Groupe Pompidou |
Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants |
LA REDUCTION DES RISQUES, COMPOSANTE D'UNE APPROCHE GLOBALE ET PLURIDISCIPLINAIRE DES PROBLEMES D’ABUS DE DROGUES
Document de discussion
préparé par le Prof. Helge WAAL, Université d'Oslo (Norvège)
N.B. : Le présent document contient une étude rédigée sous la seule responsabilité de son auteur. Il est destiné à stimuler le débat et ne représente en aucune manière une quelconque prise de position du Groupe Pompidou.
Table des matières
1) Traitements de substitution par opiacés
2) Réduction des modes de consommation à haut risque
3) Réduction de la mortalité et de la morbidité
4) Réduction du préjudice social
III. Liens avec d’autres stratégies d’orientation en matière de drogues
IV. Problèmes pratiques de mise en oeuvre
I. La réduction des risques est, d'une manière générale, une notion qui recouvre l'atténuation des dommages, de quelque type qu'ils soient, causés par le comportement d'un individu ou par des interventions sociales et/ou médicales. Dans le domaine des drogues, elle désigne plus particulièrement la diminution des risques d'infection et autres formes de morbidité chez les usagers de drogues qui continuent à en prendre. Ce concept recoupe largement celui de la réduction des dommages, ou effets nuisibles, causés par la drogue, qui a toutefois souvent une signification additionnelle privilégiant la réduction des dommages liés à la consommation par rapport à la réduction de la consommation - d'aucuns allant jusqu'à affirmer que le dommage résulte, en grande partie, davantage des efforts menés pour empêcher l'usage de la drogue que de son usage proprement dit.
II. Il est difficile de tracer une frontière bien nette entre les programmes de réduction des risques et ceux axés sur la réduction des dommages liés à la drogue. On distingue ici quatre approches. Les traitements de substitution par opiacés (méthadone, buprénorphine, LAAM et parfois codéine ou morphine à effet prolongé) sont destinés à neutraliser les adaptations affectant le système nerveux central ; ils permettent au toxicomane de mener une existence qui ne soit pas asservie par des problèmes de dépendance, l'intéressé demeurant pour autant dépendant des opiacés. Certaines démarches controversées, telle que la prescription médicale d'héroïne, s'adressent à des groupes qui refusent les opiacés généralement utilisés. La prescription de méthadone injectable est elle aussi sujette à controverse. L’objectif est ici de toucher des toxicomanes qu’une médication orale rebute. Les programmes "à seuil haut" sont très contraignants pour les usagers et ont pour objectif de les réadapter socialement. Les programmes "à seuil bas" entendent réduire les dommages liés à la drogue, et leurs contraintes - s'il y en a - sont moindres. La réduction des modes de consommation à risque passe par la distribution d'aiguilles et de seringues, l'apprentissage des méthodes de stérilisation, la vaccination, l’acquisition de modes de consommation moins risqués et la mise à disposition de tests immédiats et autres moyens permettant aux usagers de s’assurer de la pureté ou du contenu exact des substances illégales qu’ils se procurent. La prévention de la morbidité et de la mortalité suppose en outre un changement des mentalités dans les services sociaux et les établissements sanitaires, l'octroi de produits opiacés à ceux qui nécessitent un traitement médical et le recours à des équipes soignantes opérant au niveau local. Il existe aussi des programmes à l'adresse spécifique de groupes évoluant dans la marginalité, ainsi que des initiatives visant à réduire les risques dans les prisons. L'approche la plus controversée est celle qui met à la disposition des toxicomanes des salles d'injection ou "gesundheitsräume", où ils peuvent venir se piquer en lieu sûr. Les stratégies de réduction des dommages liés à la drogue ont pour ambition particulière d'en atténuer le préjudice social; elles misent ainsi sur la dépénalisation, sur une distinction entre drogues dures et drogues douces, et sur des expériences de zones où le mode de vie propre à l'usage de drogues ne gênerait pas la collectivité alentour.
III. La réduction des risques et la réduction des dommages liés à la drogue peuvent être schématiquement considérées comme des attitudes pragmatiques se situant entre deux extrêmes - la guerre à la drogue d'un côté et la légalisation de l'autre -, la distinction étant que la réduction des dommages admet que la consommation de drogues continue. La plupart des stratégies sont acceptées dans quelques pays au moins où la prévention de l'usage de drogues constitue une priorité importante. Elles sont essentiellement tournées vers le pragmatisme, l'accent étant mis sur l'évaluation. En l'état actuel de la recherche, les positions extrêmes n'ont pas lieu d'être. Mieux vaudrait, semble-t-il, adopter des mesures de réduction des dommages et de réduction des risques s'inscrivant dans le cadre d'une politique axée sur une baisse à la fois de l'offre et de la demande. Plusieurs programmes - à défaut de tous - pourraient être conçus de telle façon qu'ils combinent ces stratégies. Il faut tenter de trouver un équilibre entre les différentes options possibles quant à l'action à mener. D’une manière générale, la réduction des risques devrait faire partie intégrante des traitements ainsi que des activités visant à infléchir l’offre et la demande, plutôt que de faire l’objet d’initiatives distinctes.
IV. Certains programmes se heurtent à des problèmes pratiques. Des solutions existent pour la plupart d'entre eux, mais cela suppose souvent des stratégies bien pensées. Il conviendrait en particulier d’instituer des dispositions réglementaires pour veiller à leur financement.
La réduction des risques (dans le sens correspondant au terme anglais de « risk reduction « ) - on parle parfois aussi de minimisation des risques (en anglais « risk minimisation ») - est un concept utilisé en médecine préventive et curative, ainsi que dans d'autres sphères d’action sociales ou biologiques. Les risques qu'il faut atténuer peuvent être liés à un comportement, à une maladie ou à des mesures prises en vue de prévenir le problème ou d'y remédier. Généralement, le concept s'emploie non pas lors de l'examen de la politique à mettre en œuvre, mais quand il faut choisir entre deux méthodes ayant la même efficacité, l'analyse des risques encourus étant bien entendu fort utile pour éclairer ce choix. La réduction des risques est également un objectif de politique sociale et d'aménagement communautaire, en ce qu'elle consiste à diminuer les risques d’un tort éventuel pour la société.
Dans le domaine de l'abus de substances psycho-actives et de la politique relative aux drogues, on rencontre souvent l'expression "à risque": à l'instar des rapports sexuels à risque, la consommation de drogue à risque est celle qui traduit un comportement qui accroît le danger de contracter une infection telle que le VIH ou l'hépatite. Une autre expression qui revient fréquemment est "à haut risque"; il y a ainsi des "groupes à haut risque", c.à.d. des groupes au sein desquels les cas de maladie ou autres maux sont plus nombreux. Un "comportement à haut risque" est celui qui se caractérise par une exposition au danger plus importante.
La réduction des dommages (en anglais « harm reduction ») - on dit parfois minimisation des dommages (« harm minimisation ») - est un concept plus controversé, pour des raisons essentiellement historiques. Lorsqu'il s'agit de questions générales, la réduction des dommages est associée à une idée d’opposition par rapport à la politique américaine de "guerre à la drogue" et au concept nordique de "société sans drogue". En matière de prévention et de thérapie, elle évoque les mesures visant à limiter ou à prévenir les ravages liés à la consommation de drogue plutôt que son usage en soi. Tout ceci pourrait apparaître comme un sujet de controverse ou de division quant à l'objectif premier de la politique à mettre en œuvre.
Les vocables "réduction des risques" (dans le sens de « risk reduction ») et "réduction des dommages" (« harm reduction ») s'emploient souvent de façon interchangeable ou tout au moins dans des sens qui se recouvrent partiellement. La notion de réduction des dommages (« harm reduction ») revêt ainsi différentes significations. Certains estiment que le meilleur moyen de réduire les dommages liés à la drogue dans la société est d’abaisser le niveau de sa consommation. Dans la bouche d'autres personnes, l'expression désigne plus précisément une politique consistant à accepter l'usage des drogues dans la société, la "normalisation" de ces substances étant à leurs yeux le meilleur moyen de diminuer l'ampleur globale des dommages. Mais comme le fait remarquer Strang (1993), la réduction des dommages n'est en elle-même ni "pro" ni "anti" drogue. Les idées préconçues n'ont pas leur place ici, puisque le facteur déterminant est le préjudice observé ou attendu. De même, toute mesure prise pour influer sur la consommation n'a de valeur positive ou négative que pour l'évolution, en termes de préjudices, qui résulte de sa mise en oeuvre. L'aspect le plus important du concept de minimisation des dommages liés à la drogue pourrait être, d'après Strang, d'attirer l'attention sur les conséquences que peuvent avoir, pour les individus et pour la société dans son ensemble, les décisions relatives aux traitements et aux politiques suivies.
Au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (CCLT), un groupe de travail chargé au niveau national des problèmes de fond insiste sur la nécessité de clarifier le concept de réduction des dommages, en ce qu'il est souvent utilisé dans des acceptions différentes. Le groupe définit les stratégies en matière de réduction des dommages comme des "politiques ou programmes visant à limiter les effets néfastes de l'usage de drogues sur le plan sanitaire, social et économique sans pour autant exiger l'abstinence". Single (1996) donne une définition similaire: "La réduction des dommages est une politique ou un programme visant à limiter les effets néfastes de l'usage de drogues sur le plan sanitaire, social et économique, alors que l'usager continue d'en consommer". "La réduction des dommages voit dans l'abstinence un objectif souhaitable, mais reconnaît que, lorsqu'elle n'est pas possible, on ne saurait déontologiquement ignorer les autres moyens qui existent pour réduire la souffrance humaine" (Gunn, White & Srinivasan, 1998). La légalisation ne fait pas partie intégrante de la réduction des dommages, même si un nombre considérable de ceux qui préconisent cette approche y seraient favorables.
Les politiques qui privilégient la réduction de la consommation de drogues ne sont pas nécessairement hostiles aux efforts menés pour réduire les risques liés à un usage répété de drogues. Toutefois, les approches de ce type sont à l'évidence foncièrement différentes de celle axée sur la réduction des dommages au sens où l'entend le CCLT. Elles partent de l'idée que la manière la plus efficace de réduire l'ampleur globale des effets délétères de la drogue est de réduire sa consommation et non pas les risques qui y sont associés. Si une réduction des risques entraîne une hausse du niveau de consommation, le résultat final peut s'avérer négatif.
Il est évident que certaines mesures destinées à diminuer les risques sont plus controversées que d'autres. Les pages qui suivent présentent un aperçu des programmes et stratégies visant à réduire les risques et/ou les dommages liés à la drogue, en signalant ceux qui sont les plus controversés et ceux qui reçoivent généralement bon accueil.
Toutes les grandes approches en matière de réduction des risques, au sens où celle-ci est définie dans le présent rapport, consistent à chercher à modifier le comportement des usagers de drogues afin de diminuer les risques, lorsqu'il n'est pas possible d'empêcher la consommation ou de parvenir à l'abstinence. L'acquisition de modes de consommation sans danger ou moins risquées en fait également partie, tout comme les initiatives destinées à porter aide et assistance aux toxicomanes malades ou socialement exclus. Les propositions tendant à une dépénalisation, à une légalisation de la consommation pratiquée en lieu sûr et, en particulier, à une "normalisation de l'usage" - autant de démarches qui cherchent à inscrire les modes de consommation au cœur-même de la société - n'entrent pas dans cette définition. Si les partisans de la réduction des dommages liés à la drogue peuvent y voir d'importantes mesures pour limiter ces ravages, elles vont fondamentalement à l'encontre de l'opinion selon laquelle une tolérance accrue et une plus grande disponibilité de la drogue se traduisent nécessairement par une hausse de sa consommation. Souvent, les programmes axés sur la réduction des risques intègrent aussi des stratégies de lutte contre les rapports sexuels non protégés, stratégies qui s’appuient sur des mesures pédagogiques et sur la distribution de préservatifs. Notre rapport s’articulant autour de la réduction des risques dans les problèmes liés à la drogue, ces aspects-là de la question n’y seront pas abordés.
Souvent les actions de prévention comportent un volet thérapeutique dont le but est de soigner la maladie ou de régler les problèmes qui constituent un danger, ce qui fait que les concepts se chevauchent. Les traitements de substitution aux opiacés - en particulier ceux qui ont recours à la méthadone - sont un pilier central des dispositifs de prise en charge qui existent dans la plupart des pays. Cela étant, ils apparaissent aussi comme un élément essentiel de toutes les approches axées sur la réduction des dommages. Rares sont par ailleurs les programmes de substitution qui ne font pas de la réduction de risques tels que l’infection par le VIH, l’hépatite C, les surdoses, etc. des objectifs majeurs et des arguments de fond. Peu de programmes enfin prévoient l’arrêt de la thérapie même lorsque la consommation de substances illégales perdure, le motif avancé étant que la poursuite du traitement de substitution réduit les risques de morbidité, de mobilité et de «nuisances sociales». Voilà ce qui explique pourquoi les traitements de substitution sont considérés dans le présent rapport comme une approche importante en matière de réduction des risques.
Dans les anciennes colonies britanniques et hollandaises, la consommation d'opium était un phénomène très répandu et ces deux pays, en tant que puissances coloniales, avaient pour tradition d'approvisionner en opium les usagers dépendants (Berridge 1999, Wewer 1999). Plusieurs décennies durant, la prise en charge généralement pratiquée en Grande-Bretagne a consisté à délivrer des prescriptions médicales d'opiacés allant de la codéine et de la morphine à l'héroïne. Le raisonnement était qu’il fallait traiter le toxicomane consommant des opiacés comme un patient ayant besoin de médicaments pour alléger ses souffrances. Les traitements de substitution qui sont aujourd'hui largement acceptés sont cependant issus d’un modèle venu des Etats-Unis élaboré au milieu des années soixante par deux chercheurs, Dole et Nyswander, qui avaient observé que les patients qui s'auto-administraient de la méthadone - un opioïde synthétique - semblaient se stabiliser à un certain niveau de dose susceptible d'être maintenu par une prise quotidienne.
Dans les premiers temps, ce système a été comparé de manière pragmatique à l'administration d'insuline aux diabétiques, l'idée étant que l'héroïnomane finissait par produire une quantité insuffisante d'un composé corporel inconnu que la méthadone venait remplacer. On connaît désormais le rôle des endorphines dans le système nerveux central. Ce sont des opiacés produits dans le corps qui influent sur des récepteurs spécialisés, lesquels régulent à leur tour le fonctionnement de certains types de cellules nerveuses. L'usage de l'héroïne (tout comme celui d'autres opiacés) entraîne une neuro-adaptation qui perturbe le système de régulation. Il en résulte une dysphorie et un état de manque qui persistent même après la principale phase de réaction à l'abstinence. La logique du traitement est d’avoir recours à des "agonistes appropriés", c.à.d. des substances ayant les mêmes effets biologiques sans toutefois avoir la même tendance à perturber le comportement et à engendrer une intoxication. Trois types d'agonistes sont généralement admis au regard de la recherche médicale: la méthadone, la buprénorphine (Subutex) et le l-alpha-acétylméthadol (LAAM). La codéine et le sulfate de morphine (morphine à action prolongée) sont également utilisés dans une certaine mesure. La prescription d'héroïne est une pratique plus controversée. Quel que soit l'agoniste employé, il faut bien voir que le but du traitement n'est pas de soigner la dépendance, mais de tenter de neutraliser les troubles du système nerveux central par une médication qui agit en fait de la même manière que la substance coupable. L'effet persiste aussi longtemps que le patient prend le médicament. Au fond, il est maintenu dans un état de dépendance, mais le traitement lui permet de retrouver un mode de vie normal et le protège contre les dommages liés à l'usage de substances illicites. Si la consommation de drogues persiste, elle se fera généralement de manière mieux encadrée et moins risquée.
Traitements de substitution à la méthadone
Cette substance offre une métabolisation lente et une période de demi-vie dans l’organisme comprise entre 24 et 36 heures. A dose suffisamment élevée, elle peut éviter au patient un sevrage, moyennant une prise quotidienne du produit. Le syndrome de manque est alors sensiblement réduit et l’éventuelle consommation d'héroïne a peu d'effet. La méthadone est rapidement absorbée dans l'intestin et peut être ingérée en solution buvable, ce qui en facilite l'administration. Les analyses d'urine donnent des résultats différents selon que l’on a pris de l’héroïne et autres opiacés ou de la méthadone. La procédure habituelle veut que l’on donne au patient des doses croissantes jusqu'à "satiété" des récepteurs et que l’on détermine par des analyses s’il prend d'autres substances. Des conseils lui sont prodigués pour favoriser sa réadaptation sociale.
Les traitements de substitution à la méthadone ont suscité des polémiques dans la plupart des pays, car ils « abandonnent » l’objectif de l'abstinence. Aujourd’hui pourtant, il sont presque partout considérés comme un élément essentiel de la prise en charge des héroïnomanes. L'Institut de médecine des Etats-Unis, patrie de la "guerre à la drogue", estime cette approche scientifiquement valable et y voit une composante majeure des systèmes de traitement. Il est toutefois à noter que les résultats probants se limitent aux traitements de maintenance. Il est beaucoup moins établi que l’on puisse envisager un usage limité de la méthadone dans le temps et y avoir « recours pour parvenir à l’abstinence ». Aussi longtemps que le patient prend de la méthadone, on observe un recul spectaculaire de la consommation d'héroïne et des injections ; la mortalité et la morbidité diminuent fortement et l’aptitude à suivre un traitement psychosocial s’accroît sensiblement. La criminalité et les «nuisances» sociales sont moindres. En revanche, les traitements de substitution à la méthadone agissent moins sur la consommation d'autres drogues. La méthadone fonctionne principalement dans les cas de dépendance aux opiacés - héroïnomanie par exemple. Les usagers de drogues sont souvent polytoxicomanes.
La consommation d'autres types de substances aura les effets recherchés, même si la fréquence des prises est diminuée. Il faut également rappeler que, si l’on considère généralement, en termes d’évaluation, que les résultats sont d’autant meilleurs que la prise en charge est longue, l’issue des traitements de substitution dépend d'une administration continue de la substance. Lorsque le toxicomane abandonne le traitement de substitution, les problèmes reviennent. Moins de 10% des intéressés semblent capables d'aller jusqu'au bout du traitement sans rechute (Eklund et al, 1994).
Le traitement à la méthadone est de nos jours peu contesté. Des divergences existent cependant quant à ses finalités et au type d’approche. Les études d'évaluation qui aboutissent à des conclusions positives concernent généralement ce qu'on appelle les programmes "haute dose et seuil haut". La dose est fixée à un niveau qui "bloque" la dérive vers l’état de manque et les effets euphoriques engendrés par la prise d'héroïne. L'usager doit accepter certaines formes de contrôle et participer à des séances d’encadrement psychosocial plus ou moins poussé. L'objectif est d'améliorer sa qualité de vie, sa place dans la société et ses conditions d’existence. Les programmes "à seuil bas" sont des dispositifs qui ne présentent que peu, voire pas, de contraintes pour le patient, la méthadone étant souvent fournie par des services ambulatoires qui ne cherchent pas à vérifier si l’intéressé consomme d'autres substances et ne font que des efforts modérés pour empêcher le détournement de la méthadone. L’encadrement du patient – pour autant qu’une telle possibilité existe – intervient uniquement sur demande.
Le but des programmes à seuil bas est d'entrer en relation avec le toxicomane, d'amoindrir le préjudice social que cause sa dépendance et de réduire les risques d'infection ou de lui faire suivre un traitement médical. Les études d'évaluation scientifique dressent de ces programmes un tableau bien plus contrasté. Ce qui semble avéré, c'est une baisse de la criminalité et des «nuisances» sociales, encore que certains rapports soutiennent que même ces progrès sont sujets à caution. Reijnevel et Plomp (1993) ont ainsi constaté à Amsterdam que les choses se passaient mieux pour ceux qui avaient abandonné un programme à seuil bas que pour ceux qui continuaient à le suivre. Van Ameijden et al (1999) ont quant à eux estimé que les programmes à seuil bas réduisent bel et bien la mortalité, fût-ce dans une moindre mesure que les programmes à seuil haut, et ne la font beaucoup plus baisser que si l’on opte pour un entretien à fortes doses. Quoi qu’il en soit, les avis convergent sur le fait que les relations entre les toxicomanes et les services sociaux et sanitaires s’améliorent. Les programmes de substitution à la méthadone à seuil bas constituent une composante-clé du "modèle néerlandais" et sont considérés dans les documents publiés par les autorités de ce pays comme primordiaux pour contenir à un niveau peu élevé et acceptable les dommages liés à l'usage d'héroïne à Amsterdam et dans d'autres villes (Buning & van Brussel, 1995, Ministère de la Santé, du Bien-être et des Sports 1995 ; voir aussi cependant Waal, 1998). Parmi les différents dispositifs déployés en matière de drogues, les initiatives à seuil bas occupent actuellement une place centrale en Suisse (Klingemann, 1996), en Grande-Bretagne (Franey et al., 1993) et en Allemagne (Fischer, 1995). Marlatt (1996), qui a étudié l’évolution de la réduction des dommages liés à la drogue, considère que les programmes à seuil bas en sont une composante primordiale. Selon lui, ils représentent une démarche ascendante qui fait une part plus grande aux intérêts des toxicomanes qu’aux spécialistes des questions de toxicomanie.
Buprénorphine (Subutex)
La buprénorphine est un opioïde synthétique qui agit comme un « agoniste partiel », c.à.d. avec un effet de plafonnement: au-delà d'un certain niveau, le fait d’augmenter encore son dosage n’accroît que peu ou pas du tout ses effets. La buprénorphine a été commercialisée comme analgésique durant plus de vingt ans, notamment sous la marque Temgésic. Partout dans le monde, il a été signalé que le produit était détourné de son usage, ce qui démontre qu’il s’y prête volontiers et qu’il possède des propriétés engendrant une dépendance (Bachs, Bramness & Waal, 1999).
Aux Etats-Unis, le recours à cette substance pour traiter la dépendance à l'héroïne fait l'objet de travaux de recherche depuis la fin des années soixante-dix. La posologie appropriée est de 20 à 40 fois supérieure à celle ordinairement prescrite dans le traitement de la douleur, avec le Temgésic par exemple. Malgré une métabolisation relativement rapide (demi-vie de 2 à 3 heures en moyenne), la buprénorphine a une durée d'action prolongée qui, si le produit est bien dosé, peut dépasser 48 heures grâce à une liaison extrêmement étroite avec les récepteurs. Une action stabilisatrice de la buprénorphine peut ainsi être correctement obtenue chez les héroïnomanes avec une seule prise par jour, voire une prise tous les deux jours. Plusieurs études qui ont cherché à confronter buprénorphine et méthadone par des méthodes de recherche appropriées ont conclu qu’à doses comparables, leur action, de même que leurs effets secondaires, étaient eux aussi comparables. La buprénorphine est cependant moins toxique et les réactions à l'abstinence en cas d’arrêt du traitement sont moins graves. En revanche, la buprénorphine devient inefficace au contact des intestins et ne peut être avalée. Elle est généralement administrée sous forme de comprimés solubles à faire fondre sous la langue, dont la prise est par conséquent plus difficile à contrôler. Le médicament se dissout rapidement dans l'eau et est souvent utilisé par injection.
Plusieurs pays ont désormais fait le choix du Subutex (buprénorphine à haute dose) en complément ou en remplacement de la méthadone. En France notamment, ce produit est très répandu. Sa mise sur le marché a été autorisée en 1996 et dès la fin de 1998, on estimait à 60.000 le nombre de ses utilisateurs (Bouchet & Vigneau 1998, Lert 1998). Depuis 1994-1995, le nombre de surdoses a baissé en France. Le Subutex étant apparu après cette date-charnière, il peut tout au plus expliquer en partie le phénomène. En 1994, la France a déployé une stratégie plus large de réduction des dommages liés à la drogue et il semble que ce train de mesures ait porté ses fruits. Par contre, on constate dans ce pays qu’une proportion très importante d'usagers de drogues par voie intraveineuse s'injecte actuellement du Subutex, selon des informations non publiées de France Lert, de l’institut français de santé publique INSERM (communication personnelle, 1999).
L’action de la buprénorphine à haute dose (Subutex) est aujourd'hui scientifiquement avérée et l’on considère que cette substance devrait être utilisée comme produit de substitution dans les traitements de substitution. Son rôle par rapport à la méthadone n'est pas encore tranché. Certains pays comme la France auraient tendance à privilégier le Subutex. D’autres, mettant en avant les difficultés que pose sa distribution, les risques d'abus et ses effets légèrement moins forts chez les toxicomanes, recommanderaient plutôt la buprénorphine, surtout lorsque la méthadone, pour une raison ou une autre, est déconseillée. Enfin, certains préfèreraient laisser le toxicomane choisir.
Le LAAM est un promédicament qui se dissocie dans l'organisme en deux métabolites exerçant une activité agoniste. Aussi son effet est-il lent à venir ; il se produit entre 2 et 4 heures après la prise et dure 72 heures. Le LAAM (ou ORLAAM) est administré en solution buvable et peut être pris tous les deux ou trois jours, généralement trois fois par semaine.
En principe, chacun des métabolites exerce la même action que la méthadone et le patient peut passer d’une substance à l’autre sans grande difficulté. Selon la plupart des études d'évaluation, le LAAM a grosso modo les mêmes effets que la méthadone, mais les patients s’en disent souvent un peu moins satisfaits (Kosten, 1990). Le produit fait l’objet d’une mise en garde et de conseils de prudence pour les patients ayant des problèmes cardiaques (intervalle Q-T prolongé). En outre, sa consommation sur une longue période pourrait poser problème en cas d'intoxication.
A l'heure actuelle, le LAAM est surtout utilisé aux Etats-Unis, mais on en trouve également dans certains pays d'Europe. Il est généralement recommandé aux patients stabilisés qui préfèrent espacer leurs visites dans les centres de soins, ainsi qu’à ceux qui ont des difficultés à gérer les dosages des samedis et dimanches.
Codéine et sulfate de morphine
La codéine comme le sulfate de morphine peuvent être pris par voie orale deux à trois fois par jour avec un effet relativement stable. La codéine est plutôt utilisée en Allemagne, tandis que le sulfate de morphine est plus répandu en France. Ces médicaments sont prescrits sous forme de comprimés fractionnés en plusieurs doses que l’on emporte à domicile, leur action n'étant pas suffisamment durable pour empêcher les réactions de manque en cas de prise quotidienne unique.
Des études révèlent que les patients sont assez satisfaits de ces médicaments; celle de Krausz et al. (1998) estime que les traitements de substitution à la codéine présentent davantage d’intérêt car ils favorisent considérablement la réhabilitation, du moins pour les patients appartenant à des catégories relativement aisées. Cela étant, il est généralement admis que ces produits semblent avoir moins d’effets stabilisateurs sur la vie des toxicomanes que la méthadone, la buprénorphine ou le LAAM.
Les comprimés de codéine et de sulfate de morphine sont souvent écrasés et dissous en solutions injectables.
Prescription médicale d'héroïne, de méthadone injectable et de chlorure de morphine
La prescription d'héroïne et d'opiacés injectables se pratique depuis longtemps au Royaume-Uni, mais elle est le plus souvent jugée marginale. L’idée de départ était qu'il fallait administrer au patient le type de médication qui lui convenait le mieux, comme pour n’importe quelle maladie. De fait, les études d'évaluation approuvent généralement la prise de méthadone par voie orale. Une étude menée dans des conditions contrôlées a fait état d’un maintien en traitement qui serait plus long pour les toxicomanes entretenus à l'héroïne que pour ceux recevant de la méthadone par voie orale, mais, dans l'ensemble, les deux modes de traitement ont leurs avantages (Hartnoll et al, 1980). Globalement, le traitement à la méthadone par voie orale est plus facile à administrer ; c’est lui qu’il faudrait d’ordinaire préférer, avec éventuellement les solutions alternatives concurrentes que sont la buprénorphine et le LAAM.
Dans certains pays, notamment en Suisse et aux Pays-Bas, des programmes de substitution à l'héroïne ont été proposés à des toxicomanes dont la dépendance perdurait et qui posaient des problèmes sociaux malgré l’extension des services mis à leur disposition. Chacun connaît aussi l'expérience suisse consistant à prescrire de l'héroïne (Uchtenhagen et al, 1997, et Uchtenhagen et al, 1999), qui suscite actuellement beaucoup d'intérêt dans plusieurs pays (voir par exemple Kinnunen & Nilson, 1999). Elle montre qu'il est possible de fournir de l'héroïne aux toxicomanes dans le cadre de programmes qui les obligent à se rendre trois fois par jour dans un centre pour une injection. Certains toxicomanes qui refusent un traitement à la méthadone par voie orale semblent accepter cette formule et paraissent avoir un meilleur comportement social. D'autres conclusions sont plus discutables et l’on peut se demander si cette méthode a raisonnablement sa place - ou du moins si elle mérite une place de choix - dans un système de traitement global. A l’inverse, son rejet pur et simple est lui aussi quelque peu exagéré, car il ne tient pas compte de la similitude fondamentale entre tous les traitements par agonistes. Aux yeux d’un observateur relativement impartial, ces programmes semblent faire naître des espoirs injustifiés qui sont difficiles à comprendre. Peut-être est-ce parce qu'ils frappent l'imagination de ceux qui estiment que chacun doit avoir légalement accès à la substance de son choix, dès lors que cela s’inscrit dans une approche socialement acceptable. Il est difficile aussi de comprendre les manifestations de rejet catégorique, sauf lorsqu'elles émanent de personnes moralement horrifiées par l'usage de l'héroïne en soi. De plus amples recherches devraient permettre de répondre à certaines questions, mais il en est qui trouvent peut-être leur origine dans des considérations normatives et d’autres encore qui ne se prêtent pas à l’analyse. Dans la plupart des pays, la préférence devrait clairement être donnée à la mise en place de systèmes de traitement par opiacés, plus faciles à gérer.
Traitements par agonistes proposés pour d’autres types de drogues
L'intérêt des traitements de substitution par opiacés vient surtout de ce que l’on dispose aujourd’hui d’opiacés qui ont une action de longue durée en quantité stable dans le sang. Cette méthode pourrait aussi s’envisager pour d’autres types de drogues. Il serait ainsi possible de stabiliser les personnes dépendantes du tabac en leur administrant de la nicotine à doses moins nocives – patchs, gommes à mâcher, etc. -, de même que certains gros consommateurs de benzodiazépines, qui recevraient des doses constantes de médicaments dont le métabolisme serait prolongé.
Parmi les tenants de la réduction des risques liés à la drogue, il en est qui semblent espérer pouvoir appliquer des traitements de substitution par agonistes à la plupart des formes d'abus de drogues. On a ainsi testé des traitements à la Ritaline sur des cocaïnomanes et des amphétaminomanes. Des expériences sous amphétamines ont également été menées tant au Royaume-Uni qu’en Suède. Dans ce dernier pays, elles sont vieilles de trente ans et reposent sur une méthodologie très rudimentaire (Lenke et Olsson, 1998) ; leurs résultats, il faut le reconnaître, ne sont globalement pas prometteurs - en tout cas pas aussi prometteurs qu'on aurait pu l'escompter du point de vue neurobiologique. La dynamique cellulaire fondamentale de ces substances ne favorise pas une telle approche et, à ce jour, aucune étude solide n’ouvre de véritables espoirs en ce sens.
Quelques conclusions provisoires concernant les approches axées sur les traitements de substitution
Les traitements de substitution par agonistes – qui reposent sur l'utilisation d'opiacés à action prolongée pour neutraliser l'adaptation neurologique chez les toxicomanes – sont une pratique bien établie et scientifiquement confirmée, mais qui ne vaut que pour la dépendance aux opiacés. Le sort de ceux qui sont dépendants ou abusent d'autres types de drogues ne s’en trouve pas amélioré. Il n'existe pas d'agonistes appropriés pour d'autres types de substances illicites. Les options les mieux corroborées par les travaux des chercheurs consistent en des programmes de haut niveau appliquant des doses élevées de méthadone, de buprénorphine et de LAAM. Il ne s’agit pas de traitements curatifs, et les toxicomanes demeurent dépendants. Ils continuent de consommer des substances illicites en quantités plus ou moins importantes, mais sans courir autant de risques. Les progrès qu’ils apportent sur le plan social résultent soit de la capacité du toxicomane lui-même à améliorer son existence grâce à cette aide, soit d’interventions psychosociales. Dans une approche misant sur la réduction des effets nuisibles liés à la drogue, les traitements de substitution doivent essentiellement chercher à empêcher les toxicomanes de se procurer des substances illicites présentant aucune garantie de sécurité.
Les traitements de substitution à la méthadone à seuil bas peuvent toucher un éventail plus large de toxicomanes, mais leurs résultats sont moins bien établis (voir par exemple, en ce qui concerne leurs conséquences sur l'incidence du VIH, l’article de Langendam et al, 1999). Ce domaine de la recherche n’a pas été assez exploré que pour pouvoir tirer des conclusions certaines. Les taux de criminalité sur un plan général sont peu élevés dans les pays restrictifs comme la Suède et la Norvège, et dépendent vraisemblablement davantage de facteurs culturels et du niveau de bien-être social. Certains programmes semblent surtout être un moyen de fournir aux toxicomanes des substances de qualité en toute légalité et dans un cadre acceptable. Cette démarche peut se comprendre sous l’angle de la réduction des dommages liés à la drogue, mais beaucoup moins du point de vue de la réduction de l’offre et de la demande. Son intérêt global peut paraître contestable, surtout à long terme.
Les risques liés à l’usage de drogues varient fortement selon le mode de consommation, la pureté des substances prises et la connaissance de leur contenu exact. Leur caractère illicite peut contribuer à aggraver encore les choses : risques accrus d’infections, inconstance et ignorance du contenu et de la pureté des produits, fausses informations quant aux dangers qu’ils présentent. Parfois aussi, l’usage de drogues va de pair, au quotidien, avec des pratiques sexuelles à risque et avec des styles de vie ou un cadre de vie contraires à l’hygiène. Ces derniers aspects ne seront pas évoqués ici.
Prévention des infections
L’épidémie de cas d’infection par le VIH a entraîné plusieurs bouleversements sur le front de la toxicomanie. Le virus se transmet lors de rapports sexuels non protégés et l’on a souvent bien plus encouragé le port de préservatifs que l'absence de relations avec des partenaires à risque. Etant donné que le virus se propage également par l'utilisation de matériel souillé, la mise à disposition de seringues et d'aiguilles propres constitue un important moyen de lutte contre l'épidémie. Dans plusieurs Etats, les restrictions à la vente ont été remplacées par des politiques de distribution de seringues. Ces initiatives ont suscité l’hostilité de certains, qui estimaient dangereux de «transmettre le mauvais message» et craignaient que les barrières morales et matérielles à la consommation de drogues ne s’estompent au point d’entraîner une recrudescence de la toxicomanie, ce qui se solderait par une hausse - et non une baisse – des dommages liés à la drogue. A présent, le débat est clos dans la plupart des pays ; il a abouti à la conclusion qu’il fallait permettre aux usagers de drogues par voie intraveineuse de se procurer des aiguilles et des seringues stériles, tout en décourageant ce mode de consommation.
On remarquera aussi que d'autres types de virus ont eu des retombées sur la toxicomanie. En effet, le partage des seringues et des aiguilles propage aussi les hépatites B et C. L’organisme ne produisant pas d'anticorps du virus, l'hépatite C débouche très souvent sur une maladie chronique. C’est là ce qui serait à l'origine d'un grand nombre d’insuffisances hépatiques et peut-être même d’une augmentation du nombre de cancers du foie. Le virus HTLV est lui aussi source d’inquiétude, car il peut engendrer des leucémies.
Les principales approches retenues pour réduire au maximum les risques sont les suivantes : information, dépistage gratuit et accessible, si possible anonyme, information sur les procédés de stérilisation, avec éventuellement mise à disposition de moyens de désinfection, et enfin distribution de matériel stérile. Une autre démarche encore est celle axée sur la vaccination.
Information sur les risques
Tests gratuits, volontaires et de préférence anonymes
Le VIH, l'hépatite et la plupart des autres infections importantes peuvent être dépistés par des tests. Au début de l'épidémie de VIH, de vives discussions ont porté sur la question de savoir s’il fallait imposer ou non des tests. Dans certains pays, on est allé jusqu’à envisager d'obliger les personnes séropositives à suivre un traitement, de limiter leur liberté de mouvement, d'avertir leurs proches, et ainsi de suite.
Les tests sont actuellement considérés comme l’un des principaux moyens d'influer sur le comportement des toxicomanes - aussi bien ceux qui sont infectés que ceux qui ne le sont pas. Il est généralement admis que les meilleurs résultats, c.à.d. une fréquence maximale des tests et un respect optimal des consignes, s’obtiennent lorsque les tests sont effectués de manière tout à fait volontaire et peuvent être anonymes.
Modes de distribution
· vente libre d'aiguilles et de seringues stériles en pharmacie
· distributeurs automatiques, conçus parfois pour permettre l’échange de matériel usagé contre du neuf, gratuitement ou à prix réduit
· centres de proximité fournissant du matériel stérile gratuitement ou sur une base d'échange
· bus ou équipes de distribution mobiles
· vente de matériel dans les salles d'injection.
De manière générale, les échos négatifs quant aux conséquences de ces pratiques ont été peu nombreux (Paone et al., 1999). Il s’agissait souvent de réactions de riverains ; assez régulièrement aussi, on a signalé la présence d’aiguilles usagées abandonnées çà et là, ainsi que des actes de vandalisme sur des distributeurs. Des bruits ont couru faisant état d’enfants ou de passants qui se seraient piqués accidentellement, mais les cas avérés d’infections sont très rares – le danger est sans doute plus grand en ce qui concerne l’hépatite B et C, car le VIH a tendance à s’inactiver. De récentes études ont cependant montré que, dans le pire des scénarios, on pourrait retrouver des cellules de VIH viables capables de proliférer, dans des seringues conservées à température ambiante pendant plus de quatre semaines (Abdala et al., 1999). Voilà qui constitue à la fois un argument de poids en faveur des programmes d'échange de matériel et un avertissement quant au danger que peuvent représenter les aiguilles et les seringues laissées à l’abandon.
Les études d’efficacité font généralement ressortir une baisse de l'incidence et de la prévalence du VIH. Un récent rapport de situation établi à l’adresse du Ministre de la Santé aux Etats-Unis (Surgeon General, 1998) résumait comme suit ses conclusions:
Il est cependant quelques signes avertisseurs qui doivent être pris en considération. En dépit des efforts déployés depuis des années pour informer et pour faciliter l’obtention de seringues, les travaux de recherche établis à partir d’entretiens avec les personnes concernées révèlent que les comportements à haut risque se poursuivent, en particulier au sein des groupes très exposés. Par ailleurs, on note peu de signes d'une diminution des cas d'hépatite C. Certains auteurs (Hagan et al., 1999, notamment) estiment qu’un tel effet n’est pas démontrable. En outre, les données épidémiologiques révèlent que la prévalence demeure partout élevée, aussi dans les pays pratiquant une politique de réduction des risques. Des Etats qui ne distribuent pas d’aiguilles – c’est le cas de la Suède, notamment à Stockholm - affichent des taux très bas de prévalence du VIH. La ville d’Oslo qui a mis en œuvre un vaste programme de substitution à la méthadone, affiche un taux très bas de prévalence du VIH. Il semblerait que le facteur le plus important soit le comportement des toxicomanes (Waal, 1998). Ceux qui connaissent leur état immunologique et prennent suffisamment au sérieux les risques d'infection seront pour la plupart capables d’avoir une conduite responsable. Mais l'hépatite C n'apparaît pas encore comme une menace aussi grave que le VIH. Lorsque tel est le cas, il faut avant tout informer, afin que les toxicomanes soient aussi vigilants par rapport à l’hépatite C qu’ils le sont, pour la plupart, à l’égard des dangers du VIH.
Il existe des vaccins pour l’hépatite A et B que l’on peut se procurer gratuitement dans divers centres d'accueil et unités de traitement. Il n'y a pas de vaccin pour l'hépatite C ou le VIH. Selon certains rapports, la recherche progresse en ce qui concerne ce dernier, mais aucun résultat convaincant n’a été obtenu.
Le déploiement d’un programme actif de vaccination au moyen des vaccins disponibles devrait à l’évidence être hautement prioritaire, sans que cela suscite la moindre controverse.
Modes de consommation
L’administration par voie orale est largement moins risquée que l’injection intraveineuse. Le risque de surdose est plus grand lorsque l’intéressé choisit un endroit pour se droguer où il risque de ne pas être trouvé en cas d’overdose. Les risques augmentent en cas d’intoxication par l’alcool, par différents types de drogues licites ou par d’autres substances. D’où l’importance d’une information sur les modes moins dangereux de consommation. Le message du style «Dites simplement non [à la drogue]» font place à des messages nuancés qui cherchent à amener l’individu à mieux pouvoir diminuer les risques encourus lorsqu’il ne peut ou ne veut s’abstenir. Le message s’articulera par exemple comme suit :
1. Le seul choix sans risque est l’abstinence.
2. Si vous n’arrivez pas à vous abstenir, évitez de vous piquer. Si vous vous piquez, veillez à utiliser un matériel propre.
3. Assurez-vous du contenu de ce que vous prenez.
4. Ne vous procurez pas de drogue auprès de quelqu’un en qui vous n’avez pas confiance.
5. Soyez particulièrement prudent si vous avez bu.
6. Ne prenez pas de drogue là ou lorsque personne ne s’occupera de vous en cas d’accident.
Ce genre de messages se rencontre dans plusieurs pays (au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Suisse et en Espagne, par exemple). Les arguments qui militent en leur faveur sont que l’intéressé se droguera de toute façon et que, s’il est davantage renseigné, cela limitera les dommages. Le contre-argument consiste à dire qu’ils ont pour effet d’accroître la consommation de drogues, à la fois parce que leur usage est mieux accepté et parce que l’usager potentiel est plus sûr de lui. Les travaux de recherche pour évaluer le bien-fondé des arguments respectifs sont très insuffisants.
Tests réalisés sur place - tests anonymes
La pureté et la concentration de l’héroïne vendue dans la rue sont très variables. Les décès par surdose sont, pour certains, liés à des différences de puissance du produit qui font que l’usager se trompe dans les quantités consommées. Parfois, le contenu infectieux du matériel cause lui aussi des affections. Ce type de problèmes a été invoqué comme argument en faveur à la fois d’une légalisation de la drogue et d’un recours aux prescriptions médicales. La consommation accrue des drogues de synthèse (« designer drugs ») et autres «drogues de loisir» (les «party drugs») a actualisé ce débat. Des substances telles que le MDMA (l’ «ecstasy»), le gamma-hydroxybutyrate (le GHB) et la kétamine sont de plus en plus répandues parmi les jeunes amateurs de rassemblements «rave» et autres soirées animées. Elles sont pour la plupart faciles à fabriquer d’un point de vue technique et sortent souvent de modestes laboratoires clandestins de bas étage. Leur contenu est non seulement variable, mais semble parfois aussi plus toxique.
Pour limiter les risques et favoriser des comportements responsables dans les discothèques, les festivals et autres événements tels que les soirées «rave», les pouvoirs locaux proposent, dans plusieurs pays, l’organisation de tests réalisés «sur place» : l’usager remet un échantillon de la drogue qu’il possède et obtient en retour des informations relatives au contenu et parfois à la concentration des substances actives. Généralement, le consommateur n’est pas tenu de décliner son identité.
Les arguments pour et contre cette formule sont les mêmes que ceux qui concernent l’information axée sur la réduction des risques. Ici aussi, les travaux de recherche en la matière sont insuffisants.
Le taux de mortalité et de morbidité est constamment moins élevé chez les toxicomanes qui suivent un traitement de substitution par opiacés; ce constat est plus marqué encore lorsqu’il s’agit de programmes dits "à seuil haut", car ceux "à seuil bas" s’attachent en fait à toucher un nombre beaucoup plus grand de toxicomanes. Les initiatives destinés à réduire les risques d'infection font aussi, en toute logique, baisser la morbidité et arrivent même parfois à inciter certains toxicomanes à entreprendre une thérapie.
Pour autant, l'usage de drogues et la toxicomanie sont à l’origine de décès et de problèmes de santé associés à la drogue, que l’on observe aussi bien en présence qu’en l’absence de tels programmes. Ce sont les surdoses fatales, les suicides et les morts violentes ; ce sont aussi les infections et les maladies - abcès, thromboses, septicémies, endocardites et autres accidents liés aux injections. Il semble que la distribution de seringues n’y change rien, surtout lorsque des thromboses répétées ont rendu les veines du toxicomane impénétrables. Les cas de tuberculose et autres infections sans rapport avec l'utilisation d'aiguilles constituent également un problème qui va en s’aggravant. Les lésions et traumatismes récurrents sont des phénomènes fréquents. Les toxicomanes souffrent de plus en plus souvent de malnutrition et/ou de diverses maladies non traitées.
Dans certains pays, le coût des soins de santé est un obstacle pour les toxicomanes et pour d'autres catégories de personnes aux revenus modestes. Dans d’autres, le système de santé se montre très peu accueillant à l’égard des toxicomanes, au point ici encore de leur en entraver l’accès. D'autres encore exigent l'abstinence comme condition préliminaire à certains types de traitements. C'est souvent le cas dans les établissements psychiatriques et autres services de soins de santé mentale.
Les réponses aux problèmes de cet ordre passent par des systèmes de financement, par un changement d’attitudes dans les établissements de soins, par une participation des services de santé aux programmes de substitution et aux initiatives de travail d’approche et de rencontre (« outreach ») des toxicomanes, ainsi que par la mise en place de programmes spéciaux pour des groupes-cible. Les systèmes de financement étant dans une large mesure propres à chaque pays, ils ne seront pas abordés ici.
Changement d’attitudes dans les établissements de soins
Les attitudes sont en partie le fruit d’une construction intellectuelle de l’environnement social et en partie la résultante d'expériences et de conflits d'intérêts. Certaines difficultés peuvent être atténuées par une meilleure information et par l’arrêt de la stigmatisation dont font l’objet les toxicomanes; mais il faut aussi que ces derniers ne soient pas un fardeau supplémentaire dans des situations tendues. D’où, on le comprend, la nécessité d'établir des procédures et des priorités. Il n'est pas rare de voir un toxicomane s'adresser aux services de santé plus pour se procurer telle ou telle substance que pour faire soigner les symptômes somatiques ou psychiatriques qu'il présente. Le personnel en charge des soins médicaux devrait être formé pour traiter ce problème sans animosité.
Il faudrait au minimum prévoir des procédures et des stratégies de prise en charge qui permettent de coopérer avec d'autres organismes et services de proximité pour suivre et traiter ceux qui ne sont pas capables de s'adapter aux règlements hospitaliers.
Octroi et prolongation de traitements de substitution de courte durée
Les toxicomanes très dépendants devraient bénéficier d’un traitement de substitution par agonistes lorsqu'ils doivent être soignés pour une maladie grave. Il faudrait que les hôpitaux et les services de consultations externes prévoient des procédures leur permettant de faire face à ce problème. Cela vaut également pour les établissements psychiatriques. Il serait en outre souhaitable que l’on puisse, si besoin est, demander la poursuite du traitement de substitution.
Prise en charge sanitaire adaptée dans les services chargés de traiter les cas d'abus de drogues
Les centres de traitement - qu’il s’agisse ou non de traitements de substitution – pourraient inclure divers services sanitaires. L’évaluation de cette approche donne généralement des résultats positifs.
Travail d’approche et de rencontre des toxicomanes (« outreach »), services « à seuil bas ».
Les toxicomanes ont souvent un mode de vie et des schémas de comportement qui leur barrent l’accès aux soins pour des raisons liées aux heures d'ouverture des centres d’accueil ou à leur éloignement. La réponse consiste ici à venir proposer des soins près des lieux qu’ils fréquentent ou dans des structures «à seuil bas», qui acceptent d’établir un diagnostic et de prodiguer un traitement sans tenir compte de l'usage de drogues.
Projets ciblés pour atteindre des groupes particuliers
Il arrive que certaines minorités se montrent méfiantes à l’égard de la population majoritaire ou se sentent rejetées par ses représentants. Outre les problèmes de toxicomanie, il peut y avoir à cela de multiples raisons : origines ethniques, situation sociale, appartenance à un sexe, orientations sexuelles. L’initiative imaginée à Amsterdam consistant à proposer un système mobile (bus) de traitements de substitution à la méthadone à seuil bas était au départ destinée à des toxicomanes évoluant au sein de groupes marginalisés originaires du Surinam (Buning et al, 1990). On pourrait concevoir d’autres programmes ciblés sur les prostituées, les milieux défavorisés, les immigrants clandestins, les malades mentaux sans abri ou des groupes sexospécifiques. L’une des conditions essentielles serait de ne pas subordonner l’octroi des soins de santé et autres services à l’abstinence.
Tant dans les pays qui privilégient la réduction des dommages que dans ceux qui ont mis en place des politiques restrictives, on relève un important pourcentage de détenus confrontés à des problèmes de drogue. Pour y faire face, les autorités ont édifié des établissements pénitentiaires de haute sécurité et imposé des restrictions aux visiteurs. Cela n’empêche pas la drogue d’arriver dans les prisons, même si l’on exagère parfois la quantité de substances qui y pénètrent. Le partage du matériel utilisé pour se droguer pose donc ici aussi problème et plusieurs cas de séroconversion en milieu carcéral ont été signalés. Une enquête par questionnaires anonymes récemment menée dans des établissements pénitentiaires britanniques a révélé que la moitié des détenus usagers de drogues par voie intraveineuse s’étaient piqués en prison dans le mois précédent l’entretien. L’enquête conclut que les tests anti-drogue inopinés obligatoires sous-estiment largement la fréquence des injections et fait valoir qu’il conviendrait de proposer aux détenus des mesures de réduction des dommages – vaccination contre l’hépatite et comprimés de stérilisation, par exemple (Bird et al, 1997). Uchtenhagen (1998) a dressé un aperçu de ce qui se fait en matière de prévention du VIH en prison, et a recommandé de faciliter l’obtention de seringues, de systèmes de désinfection et de méthadone, en plus des programmes d’abstinence déployés dans des unités distinctes et autres formules de prise en charge.
Ce type d’initiatives vient surtout de Francfort, ville dont on sait les efforts qu’elle mène tous azimuts pour réduire les dommages liés à la drogue et qui semble avoir réussi à endiguer les problèmes tant sociaux que sanitaires que cela génère (Kemmesies, 1995). Cette approche est également renseignée en Suisse, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Elle consiste pour l’essentiel à mettre à disposition des locaux surveillés où les toxicomanes peuvent se rendre pour leurs injections, lesquelles se pratiquent ainsi en lieu sûr. La plupart du temps néanmoins, l’accès de ces salles est réservé aux toxicomanes inscrits comme usagers. Souvent aussi, d’autres restrictions sont prévues, notamment des limites d’âge. Selon des études d’évaluation, il est possible de pratiquer un grand nombre d’injections dans ces locaux sans que cela ait de graves incidences. On estime également que la formule permet d’atténuer les «nuisances» sociales dans les quartiers envahis par la drogue. La question est à présent de savoir si une telle approche est admissible au regard de la réglementation internationale.
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