Gérard Marcou : « Le référendum est un instrument de mobilisation plus qu’un instrument de démocratie »

Intervenant lors de la conférence de Saint Gall (Suisse), dans le cadre d’un atelier sur « Le Référundum au niveau local et régional », Gérard Marcou, Directeur du GRALE, Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne (France) a souligné les limites du référundum en matière de démocratie locale. Selon lui, le référendum ne peut pas être considére aujourd’hui comme une forme majeure du renforcement de la démocratie locale . Très peu d’Etats européens prévoient des référendums de décision au niveau local, et encore moins l’utilisent comme un véritable outil de la prise de décision.

Interview – 4 mai 2010

Question : La France, qui, par ailleurs, n’a ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale qu’en 2007, est traditionnellement vu comme un pays centralisé. Comment voyez-vous l’évolution de la décentralisation dans votre pays?

Gérard Marcou : Tout d’abord, c’est une idée une peu fausse. La France a des traditions de centralisation, c’est vrai, mais elle n’est plus, depuis longtemps, un pays centralisé. Et la décentralisation n’a pas commencé seulement avec la loi de 1982. Le processus progressif de décentralisation a commencé déjà sous la 3e République, et aujourd’hui, notamment au niveau communal, la France, tout en restant un pays unitaire, est relativement décentralisé. En fait, si on compare les systèmes de l’administration locale, on s’aperçoit que dans le domaine des compétences sur les questions importantes, les autorités locales françaises ont plus d’autonomie que dans la plupart des pays européens. Ce processus continue; le gouvernement prépare actuellement une réforme importante, qui est l’achèvement de la réforme territoriale et qui devrait logiquement remplacer les intercommunalités par de nouvelles communes, ce que le projet de loi prévoit. Au moins, les organes des intercommunalités seront élus par le suffrage direct, ce qui sera un changement majeur.

Question : Il y a deux tendances au niveau européen aujourd’hui : d’un côté, l’action en faveur de la décentralisation du pouvoir vers les villes et les régions, promue par le Conseil de l’Europe et son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, et, de l’autre côté, des appels à rendre l’Union européenne plus forte, avec plus de compétences. Est-ce que ces deux tendances sont contradictoires ?

Gérard Marcou : Je ne pense pas qu’il y ait une contradiction entre les problèmes que l’Union européenne doit résoudre et la promotion de la décentralisation sur la base de la Charte européenne de l’autonomie locale. Ces deux tendances ne portent pas sur la même question. Les compétences de l’Union européenne portent essentiellement sur les grandes politiques publiques et sur l’effort pour unifier et harmoniser la législation dans un certain nombre de domaines, qui concernent essentiellement la vie économique et aussi, aujourd’hui, les questions environnementales. Mais l’UE n’a pas de compétences à l’égard de l’organisation territoriale des Etats. Par conséquent, les Etats peuvent organiser leurs territoires comme ils le veulent, distribuer les compétences entre les différents niveaux et avoir un régime plus ou moins centralisé en ce qui concerne l’administration locale.

Question : Les discussions dans votre atelier aujourd’hui portent sur le rôle des référendums locaux et régionaux. Selon vous, le référendum est un outil de participation démocratique ou de manipulation politique ?

Gérard Marcou : C’est les deux à la fois. Le référendum est un instrument de mobilisation plus qu’un instrument de démocratie. En réalité, et malgré son intérêt, le référendum ne peut pas être considére aujourd’hui comme une forme majeure du renforcement de la démocratie locale. Dans tous les Etats du Conseil de l’Europe, il n’y a qu’une minorité de pays qui prévoient des référendums de décision au niveau local, et il y a encore un plus petit nombre de pays qui l’utilisent comme un véritable outil de la prise de décision. La plupart des pays soit n’organisent que des référendums consultatifs – ce qui n’est pas vraiement un référendum mais une procédure de question – soit les prévoient sur des points très restreints, par exemple, pour modifier les limites territorales, choisir entre les modèles institutionnels prévus par la loi, etc. En outre, on ne peut considérer le référendum comme quelque chose qui fonctionne d’une manière isolée. Pour qu’il donne des résultats positifs au niveau local, il faut aussi que d’autres conditions soient remplies. Par exemple, la question de l’information des citoyens – il faut garantir que l’information sur les décisions à prendre soit complète et correcte. De même, il faut s’assurer que les questions ne soient pas posées d’une manière biaisée, ou d’une manière qui, en quelque sorte, détermine la réponse. Sinon, le référendum devient, effectivement, un outil de manipulation.