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MCL-17(2011)Inf.

                  Conférence du Conseil de l’Europe

            des Ministres responsables

des collectivités locales et régionales

                   17e Session, Kyiv, 3 - 4 Novembre 2011

Document pour information

La Charte européenne de l'autonomie locale et l'impact du droit communautaire sur les collectivités locales des Etats membres


Rapport pour le Comité européen sur la démocratie locale et régionale

et pour le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux

Par

Gérard MARCOU et Jean-François AKANDJI-KOMBÉ,

Professeurs à l’École de Droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne


Sommaire

Introduction                                                                                                 5

I.         Le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres,

            un principe fondamental de l’Union européenne                                    8

A)       Le principe et ses limites                                                                         8

          1)       L’autonomie institutionnelle, un principe essentiel et

                   un droit de l’Etat                                                                          8

          2)       Un principe aux implications variées                                       9

          3)       Un principe à la portée limitée mais qui n’affecte nullement les

                   compétences des Etats à l’égard de leurs collectivités locales               11

B)       L’absence de compétence de l’Union européenne en ce qui concerne

          les collectivités locales                                                                            12

          1)       Le respect du droit communautaire matériel dans

                   l’exercice des compétences                                                            12

          2)       Les textes du droit dérivé intéressant les collectivités locales

                   confirment le respect de l’autonomie institutionnelle                            14

          3)       Le renforcement du principe de l’autonomie institutionnelle

                   des Etats membres par le Traité de Lisbonne                                    16

II.       L’exclusivité de la compétence internationale des Etats membres

            en ce qui concerne les collectivités locales                                            17

A)       L’absence d’une compétence internationale de l’UE dans le champ

          de la Charte de l’autonomie locale                                                             18

          1)       L’absence de compétence implicite de l’Union dans le

                   champ de la Charte de l’autonomie locale                                         18

          2)       Hypothèses résiduelles                                                                  19

B)       La capacité internationale exclusive des Etats membres en ce qui

          concerne leurs collectivités locales                                                            20

          1)       L’exercice de la compétence internationale des Etats

                   concernant les collectivités locales et le droit de l’UE                           20

          2)       L’exemple des traités bilatéraux ou multilatéraux de

                   coopération transfrontalière entre Etats membres                              21


C)       Les obligations des Etats membres pour l’application du droit

          communautaire ne remettent pas en cause leur obligation de

          respecter la Charte de l’autonomie locale                                                   22

          1)       Une obligation en droit interne                                                        22

          2)       La Charte, source d’une obligation de comportement

                   des Etats membres dans le fonctionnement de l’UE                            23

          3)       La participation des collectivités territoriales à certaines

                   procédures dans le cadre communautaire ne délie pas les Etats de

                   leur obligation envers la Charte dans le cadre communautaire              25

D)      Les potentialités de la politique extérieure et de sécurité commune

          de l’Union en ce qui concerne les collectivités locales                                    26

III.      Propositions tendant à garantir le respect de la Charte de

            l’autonomie locale dans les politiques de l’Union européenne                  27

          1)       Exclusion d’une adhésion de l’UE à la Charte                                      27

          2)       Le recours à l’article 351 TFUE                                                        27

          3)       Le rôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe: examen

                   d’un rapport annuel préparé par le CDLR sur l’évolution du droit                     communautaire au regard de son impact sur le respect des

                   obligations de la Charte                                                                 28

          4)       Elargir à l’impact du droit communautaire le mécanisme de

                    suivi de l’application de la Charte                                                     28

          5)       Un protocole d’accord entre l’UE et le Conseil de l’Europe

                   introduisant une évaluation des propositions de directive ou de

                   règlement préparées par la Commission au regard de leur

                   impact sur le respect de la Charte par les Etats membres                    29

          6)       Le rôle du Congrès des Pouvoirs locaux: l’impact du droit

                   communautaire sur l’application de la Charte pourrait être

                   l’occasion de ramener cet organisme à sa mission première,

                   de veiller au respect de la Charte                                                    29


Introduction

L’extension des compétences communautaires et la multiplication des politiques de l’Union européenne se sont traduites par une expansion régulière des normes du droit communautaire[1], qui s’appliquent dans les Etats membres à tous les sujets de droit soumis à leur juridiction. Il s’agit non seulement des règlements du Parlement et du Conseil, qui sont d’effet direct, mais aussi des directives, dont les dispositions suffisamment précises créent des droits dans le chef des ressortissants des Etats membres et peuvent être invoquées devant les juridictions nationales, mais aussi des décisions de la Commission, qui peuvent porter sur des décisions ou des comportements de ces sujets de droit dans les domaines où elle est habilitée à agir, comme en matière de concurrence, et des multiples communications qui anticipent et préparent l’évolution du droit dérivé.

Les collectivités locales, comme tous les autres sujets de droit à l’intérieur des Etats membres de l’Union européenne, sont tenues au respect du droit communautaire quand elles sont destinataires de ses normes, et peuvent aussi l’invoquer en leur faveur ou en défense devant les juridictions nationales ou devant les juridictions communautaires, comme par exemple en matière d’aides d’Etat. Mais les collectivités locales ne sont pas des sujets de droit comme les autres. Au regard de l’obligation de loyauté qui oblige les Etats à garantir l’application uniforme du droit communautaire sur leur territoire, les collectivités locales sont des pouvoirs publics dont les actes sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat membre devant les juridictions communautaires, et qui, comme toutes les administrations, sont tenues de faire prévaloir l’application du droit communautaire sur des dispositions nationales contraires. Comme l’a exprimé la Cour de Justice, dès lors qu’une disposition d’une directive est inconditionnelle et suffisamment précise, et que les particuliers peuvent s’en prévaloir, non seulement les juridictions nationales, mais aussi « tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, telles les communes, sont tenus d’en faire application » ; en d’autres termes, « tout comme le juge national, une administration, y compris communale, a l’obligation de l’appliquer » (CJCE 22 juin 1989 « Fratelli Costanzo Spa c. Comune di Milano », aff. C-103/88, par.32 et 33). On le voit, le droit communautaire ne distingue pas, au sein des administrations de l’Etat, les collectivités locales des autres autorités. Cette position s’explique par la nature de l’Union européenne, qui est une union d’Etats, un « Staatenverbund », selon l’expression employée par la Cour constitutionnelle allemande ; seuls les Etats membres ont des obligations au regard du traité envers l’Union et envers les autres Etats membres.

Or, tous les Etats membres de l’Union européenne ont également signé et ratifié, dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Charte européenne de l’autonomie locale du 15 octobre 1985. Cette Charte est un traité international au terme duquel les Etats signataires s’engagent à respecter un certain nombre de principes fondamentaux concernant le statut et les pouvoirs de leurs collectivités locales. Ils ont pris ces engagements parce qu’ils considèrent que « les collectivités locales sont l'un des principaux fondements de tout régime démocratique » (Préambule de la Charte, par.3).


Ces engagements rejoignent les principes sur lesquels se fonde l’Union européenne. Selon le préambule du traité relatif à l’Union européenne, les Etats signataires déclarent s’inspirer des « valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit ». Dans ce cadre, au sein de l’Union européenne, il est donc parfaitement légitime que les Etats membres veillent au respect de leurs engagements en matière d’autonomie locale, considérés comme « l’un des principaux fondements de tout régime démocratique ».

Il convient à cet égard de souligner que la Charte de l’autonomie locale n’expose nullement un modèle d’organisation de l’Etat ou de l’administration locale auquel les Etats parties devraient se conformer. Les principes qu’elle énonce peuvent être réalisés dans des systèmes constitutionnels et administratifs très différents, mais qui partagent des valeurs communes. Une comparaison, même superficielle, des réformes ayant affecté les systèmes d’administration locale des Etats signataires de la Charte au cours des dernières décennies, suffit pour constater que son application n’a pas déterminé une harmonisation de ces systèmes.

Cependant, il semble que, dans le fonctionnement de l’Union européenne, les Etats membres aient accordé une attention insuffisante aux répercussions de ses politiques et des normes communautaires sur l’autonomie locale, c’est-à-dire sur les engagements qu’ils ont pris en ratifiant la Charte de l’autonomie locale. Or, selon le Comité des Régions, 50% des actes législatifs de l’Union européenne affectent les collectivités locales. Cette préoccupation n’est pas tout à fait nouvelle. Rappelons que c’est au moment de l’Acte unique européen que, sous l’impulsion des Länder allemands soucieux que leurs prérogatives constitutionnelles ne soient pas affaiblies par l’intégration européenne, le principe de subsidiarité a été tiré de l’oubli. La même question se pose aujourd’hui à propose des collectivités locales.

Le concept d’autonomie locale est défini par l’article 3 de la Charte :

    « 1   Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.

    « 2   Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux.  Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là ou elle est permise par la loi ».

Il comporte donc à la fois une liberté d’action  et une autonomie institutionnelle fondée sur le principe démocratique. La Charte précise en outre la portée de l’autonomie locale à l’article 4, notamment dans les paragraphes 2 à 4 :

    « 2   Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité.


    3      L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie.

    4      Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi ».

Le paragraphe 2 correspond à ce l’on appelle souvent la « clause générale de compétence », et le paragraphe 3 au principe de subsidiarité. Le paragraphe 4 a pour but de protéger les compétences locales ; mais la primauté du droit communautaire peut avoir pour effet d’entraîner de telles limitations en dehors des formes que la Charte impose.

L’article 9 de la Charte porte sur les conditions financières de l’autonomie locale. Selon le paragraphe 2, les ressources financières des collectivités locales doivent être « proportionnées à leurs compétences », et selon le paragraphe 4 les systèmes financiers sur lesquels reposent ces ressources doivent être suffisamment diversifiés et évolutifs pour suivre « l’évolution réelle des coûts de l’exercice de leurs compétences ». Or, la mise en œuvre du droit communautaire détermine souvent une augmentation de ces coûts pour les collectivités locales.

Les obligations des Etats au regard de la Charte de l’autonomie locale ont donc nécessairement un prolongement dans le fonctionnement de l’Union européenne, et les nouvelles dispositions introduites par le traité de Lisbonne paraissent donner une base nouvelle à cette interprétation. Il s’agit d’obligations des Etats, et non de l’Union européenne en tant que telle car, en raison du principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres, ceux-ci ont une compétence exclusive en ce qui concerne le régime et les fonctions des collectivités locales (I). L’Union européenne n’a pas davantage de compétence internationale en ce qui concerne les collectivités locales des Etats membres qui ont également, en ce domaine, une compétence exclusive, de sorte que l’Union européenne ne pourrait pas s’engager elle-même au respect de la Charte ; les obligations des Etats membres pour le respect du droit communautaire ne sauraient donc porter atteinte à leurs obligations relatives au respect de la Charte de l’autonomie locale (II). Pour améliorer la protection de l’autonomie locale au sein de l’Union européenne, il faut donc prolonger le suivi par le Conseil de l’Europe de l’application de la Charte par les Etats jusque dans les politiques de l’Union européenne ; c’est le sens des recommandations qui seront formulées (III).


I.            LE PRINCIPE DE L’AUTONOMIE INSTITUTIONNELLE DES ETATS MEMBRES, UN PRINCIPE FONDAMENTAL DE L’UNION EUROPEENNE

Le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres est un principe fondamental de l’Union européenne. Il ne peut faire échec à l’obligation d’assurer l’application uniforme du droit communautaire. Mais il justifie que les Etats membres opposent la Charte de l’autonomie locale à des dispositions du droit communautaire qui porteraient atteinte à l’autonomie locale (A). L’examen du droit communautaire montre que les dispositions qui intéressent directement les collectivités locales réservent les aspects institutionnels, qui relèvent de la compétence exclusive des Etats ; le traité de Lisbonne a renforcé cette réserve de compétence des Etats (B).

A)   Le principe et ses limites

Fondamental en lui même et parce que relié à d’autres principes cardinaux du droit communautaire, le principe d’autonomie institutionnelle, qui a pour bénéficiaire l’Etat seul, en même temps qu’il s’est nourri d’implications nouvelles, a vu sa portée de plus en plus bornée au nom de l’exigence d’effectivité et d’efficacité du droit commun sans que cela entraine un transfert des Etats à l’Union du titre juridique à organiser les collectivités locales.

1)       L’autonomie institutionnelle, un principe essentiel et un droit de l’Etat

Consacrée dès 1971 par la CJCE (11 fév. 1971, Fleischkontor, aff. 39/70 ; 15 déc. 1971, International fruit company, aff. 51/71 à 54/71), l’autonomie institutionnelle des Etats membres est à rattacher aux « principes généraux qui sont à la base du système institutionnel de [l’Union] et qui régissent les relations entre [l’Union] et les Etats membres » ainsi qu’au principe dit de coopération loyale posé par l’article 4.3 TUE (CJCE, 21 sept. 1983, Deutsche Milchkontor, aff. 205.82 à 215/82). Bien qu’on n’en trouve pas encore d’expression jurisprudentielle, le lien qui l’unit à l’exigence de respect de l’identité nationale des Etats membres (art. 4.2 TUE) ainsi qu’au principe de subsidiarité (art. 5 TUE) n’est pas moins certain. Au total, l’autonomie institutionnelle a bien le caractère d’un principe essentiel de droit communautaire, et il faudrait bien peu pour y voir aussi un droit fondamental des Etats membres.

Le principe ainsi érigé joue principalement pour la mise en œuvre et l’application du droit communautaire dont on sait qu’elle incombe principalement aux Etats dans une Union qui est largement décentralisée administrativement. Dans ce contexte, l’autonomie institutionnelle, à l’instar de l’autonomie constitutionnelle en droit international, exprime essentiellement la liberté reconnue aux Etats quant au choix des modalités organiques et procédurales d’accomplissement de leur devoir d’exécution. Pour autant, il est clair aussi que la portée du principe déborde le terrain de l’exécution et que ledit principe trouve aussi à s’appliquer, en amont, à la participation des Etats aux processus d’élaboration de la norme communautaire.


Enfin, il importe de rappeler que l’autonomie dont il s’agit est celle des Etats. Le droit de l’Union ne comporte aucune exigence de ce type au profit des collectivités locales. Certes, on pourrait douter qu’il en soit ainsi au regard d’un arrêt au moins de la CJCE, dans lequel celle-ci s’emploie à préciser les critères d’une « autonomie institutionnelle, procédurale ainsi qu'économique et financière » desdites collectivités. Ainsi, la juridiction européenne juge-t-elle que « pour qu'une décision prise par une autorité régionale ou locale puisse être considérée comme ayant été adoptée dans l'exercice de pouvoirs suffisamment autonomes de cette autorité, il faut tout d'abord que cette dernière soit dotée, sur le plan constitutionnel, d'un statut politique et administratif distinct de celui du gouvernement central. Ensuite, la décision doit avoir été adoptée sans que le gouvernement central puisse intervenir directement sur son contenu. Enfin, les conséquences financières d'une réduction du taux d'imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région ne doivent pas être compensées par des concours ou des subventions en provenance des autres régions ou du gouvernement central » (CJCE, 3e ch., 11 sept. 2008, Unión General de Trabajadores de La Rioja, aff. C-428/06 à C-434/06).

Mais pareille interprétation méconnaitrait le contexte, assez particulier, de cette affaire. La Cour était interrogée sur le point de savoir si des avantages fiscaux accordés par une collectivité territoriale aux entreprises établies dans ses limites territoriales devaient être regardées, parce qu’ils ne bénéficiaient pas aux entreprises établies sur le reste du territoire de l’Etat, comme des aides d’Etat prohibées par l’article 107 du TFUE. Or, selon la jurisprudence, le cadre de référence pour l’appréciation des effets des aides susceptibles d’affecter la concurrence dans le marché intérieur n’est pas nécessairement le territoire de l’Etat. Ce peut être aussi celui d’une collectivité infra étatique, pourvu que celle-ci jouisse d’une autonomie suffisante. C’est dans cette optique, et dans cette optique seulement, que la CJUE a été conduite à énoncer les critères rappelés plus tôt, lesquels, et ceci est significatif, ne sont pas tirés du droit communautaire mais sont déduites des règles constitutionnelles nationales. Aussi cette jurisprudence peut-elle être lue comme une confirmation de l’autonomie institutionnelle de l’Etat.

Ce rapport exclusif à l’Etat se manifeste d’ailleurs en dernier ressort dans la sanction communautaire de la méconnaissance du droit communautaire. Ainsi, quelle que soit l’autorité ou l’entité juridique chargée au plan interne de la mise en œuvre ou de l’application de ce droit, seul l’Etat aura à répondre devant la CJUE d’éventuels manquements commis, et cela sans pouvoir invoquer comme fait justificatif la compétence dévolue à une autre personne que lui-même.

2)       Un principe aux implications variées

Le principe d’autonomie connaît diverses déclinaisons qui ont conduit à distinguer l’autonomie institutionnelle stricto sensu de l’autonomie procédurale.


La première a trait essentiellement à la répartition des compétences au plan interne aux fins de la mise en œuvre du droit communautaire. Ainsi que l’a souligné très tôt la CJUE, « lorsque les dispositions du traité ou des règlements reconnaissent des pouvoirs aux Etats membres ou leur imposent des obligations aux fins de l’application du droit communautaire, la question de savoir de quelle façon l’exercice de ces pouvoirs et l’exécution de ces obligations peuvent être confiés par les Etats à des organes déterminés relève uniquement du système constitutionnel de chaque Etat » (arrêt International fruit company, précité). Cette référence aux « organes » doit être entendue de manière large, comme visant aussi bien les personnes juridiques auxquelles la compétence peut être dévolue que les autorités qui seront habilitées à agir en leur nom. Ainsi, par exemple, s’agissant de la mise en œuvre des directives, procèdera de cette liberté le choix qui sera fait de l’institution étatique – Gouvernement ou Parlement ? – chargée de transposer mais aussi celui du niveau – étatique ou infra étatique ? – auquel incombera de prendre les mesures nécessaires à cette fin. Concernant précisément ce dernier cas de figure, la CJUE souligne itérativement que « chaque Etat est libre de répartir comme il le juge opportun les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre une directive au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales » (CJCE, 25 mai 1982, Commission c. Pays-Bas, aff. 96/81). Ce qui vaut ainsi pour la mise en œuvre des directives vaut aussi pour les mesures internes d’exécution que peuvent nécessiter les règlements, eu égard à la jurisprudence de la CJCE selon laquelle « l'applicabilité directe d'un règlement ne fait pas obstacle à ce que le texte même du règlement habilite une institution communautaire ou un Etat membre à prendre des mesures d'application » et, surtout, dont il résulte que « dans cette dernière hypothèse, les modalités de l'exercice de ce pouvoir sont régies par le droit public de l'Etat membre concerné » (CJCE, 27.9.1979, Eridania, aff. 230/78).

L’autonomie implique aussi, outre la liberté dans la distribution interne des compétences, celle de fixer le régime auquel seront soumises les interventions publiques pour la mise en œuvre du droit de l’Union et la garantie d’application de ce droit. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’autonomie procédurale. Elle concerne d’abord le régime administratif des actes pris par les autorités nationales : compétence, nature de l’acte, procédure d’élaboration, exigences de contenu, etc. Mais elle concerne aussi le régime des « sanctions », c’est-à-dire l'ensemble des moyens de contrainte légale qui, dans chaque Etat membre, assurent le respect du droit en cas de conflit à propos de son application. Cette dernière dimension est sans doute celle qui a fait l’objet de la jurisprudence la plus abondante. Il en résulte pour l’essentiel que les règles de forme et de fond tendant à assurer la bonne et pleine application du droit de l’Union, ainsi qu’à sanctionner les manquements constatés à ce droit, sont en principe celles du droit national.


3)       Un principe à la portée limitée mais qui n’affecte nullement les compétences des        Etats à l’égard de leurs collectivités locales

Le principe dont les contours sont ainsi précisés n’est toutefois pas absolu. Autonomie n’est pas souveraineté. Aussi, les Etats ne jouissent-ils de la liberté décrite que dans certaines limites qui tiennent tant au respect du devoir de coopération loyale énoncé par les traités qu’à la sauvegarde de l’efficacité du droit communautaire. On a ainsi assisté ces dernières décennies à un encadrement croissant de l’autonomie des Etats. Celui-ci s’opère par le moyen d’actes des institutions et par voie prétorienne. Mais c’est surtout la jurisprudence qui a dégagé les principes dont découlent ces limites. De manière générale, deux ordres de considérations, d’importance graduée, sont principalement pris en compte par la jurisprudence.

Le premier consiste dans ce qu’il est convenu d’appeler l’exigence d’équivalence, c’est-à-dire dans l’obligation faite aux Etats « de veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédures analogues à celles applicables au droit national d’une nature et d’une importance similaires » (CJCE, 21 sept. 1989, Commission c. Grèce, aff. 68/88 ; 24 oct. 2009, Danske Slagterier, aff. C-445/06). Il doit en aller ainsi, aussi bien pour la protection des droits que les justiciables tirent directement du droit de l’Union qu’en matière d’action en responsabilité pour violation du droit de l’Union (par ex. CJUE, 26 mars 2010, Transportes urbanos y servicios genelales, aff. C-118/08).

Le second ordre de considérations pris en compte par la jurisprudence est l’effectivité et l’efficacité du droit communautaire, dont les exigences dépassent celles du principe d’équivalence. De fait, effectivité et efficacité commandent aux Etats membres, et spécialement au juge national, d’écarter toute disposition procédurale interne qui pourrait empêcher le droit commun de déployer tous ses effets et de recevoir une pleine application sur le territoire national, y compris lorsque pareille disposition procédurale s’imposerait pour le droit national. Ce n’est dès lors pas un hasard si, en application des principes ci-dessus énoncés, on a assisté à la construction prétorienne européenne d’un véritable régime d’application juridictionnelle du droit communautaire. Ce régime est bien sûr loin de toucher à tous les éléments de la garantie d’application du droit, ne comportant que les éléments nécessaires à l’effectivité et à l’efficacité du droit européen, et ne trouvant à s’appliquer que là où le droit national n’assure pas une protection équivalente ou plus stricte. Il réduit cependant de manière sensible et sur des points importants la marge théorique d’autonomie des Etats.


Tel est en tout cas l’effet qui s’attache à l’affirmation par la CJUE d’un droit au recours juridictionnel (not. CJCE, 15 mai 1986, Johnston, aff. 222/84 ; 25 juil. 2002, Unión de pequeños agricultures, aff. 50/00 P; ou encore 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05), d’un pouvoir appartenant aux juridictions nationales de prendre à l’égard de tout acte de droit interne les mesures provisoires qu’elles jugent s’imposer (CJCE, 19 juin 1990, Factortame, aff. C-213/89 ; 21 fév. 1991, Zuckerfabrick, aff. C-143/88 et C-92/89 ; 24 oct. 2001 (ord.), Dory, aff. C-186/01 ), d’appliquer des règles spécifiques à la responsabilité de la puissance publique pour violation du droit de l’Union (CJCE 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, aff. jointes C-46/93 et C-48/93 ; 26 mars 1996, British Telecommunications, aff. C-392/93 ; 4 juillet 2000, Haim, aff. C-424/97), de soulever d’office des moyens tirés de la méconnaissance du droit de l’Union (comp. CJCE, 11 juil. 1991, Verholen, aff. C-87/90 à C-89/90 ; 27 juin 2000, Oceano grupo editorial, aff. C-240/98 à C-244/98 ; 7 juin 2007, Van der Weerd, aff. C-222/05 à C-225/05), ou encore d’appliquer un régime particulier de l’autorité de la chose jugée (CJCE, 3 sept. 2009, Fallimento Olimpiclub, aff. C-2/08), tous droits et pouvoirs fondés directement sur le droit de l’Union.

Reste que, à y regarder de près, ces limitations n’aboutissent pas à une ingérence du droit communautaire dans l’ordonnancement institutionnel des Etats et, partant, à une affectation du statut des collectivités locales. Centré essentiellement sur les aspects procéduraux de l’autonomie institutionnelle, le régime communautaire évoqué plus haut ne peut influer que sur la mise en œuvre par lesdites collectivités des compétences qui sont les leurs en vertu du droit national. Cela se vérifie largement en jurisprudence, mais surtout dans le droit dérivé.

B)   L’absence de compétence de l’Union européenne en ce qui concerne les collectivités locales

Dans la mesure où elles exercent leurs compétences, les collectivités locales doivent respecter le droit communautaire matériel qui s’y rapporte. En revanche, le droit communautaire réserve les institutions et les pouvoirs des collectivités locales à la compétence des Etats membres.

1)            Le respect du droit communautaire matériel dans l’exercice des compétences

Dans l’exercice de leurs compétences, les collectivités locales sont soumises, non seulement à la loi, mais aussi au droit communautaire. Cette exigence a été admise par les rédacteurs de la Charte de l’autonomie locale. Le Rapport explicatif de la Charte indique sous le paragraphe 1 de l’article 4 : « une exception s’applique au cas des Etats membres des Communautés européennes dans la mesure où les règlements (…) peuvent stipuler l’application d’une mesure spécifique à un niveau donné d’administration ».


Un bon exemple en est donné par les directives sur l’eau. Dans presque tous les pays européens, ce sont les communes et leurs groupements qui sont compétentes pour organiser ou assurer la distribution d’eau destinée à la consommation humaine. Elles sont donc tenues de respecter les normes définies par la directive n°98/83 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, notamment les valeurs paramétriques fixées par l’annexe I. Toutefois, la directive ne comporte aucune disposition institutionnelle, notamment lorsqu’elle prévoit que « les autorités compétentes ou les autres instances pertinentes décident des mesures à prendre » pour interdire ou restreindre la consommation des eaux constituant un danger potentiel pour la santé des personnes (art. 8.4). Néanmoins, la prise en compte des différences entre les régions de l’Union ne doit pas nuire à « l’établissement du cadre législatif, réglementaire et administratif institué par la présente directive (préambule, par.4). En outre, la directive 2000/60 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau comporte des implications institutionnelles. Elle prévoit l’institution de districts hydrographiques pour lesquels les Etats membres désignent « l’autorité compétente adéquate », laquelle établit un plan de gestion, et la « participation active » de toutes les parties concernées » (art. 3, 13 et 14 notamment). Cependant, la directive laisse à chaque Etat membre de déterminer l’autorité compétente, même si le préambule affirme que le succès de la directive nécessite « une collaboration étroite et une action cohérence de la Communauté, des Etats membres et des autorités locales », ainsi que la participation du public (par.14).

De cet exemple on peut déduire que les collectivités locales sont soumises au droit matériel de l’Union européenne dans la mesure nécessaire, en fonction de leurs compétences définies par la législation de l’Etat membre. Par conséquent, l’extension des compétences des collectivités locales accroît la sensibilité de celles-ci à l’application du droit communautaire. Mais la position des collectivités locales vis-à-vis des normes du droit communautaire n’est pas différente de leur position vis-à-vis de la loi nationale, ni de celle des autres destinataires des normes du droit communautaire.

Dans la mesure où les collectivités locales (ou leurs organes – cas du Royaume-Uni) sont des personnes morales, destinataires d’une décision ou « directement et individuellement concernées » par une décision d’un organe de l’Union, elles peuvent introduire un recours auprès du juge communautaire sur la base de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, comme pourrait le faire une entreprise ou tout autre sujet de droit. Il est à remarquer que l’article 263 comporte une extension du droit de recours par rapport à l’article 234 (par.4) du traité relatif à la Communauté européenne dont il est issu. Il ajoute en effet la possibilité, pour toute personne physique ou morale, de former un recours « contre les actes réglementaires qui la concerne directement et qui ne comportent pas de mesure d’exécution ». Il en irait de même d’une entreprise publique locale dotée de la personnalité morale. Ce type de recours concerne le plus souvent des aides d’Etat, mais le nouvel article 263 ne semble pas avoir encore été utilisé par une collectivité locale.


Les collectivités locales sont encore plus directement concernées par les actes législatifs communautaires qui organisent la concurrence dans des secteurs jusqu’alors soumis à un régime de monopole public ou d’attribution de droits exclusifs. Mais elles ont été inégalement affectées en fonction de leurs compétences. Par exemple, l’impact du règlement n°1370/2007 du 23 octobre 2007 affecte potentiellement toutes les collectivités locales ; après de longues négociations, les autorités locales conservent la possibilité d’exploiter elles-mêmes les services publics de transports de voyageurs ou de les attribuer sans appel à la concurrence à un opérateur interne (art.5). En revanche, dans le domaine de l’énergie, toutes les collectivités locales n’ont pas, dans l’Union européenne, une compétence en matière d’électricité ou de gaz. Lorsqu’elles ont une telle compétence, elles sont désormais aux règles de concurrence du secteur pour la fourniture et à la régulation de l’accès aux réseaux (cf directives n°2009/72 et 73). Enfin, dans le domaine des communications électroniques, l’enjeu actuel du passage au « très haut débit » conduit les collectivités locales à craindre que les règles de concurrence ne freinent leurs initiatives dans les territoires les moins attractifs pour les opérateurs privés (cf le rapport du Sénat français sur la couverture numérique du territoire, juillet 2011, n°760).

Dans ces différents domaines, l’orientation prioritaire de l’Union européenne est la réalisation du marché unique en prenant appui sur le régime concurrentiel. Dans l’élaboration des normes communautaires devraient donc être prises en compte également les implications de ces mesures pour l’autonomie des collectivités locales dans l’exercice de leurs compétences, selon les principes inscrits dans la Charte de l’autonomie locale.

2)            Les textes du droit dérivé intéressant les collectivités locales confirment le respect de l’autonomie institutionnelle

Bien que l’Union européenne n’ait aucune compétence en ce qui concerne l’organisation et les pouvoirs des collectivités locales, il existe un certain nombre d’actes législatifs qui les intéressent directement. Ces textes se réfèrent à l’organisation constitutionnelle et administrative de chaque Etat.

a)            La Nomenclature des unités territoriales statistiques

La Communauté européenne a établi depuis longtemps déjà une Nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS) dont l’objet, selon le règlement actuellement en vigueur (n°1059/2003 du 26 mai 2003, modifié depuis en fonction de l’élargissement de l’Union), est de permettre l’établissement de statistiques régionales harmonisées. Cette nomenclature se compose de trois niveaux hiérarchisés, qui ne sont pas des unités administratives et n’ont pas vocation à le devenir. Selon l’article 3, « la définition des unités territoriales repose fondamentalement sur les unités administratives existant dans les Etats membres ». Une unité territoriale peut correspondre à une unité administrative ou regrouper plusieurs unités administratives d’un Etat pour aboutir à des unités territoriales comparables en fonction des seuils démographiques définis pour chacun des trois niveaux par le règlement. Les réformes territoriales d’un Etat peuvent conduire à redéfinir ses unités territoriales statistiques, non l’inverse. Il arrive que certains Etats membres prennent en compte les unités territoriales pour s’adapter aux besoins de la politique régionale de l’Union européenne (Grèce, Roumanie…) mais cela procède de leur décision, non d’une orientation politique de l’Union européenne.


b)            Le « partenariat » dans les règlements sur les fonds structurels

Depuis 1988, les règlements successifs sur les fonds structurels ont fait du « partenariat » l’un des principes directeurs de la mise en œuvre de la politique régionale de la Communauté européenne sur le plan institutionnel. Selon l’article 11 du règlement n°1083/2006 reprenant les termes du règlement n°2052/1988), le partenariat est défini comme « une concertation étroite entre la Commission, l’Etat membre concerné et les autorités compétentes désignées par celui-ci au niveau national, régional ou autre ». Depuis 1988, l’objet du partenariat est resté le même : il porte sur la préparation, le financement, le suivi et l’évaluation des actions ; toutefois, depuis le règlement de 1999 il s’applique à chaque stade de la programmation.

Alors que dans les formulations initiales, l’organisation du partenariat relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire de l’Etat membre, les textes se sont faits plus contraignants, tout en respectant le principe de l’autonomie institutionnelle. Le règlement de 1993 a introduit les « partenaires économiques et sociaux » dans le partenariat et celui de 1999 l’a ouvert à « tout autre organisme approprié ».

Le règlement de 2006 laisse toujours aux Etats membres la plus grande liberté dans l’organisation du partenariat : « Chaque État membre organise, au besoin et conformément aux règles et pratiques nationales en vigueur, un partenariat avec les autorités et les organismes tels que :… » ; il ajoute cependant les autorités « urbaines » aux autorités locales et régionales. Mais, depuis le règlement de 1993, la notion de partenaire implique qu’il s’agisse d’autorités distinctes de l’Etat, et les autorités régionales ou locales ne peuvent être que des autorités décentralisées. Selon ses termes, repris dans les règlements ultérieurs et notamment celui de 2006 : « le partenariat est conduit dans le plein respect des compétences institutionnelles, juridiques et financières respectives » des partenaires (règlement de 2006 : art.11, par.2), ce qui lie l’Etat à partir du moment où il a déterminé les partenaires. Toutefois, alors que, selon l’article 15 du règlement de 1999, les partenaires donnaient seulement un avis sur les plans que l’Etat membre soumettait à la Commission, à qui revient la décision leur donnant effet, le règlement de 2006 prévoit que le « cadre stratégique national » est élaboré par l’Etat membre « en accord avec les partenaires concernés » (art.28) et que chaque « programme opérationnel » est établi par l’Etat membre « en coopération avec les partenaires visés » à l’article 11. D’autres dispositions prévoient la participation des partenaires aux comités de suivi des fonds structurels.

On peut donc affirmer que la place des partenaires dans la mise en œuvre des objectifs poursuivis par les fonds structurels a été progressivement consolidée. Elle comporte certains droits pour les partenaires désignés (les catégories de partenaires, selon les termes de l’article 11 du règlement de 2006), notamment quant au respect de leurs propres compétences. En revanche il n’existe pas en droit communautaire pour aucune autorité régionale, locale ou autre, un droit à être désignée comme partenaire au sens de l’article 11, ce qui est conforme au principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres. Si un tel droit devait exister il devrait être d’origine nationale. Mais la consolidation du partenariat est conforme à l’esprit de la Charte de l’autonomie locale.


c)            La coopération territoriale

Les fonds structurels européens ont donné une impulsion décisive à la coopération entre collectivités locales de différents pays, ce dont la Charte de l’autonomie locale prévoit la possibilité (art. 10.3) comme une composante de l’autonomie locale. Les collectivités locales peuvent ainsi participer à la réalisation de l’ « union sans cesse plus étroite des peuples européens », selon la célèbre formule du préambule du Traité de Rome.

Le règlement n°1083/2006 donne une nouvelle ampleur à ce qu’il appelle désormais la « coopération territoriale ». Mais, selon le règlement n°1080/2006 sur le FEDER, l’approche de cette coopération est fonctionnelle et matérielle, et non pas institutionnelle. Les programmes opérationnels peuvent associer non seulement des collectivités locales ou régionales mais aussi des administrations d’Etat et des partenaires privés.

Le règlement n°1082/2006 qui institue le « groupement européen de coopération territoriale » (GECT) est l’instrument juridique mis en place pour servir de base à certains programmes de coopération territoriale (ses membres doivent être situés sur le territoire d’Etats membres). Son préambule rappelle l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de coopération transfrontalière et qu’il ne s’agit ni de contourner les cadres mis en place par celui-ci (il s’agit essentiellement de la Convention de Madrid de 1980 et Protocole additionnel), ni de fixer des règles communes pour cette coopération (par.5). Le GECT est doté de la personnalité morale et exerce les attributions que lui confient ses membres, mais « qui se limitent à faciliter et à promouvoir la coopération territoriale… » (art. 7.2) ; il peut gérer des fonds (art.6), mais il ne peut exercer des pouvoirs de police ou de réglementation. La création d’un GECT n’est jamais une obligation, mais l’initiative de sa création appartient à ses membres potentiels, et donc aux collectivités locales aussi bien qu’aux Etats ou aux pouvoirs fédérés ou régionaux (art. 4). Les collectivités locales peuvent donc prendre l’initiative. Les autorités de l’Etat membre doivent donner leur accord, au regard du droit national (art. 5.3) et les missions confiées au GECT doivent relever des compétences de chacun de ses membres « en vertu de son droit national » (art. 7.2).

3)            Le renforcement du principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres par le Traité de Lisbonne

Les nouvelles dispositions introduites par le Traité de Lisbonne ont renforcé le principe de l’autonomie institutionnelle. Selon l’article 4.2 TUE, en effet : « L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale (…) ». Cette formule est reprise du projet de traité établissant une constitution pour l’Europe (art.I-5). Elle est la première expression dans les traités d’une reconnaissance des collectivités territoriales ; mais elle est expressément rattachée aux « structures fondamentales politiques et constitutionnelles des Etats membres », dont le respect s’impose à l’Union. Il en résulte que l’« autonomie locale et régionale » relève de la seule responsabilité des Etats membres. 


Les dispositions également introduites par le Traité de Lisbonne sur les services d’intérêt général peuvent également servir de points d’appui à l’autonomie locale. La réserve de compétence des Etats inscrite à l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne bénéficie aux collectivités locales en fonction de la législation nationale. Il en va de même de la réserve de compétence inscrite dans le protocole n°26 sur les services d’intérêt général, selon lequel les traités ne portent atteinte en aucune manière à la compétence des Etats membres pour fournir, faire exécuter et organiser les services non économique d’intérêt général.

En conclusion, le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres se traduit par une entière réserve de compétence des Etats pour fixer leur organisation territoriale ainsi que le statut et les compétences de leurs collectivités locales. Le droit communautaire respecte cette compétence, comme le montre la prudence ses dispositions lorsqu’elles ont une dimension institutionnelle. Il en résulte qu’il est de la responsabilité des Etats membres de l’Union européenne de veiller au respect de la Charte de l’autonomie locale, non seulement dans l’ordre interne et dans la mise en œuvre des politiques communautaires, mais aussi dans le fonctionnement de l’Union européenne

II.          L’EXCLUSIVITE DE LA COMPETENCE INTERNATIONALE DES ETATS MEMBRES EN CE QUI CONCERNE LES COLLECTIVITES LOCALES

Une fois constaté que, dans l’ordre interne de l’Union, les compétences impliquées par les obligations contenues dans la Charte européenne de l’autonomie locale n’appartiennent pas à l’Union mais aux Etats, et qu’elles se trouvent même confortées par le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats, il reste encore à vérifier si l’Union ne disposerait pas, dans l’ordre international, de compétences pouvant affecter la mise en œuvre de la Charte, voire lui permettant d’assumer à la place de ses Etats membres les obligations qui découlent de l’instrument du Conseil de l’Europe.

A cet égard, force sera d’observer que les principes, plutôt restrictifs, présidant à la détermination de la capacité de l’Union à conclure des traités internationaux, ne permettent pas d’envisager une telle éventualité. Ce dont il sera déduit, d’une part, que les Etats conservent seuls le pouvoir de s’engager internationalement dans les domaines considérés et, d’autre part, que l’obligation pour les Etats membres, qui sont aussi parties à la Charte, de respecter cette dernière demeure entière et devrait être dument prise en compte dans le cadre de leur participation à l’Union. Pour autant, il ne peut être totalement exclu que les compétences revenant aux Etats en ce qui concerne les collectivités territoriales s’entrecroisent, à l’occasion de leur mise en œuvre internationale, avec celles de l’Union, ni que celles qui incombent à l’Union au titre de la politique étrangère, de sécurité et de défense aient une certaine incidence sur l’organisation desdites collectivités.


A)   L’absence d’une compétence internationale de l’UE dans le champ de la Charte de l’autonomie locale

Systématisant la jurisprudence de la CJUE, l’article 216 du TFUE prévoit que « L'Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les traités le prévoient ou lorsque la conclusion d'un accord, soit est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l'Union, l'un des objectifs visés par les traités, soit est prévue dans un acte juridique contraignant de l'Union, soit encore est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée ». Il n’y a pas lieu de s’attarder sur la première hypothèse. Les traités constitutifs ne contiennent l’énoncé d’aucune compétence internationale explicite touchant à l’organisation institutionnelle des Etats. Il ne restera par conséquent à évoquer que l’hypothèse des compétences implicites ou impliquées, ainsi que le sort de la Charte du Conseil de l’Europe dans les cas où elle aurait été ratifiée par des Etats avant leur adhésion à l’Union.

1)            L’absence de compétence implicite de l’Union dans le champ de la Charte de l’autonomie locale

De la jurisprudence de la CJUE dans son dernier état, il ressort qu’en l’absence d’attributions expresses dans les traités constitutifs, la compétence de l’Union pour traiter internationalement peut découler implicitement d’autres dispositions des mêmes traités ou d’actes des institutions, mais aussi qu’elle peut trouver sa source dans les compétences à vocation interne reconnues à l’UE, ou encore de ce que l’accord à conclure est susceptible d’affecter le jeu des règles internes. Pour savoir si l’Union dispose ou ne dispose pas dans le champ ici considéré, à l’un ou l’autre des titres, de la capacité de s’engager internationalement, la meilleure méthode est encore celle que préconise la CJUE, à savoir procéder à une « analyse concrète de la relation qui existe entre l’accord envisagé et le droit communautaire en vigueur » (Avis n° 2/00 du 6 déc. 2001).

L’objet de la convention du Conseil de l’Europe étant connu (v. introduction), il n’est plus besoin d’y revenir. On se bornera à rappeler qu’il touche exclusivement à la création et à l’aménagement du statut des collectivités locales, et donc à l’organisation territoriale de l’Etat.

Il suffit d’énoncer ainsi l’objet de ce texte pour s’apercevoir qu’il n’y a guère, ou à peine, de point de connexion entre lui et le droit de l’Union. Comme il a été montré plus haut (I-B), droit primaire et droit dérivé ne contiennent aucune disposition permettant aux institutions de l’Union d’agir, au plan interne, sur les deux terrains évoqués (création et aménagement du statut des collectivités locales).

Aussi, doit-on conclure que les conditions de l’exercice par l’Union d’une compétence d’engagement international, même seulement partagée avec les Etats membres, ne sont pas remplies.


2)            Hypothèses résiduelles

a)    La non affectation des engagements des Etats parties à la Charte de l’autonomie locale par leur adhésion à l’UE.

Il ne pourrait davantage être soutenu que s’appliquerait aux Etats ayant adhéré à l’Union postérieurement à la ratification de la Charte la problématique de la conciliation des engagements internationaux et communautaires des Etats telle qu’elle est posée par l’article 351 TFUE. Aux termes de cet article, «Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités. Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec les traités, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d'arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune » (Pour des applications récentes, v. CJCE, Gde Ch., 3 mars 2009, Commission c. Autriche, aff. C-205/06, et Commission c. Suède, aff. 249/06). Par hypothèse, pour qu’il y ait incompatibilité entre les accords conclus par l’Etat antérieurement à son adhésion et le droit de l’UE, encore faudrait-il qu’il y ait interférence entre les deux ordres de dispositions, ce qui, comme on l’a vu, n’est pas le cas en l’espèce. La situation des futurs adhérents à l’Union ne sera pas changée à cet égard par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Reste toutefois le cas de l’article 4.2 du TUE issu du traité de Lisbonne, qui prévoit que « L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale ». Cette disposition pourrait-elle conduire à une situation nécessitant l’application de l’article 351 TFUE ? On ne le pense pas en première analyse. C’est que cette disposition ne paraît pas comporter une habilitation à l’action qui pourrait amener l’Union à prendre des actes susceptibles de toucher directement au statut des collectivités locales. Bien au contraire, ce qui en résulte a priori pour l’Union est plutôt un devoir, celui de respecter les structures territoriales que l’Etat s’est donné ainsi que l’identité juridique qu’il leur a imprimé. Or ce devoir, qui vient renforcer l’autonomie institutionnelle des Etats comme il a été vu, devrait être regardé comme ayant pour corollaire l’obligation, pour l’Union, de s’abstenir d’adopter des actes ayant pour objet l’organisation ou le fonctionnement de ces entités étatiques. Cela étant, il ne peut être totalement exclu qu’une interprétation contraire de cet article 4.2 triomphe au sein de l’Union. Cela aurait pour conséquence l’apparition d’éléments juridiques dans le droit dérivé interférant avec la Charte du Conseil de l’Europe, jusqu’à l’incompatibilité peut-être. Le recours à l’article 351 TFUE s’imposerait alors pour résoudre le conflit entre la Charte, qui aurait dans pareil contexte le caractère d’un traité « antérieur » au sens de cette disposition, et le traité de Lisbonne. La solution qui en résulterait sera exposée plus loin.


b)    La non pertinence des compétences de l’UE à l’égard des organisations internationales

Restent les facultés pour l’Union de conclure des accords d’association avec des organisations internationales (art. 217 TFUE) ou de nouer toute coopération utile avec le Conseil de l’Europe (art. 220 TFUE). Elles ne sont, en tout état de cause, pas plus de nature à donner à l’Union un titre à se substituer aux Etats membres pour assumer les obligations découlant de la Charte ou même pour y être partie conjointement avec ces derniers. Une première raison est que cette dernière n’est pas un créant, selon la définition que donne l’article 207 TFUE des accords d’association, des droits et obligations réciproques dans le chef des deux entités. La seconde raison est que l’engagement international ne paraît pas être un des moyens envisagés pour les « coopérations utiles » visées à l’article 220 TFUE. Le serait-il d’ailleurs qu’il y aurait lieu de s’interroger sur la capacité du Conseil de l’Europe, simple organisation intergouvernementale, à assumer des obligations du type de ceux contenus dans la Charte de l’autonomie locale.

B)           La capacité internationale exclusive des Etats membres en ce qui concerne           leurscollectivités locales

Il faut donc se rendre à l’évidence : les compétences impliquées par l’instrument du Conseil de l’Europe appartiennent, dans les relations conventionnelles internationales, exclusivement aux Etats membres. Mais, ne serait-il malgré tout pas possible que l’exercice de cette compétence crée des points de friction avec le droit de l’Union ? La réponse à cette question, en dépit des apparences, n’est pas simple. On évoquera les différentes hypothèses de cette compétence avant d’illustrer le propos par les accords de coopération transfrontalière.

1)            L’exercice de la compétence internationale des Etats concernant les collectivités locales et le droit de l’UE

La réponse à la question posée précédemment dépendra avant tout de l’objet de l’accord international.

La première situation est celle où l’accord en question, qu’il soit conclu entre Etats membres de l’Union ou entre un Etat membre et des Etats tiers, aura pour strict objet de promouvoir l’autonomie locale. On peut imaginer que pareil accord sera centré sur la coopération administrative entre des collectivités locales des Etats considérés, et pourra prévoir l’organisation d’une coopération technique et politique autour des questions touchant au statut et à la protection des élus locaux ou plus largement à la gouvernance locale, voire des échanges de bonnes pratiques locales. Compte tenu de ces objets, les interactions de semblable accord avec le droit de l’Union seront, pour les raisons qui ont déjà été évoquées, quasiment nulles.


Mais, il faut bien l’admettre, des engagements se limitant à ce qui fait l’objet de la Charte de l’autonomie locale seront rares. Les accords de coopération que les Etats passeront pour le compte de leurs collectivités locales ou qu’ils habiliteront celles-ci à passer porteront plus vraisemblablement, par delà les aspects purement institutionnels, sur l’objet d’une politique. Ce pourra être par exemple l’environnement, la culture, l’éducation, les échanges économiques, etc. Or, de telles finalités projettent à l’évidence les instruments qui les portent dans le champ des politiques de l’Union. Les Etats ou les collectivités locales, lorsqu’elles en sont signataires, seront alors logiquement tenus de respecter les règles de compétence posées par les traités constitutifs, ainsi que les dispositions de droit dérivé. Sur le premier point, c’est-à-dire pour savoir ce qu’implique le respect des règles de compétence, il faudra se demander si la matière conventionnelle relève de la catégorie des compétences exclusives de l’Union, de celle des compétences partagées ou de celle encore des compétences d’appui (respectivement art. 3, 4 et 6 du TFUE). Dans le premier cas, les Etats membres seront réputés avoir perdu tout pouvoir de contracter, que ce soit entre eux ou avec des Etats tiers, dans le second, ils ne pourront agir que pour autant que les institutions de l’Union n’auront pas usé de leur propre compétence, et dans le dernier cas, ils pourront agir librement (Cf. art. 2 TFUE).

2)            L’exemple des traités bilatéraux ou multilatéraux de coopération transfrontalière entre Etats membres

La capacité internationale exclusive des Etats membres se manifeste encore dans les multiples traités qui ont été signés, dans les années 80 et 90, en vue de faciliter la coopération entre les collectivités locales des Etats signataires. Ces traités ont parfois débouché sur des conventions de coopération entre collectivités locales ont les réalisations ont pu bénéficier du soutien des fonds structurels européens. En dehors de la convention entre le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède de 1977 sur la coopération transfrontalière (aucun de ces pays n’appartenait alors à la Communauté européenne, et la Norvège n’y a pas adhéré), les autres traités se réfèrent tous à la Convention de Madrid du Conseil de l’Europe. On peut énumérer la Convention Benelux de 1986, l’accord germano-néerlandais d’Isselburg-Anholt de 1991, l’accord franco-italien de 1993, le traité de Bayonne entre la France et l’Espagne, l’accord de Karlsruhe entre l’Allemagne, la France, le Luxembourg et la Suisse, ainsi que, en dernier lieu, l’accord franco-belge de Bruxelles de 2002, l’accord de Mayence entre des Länder allemands, la région wallonne et la communauté germanophone de Belgique, et quelques autres accords moins formalisés. Ces accords ont en commun, pour ce qui nous intéresse ici, qu’ils excluent de faire des collectivités locales des sujets de droit international et que l’application des conventions qui sont signées sur cette base relèvent toujours du droit interne de l’un des Etats signataires. S’ils ont parfois permis la création de structures permanentes dotées de la personnalité morale, ils ont toujours exclu (à l’exception de la convention Benelux) le transfert à ces structures de prérogatives de puissance publique.


C)           Les obligations des Etats membres pour l’application du droit    communautaire ne remettent pas en cause leur obligation de respecter la    Charte de l’autonomie locale

Si les Etats sont seuls compétents pour s’engager internationalement en ce qui concerne les droits, les obligations, les compétences de leurs collectivités locales, ils sont aussi seuls responsables du point de vue du droit international public du respect de leurs engagements. Cette obligation existe au regard de la Charte européenne de l’autonomie locale, même si celle-ci ne comporte pas un mécanisme de sanction. Cette obligation s’impose dans l’ordre interne mais, dans la mesure où l’ordre juridique de l’Union européenne forme un ordre juridique propre intégré à l’ordre juridique national, elle se prolonge par une obligation des Etats dans le fonctionnement de l’Union européenne. Cette obligation ne se résout pas dans les procédures qui tendent à améliorer la participation des collectivités locales ou des pouvoirs régionaux aux politiques de l’Union. Enfin, en l’absence de connexité entre les traités relatifs à l’Union européenne et la Charte de l’autonomie locale, on ne peut opposer aux Etats que leurs engagements envers l’Union européenne priment sur leurs engagements au regard de la Charte de l’autonomie locale.

1)            Une obligation en droit interne

La Charte de l’autonomie locale est un traité international qui fait naître pour les Etats signataires des obligations de droit international. C’est le type même de traité-loi : les Etats s’engagent à respecter les normes posées par le traité mais les clauses de celui-ci ne font pas naître, en général, d’obligations réciproques, à l’exception sans doute de l’article 10 de la Charte, puisque la coopération entre collectivités locales d’Etats différents ou leur participation à des associations internationales de collectivités locales suppose que leurs Etats n’y fassent pas obstacle. Le respect des dispositions de la Charte ne peut donc être soumis à aucune condition de réciprocité. Dans tous les Etats partie à la Charte, elle a, selon le droit interne, une autorité supérieure ou égale à celle des lois et peut donc être invoquée directement devant les juridictions nationales, sous réserve du cas des Etats qui conservent un strict régime dualiste (cas du Royaume-Uni), et du caractère directement exécutoire de ses dispositions. Les obligations de chaque Etat peuvent être différentes, compte tenu du nombre de paragraphes par lesquels il se déclare engagé (art. 12) et des collectivités pour lesquelles il s’engage (art.13), ou encore des territoires qu’il réserve (art. 16).

A la différence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la Charte sociale européenne, la Charte européenne de l’autonomie locale ne comporte aucun dispositif de sanction ou de contrôle de son application. Toutefois, l’article 14 de la Charte prévoit que : « Chaque Partie transmet au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe toute information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prises dans le but de se conformer aux termes de la présente Charte ». Le Rapport explicatif précise que « cet article est destiné à faciliter le contrôle de l’application de la Charte dans chaque Partie… ». Par la suite, le Conseil de l’Europe a progressivement mis en place un dispositif de suivi.


Le Comité des Ministres a chargé en 2000 le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de « veiller à la mise en œuvre effective des principes de la Charte » (résolution statutaire du 15 mars 2000), et cette mission a été confirmée par la résolution statutaire du 2 mai 2007 (2007)6 relative au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (art. 2.3) qui remplace la précédente. Le Comité européen de la démocratie locale et régionale (CDLR) est également mandaté pour veiller à « l’acquis intergouvernemental du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie locale et régionale, et en particulier la Charte européenne de l’autonomie locale, la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales et les Protocoles y afférents, ainsi que la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local » (Comité des Ministres, 1073ème réunion, 9-14 décembre 2009). Enfin, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a approuvé le rapport présenté par le ministre finlandais de l’Administration publique et des Collectivités locales, qui préconise un renforcement de la coopération entre le Congrès et le CDLR en ce qui concerne le suivi de l’application de la Charte européenne de l’autonomie locale (Recommandation 282(2010) du Congrès sur le suivi de la Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables des collectivités locales et régionales – Utrecht, 16-17 novembre 2009).

Ces dispositions montrent à la fois que la Charte européenne des pouvoirs locaux est bien la source d’obligations juridiques mais en même temps que le contrôle de son application est encore peu organisé.

2)            La Charte, source d’une obligation de comportement des Etats membres dans le fonctionnement de l’UE

L’obligation des Etats parties d’appliquer la Charte européenne de l’autonomie locale dans l’ordre interne a son prolongement dans le cadre de l’Union européenne. Certes, l’Union européenne, en tant que telle n’a aucune obligation au regard de la Charte, mais les Etats membres, engagés également par la Charte, ont l’obligation d’agir, dans le fonctionnement intergouvernemental de l’Union, en veillant à ce que les décisions auxquels ils concourent ne portent pas atteinte, directement ou indirectement, aux engagements qu’ils assument dans le cadre de la Charte. Du fait même que l’ordre juridique de l’Union européenne s’intègre à l’ordre juridique national de chacun des Etats membres, ceux-ci doivent veiller à ce que la mise en œuvre du droit communautaire soit compatible avec la Charte européenne de l’autonomie locale.

La construction de la citoyenneté européenne donne également un fondement à cette obligation. Progressivement construire depuis le Traité de Maastricht, elle est élargie et renforcée par le Traité de Lisbonne, notamment par les dispositions introduites dans le titre consacré aux Principes démocratiques dans le nouveau texte du traité relatif à l’Union européenne, et dans celles figurant dans le texte du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans la deuxième partie, consacrée à « la non discrimination et [à] la citoyenneté de l’Union ». Selon l’article 10.3 TUE, « les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens » et l’article 20.2 TFUE prévoit que « les citoyens de l’Union (…) ont, entre autres : (…) b) le droit de vote et l’éligibilité (…) aux élections municipales dans l’Etat membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat », sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil (art. 22.1).


Or, la portée de la participation aux élections municipales serait réduite si l’autonomie locale n’était pas préservée. Dans cette mesure, la mise en œuvre des principes de la Charte européenne de l’autonomie locale est une condition du déploiement de la citoyenneté de l’Union au niveau local. L’article 3 de la Charte lie étroitement l’autonomie locale comme « le droit et la capacité effective » pour une collectivité locale « de régler et de gérer (…) une part importante des affaires publiques » (par.1), et l’exercice de ce droit par des conseils ou assemblées élus par les citoyens ou directement par les citoyens eux-mêmes (par.2). En veillant aux respects de leurs propres engagements dans le fonctionnement de l’Union européenne, les Etats parties de la Charte contribuent au développement de la citoyenneté de l’Union au niveau local.

L’article 4 de la Charte, sur la portée de l’autonomie locale est particulièrement important du point de vue de l’obligation des Etats membres de l’Union européenne de réaliser leurs engagements aux termes de la Charte dans le fonctionnement de l’Union, et notamment dans les processus de décision. Selon le paragraphe 6 de cet article, « les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement ». Dans la mesure où les obligations des Etats au regard de la Charte se prolongent dans le fonctionnement de l’Union européenne, cette disposition oblige, non l’Union européenne, mais les Etats membres, à consulter les collectivités locales ou leurs associations sur les projets d’actes communautaires qui les intéressent directement, qu’il s’agisse d’actes normatifs, ou d’actes particuliers à la mise en œuvre de politiques auxquelles participent lesdites collectivités locales.

On pourrait opposer à l’obligation des Etats de veiller au respect de la Charte dans le fonctionnement de l’Union européenne les termes de l’article 351 TFUE. Selon cet article, « les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les Etats adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs Etats membres, d’une part, et un ou plusieurs Etats tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du Traité » (al.1er). Or, la Charte européenne de l’autonomie locale est un traité postérieur à l’entrée en vigueur des traités relatifs aux communautés européennes ou à l’Union européenne. Mais cette objection ne peut être retenue, pour au moins deux raisons.

La première raison, et la principale, est l’absence de connexité entre les traités établissant la Communauté européenne et la Charte européenne de l’autonomie locale. L’article 351 suit la solution consacrée par l’article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités pour régler les conflits entre conventions internationales. Mais pour qu’un conflit existe, faut que l’on soit en présence de traités successifs portant sur la même matière. La Cour de Justice interprète cette condition de manière assez large : l’article précité est « de portée générale et s’applique à tout accord international, quel que soit son objet, susceptible d’avoir une incidence sur l’application du Traité » (CJCE 14 octobre 1980 « Attorney general c. Juan C. Burgoa », aff. C-872/79, par.6). Or, le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats membres et ses différentes conséquences, exclut toute compétence de l’Union en ce qui concerne l’organisation, le régime et les compétences des collectivités locales des Etats membres.


La seconde raison, à supposer que la première soit écartée, tient au fait que l’antériorité est une notion relative. D’une part, en raison des élargissements successifs, tous les Etats membres ne sont pas aujourd’hui dans la même situation chronologique par rapport à la Charte et par rapport aux traités d’adhésion qui ont déterminé leur appartenance à la Communauté, puis à l’Union européennes. Pour les nouveaux Etats membres d’Europe centrale et orientale, l’adhésion est postérieure à l’entrée en vigueur à leur égard de la Charte européenne de l’autonomie locale. Comme la Charte n’est pas un traité créant des obligations réciproques, l’objection selon laquelle les autres Etats parties seraient déjà membres de la Communauté ne vaut pas. La Cour de Justice prend en compte avec précision les dates d’adhésion des Etats et les intentions qu’ils ont exprimés quant au maintien dans l’intervalle des accords bilatéraux qui étaient en vigueur entre eux (par exemple : CJCE 23 novembre 2003 « Budjovicky Budvar, Narodni’ Podnik c. Rudolf Ammersin GmbH », aff. C-206/01, en particulier par.161 à 170).

D’autre part, la chronologie peut être modifiée par l’effet des révisions des traités, si du moins ces révisions ont une incidence sur la connexité des conventions en cause. En effet, un accord n’est postérieur que s’il existe déjà une norme européenne dans le domaine qu’il couvre. Or, le Traité de Lisbonne a introduit pour la première fois les dispositions qui rattachent « l’autonomie locale et régionale » à « l’identité nationale, inhérente [aux] structures fondamentales, politiques et constitutionnelles » des Etats membres que l’Union européenne doit respecter (art. 4.2 TUE). Dans ce cas, la Charte européenne de l’autonomie locale est un accord international « antérieur », et elle devrait pleinement profiter de la protection prévue par l’article 351, si on admet qu’elle est susceptible d’avoir une incidence sur l’application du traité. La portée de cet article, comme cela a été jugé, n’est pas de faire naître des obligations envers l’Union du fait d’un traité antérieur, mais de permettre aux Etats liés par un traité antérieur de continuer à respecter leurs engagements, et l’Union doit alors admettre l’application de ces stipulations par les Etats concernés (CJCE 14 octobre 1980 « Attorney general c. Juan C. Burgoa », par.8 et 9).

3)            La participation des collectivités territoriales à certaines procédures dans le cadre communautaire ne délie pas les Etats de leur obligation envers la Charte dans le cadre communautaire

Depuis de nombreuses années, en raison justement de l’impact croissant des normes communautaires sur les collectivités locales, de nombreuses propositions ont été faites, et de nombreuses mesures ont été introduites pour favoriser la participation des entités infranationales à l’élaboration des politiques et des actes communautaires.

Le Livre Blanc de la Commission sur la gouvernance européenne du 25 juillet 2001 (COM(2001)428 final) fixait comme objectif de « parvenir jusqu’au citoyen par la démocratie régionale et locale » (p.15) et d’assurer la participation des collectivités régionales et locales à l’élaboration des politiques (p.16). Dans son « Livre Blanc sur la gouvernance à multiniveaux » de juin 2009 (CdR 89/2009 fin cm), le Comité des Régions définit celle-ci comme « l’action coordonnée de l’Union, des Etats membres et des autorités régionales et locales, fondées sur le partenariat et visant à élaborer et mettre en œuvre les politiques de l’Union européenne ».

Différentes dispositions du droit communautaire reflètent cette orientation. En dehors de la participation de ministres régionaux à la délégation au Conseil des Etats membres qui le souhaitent (mais cela ne concerne pas les collectivités locales proprement dites), le rôle du Comité des Régions, bien que consultatif, a été élargi, sa consultation étant devenue obligatoire dans un plus grand nombre de domaines et il peut se tourner vers la Cour de Justice pour faire respecter ses attributions ; les règlements qui mettent en œuvre la politique de cohésion organisent le « partenariat » pour la programmation et sa mise en œuvre, ce qui implique les collectivités locales (cf supra) ; les actes communautaires qui organisent diverses politiques sectorielles créent les conditions de la participation des collectivités locales (comme dans le domaine de l’eau).

Mais cette participation ne saurait tenir lieu de garantie de l’autonomie locale. D’une part, les politiques nationales comme européennes sont conduites par les gouvernements nationaux et les autorités de l’Union ; la participation des collectivités locales peut aussi se faire au détriment de l’autonomie locale. Celle-ci n’est certes jamais absolue, mais elle suppose un espace de décision propre, protégé par la constitution et par la loi, et accepté par les pouvoirs publics des niveaux supérieurs. D’autre part, la limite de la gouvernance, c’est la gouvernabilité. Il suffit de penser aux difficultés de gouvernement de l’Union à 27, et bientôt à bien plus, pour craindre l’immobilisme et la confusion qui pourraient résulter d’une véritable association des collectivités locales et régionales (près de 91.000 aujourd’hui) aux politiques européennes. Cela signifie qu’il n’y a pas d’alternative à la décentralisation, que ce soit au niveau des Etats ou au niveau de l’Union, pour donner ses chances à la démocratie locale et régionale. C’est pourquoi, les Etats parties à la Charte européenne de l’autonomie locale doivent veiller au respect des principes de la Charte dans le fonctionnement de l’Union européenne comme dans l’ordre interne, et ne sauraient s’en remettre aux perfectionnements de la gouvernance multiniveaux.

D)           Les potentialités de la politique extérieure et de sécurité commune de l’Union en ce qui concerne les collectivités locales

Des questions nouvelles touchant à l’application de la Charte pourraient cependant se poser au regard des dispositions du traité de Lisbonne relatives à l’action internationale de l’Union. On rappellera que ce qui est désigné par ce traité comme « action extérieure » (titre V du TUE) n’entre pas dans les compétences au titre de la Communauté, mais s’inscrit dans le cadre intergouvernemental, recouvrant, d’une part, la politique étrangère et de sécurité commune (art. 23 et s. TUE) et, d’autre part, la politique de sécurité et de défense commune (art. 42 et s. TUE). A première vue, il peut paraître surprenant de mettre en relation ces politiques et les collectivités locales. Le fait est cependant que la nouvelle définition des objectifs poursuivis par l’action de l’Union (art. 21.2 TUE) est si ample que des initiatives dirigées vers les collectivités locales ne sont pas à exclure. On songe par exemple à l’objectif de consolidation et de soutien à la démocratie, à l'État de droit, aux droits de l'homme et aux principes du droit international, qui pourrait parfaitement induire des actions en faveur de l’autonomie locale. D’autres actions touchant les collectivités locales pourraient aussi bien découler des autres finalités d’action extérieure, à savoir la préservation de la paix et de la sécurité internationale, le soutien au développement durable, l’encouragement de l’insertion des pays dans l’économie mondiale, la promotion du développement durable, ou encore l’aide aux populations de pays ou de régions confrontées à des catastrophes.


Il ne s’agit certes là que de potentialités, mais il importe d’y être attentif. On se bornera à deux observations à leur propos. La première est que si ces potentialités devaient se concrétiser, les actions que décideraient l’Union ne concerneraient, action extérieure oblige, que les collectivités locales de pays non membres. La seconde est qu’en tout état de cause on ne voit pas comment, sur la base de tels principes, l’action de l’Union pourrait venir heurter les exigences de l’autonomie et de la démocratie locales.

III.        PROPOSITIONS TENDANT A GARANTIR LE RESPECT DE LA CHARTE DE L’AUTONOMIE LOCALE DANS LES POLITIQUES DE L’UNION EUROPEENNE

Les propositions qui suivent visent à renforcer les garanties d’application de la Charte européenne de l’autonomie locale en prenant appui sur les convergences qui existent au niveau des valeurs entre la Charte et le droit de l’Union européenne. Elles comportent des mesures juridiques mais aussi une dimension politique.

1)            Exclusion d’une adhésion de l’UE à la Charte

Il a parfois été envisagé de rechercher une adhésion de l’Union européenne à la Charte européenne de l’autonomie locale, comme le Traité de Lisbonne le prévoit pour la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 6.2 TUE). Mais ce précédent n’est pas transposable. En effet, le champ couvert par les traités s’étend bien aux droits fondamentaux et, encore une fois, le Traité de Lisbonne a consacré la valeur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à l’égale des traités (art. 6.1).

Au contraire, comme on l’a vu, les traités ne confèrent aucune compétence à l’Union européenne en ce qui concerne l’organisation territoriale, le régime et les compétences des collectivités locales. Comme les rappellent les articles 4 et 5 TUE, l’Union européenne n’exerce que les compétences que lui attribuent les traités et toutes les autres compétences appartiennent aux Etats membres. Il est donc impossible à l’Union européenne d’adhérer à un traité dont l’objet se situe en dehors du champ de ses compétences.

2)            Le recours à l’article 351 TFUE

Les instances de l’Union européenne ne pourraient pas opposer aux Etats membres leur obligation de loyauté envers l’Union contre leur engagement à faire appliquer dans le fonctionnement de l’Union les principes de la Charte européenne de l’autonomie locale. D’une part, la Charte est étrangère au domaine de compétence de la Communauté européenne puis de l’Union européenne ; elle ne peut donc être considérée comme un traité postérieur, au sens de l’article 351 TFUE. D’autre part, c’est seulement le Traité de Lisbonne qui a introduit à l’article 4.2 TFUE une norme touchant au domaine couvert par la Charte. Par rapport à cette nouvelle disposition, la Charte est un traité antérieur et les Etats parties sont tenus de concilier leurs engagements selon la Charte et dans l’Union européenne et ne sauraient faire prévaloir les impératifs de la construction européenne, tels que le marché unique par exemple.


3)            Le rôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe : examen d’un rapport annuel préparé par le CDLR sur l’évolution du droit communautaire au regard de son impact sur le respect des obligations de la Charte

Si les Etats membres de l’Union européenne ont l’obligation de veiller au respect de leurs engagements au regard de la Charte européenne de l’autonomie locale dans le fonctionnement de l’Union européenne, il faut que le Comité des ministres et le CDLR assument un rôle plus important dans le suivi de l’application des principes de la Charte. Seuls les ministres représentant les Etats parties à la Charte auront l’autorité nécessaire pour alerter leur gouvernement si nécessaire et faire les interventions utiles dans les instances de l’Union européenne.

Pour cela un rapport préparé par le CDLR, sur une base annuelle, ou biennale, sur l’évolution du droit communautaire et son impact sur les collectivités locales permettrait de mettre en évidence les problèmes et les risques. Un tel rapport devrait être conçu à partir des principaux domaines de compétence des collectivités locales dans les Etats membres et se concentrer sur une étude approfondie des problèmes identifiés, de manière à soutenir un argumentaire convaincant pour les ministres.

Le Comité des Ministres pourrait le cas échéant adopter des positions communes sur les questions qui lui sont soumises. Dans ce cas, elles auraient sans doute plus de force si une modification des règles de fonctionnement du Comité des Ministres permettait un vote séparé des ministres représentant les Etats membres de l’Union européenne.

4)            Elargir à l’impact du droit communautaire le mécanisme de suivi de l’application de la Charte

Actuellement le suivi de l’application de la Charte est sans doute trop dispersé, entre le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et le CDLR. Mais surtout, il ne porte que sur le respect de la Charte dans l’ordre interne. Comme l’on l’a vu, l’obligation juridique des Etats se prolonge dans le fonctionnement de l’Union européenne. Par conséquent, les actions de suivi qui porte sur les Etats parties qui sont en même temps membres de l’Union européenne devraient comporter désormais un volet consacré à l’action de l’Etat, dans le fonctionnement de l’Union européenne et dans la mise en œuvre du droit communautaire, du point de vue du respect des principes de la Charte.

Cette mesure serait d’autant plus importante qu’il n’est pas rare que le droit communautaire soit instrumentalisé, le gouvernement national imputant à l’Union européenne des mesures qu’il craindrait de ne pouvoir assumer seul. Ce serait aussi un moyen d’intéresser la Commission à cette activité du Conseil de l’Europe, car elle pourrait y trouver un avantage.


5)            Un protocole d’accord entre l’UE et le Conseil de l’Europe introduisant une évaluation des propositions de directive ou de règlement préparées par la Commission au regard de leur impact sur le respect de la Charte par les Etats membres

La Charte, prenant appui sur les énoncés nouveaux du Traité de Lisbonne qui lui donnent une antériorité, pourrait être utilisée pour organiser une évaluation a priori des projets de règlement ou de directive du Parlement et du Conseil de l’Union européenne du point de vue de leur impact possible sur les principes de l’autonomie locale.

Le meilleur support d’un tel travail serait un protocole d’accord entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, car cela obligerait la Commission à y participer et engagerait dès l’origine les réflexions du Conseil de l’Europe dans le processus d’élaboration.

Mais, les projets d’actes communautaires étant rendu publics, il serait possible, même sans cela, d’organiser une veille et la préparation de rapports d’évaluation. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pourrait être associé à cette veille et adopter des recommandations. Pour les raisons indiquées plus haut, il serait souhaitable que des recommandations puissent aussi être adoptées par le Comité des Ministres.

6)            Le rôle du Congrès des Pouvoirs locaux : l’impact du droit communautaire sur l’application de la Charte pourrait être l’occasion de ramener cet organisme à sa mission première, de veiller au respect de la Charte

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux devrait avoir un rôle important à jouer dans les actions à mener pour veiller au respect de la Charte dans le fonctionnement de l’Union européenne.

D’une part, il dispose d’élus expérimentés et dans ses services d’une capacité administrative importante qui devraient être mobilisés pour produire des rapports de qualité capables de retenir l’attention des gouvernements et des membres du parlement européen.

D’autre part, le Congrès pourrait donner une résonnance politique aux travaux réalisés.

Une certaine division du travail pourrait s’opérer entre le Comité des Régions et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Le premier se concentrerait sur la participation des collectivités locales et régionales à l’élaboration des politiques communautaires, tandis que le second aurait à veiller au respect des principes de la Charte européenne de l’autonomie locale, non seulement dans les Etats parties, mais également dans le fonctionnement de l’Union européenne.



[1] On conservera ici cette expression traditionnelle pour parler du droit de l’Union européenne depuis le traité de Lisbonne.