Arnold Koller : « La décentralisation donne aux citoyens une réelle opportunité de participer à la vie locale »

Arnold Koller, ancien Conseiller fédéral de la Suisse, a participé à la conférence sur la démocratie et la décentralisation organisée à Saint Gall par la Présidence suisse du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, en coopération avec la Commission de Venise du Conseil de l’Europe et l’Université de Saint-Gall. Il explique dans une interview les enjeux de la décentralisation qui donne aux communes suisses les compétences nécessaires pour gérer des projets au niveau le plus proche, et ainsi impliquer plus fortement les citoyens.

Interview – 3 mai 2010

Question : Souvent citée comme « un condensé d’Europe », la Suisse, qui achève ces jours-ci sa présidence du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, est vue par ailleurs en tant que modèle de décentralisation. Y a-t-il une « voie suisse » qui peut servir d’exemple pour d’autres pays européens?

Arnold Koller : Je crois que la Suisse est en effet un modèle d’intégration; le peuple suisse parle quatre langues, pratique quatre cultures, ce qui représente un grand succès historique et économique. Mais est-ce qu’on peut transférer ce modèle sur le reste de l’Europe? Ici, je serais très modeste. Naturellement, il y a des éléments à prendre, mais on ne peut jamais transférer un modèle entier d’un Etat à un autre, parce que les faits de base sont différents. La Suisse était tout d’abord une confédération qui s’est développée en fédération. Encore aujourd’hui, nous sommes persuadés que nous avons seulement une chance de vivre ensemble en paix, où nous pouvons vivre aussi nos différences, parce que nous sommes un Etat fédéral. Je pense que la « voie suisse » a toujours été de commencer par les communes et d’aller ensuite aux cantons et, en dernier lieu, au niveau de l’Etat. Comme Napoléon l’a dit, « la Suisse est fédéraliste ou elle n’est pas ».

En outre, l’expérience mondiale montre que la diversité culturelle est un atout pour le fédéralisme parce que la composition des majorités et des minorités change souvent. Une fédération dans un Etat avec plusieurs cultures diverses est donc plus facile à réaliser que, par exemple, dans un Etat avec seulement deux composants décisifs.

Question : A l'issue de sa visite de monitoring en Suisse, le Congrès a salué la qualité de la démocratie régionale suisse, mais a néanmoins émis quelques observations. Comment voyez-vous l’évolution de la décentralisation dans votre pays à la lumière de ces recommandations?

Arnold Koller : Le problème de la Suisse, c’est la fragmentation avec ses 26 cantons, qui ont des territoires relativement limités. De petits cantons ont des désavantages, et ce n’est pas optimal du point de vue économique. Au niveau local, par exemple, nous avons vu une diminution de 15% du nombre de communes, ces derniers temps, en raison de fusions, et je suis persuadé que c’est une évolution positive également pour les cantons. Bien sûr, les fusions des cantons est une autre chose, qui suscite beaucoup d’émotion et des questions d’identité, mais ça serait un pas dans la bonne direction.

Question : Il est souvent dit que la décentralisation aide à augmenter la participation des citoyens, et surtout des jeunes, en suscitant leur intérêt à la démocratie. Est-ce que l’expérience suisse le confirme ?

Arnold Koller : Bien évidemment, si les jeunes ont la certitude qu’ils peuvent influencer les décisions à travers leur participation, que leurs souhaits et leurs avis seront pris en compte, cela les motive à participer. J’ai récemment assisté à la réunion d’une commune où j’ai été impressionné par la participation très active des jeunes, surtout en ce qui concerne les problèmes qui sont très proches des citoyens. Par exemple, pour traiter la question de la disparition de la neige dans les stations d’hiver, ils se sont donnés beaucoup de peine pour réaliser une étude sur tous les aspects – techniques, financiers, de marketing – et ont proposé des solutions impliquant la neige artificielle. C’est justement le fait que les communes, grâce à la décentralisation, ont les compétences nécessaires pour réaliser de tels projets, qui permet d’augmenter l’intérêt des jeunes dans la vie locale.