Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) - Sommet mondial des dirigeants locaux et régionaux

Rabat, Maroc, 1-4 octobre 2013

Allocution de Jean-Claude Frécon, Président de la Chambre des pouvoirs locaux du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Mesdames et Messieurs,

Je suis très content de m’adresser à vous aujourd’hui au nom du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

Le Congrès, dont je suis Président de la Chambre des pouvoirs locaux, est l’assemblée des élus locaux et régionaux des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. En tant qu’élus de proximité, ses 636 membres sont particulièrement sensibles à la nécessité de rester à l’écoute des citoyens et de leur donner la parole dans la prise des décisions politiques. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les élus locaux bénéficient encore dans une large mesure de la confiance publique, alors qu’au niveau national et européen elle est en baisse constante.

Cette perte de confiance a été aggravée par la crise économique mondiale, qui a eu un impact sévère en Europe. Cette crise a révélé des lacunes majeures dans le fonctionnement des institutions et mécanismes démocratiques européens. Ces institutions n’ont pas su répondre aux attentes des citoyens. La crise économique a ainsi aggravé une crise de la démocratie, et plus particulièrement de la démocratie représentative. Pour nous, les élus locaux, elle souligne l’impératif de bâtir un nouveau modèle démocratique, celui d’une démocratie participative.

En effet, les citoyens ont commencé à mettre en question l’efficacité du système démocratique représentatif actuel, qui semble de plus en plus déconnecté de leurs préoccupations et de leurs besoins. Leur frustration croissante vis-à-vis des politiques d’aujourd’hui est tout particulièrement ressentie au cœur de nos collectivités territoriales par les élus locaux et régionaux. Ces derniers sont les premières autorités publiques à faire face au mécontentement populaire à travers leur contact direct avec la population. C’est pourquoi c’est également à ce niveau que les réponses aux problèmes doivent être recherchées et mises en pratiques.

Au Congrès, nous sommes convaincus qu’une participation citoyenne accrue au niveau local constitue un début de réponse efficace et nécessaire à la crise de la démocratie. Il nous appartient de combler le fossé entre les mécanismes de la gouvernance et les citoyens eux-mêmes. Permettez-moi de présenter brièvement quelques pistes de réflexion pour le renforcement de la participation des citoyens dans nos collectivités.

Quand on parle de l’importance de la démocratie participative, la première raison la plus évidente est la déconnection démocratique entre les citoyens et le pouvoir, les pouvoirs. Le sentiment de plus en plus aigu est que les institutions de la gouvernance fonctionnent dans un espace différent de celui des citoyens, des gens de la rue, et ce fossé ne cesse de s’agrandir. La classe politique représentative est de plus en plus déconnectée, elle aussi, des réalités du terrain. Ceci aboutit à une perte de crédibilité des partis politiques, cette composante essentielle du système représentatif.

Impliquer les citoyens dans le processus de gouvernance, en intégrant les éléments de la démocratie directe dans ce système représentatif, est une piste de réflexion et de réforme possible. L’engagement des citoyens permettra un transfert vers l’univers politique plus transparent et plus proche des besoins de la population, plus à même d’orienter l’action publique.

Nos réflexions doivent aussi prendre en compte l’évolution de nos sociétés qui connaissent aujourd’hui une diversité croissante sans précèdent. Elles deviennent de plus en plus multiethniques, multiculturelles et multiconfessionnelles. Nos collectivités accueillent aussi bien des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile que d’autres résidents étrangers – issus des pays hors de l’Union européenne mais aussi de l’Union européenne même. Les acquis européens leur permettent de voyager, de travailler et de s’installer dans d’autres pays de l’Union.

Pour la première fois dans l’histoire, nous faisons face à une diversité culturelle d’une telle ampleur. Cette situation nécessite une réflexion sur la manière d’assurer une cohésion sociale qui n’est plus basée sur l’homogénéité. Il nous faut alors repenser les modalités de la participation, qui doit être basée sur la notion de la résidence plutôt que sur la notion de citoyenneté.

Nous croyons que le niveau local en tant que niveau le plus proche du citoyen représente un fort potentiel pour la mise en pratique effective de la participation directe. Il s’agit là de bonnes pratiques déjà bien en place dans certaines collectivités, que ce soit les consultations avec la population, l’engagement de la société civile, ou encore la prestation de services centrés sur les attentes des résidents. Ces bonnes pratiques doivent inspirer d’autres collectivités et peuvent aussi être reproduites au niveau national.

Mesdames et Messieurs,

La participation citoyenne à la gouvernance locale ne pourra se développer que sous certaines conditions.

Tout d’abord, il faut un cadre juridique propre, tant au niveau national qu’au niveau local. Il s’agit de garantir le droit des citoyens à la participation, en leur fournissant les procédures pour faciliter cette participation. A l’échelle européenne, nous avons déjà un instrument qui est le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale, et qui porte sur le droit de participer aux affaires d’une collectivité. Dans certain nombre de pays, il y a des lois sur les référendums locaux et sur les initiatives populaires locales, ainsi que les statuts locaux qui invitent les autorités à avoir des consultations régulières avec la population.

Par exemple, le nouveau gouvernement régional de Bade-Wurtemberg en Allemagne a créé un poste de ministre de la participation citoyenne, et a invité les municipalités à consulter les citoyens sur les projets d’infrastructure importants. Cette consultation doit se faire en ligne selon une procédure clairement définie et transparente, et un budget spécial est alloué dans ce but.

Je suis toutefois convaincu que tous ces réformes ne serviront à rien si nous n’arriverons pas à assurer un engagement actif des citoyens eux-mêmes. Nous ne pouvons pas renforcer la participation des citoyens sans des citoyens qui soient prêts à participer, à exprimer leurs positions et à défendre leurs droits. Aujourd’hui, en raison de la frustration et de la déconnection démocratique dont je viens de parler, nos citoyens sont souvent indifférents aux processus politiques. Ils se réfugient dans l’apathie ou dans l’extrémisme.

Il nous appartient d’engager une politique volontariste d’éducation à la citoyenneté démocratique active et aux droits de l’homme, au bénéfice de tous nos citoyens, des résidents de nos collectivités. Eux aussi, ils doivent apprendre à exercer leurs droits et à assumer leurs responsabilités dans le développement démocratique. C’est d’ailleurs, chers collègues, une des priorités du Conseil de l’Europe et de son Congrès aujourd’hui.

Enfin, je crois fermement à la nécessité de poursuivre une politique d’interculturalisme à tous les échelons de la gouvernance, correspondant aux besoins d’une société pluriculturelle. Surtout au niveau local, un dialogue et des relations harmonieuses entre les différents groupes culturels représentent un élément crucial de leur engagement dans le processus démocratique. C’est par ce dialogue que passe la participation de l’ensemble de la population locale à la construction et au développement d’une collectivité.

C’est pourquoi, depuis plusieurs années déjà, le Congrès insiste sur l’élaboration des politiques locales interculturelles. A cet égard, je pourrais faire référence aux activités du réseau Cités interculturelles, qui est un programme conjoint du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne, et qui est un excellent exemple dans ce domaine.

Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite d’excellents échanges aujourd’hui, et je vous remercie.