Formation sur l’observation des élections aux membres du Comité des Régions

Bruxelles, 15 avril 2010

Discours de Jean-Claude Frécon, Vice-président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Mesdames et Messieurs,

Tout d’abord, je souhaite remercier le Président de votre Commission, Luc VAN DEN BRANDE, pour nous avoir  invités à nous adresser à vous aujourd’hui.

Je profite de cette occasion pour lui souhaiter beaucoup de succès dans sa nouvelle fonction de Président de cette Commission qui, j’en suis convaincu, poursuivra les bonnes traditions de coopération étroite avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. Le fait que son Président est un partenaire et ami de longue date du Congrès ne fait que renforcer cette conviction.

Parmi ces bonnes traditions figurent nos rencontres, comme celle d’aujourd’hui, en matière de formation dans un domaine où, d’un côté, le Congrès a un mandat unique en Europe et, de l’autre côté, où nous cherchons à développer et à renforcer notre partenariat avec vous, le Comité des Régions. Je parle de l’observation des élections locales et régionales dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe – en fait, pour le moment, dans les 44 pays qui ont ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale. Nous sommes convaincus, bien sûr, que ce chiffre s’élèvera à 47 très prochainement, et nous poursuivons actuellement nos efforts pour faire en sorte qu’Andorre, Monaco et Saint Marin se joignent au reste des Etats parties à ce traité.

Comme vous le savez certainement, le Congrès du Conseil de l’Europe est l’unique organe chargé de veiller à la mise en œuvre de la Charte de l’autonomie locale et donc à la bonne santé de la démocratie locale et régionale sur notre continent. C’est la mission principale du Congrès. L’observation des élections s’inscrit dans le cadre de cette mission en tant qu’outil indispensable de ce processus de suivi, à savoir le « monitoring » du Congrès. En effet, l’observation des élections nous permet de prendre le pouls, si vous me permettez cette autre métaphore médicale, de la démocratie locale dans les pays européens. Sans aucun doute, les élections sont la manifestation la plus tangible du processus et du fonctionnement démocratiques, car elles mettent en évidence l’engagement des citoyens, et le niveau de leur participation à la démocratie. De même, les élections démontrent les qualités de la gouvernance, ainsi que les lacunes de cette gouvernance.

C’est pourquoi nous attachons, au Congrès, une importance primordiale à cet exercice. En même temps, dans l’esprit de la coopération avec nos partenaires du Comité des Régions - nos deux institutions partageant les mêmes buts et poursuivant les mêmes objectifs - nous avons élargi, il y a quelques années, la participation à nos missions d’observation des élections aux membres de votre Comité. Cette participation découle aussi de l’accord de coopération entre le Congrès et le Comité des Régions, en vigueur depuis 2005, qui vient d’être révisé en novembre dernier.

Permettez-moi de vous présenter un bref historique de l’action du Congrès dans ce domaine.

La pratique d’observation des élections au sein du Conseil de l’Europe a commencé dans les années 1990, dans un contexte d’examen des candidatures à l’adhésion d’un certain nombre de jeunes démocraties, suite à la chute du mur de Berlin en 1989. A cette époque-là, aussi bien le Congrès que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont commencé à envoyer des observateurs dans les pays qui en faisaient la demande.

Depuis 1990, plus de 70 processus électoraux locaux et régionaux ont fait l’objet d’une mission d’observation du Congrès, et plus de 500 observateurs et experts ont été déployés dans 15 Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’au Kosovo, en Palestine et en Israël à l’automne 2008. En mai 2007, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la nouvelle résolution statutaire et la Charte du Congrès, qui mentionnent spécifiquement le rôle unique joué par le Congrès dans l’observation des élections.

En 2005, le Congrès, dans le cadre de son accord de coopération avec le Comité des Régions « en faveur du progrès de la démocratie locale et régionale, de la décentralisation et de l’autonomie en Europe, ainsi que pour garantir le respect par les autorités nationales et européennes des compétences locales et régionales instituées », a invité ce dernier à rejoindre les délégations du Congrès lors de ses missions d’observation des élections.

 

C’est ainsi que le 21 mai 2006, à l’occasion de l’observation du référendum au Monténégro, la délégation du Congrès comprenait pour la première fois des membres du Comité des Régions. Depuis, les membres du Comité des régions ont régulièrement participé aux missions d’observation du Congrès.

C’est dans ce cadre-là, et suite à l’invitation du Président de votre Commission des relations extérieures, que le Congrès a participé à des sessions de formation sur l’observation des élections, organisées à l’intention des membres du Comité des Régions en janvier 2007, en avril 2008 et maintenant aujourd’hui. A mon avis, cette pratique est devenue une tradition particulièrement utile de la coopération entre nos deux institutions.

Nous devons aujourd’hui réfléchir pour intensifier la coopération dans ce domaine et améliorer la visibilité de la participation de la délégation du Comité des Régions à nos missions d’observation. Outre la présence d’un représentant du Comité à la conférence de presse suite aux élections, nous devons étudier les modalités permettant de soumettre le même rapport sur l’observation des élections aussi bien au sein du Comité qu’au Congrès, et d’assurer la participation du rapporteur du Congrès et d’un représentant du Comité lors de chaque présentation du rapport.

Mesdames et messieurs,

Je tiens à dire quelques mots sur le cadre juridique de cet exercice, ainsi que les critères et les approches que nous utilisons.

Tout d’abord, le Congrès, en tant qu’instance mandatée en matière d’élections, participe aux activités du Conseil sur les élections démocratiques, qui engage d’autres organes disposant d’un mandat, notamment l’Assemblée parlementaire et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe. Ce Conseil sur les élections a élaboré le Code de bonne conduite en matière électorale, adopté par la Commission de Venise en 2002, ainsi que les lignes directrices sur le statut d’observateur des élections internationalement reconnu, adoptées en 2008-2009.

Dans la préparation et la conduite de nos missions, nous sommes guidés par ces textes ainsi que par certains critères établis au sein du Congrès. Par exemple, pour la composition de la délégation lors de chaque mission nous cherchons à assurer la représentation des deux Chambres du Congrès – locale et régionale – et de nos trois groupes politiques, ainsi que l’équilibre géographique et la représentation paritaire des femmes et des hommes. Dans le même esprit, nous réservons quatre sièges aux représentants des quatre groupes politiques du Comité des Régions, et nous vous invitons à assurer le même équilibre local, régional, géographique et de genre dans la sélection de vos propres observateurs.

De plus, nous essayons, autant que possible, d’inclure des membres expérimentés en matière d’observation des élections parmi les « novices » pour assurer, d’un côté, une meilleure qualité et la « facilité » du travail et, de l’autre côté, le processus d’apprentissage. Nous partageons cette expérience depuis quatre ans déjà avec le Comité des Régions, et vous avez, vous aussi, un nombre croissant de membres expérimentés en la matière.

Enfin, la mission elle-même. Nous disons souvent que le but de l’observation des élections est d’assister les Etats membres dans l’amélioration des lois et des procédures électorales en faveur de leurs citoyens. Ainsi, les rapports issus de ces missions, basés sur la réalité de la vie locale, permettent de suivre les progrès et le cheminement de la mise en place de la démocratie locale, en partant de l’état antérieur à l’observation et en appliquant des normes adaptées à la réalité du pays dans lequel les observations se déroulent. Par ailleurs, le Congrès a pris ces dernières années un certain nombre de mesures visant à garantir que des suites adéquates soient données à ses missions d’observation. Outre ses rapports d’observation détaillés, le Congrès adopte désormais des recommandations relatives à l’observation des élections à l’intention des autorités nationales, ainsi que des résolutions destinées à ses organes internes.

Ceci implique que les autorités nationales acceptent de se confronter aux standards européens et de démontrer la transparence et la crédibilité du processus électoral. C’est pourquoi il est important que les autorités du pays montrent cette volonté en invitant formellement le Congrès à effectuer l’observation des élections.

Bien évidemment, le jour même du scrutin ne représente que la partie émergée de l’iceberg.

Les lois électorales, elles aussi, doivent correspondre aux standards démocratiques européens et sont souvent l’objet d’examen par la Commission de Venise. Les vrais problèmes se cachent pour la plupart dans l’application de ces lois, dans le déroulement de la campagne électorale et dans la pratique administrative. De plus, un manque d’engagement des candidats face aux problèmes réels et l’absence d’un véritable débat politique se traduisent souvent par la désaffectation des citoyens et par conséquent par un faible taux de participation, ce qui met en question la portée politique de cet exercice électoral.

Par exemple, lors des élections municipales en Azerbaïdjan en décembre dernier, nous avons constaté qu'une réelle compétition entre les partis n’a pu se développer en raison de l'absence d'un paysage politique véritablement pluraliste, ce qui était symptomatique de la situation encore insatisfaisante de la démocratie locale, et sans doute de la démocratie globale dans ce pays.

Cependant, outre l’égal accès aux élections pour favoriser un haut niveau de participation, et la tenue d’élections libres et équitables qui soient conformes aux normes internationales, il existe d’autres facteurs qui sont autant de conditions permettant de restaurer la confiance des électeurs dans la gestion des élections, et de renforcer leur caractère démocratique.

Parmi ces facteurs figurent la règlementation électorale, le mode de scrutin, les moyens mis en œuvre pour faciliter l’exercice du droit de vote, ou encore une couverture médiatique transparente et équitable. Le rôle des partis politiques, le choix d’un mode de scrutin approprié ou encore le rôle des médias, traditionnels et nouveaux, dans la couverture d’une campagne électorale peuvent constituer des éléments déterminants à cet égard.

L’observation des élections porte donc sur une analyse de la campagne électorale et du déroulement du vote, ce qui permet d’engager une coopération au plus haut niveau avec les représentants des partis et des groupes politiques, avec les commissions électorales ainsi qu’avec les médias et les ONG. Ceci nécessite non seulement des missions d’observation d’une durée assez importante, mais souvent des missions dites préélectorales, pour assurer des rencontres avec l’ensemble des forces politiques et des acteurs impliqués dans les élections – le gouvernement, les autorités locales ou régionales, les médias, la société civile et d’autres instances internationales d’observation, telles que l’OSCE ou l’Union européenne.

Les missions préélectorales sont effectuées normalement un mois avant les élections et permettent de dégager une analyse préliminaire de la situation et de partager avec les autorités certaines préoccupations à ce stade-là, dans l’attente que la situation puisse encore être rectifiée avant le jour du scrutin.

D’un autre côté, les missions d’observation représentent également pour nous un processus d’apprentissage dans l’autre sens. Elles permettent aux élus locaux et régionaux, issus de zones géographiques différentes, avec une "culture" politique différente, de partager leurs visions, de dégager les points essentiels de la construction de la démocratie et de l'autonomie locale, non pas de façon abstraite ou conceptuelle mais en confrontant des réalités de terrain et des expériences diverses. Cette dynamique des échanges et cette approche intégrée sont une illustration de ce que peut être la construction et le rapprochement de l'Europe démocratique.

En effet, les missions d’observation des élections sont autant d’occasions de faire vivre l'Europe et de donner une réalité à la construction européenne par le biais de cette  dynamique d’échanges qui permettent également d’avoir un regard distancié sur les pratiques électorales dans les pays d’origine des élus ; autrement dit on ne regarde plus jamais de la même manière les élections chez soi quand on a vu les élections ailleurs.

Les missions permettent donc à la fois d’approfondir la conception de la construction démocratique dans les collectivités locales, en s’appuyant sur les expériences des autres, de rapprocher dans un dialogue riche et constructif des voisins éloignés, et de renforcer le sentiment d’appartenance en tant que membre du Congrès, par le partage de son expérience d’élu et sa contribution aux échanges.

C’est pourquoi l’expérience acquise lors des missions d’observation représente une valeur ajoutée réelle et précieuse pour chacun d’entre nous. Fin 2008, le Congrès a décidé de consolider cette expérience et d’élaborer une stratégie en matière d’observation des élections.

Cette stratégie a pour but d’améliorer la capacité d’observation du Congrès et s’appuie sur trois composantes : premièrement, la contribution du Congrès à la mise en place, dans les pays membres, de cadres institutionnels qui soient conformes à la Charte européenne de l’autonomie locale ;  deuxièmement, des actions pour mieux faire connaître l’importance de la démocratie au niveau local et régional ; enfin, et ça nous concerne tout particulièrement, le renforcement des partenariats du Congrès dans ce domaine.

Au Congrès, nous sommes convaincus que l’implication d’autres instances pertinentes comme le Comité des Régions permettra également un renforcement du suivi du processus électoral au niveau supranational et européen. Nous espérons donc fortement que notre coopération en la matière continuera à s’intensifier.

Mesdames et messieurs,

Pour conclure, je voudrais rappeler le principe fondamental posé par le Préambule de la Charte européenne de l’autonomie locale qui réside dans le « droit des citoyens de participer à la conduite des affaires publiques ».

C’est au moment des élections que ce principe prend toute sa valeur, tout son sens. La qualité de la participation aux affaires publiques à travers une élection se révèle tout particulièrement au moment des élections locales. A cette occasion, en effet, le vote local du citoyen se mesure d’une manière d’autant plus concrète que l’électeur vote pour une personne qu’il sera peut-être amené à rencontrer, ou bien même qu’il connait déjà, et à qui il pourra s’adresser plus directement, en tous cas plus facilement, qu’au niveau national. Le poids du bulletin local dans l’urne prend une dimension plus concrète qu’à l’échelle d’une élection nationale ou européenne. C’est souvent à ce niveau que le citoyen déclare « je vote pour la personne, pas pour le parti ».

En observant les élections locales ou régionales, nous veillons à ce que ce principe de participation soit respecté dans nos collectivités. Car ce sont les collectivités les plus proches des citoyens qui permettent, de par leur proximité et les compétences qu’elles exercent, une plus grande implication dans les prises de décision.

Nous vous invitons à maintenir votre engagement et à partager avec le Congrès nos ambitions dans ces matières essentielles à la bonne qualité de nos démocraties.

Je vous remercie.