appelaient le « culte de la statistique », oubliant les critères de qualité mis en avant dans la Recommandation Rec(2010)12 (paragraphe 31).

H.        Des atteintes à la liberté d’association des juges

59.  Le fait que les juges puissent adhérer librement à des associations professionnelles peut contribuer à la protection des droits que leur statut leur garantit. En particulier, ces droits doivent et peuvent être protégés face aux autorités qui interviennent dans les décisions concernant les juges (Charte européenne sur le statut des juges, article 1.7). Il découle de ce texte, ainsi que de la Recommandation Rec(2010)12 (paragraphe 25), des Principes fondamentaux de l’ONU relatifs à l’indépendance de la magistrature (paragraphe 9) et de l’Avis n° 3 du CCJE (paragraphe 34) que les juges devraient être libres d’adhérer aux associations professionnelles de leur choix. L’appartenance à de telles associations ne devrait compromettre ni leur carrière ni l’accomplissement de leurs tâches.

 

Avant la période couverte par le présent rapport, YARSAV (Turquie) a signalé que le gouvernement turc comptait proposer une loi créant une Union des procureurs et des juges et prévoyant la dissolution de toutes les autres associations poursuivant les mêmes objectifs. Le ministère turc de la Justice a précisé le 3 janvier 2013 que l’appartenance des juges à des syndicats ou associations n’avait rien à voir avec leur nomination et que les juges étaient libres d’y adhérer.

I.          Des difficultés concernant les codes d’éthique de la fonction judiciaire

60.  Le CCJE a souligné à plusieurs reprises l’importance des responsabilités des juges, responsabilités à la mesure de leur indépendance. D’après l’Avis n° 3(2002) du CCJE, les principes déontologiques devraient être rédigés par les juges eux-mêmes et être totalement distincts des règles disciplinaires de la fonction judiciaire.

61.  Une entorse à ces principes a été signalée en Bulgarie, où le Code de déontologie a été rédigé et adopté par le Conseil de la justice, qui est aussi l’instance disciplinaire de la magistrature.

J.         Justice et médias

62.  L’influence des médias, en particulier sur l’opinion publique, est si considérable que leur rôle doit être pris en compte, en particulier à l’égard du principe de l’indépendance de la justice et des juges. Le CCJE se montre donc vigilant sur les situations dans lesquelles les médias pourraient être utilisés par d’autres acteurs (entités publiques ou privées ou particuliers) pour influencer les juges ou exercer des pressions sur eux. Une critique virulente ou continue exprimée dans les médias contre une décision de justice particulière peut constituer une pression. Il est particulièrement inacceptable que les médias soient utilisés par d’autres pouvoirs publics ou privés, et notamment par des responsables politiques, pour contester directement les décisions prises par un juge.

Les relations sensibles entre les juges et les médias sont abordées dans l’Avis n° 7(2005) (paragraphes 22 à 55) du CCJE. La Recommandation Rec(2010)12 (paragraphe 18) demande que les pouvoirs exécutif et législatif évitent de commenter les décisions des juges d’une manière qui porterait atteinte à l’indépendance de justice ou entamerait la confiance du public envers elle.

63.  Avant la période couverte par le présent rapport, le CCJE a eu connaissance d’attaques indues des médias contre des juges dans plusieurs pays : Italie, Pologne, Slovaquie. En Italie notamment, de véritables campagnes médiatiques et politiques étaient menées contre le système judiciaire.

En octobre 2012, le représentant de l’Italie au CCJE a signalé que le niveau des critiques verbales émanant de personnalités politiques et/ou des médias était « revenu à la normale ». Les déclarations publiques de personnalités restent presque toujours dans les limites de la critique acceptable ; cependant, une législation est prévue pour mieux encadrer la responsabilité des médias. Le rôle du Haut Conseil de la justice, habilité à publier des déclarations défendant l’indépendance de la justice, a été préservé.

III. Conclusions

·         Les demandes et rapports adressés au CCJE pendant la période couverte par le présent rapport (octobre 2011 à septembre 2013) montrent clairement que l’application des normes pertinentes du Conseil de l’Europe continue à poser problème dans certains Etats membres.

·         Le CCJE réaffirme que « ce qui importe n’est pas la perfection des principes et encore moins l’harmonisation des institutions, mais la mise en pratique effective des principes déjà élaborés » (Avis n° 1(2001), paragraphe 6).

·         Le CCJE s’inquiète de tendances qui, semble-t-il, risquent de remettre en cause à la fois l’indépendance et l’image d’indépendance de la justice, entamant ainsi la confiance de la société envers le système judiciaire.

·         Le CCJE attire l’attention du Comité des Ministres sur ces questions, ainsi que sur les informations fournies par les délégations du CCJE et par d’autres parties concernées. Il attire aussi l’attention sur les observations formulées par le CCJE dans le contexte de ses Avis et d’autres textes pertinents. Ces problèmes, que le CCJE se doit de commenter, ne font que souligner une fois de plus l’importance des travaux du Conseil de l’Europe pour l’amélioration du respect de l’Etat de droit dans toute l’Europe.

·         Conformément à son mandat, le CCJE continuera d’examiner les allégations d’atteintes au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions. Il invite les autorités compétentes des Etats membres à prendre note du présent rapport et à se conformer aux normes pertinentes du Conseil de l’Europe.

·         Le CCJE invite ses membres, les autorités nationales compétentes, les instances judiciaires ou les associations de juges et les organisations ayant le statut d’observateur auprès du CCJE à fournir des observations et informations complémentaires sur les problèmes soulevés ici et charge son Bureau de mettre régulièrement à jour le présent rapport, qui sera transmis aux organes concernés du Conseil de l’Europe.


Annexe 1

Réponse du membre du CCJE représentant Chypre, 2 décembre 2013

Objet : rapport sur le statut et la situation des juges dans les Etats membres

Monsieur le Président, chers membres du Bureau et collègues,

Chers membres du Secrétariat,

A la suite du rapport sur la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, distribué lors de la réunion plénière de novembre dernier, je tiens à vous informer, au moyen d’une mise à jour, ainsi que cela est prévu au dernier paragraphe des Conclusions, que, peu de temps après l’arrêt de la Cour suprême du 14.6.2013 a été déposée à la Chambre des représentants une proposition de loi qui tendait à porter atteinte à l’indépendance de la justice puisqu’elle visait à modifier la disposition constitutionnelle prévoyant que la rémunération des juges ne peut être modifiée à leur détriment après leur nomination.

La Cour suprême a réagi rapidement à cette initiative en s’adressant, oralement et par écrit, au Président de la République, en tant que chef de l’exécutif, et à la Chambre des représentants elle-même. La Cour suprême a rappelé l’essence du principe d’indépendance de la justice et répété que les juges étaient tous prêts à participer aux efforts visant à faire face à la crise économique sur la base du volontariat et qu’ils acceptaient une baisse de leur rémunération sans qu’il soit nécessaire de modifier la Constitution. Les juges ont aussi renoncé à demander le remboursement de la part de leur rémunération qui avait été supprimée en application des dispositions législatives déclarées ultérieurement nulles et non avenues. Il y a finalement eu un consensus et tous les juges, de tous niveaux, ont accepté de leur plein gré une baisse de 20 % de leur rémunération. La crise constitutionnelle a donc pu être évitée et le principe de l’indépendance a prévalu. Toute l’affaire était terminée à la fin septembre.

Avec mes meilleures salutations,

Stelios Nathanael,

Chypre.


Annexe 2

Commentaires de la Géorgie

Le paragraphe 50 du rapport du CCJE n’est pas à jour et contradictoire. Les circonstances à l’origine du projet de loi ont changé :

•           à aucun stade la Commission d'Etat temporaire n’a été habilitée à demander un réexamen de l’affaire par le tribunal au titre du projet de loi relatif aux erreurs judiciaires. En outre, dans la version définitive, le mandat de la Commission était limité aux affaires pénales ;

•           le rôle de la Commission se borne à fournir au tribunal une recommandation selon laquelle le jugement rendu pourrait laisser soupçonner une éventuelle erreur judiciaire. C’est au tribunal qu’il revient de décider en dernier ressort –  il considérer la recommandation comme un élément nouveau et opter pour une révision ;

•           le projet de loi été présenté au Gouvernement géorgien en octobre 2013. Depuis, le gouvernement n’a engagé aucune action relative à ce texte ;

•           enfin, la Commission de Venise a estimé que la création d’une institution de ce type était possible ;

•           la version définitive a repris la plupart des conseils formulés par la Commission.


Annexe 3

Réponse du Haut Conseil des juges et des procureurs de Turquie au rapport MEDEL,

3 décembre 2013

Objet : rapport sur le statut et la situation des juges dans les Etats membres

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,

Nous vous remercions beaucoup de nous donner la possibilité de présenter nos arguments contre le rapport du représentant de MEDEL sur la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Après que les médias avaient fait état du rapport d’observation (qui aurait été établi par Christoph Strecker, membre de MEDEL, et Vito Monetti, ancien président de l’Association, après leur visite en Turquie, du 3 au 9 juin 2012), le rapport susmentionné a été téléchargé depuis le site web de YARSAV et examiné. A l’issue de l’examen, de sérieux doutes ont été exprimés concernant la question de savoir si ce rapport avait été établi par les experts autorisés par MEDEL, non seulement à cause de son style, mais aussi parce qu’il contenait des informations subjectives contraires aux faits. En conséquence, nous avons répondu point par point à ce rapport et envoyé notre réponse à l’Organisation. Vous trouverez ci-joint l’intégralité de cette réponse. J’ai cependant été déçu de constater que notre réponse et nos données concrètes n’avaient pas été prises en considération et que le rapport avait été publié dans sa première version. Le plus important et le plus regrettable dans cette affaire, c’est que le rapport a été présenté au CCJE, et nous craignons de ne pas pouvoir corriger les informations subjectives et incorrectes qu’il contient.

Les reporters de MEDEL qui ont préparé le rapport ont interrogé uniquement un petit groupe d’opposants qui ne représentent pas la majorité des magistrats turcs. Les plaintes exprimées sont totalement subjectives et infondées.

Au cours de cette période, des représentants du Conseil et de l’Association ont discuté du rapport par correspondance et échange de lettres. Un représentant de MEDEL (Vito Monetti) a rencontré M. Engin Durnagol (Secrétaire général du HCJP) à Istanbul et le rapport a été examiné de près. Entre-temps, des représentants de MEDEL ont indiqué que le rapport reflétait l’opinion personnelle des reporters, qu’il ne constituait pas l’avis officiel de MEDEL et qu’il ne serait utilisé à aucune fin officielle. Malheureusement, nous réalisons maintenant que ce rapport a servi de base au rapport du CCJE.

Nous comptons que les représentants du CCJE prendront nos réponses en considération et réviseront en conséquence le rapport sur la situation du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Premièrement : dans le rapport, il est indiqué que les nominations de juges et de procureurs seraient arbitraires. Pourtant, ces nominations s’effectuent conformément aux règles sur les nominations et les mutations, fondées sur la loi  2802 relative aux juges et aux procureurs, et conformément aux résolutions concernant des décrets pris par la première chambre du HCJP.

Le Haut Conseil est conscient que la réglementation actuelle relative aux mutations n’est pas opérationnelle, mais il applique les lois et règlements en vigueur. De plus, cette question est traitée dans le cadre de l’objectif « renforcer l’inamovibilité des juges et des procureurs » du plan stratégique du HCJP pour 2012- 2016. Comme le prévoit le plan stratégique, le HCJP a lancé un projet visant à modifier la réglementation correspondante.

Deuxièmement : dans le rapport, il est indiqué que le gouvernement exercerait une grande influence sur le pouvoir judiciaire.


Cette assertion repose uniquement sur des rumeurs et des opinions subjectives. Comme on le sait, le Haut Conseil compte 22 membres et le ministre de la Justice et son sous-secrétaire ne disposent que de deux voix à l’Assemblée générale. Ils ne détiennent donc que 10 % du pouvoir au Haut Conseil.

En résumé, nous nous permettons d’indiquer que le Haut Conseil turc n’acceptera jamais le rapport de MEDEL et nous comptons sur le CCJE pour prendre en considération les données et les informations concrètes.

[signature]

Osman Nesuh Yildiz

Juge rapporteur

Haut Conseil des juges et des procureurs