Les aspects locaux et régionaux du Partenariat oriental - Réunion de consultation

« Démocratie locale et régionale dans les pays du Partenariat oriental »

Bruxelles, 30 juin 2010

Allocution de Antonella Cagnolati, Directrice du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Si l’objectif du Partenariat oriental est de renforcer les conditions démocratiques dans les six pays participants, il est clair que la consolidation et l’approfondissement de la démocratie de base, la démocratie de proximité dans nos villes et nos régions est la meilleure garantie de la stabilité de l’édifice démocratique national dans son ensemble.

C’est le meilleur argument en faveur de la dimension territoriale du Partenariat oriental, dont les aspects locaux et régionaux servent à consolider et à renforcer la base même de la construction démocratique dans ces pays.

Faire avancer la démocratie locale et régionale, c’est aussi la mission principale du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, dont l’engagement en Europe de l’Est est bien antérieur à l’adhésion même de ces Etats à cette Organisation paneuropéenne.

Déjà après la chute du Mur de Berlin en 1989, il est devenu évident que les nouvelles démocraties auraient besoin de bâtir un socle solide pour le bon fonctionnement de leurs systèmes encore fragiles. La mission du Congrès a été d’apporter son expérience et son expertise dans ce domaine pour faciliter cette tâche tout d’abord aux autorités nationales, puis aux structures naissantes de l’autonomie locale et régionale. Nous avons vu grandir cette démocratie de base jusqu’à sa « certification », dans un certain sens, avec l’adhésion, pays par pays, à l’Union européenne. Je parle de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Slovénie, de la Slovaquie, des pays Baltes, de la Roumanie, de la Bulgarie.

Encore aujourd’hui, le Congrès continue de suivre de près la situation de la démocratie locale et régionale dans ces pays, comme partout en Europe, parce que la construction démocratique ne finit jamais. Et au-delà de son expertise et de son assistance, le Congrès offre toujours une plate-forme de coopération et un forum pour un échange d’idées entre les collectivités de l’ensemble du continent. Dans ces deux rôles, en tant que gardien de la démocratie territoriale et en tant que tribune pour faire entendre la voix des villes et des régions, le Congrès a accumulé une expérience substantielle, y compris dans les pays participant au Partenariat oriental, qui sera – j’en suis convaincue – profitable au Partenariat et au Comité des Régions dans ses efforts au sein de cette initiative.

C’est pourquoi je suis très heureuse de m’adresser à cette réunion aujourd’hui et de pouvoir, partager avec vous les expériences du Congrès dans les pays du Caucase du sud, en Moldova, en Ukraine et à propos du Bélarus.

Sans compter le Bélarus, qui n’est pas membre du Conseil de l’Europe, la démocratie territoriale dans la plupart de ces pays peut être qualifiée de fragile, nécessitant d’autant plus des efforts accrus aux niveaux local et régional dans le cadre du Partenariat. La situation est caractérisée par un cadre juridique de l’autonomie locale assez faible et une pratique administrative assez arbitraire. Le résultat se traduit souvent par un manque de respect des principes de la Charte européenne de l’autonomie locale ; des compétences mal définies et réparties entre les différents échelons du pouvoir ; ainsi qu’un manque général de financement au niveau local. Ce dernier entraîne une insuffisance de moyens permettant aux autorités locales de remplir leurs tâches et leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens. Enfin, à un degré variable d’un pays à l’autre, l’indépendance politique des pouvoirs locaux et régionaux reste un sujet de préoccupation.

L’outil principal du Congrès pour influer sur cette situation et apporter un changement positif repose sur son processus de suivi, pays par pays, sur la base de la Charte européenne de l’autonomie locale. Ce « monitoring » régulier nous permet de constater le respect ou non des principes de la Charte et d’adresser les recommandations appropriées aux gouvernements nationaux, faisant pression pour leur mise en œuvre. Les premiers rapports de monitoring pour les cinq pays, qui sont à la fois membres du Partenariat oriental et membres du Conseil de l’Europe, nous ont permis d’établir une base pour le suivi en continu de leurs situations nationales.

En complément de ce monitoring, le Congrès évalue également la situation à travers l’observation des élections locales et régionales et des processus électoraux. Dans ce contexte, je  me réjouis que, dans le cadre de notre partenariat avec le Comité des Régions, ses membres continuent de participer aux missions du Congrès dans ce domaine particulier. Un exemple récent de cette coopération est la mission d’observation des élections locales en Géorgie en mai dernier. Cette expérience, ainsi que les recommandations du Congrès dans le cadre de monitoring au sens large, représentent une contribution importante pour les activités du Partenariat oriental, et doivent être prises en compte dans la mise en œuvre des projets.

Les échanges de vues entre nos membres et les représentants des gouvernements concernant la mise en œuvre de nos recommandations, qui ont lieu durant les sessions du Congrès, peuvent, eux aussi, servir de source d’information et d’inspiration pour le Partenariat.

Outre les recommandations issues du monitoring et de l’observation des élections, l’intervention du Congrès dans les pays du Partenariat oriental a abouti à sa contribution importante aux négociations du statut spécial de la Gagaouzie en Moldova, aux discussions sur la régionalisation en Ukraine, à la création de l’association nationale des pouvoirs locaux en Géorgie, NALAG, ainsi qu’à l’établissement d’une Agence de la démocratie locale à Kutaisi, également en Géorgie. Il s’agit de la première agence de ce type, hors de l’Europe du Sud-est, .créée à l’initiative du Congrès

Sans oublier notre propre plate-forme de coopération entre les collectivités locales et régionales dans la région – l’Eurorégion de la Mer Noire, lancée en septembre 2008, avec qui, je l’espère vivement, le Partenariat oriental établira des synergies pratiques. Selon le statut de l’Eurorégion, les pays non littoraux tels que l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Moldova ont également droit à participer à cette plate-forme.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de revenir un instant sur le bilan des toutes récentes expériences du Congrès dans le Caucase du sud. Il s’agit notamment de l’observations des élections du conseil municipal et du maire d’Erevan en mai 2009, ainsi que des élections municipales en Azerbaïdjan en décembre 2009 et des élections locales en Géorgie en mai cette année. En outre, nous avions prévu pour cette année des missions de monitoring en Moldova et en Ukraine, qui ont été reportées pour ne pas interférer dans l’organisation et la tenue des élections dans ces pays. Par ailleurs, le Congrès observera aussi les prochaines élections locales en Ukraine, qui pourraient avoir lieu fin 2010 – début 2011.

En Arménie, tant la mission pré-électorale du Congrès que la mission d’observation proprement dite, se sont déroulées dans des conditions difficiles. Suite aux élections du conseil municipal et du maire d’Erevan, la délégation du Congrès s’est félicitée du fait que, par ces élections, l'Arménie a contribué par ses propres moyens à la mise en œuvre de la démocratie locale. Néanmoins, elle a souligné que les acteurs politiques en Arménie devraient changer d'attitude et de comportement, afin que la conduite pratique des élections, ainsi que la culture démocratique du pays, puisse encore s'améliorer à l’avenir. Dans sa recommandation, le Congrès a invité instamment l’Arménie à améliorer sa conduite électorale.

Les élections municipales en Azerbaïdjan en décembre 2009 ont été précédées par un référendum sur les amendements à la Constitution, dont le texte a reçu un avis critique de la Commission du Conseil de l’Europe pour la démocratie par le droit, plus connu sous le nom de « Commission de Venise ». Le Congrès s’est déclaré particulièrement préoccupé par des amendements établissant le contrôle de l’Etat sur les municipalités, en contravention apparente avec la Charte européenne de l’autonomie locale. Suite à sa visite dans le pays en septembre 2009, le Président en exercice du Congrès, Ian Micallef, a salué la décision du gouvernement azerbaïdjanais de consulter la Commission de Venise et le Congrès, afin de continuer à progresser sur la voie de l’autonomie locale et de la décentralisation. Le Président a cependant constaté qu’étant encore une notion assez vague et abstraite, la démocratie locale n’était guère développée en Azerbaïdjan, , et qu’il restait beaucoup à faire dans ce pays en matière de consolidation des structures territoriales.

Suite aux élections en décembre, la délégation du Congres a appelé à une relance de la démocratie pluraliste dans ce pays, constatant qu'une campagne électorale animée et une réelle compétition entre les partis n’a pu se développer en raison de l'absence d'un paysage politique pluraliste en Azerbaïdjan. Dans sa recommandation, le Congrès a réitéré cette préoccupation, et a recommandé aux autorités de d’instaurer un large pluralisme de l’information et de procéder à la libération des journalistes emprisonnés.

Enfin, par rapport aux élections municipales en Géorgie le 30 mai 2010, le Congrès a constaté un progrès manifeste vers le respect des normes internationales, mais aussi d’importantes insuffisances qui restent encore à corriger. L’administration électorale a organisé ce scrutin d’une manière transparente, ouverte et professionnelle, mais des irrégularités générales ont été observées le jour de l’élection dans certaines régions, notamment plusieurs cas de bourrages d’urnes et de violations de la procédure lors du dépouillement. Les observateurs ont aussi noté certaines déficiences du cadre juridique et de sa mise en œuvre, et décrit le contexte général de la campagne comme un terrain inégal favorable aux candidats du parti sortant. Le faible niveau de confiance du public vis-à-vis du processus électoral a persisté, et des efforts supplémentaires pour combattre résolument les manquements récurrents étaient nécessaires si l’on voulait consolider les progrès réalisés et renforcer la confiance du public avant les prochaines élections nationales.

Je voudrais dire aussi quelques mots concernant la position du Congrès vis-à-vis du Bélarus. Deux organisations de ce pays bénéficient du statut d’observateur auprès du Congrès, et l’année dernière nous avons élaboré, en consultation avec les observateurs et les autorités nationales du Bélarus, un projet de coopération pour instiguer le développement de l’autonomie locale. Ce projet comprenait notamment l’organisation d’une table ronde à Minsk sur la Charte européenne de l’autonomie locale, la création d’une association des pouvoirs locaux au Bélarus, et un programme de formation pour les élus locaux et leurs administrations.

Nous considérons ces trois points – à savoir le développement de la base juridique et législative nécessaire, le développement d’une association indépendante des autorités locales, et l’augmentation de leurs connaissances et compétences professionnelles – indispensables pour démarrer la construction de l’autonomie locale dans un pays.

Néanmoins, nous n’avons pas pu continuer ce projet. Comme vous le savez, en mars dernier, les autorités du Bélarus ont exécuté deux personnes condamnées à mort. Le Président en exercice du Congrès, dans sa déclaration du 25 mars, a souligné qu’un moratoire sur la peine de mort au Bélarus constitue une condition essentielle pour poursuivre notre dialogue avec les autorités de ce pays. En procédant à ces exécutions, elles ont fait preuve d'un mépris flagrant de l’avis des démocraties européennes et de leur manque de volonté d'appartenir à la famille démocratique européenne. Le 21 mai, le Bureau du Congrès a reporté la table ronde qui devait avoir lieu en juin, en conformité avec la position d’« implication prudente » du Conseil de l’Europe vis-à-vis du Bélarus.

Mesdames et Messieurs,

En conclusion, je me permets de réitérer notre conviction au Congrès que l’action actuelle aux niveaux local et régional dans les pays du Partenariat oriental doit traiter des points suivants que nous considérons cruciaux pour le renforcement de l’autonomie et de la démocratie territoriale :

- un cadre comprenant des normes et des principes juridiques appropriés, basé sur les acquis du Conseil de l’Europe et de son Congrès, et l’application pratique de ces principes ;

- une définition claire des compétences entres les différents niveaux de gouvernance, et des garde-fous contre l’ingérence des niveaux supérieurs dans les affaires des collectivités, y compris le recours au tribunal ;

- une autonomie fiscale des collectivités, leur permettant d’effectuer leurs missions et garantissant leur indépendance ;

- enfin, des capacités accrues pour les collectivités, telles que leurs propres structures administratives, un cadre professionnel avec les compétences appropriées, la capacité de gestion des projets, etc.

Le traitement de ces questions fait partie de la mission du Congrès qui est prêt à offrir son expertise au Partenariat oriental, pour notre bénéfice mutuel et pour le bénéfice des collectivités et des citoyens de ces pays.

Unissons nos efforts pour un succès commun !

Je vous remercie.