Évaluation de la régionalisation en Europe centrale, et notamment en Pologne - CPR (7) 3 Partie II

Rapporteur: Leon KIERES (Pologne)

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EXPOSÉ DES MOTIFS

I. LA DÉCENTRALISATION, PROCESSUS POLITIQUE

1. L'aperçu que nous donnons ici des progrès de la régionalisation en Europe centrale repose principalement sur l'expérience polonaise. Par les réformes qu'elle a menées, la Pologne est, de tous les pays d'Europe centrale, celui qui a accompli les plus grands progrès dans ce domaine. Analyser les résultats obtenus par la Pologne est donc le meilleur moyen de recenser les grandes questions liées à la création d'unités administratives régionales. Une telle analyse permet aussi d'identifier les principaux obstacles auxquels se sont heurtés les processus qui ont conduit à la création de régions.

2. La régionalisation est un élément important du processus global de transition d'un Etat communiste centralisé à une démocratie fondée sur le principe de subsidiarité. Par conséquent, on ne peut analyser la régionalisation sans faire référence à tous les autres processus de transformation de l'Etat, de l'économie et de la société. C'est pourquoi la comparaison avec l'Europe occidentale est si difficile et induit souvent en erreur.

3. Plusieurs théoriciens ont écrit qu'en 1989, les nouveaux gouvernements démocratiques disposaient d'une grande liberté dans le choix de la forme d'organisation de l'Etat. Ils se trompent. De fait, les nouvelles démocraties ont hérité d'administrations dont l'organisation et le fonctionnement avaient été définis par les régimes précédents. Elles ont dû faire face à la tâche difficile qui consiste à changer des formes d'organisation anciennes contre la volonté et les intérêts de la bureaucratie. L'ensemble du processus de décentralisation et d'instauration de l'autonomie locale et régionale a été une lutte politique permanente contre des groupes défendant leurs intérêts. Les progrès accomplis dans ce domaine sont le résultat de réussites, d'échecs et de compromis. Par conséquent, il ne suffit pas d'analyser ce processus pour identifier et comparer les avantages de la décentralisation. L'essentiel n'est pas de concevoir une forme pertinente d'organisation de l'Etat, mais de la mettre en oeuvre, c'est-à-dire de rassembler suffisamment de forces politiques favorables à la décentralisation et de vaincre la résistance des groupes qui se sentent menacés par les changements proposés.

4. La nécessité de la décentralisation et de l'autonomie territoriale s'imposait comme une évidence à l'opposition démocratique dès la fin des années quatre-vingt. Le contrôle absolu exercé par le parti unique et par l'administration empêchait tout progrès social et économique. C'est pourquoi la réforme du gouvernement local a été engagée immédiatement après le changement de régime. En Pologne, les mesures n'ont pas été prises dans le même ordre que dans les autres pays de la région. Ainsi, les changements relatifs à la législation ont précédé les premières élections libres. Les nouveaux élus ont donc évolué dès le début dans cadre juridique établi selon les principes de la Charte de l'autonomie locale. Rétrospectivement, nous mesurons l'importance de cette décision pour le développement ultérieur de la démocratie locale.

5. Au temps du communisme, le rôle de l'Etat était d'atteindre les objectifs politiques fixés par les dirigeants du parti. Le régime était donc censé présenter un caractère exécutif; il avait le pouvoir de gérer l'économie et toutes les affaires publiques et, dans de nombreuses circonstances, de s'immiscer dans la vie privée des citoyens. Dans un système démocratique, le rôle de l'Etat est très différent. De fait, l'Etat n'est pas censé tout gérer, mais doit créer des conditions de stabilité et de sécurité dans lesquelles les citoyens, les groupes sociaux et les chefs d'entreprise puissent agir. Le rôle de l'Etat dans un système démocratique n'est donc pas du tout le même que sous un régime communiste. En conséquence, il faut changer les structures juridiques de l'Etat et son organisation. Il est impossible à un Etat organisé de manière totalitaire d'appliquer les principes d'un système démocratique. C'est pourquoi les réformes en cours visent à adapter les structures au nouveau rôle de l'Etat.

6. Les réformes du gouvernement local engagées au début des années quatre-vingt-dix visaient à supprimer cinq grands monopoles de l'Etat communiste:

- le monopole politique du parti communiste;

- le monopole du pouvoir étatique: l'Etat était seul à détenir le pouvoir dans tous les domaines de la vie publique;

- le monopole des droits de propriété: l'Etat était propriétaire de tous les biens publics;

- le monopole financier: toutes les finances publiques étaient intégrées dans un budget unique, le budget de l'Etat;

- le monopole de l'administration: une administration uniforme exécutait seule les ordres du pouvoir central et tous les fonctionnaires locaux étaient nommés par l'Etat.

La mesure dans laquelle ces monopoles ont été supprimés varie selon les pays et selon les domaines.

7. Les réformes locales ont marqué le début d'un processus de décentralisation dans tous les pays de la région. Les progrès de la décentralisation durant les années suivantes ont été étroitement liés à l'orientation politique des partis au pouvoir. En général, la période de changements enthousiaste du début de la dernière décennie a été suivie d'une période de stagnation correspondant à l'arrivée au pouvoir de coalitions de gauche au milieu des années quatre-vingt-dix. Dans les dernières années de la décennie, des progrès se dessinent.

En analysant le processus, on constate que la réussite d'une réforme exige la réunion de quatre facteurs:

En Pologne, en 1989/1990, la société tout entière aspirait au changement et les militants locaux étaient impatients de participer à la reconstruction du pays. Les dirigeants politiques étaient prêts à mettre en oeuvre des réformes radicales. Des chercheurs opposés au régime communiste avaient mené des études durant des années et pouvaient proposer un programme complet d'établissement de pouvoirs locaux. La Pologne avait donc toutes les chances de réussir sa réforme de l'organisation locale.

Les années suivantes, ces facteurs ont perdu de l'importance ou ils ont même complètement disparu. Les partis au pouvoir ont accordé la priorité à d'autres questions, voire exprimé leur volonté d'arrêter tout changement. Sous le poids des difficultés économiques, la société a perdu son enthousiasme et a moins soutenu la poursuite des réformes. Les connaissances accumulées avaient été mises à profit pour mener les premières réformes, mais les expériences nouvelles étaient trop limitées pour servir de base à la conception des étapes suivantes.

La situation a de nouveau commencé à s'améliorer au milieu des années quatre-vingt-dix. Les bons résultats obtenus par les gouvernements locaux impressionnaient favorablement les communautés locales, qui par conséquent demandaient davantage de décentralisation. Au niveau local, de nombreux élus et fonctionnaires compétents étaient disposés à accepter de nouvelles responsabilités. Des experts et des chercheurs ont créé des groupes indépendants pour réfléchir à la suite des réformes. Les élections de 1997 et la formation d'un nouveau gouvernement ont marqué le retour de la volonté politique d'aller plus loin dans la décentralisation. En 1998, les quatre facteurs se trouvaient de nouveau réunis et il devenait possible d'aborder la deuxième étape de la réforme territoriale.

8. Les réformes locales et régionales en Europe centrale étaient directement liées à la création de nouvelles institutions. Par conséquent, les compétences de ces institutions et les moyens qui seraient mis à leur disposition ont été définis sans consultation préalable des intéressés (puisque ces institutions n'existaient pas encore), alors que la bureaucratie centrale, sur le point de perdre son pouvoir, était bien présente et ne voulait pas renoncer à ses prérogatives. C'est pourquoi au début de chaque réforme les ressources transférées aux nouveaux organes sont insuffisantes. Par conséquent, dans les années qui suivent leur création, les gouvernements locaux et régionaux doivent faire changer la législation et les pratiques administratives pour les adapter aux besoins réels. D'autre part, on observe une vigoureuse contre-offensive de la bureaucratie centrale, qui essaie de reconquérir au moins une partie du pouvoir qu'elle a perdu. Les luttes qui entourent une réforme ne s'arrêtent donc pas lors du vote au Parlement; elles sont particulièrement âpres pendant les travaux parlementaires, mais aussi durant les premières années de la mise en oeuvre de la réforme.

9. Pour comprendre la décentralisation, il est nécessaire de connaître les grandes forces politiques qui la soutiennent et qui la combattent. Ces dernières sont beaucoup plus faciles à identifier. La principale opposition au changement est toujours venue de la bureaucratie centrale. Tout transfert de pouvoirs et de ressources au profit des niveaux inférieurs limite son influence politique et son accès à différents types de moyens. En Pologne, cette limitation touchait directement les services locaux et régionaux des administrations ministérielles, très développées. Plusieurs membres de la classe politique ont aussi participé à des actions dirigées contre les réformes; en effet, ils étaient liés à des groupes défendant les intérêts d'un secteur et pensaient qu'il était beaucoup plus facile de gouverner dans un Etat centralisé. Les syndicats comptaient également parmi les opposants à la décentralisation, car ils pouvaient exercer leur pouvoir et leur influence lorsqu'ils négociaient des accords avec l'administration centrale.

Il est beaucoup plus difficile d'identifier les défenseurs des processus de décentralisation. Les gouvernements locaux constituent pratiquement la seule force politique favorable à la décentralisation, d'où l'absolue nécessité d'augmenter l'importance et l'influence politique des organes locaux pour faire progresser la décentralisation. En Europe centrale, la reconstruction du système d'autonomie a commencé au niveau le plus bas et s'est poursuivie vers le haut. Par conséquent, la régionalisation n'a été possible que dans les pays où les gouvernements locaux étaient devenus suffisamment forts.

10. La décentralisation peut être définie de deux manières. Traditionnnellement, c'est un transfert de moyens et de responsabilités au profit des gouvernements locaux et régionaux. Mais on peut aussi entendre par décentralisation une relation de pouvoir entre un organe central et des organes locaux et régionaux. Cette relation peut résulter non seulement du transfert susmentionné, mais aussi d'une augmentation du pouvoir et de l'influence des organes locaux et régionaux du fait de leurs propres activités. Au cours des dix dernières années, la Pologne s'est décentralisée à mesure que les organes locaux augmentaient leur pouvoir par rapport à l'administration centrale. Cette augmentation relative du pouvoir n'était due qu'en partie au transfert de responsabilités et de ressources au profit des niveaux inférieurs. Elle s'expliquait principalement par le développement économique des communes – fruit de leur gestion efficace - et par le renforcement du soutien apporté aux organes locaux par la population, qui constatait que les réformes municipales étaient globalement une réussite. La régionalisation était donc envisageable en Pologne, puisque les gouvernements locaux étaient devenus suffisamment forts sur le plan politique et que leurs bons résultats incitaient la population à demander la poursuite de la décentralisation.

11. En Pologne, la nécessité de créer un niveau supérieur d'autonomie territoriale était évidente. La transformation de la fonction de l'Etat et ses réussites économiques exigeaient une nouvelle forme d'administration. En Europe centrale, les gouvernements continuent de disposer de beaucoup plus d'influence et de pouvoir que dans les pays occidentaux. Pour adapter ces Etats à leurs nouvelles tâches et fonctions, il est nécessaire d'opérer des changements majeurs: réduire le domaine de compétence de l'Etat à travers la privatisation et la déréglementation, et confier le pouvoir détenu par l'administration centrale aux gouvernements locaux et régionaux. D'où la nécessité de créer à chaque niveau des organes compétents.

II. LES RÉFORMES MENÉES EN POLOGNE EN 1998/1999

12. Neuf ans d'une transformation continue ont permis de mener à bien de nombreux changements sociaux et économiques significatifs. Durant cette période, il a aussi été possible de définir clairement les obstacles qui avaient empêché le pays de se développer. Il est devenu évident qu'en l'absence de vastes réformes institutionnelles, les transformations et le développement économique ne tarderaient pas à s'interrompre. La coalition au pouvoir a donc décidé de concevoir et de mettre en oeuvre un ensemble de grandes réformes qui engloberaient les domaines suivants:

- l'administration,
- les finances publiques,
- l'éducation,
- le système de santé,
- le système de sécurité sociale,
- le régime de prévoyance,
- la police et le système de sûreté publique,
- le système judiciaire.

13. Toutes ces réformes sont interdépendantes et mises en oeuvre presque simultanément, mais pas au même rythme. Etant donné que les structures administratives et la forme d'organisation de l'Etat étaient héritées d'un régime autoritaire et centralisé – comme cela a déjà été indiqué -, l'Etat central et l'administration ont dû faire face à d'innombrables difficultés lors de la mise en oeuvre des réformes énumérées ci-dessus. Ainsi, l'absence de niveaux supérieurs de gouvernement local ont entraîné la prolifération d'organes administratifs subordonnés aux ministères. De plus, l'important capital d'initiatives et d'activités au niveau local n'a pas été pleinement exploité.

14. La gestion des finances publiques n'était pas assez transparente ni compréhensible pour le public. La bureaucratie centrale continuait d'exercer trop d'influence sur l'utilisation des ressources et d'échapper au contrôle du public et du Parlement. Le manque de transparence caractérisait notamment les fonds extrabudgétaires, issus de diverses sources. Ces fonds restent exclus du budget de l'Etat et ne sont donc toujours pas soumis à un contrôle. C'est un problème de grande ampleur: on estime que les dépenses de fonds extrabudgétaires représentent plus de 35% des dépenses publiques en Pologne.

15. Le système de santé avait besoin d'être réformé en profondeur. Le système en place reposait sur le principe selon lequel les soins devaient être entièrement gratuits et financés par le budget de l'Etat. Ce principe était impossible à appliquer et les malades ont dû prendre en charge une part de plus en plus importante du coût des soins de santé. En outre, la désinvolture à l'égard des dotations a conduit à des coûts exorbitants, totalement injustifiés, et à la corruption, alors que le personnel de santé restait très mal rémunéré.

16. Il fallait aussi transformer radicalement le système de sécurité sociale. Par le passé, lorsque la Pologne avait une population jeune, les cotisations de sécurité sociale dépassaient largement le coût des retraites. Les autorités utilisaient les sommes excédentaires pour couvrir des dépenses courantes. Les services de la sécurité sociale avaient le monopole dans ce domaine et ne fonctionnaient pas comme une entité distincte mais faisaient partie de l'administration de l'Etat. Ils ne constituaient donc pas de réserves en prévision de dépenses futures. Mais aujourd'hui, en raison des changements démographiques, chaque salarié doit prendre en charge le coût de 0,4 retraité. Dans le système actuel, les dépenses sont donc largement supérieures aux recettes et la différence doit être couverte par le budget de l'Etat.

17. Le système éducatif a aussi été créé par l'Etat totalitaire, qui voulait contrôler entièrement l'éducation des enfants et limiter le rôle de la famille, dont les convictions politiques étaient jugées douteuses et souvent contraires aux intérêts de l'Etat. Le système judiciaire, inefficace, ne pouvait pas jouer correctement son rôle dans un pays démocratique et devait aussi être réformé. Enfin, il était nécessaire de transformer la police et l'ensemble du système de sûreté publique, dont le rôle était de surveiller les citoyens, et non pas de les protéger. Le développement spectaculaire de la criminalité, et notamment de la criminalité organisée, a obligé le Gouvernement à prendre des mesures énergiques dans ce domaine. Toutefois, pour fonctionner correctement, le système a encore besoin d'une chose: une coopération étroite entre la police et la population, qui ne s'établira que lorsque les citoyens et les membres des forces de l'ordre se feront confiance.

18. Au cours des dix dernières années, nombre de changements importants sont intervenus dans tous les domaines énumérés plus haut. Cependant, on s'est souvent contenté de modifier un système, des institutions et une forme d'organisation de l'Etat hérités du communisme. Les structures, les solutions et les procédures en place se caractérisaient par un certain nombre d'inconvénients qui empêchaient toute évolution ultérieure. Parmi ces inconvénients figuraient notamment:

- une centralisation excessive,
- une bureaucratie très développée mais inefficace,
- un système opaque de transfert intergouvernemental et de gestion des finances publiques,
- le manque de contrôle exercé par les citoyens sur l'administration.

En conséquence, l'utilisation des fonds publics ne donnait pas les résultats escomptés. Il est devenu évident que les modifications et corrections mineures avaient atteint les limites de leur efficacité et que le temps était venu d'entreprendre des réformes radicales de l'Etat.

19. Les réformes mises en oeuvre par le Gouvernement polonais constituent une tentative ambitieuse d'apporter des solutions concrètes aux problèmes énumérés ci-dessus. La plupart des réformes ont été engagées le 1er janvier 1999. Lorsqu'elles auront été menées à bien, le système politique et les structures administratives seront fondés sur les principes suivants:

- démocratie,
- subsidiarité,
- efficacité,
- transparence et responsabilité,
- souplesse et aptitude à évoluer.

20. La réforme administrative a été la principale réforme destinée à transformer le secteur de l'administration publique. Etant donné que le système devait être décentralisé, il était nécessaire de créer des entités auxquelles confier des attributions du pouvoir central. Cette démarche a été critiquée par certains, qui jugeaient plus pertinent de commencer par réformer le système de santé et le système éducatif, où les effets des changements seraient plus tangibles pour le grand public. Mais de toute évidence, cela aurait été illogique.

21. En Pologne, le système administratif traditionnel comprenait trois niveaux: à la base, les communes (gmina), puis les districts (powiat), et enfin les régions (województwo). Au début des années soixante-dix, la direction du parti communiste, inquiète de l'influence grandissante des organisations régionales, a décidé de mener une réforme administrative. Elle a fait passer le nombre des régions de dix-sept à quarante-neuf, supprimé les districts et réduit le nombre des communes.

22. En 1990, les communes ont étés dotées d'un caractère autonome. Toutefois, dans les régions, l'administration centrale gardait le pouvoir. La réforme engagée en 1999 a marqué un retour à la tradition. Deux nouveaux échelons de gouvernement local ont été créés. Le modèle à deux niveaux, composé de 2489 communes et de 49 régions administratives, a été remplacé par un système à trois niveaux, marqué par la création de 373 districts et de 16 régions. Les soixante-quatre villes principales sont désormais à la fois des communes et des districts. Toutes les entités ont un caractère autonome et sont dotées d'un conseil élu. Chacune dispose d'un patrimoine et de ressources financières propres. Les entités ont le droit d'adhérer librement à des associations et de coopérer avec d'autres gouvernements locaux, en Pologne et à l'étranger.

Les communes, établies en 1990, restent les unités fondamentales de l'administration; elles exercent des tâches d'intérêt public en leur nom et sous leur responsabilité. Leur statut juridique et leur domaine de compétence n'ont pas été modifiés. Les communes sont responsables de toutes les affaires publiques locales. Elles s'attachent notamment à satisfaire les besoins collectifs de la population locale en matière de services publics.

Les districts, qui ont été créés le 1er janvier 1999,
- sont des communautés de citoyens vivant dans une zone géographique donnée,
- constituent, comme les communes, des entités juridiques indépendantes de l'Etat qui exercent des tâches d'intérêt public en leur propre nom et sous leur propre responsabilité,
- possèdent des biens immeubles et disposent librement de ressources propres.

Les districts exercent notamment les compétences suivantes:
- la gestion des établissements d'enseignement secondaire et des écoles accueillant des enfants handicapés,
- la gestion des hôpitaux,
- la surveillance sanitaire et épidémiologique,
- l'ordre public et la sécurité,
- le soutien d'institutions culturelles dont les activités dépassent le cadre municipal,
- la construction et l'entretien des routes de district,
- l'aménagement du territoire et le cadastre,
- la gestion de l'eau et la protection de l'environnement,
- la protection contre les inondations et les incendies, la prévention des catastrophes naturelles et l'organisation des secours,
- la lutte contre le chômage,
- la protection des droits des consommateurs,
- l'entretien des installations et la prestation des services collectifs au niveau du district.

Les communes et les districts s'occupent de la prestation de services aux citoyens. Dans ce domaine, toutes les attributions de l'Etat ont été confiées à ces deux niveaux de gouvernement local.

23. Quant aux régions, elles sont responsables du développement économique et culturel dans leur zone géographique. Leur mission s'articule autour de quatre grands axes:

- la promotion du développement économique,
- les services publics de caractère régional,
- la protection de l'environnement et la gestion des ressources naturelles,
- le développement de l'infrastructure régionale, y compris l'entretien de la voirie, les réseaux de transport et de communication.

Les régions sont aussi des entités juridiques qui disposent de leur propre budget et jouissent de droits de propriété.

24. L'administration de l'Etat est présente uniquement au niveau régional. Toutefois, le voïvode, représentant du Gouvernement, ne s'occupe pas des affaires courantes. Son rôle est de protéger les intérêts de l'Etat de manière générale et de contrôler la légalité des activités menées par les pouvoirs locaux et régionaux. Le voïvode est donc responsable de toutes les instances de supervision et d'inspection (inspection de la santé, inspecteurs chargés de l'environnement, etc.). Celles-ci font partie de l'administration de l'Etat. Toutefois, seules quelques-unes restent entre les mains de ministères et d'autres organes de l'administration centrale.

III. MISE EN OEUVRE DE LA RÉFORME ADMINISTRATIVE

25. La réforme administrative peut être décomposée en deux grandes phases: une phase législative et une phase de mise en oeuvre. La réforme a été entreprise à l'initiative du Gouvernement et le Parlement a voté des lois dans les domaines suivants:

- le gouvernement des districts,
- le gouvernement régional,
- l'administration de l'Etat au niveau régional,
- le découpage administratif du pays,
- les élections,
- la répartition des compétences entre les trois niveaux d'administration (modification de 147 lois existantes),
- des changements administratifs et des dispositions provisoires,
- les finances publiques.

A la suite du vote de ces lois, le Conseil des ministres a pris de nombreux décrets d'application.

26. Des élections ont eu lieu dans les trois types de collectivités territoriales le 11 octobre 1998 et le nouveau système administratif est entré en vigueur le 1er janvier 1999. Les chiffres suivants donnent une idée de l'ampleur de la réforme:

- 16 services relevant de l'Etat et 16 services relevant de l'administration régionale de l'Etat ont été créés,
- 49 services correspondant à d'anciennes régions administratives ont été supprimés,
- 308 services ont été créés au niveau des districts et 64 services relevant de villes dépendent désormais de districts urbains,
- 287 services correspondant à l'ancienne administration de l'Etat ont été supprimés,
- 2211 unités administratives subordonnées à des ministères ont été intégrées dans l'administration de l'Etat ou dans l'administration régionale,
- environ 10500 institutions (écoles, hôpitaux, bibliothèques, etc.) ont été confiées aux gouvernements locaux.

D'autres difficultés ont résulté du nouveau découpage du pays et du changement de localisation de plusieurs services.

27. Ces services employaient près d'un million de personnes, dont beaucoup ont été mutées dans d'autres structures analogues; toutefois, certaines personnes ont eu plus de mal à retrouver un emploi. Des dispositions spéciales ont été prises pour accompagner cette transition.

28. Pour mener à bien tous ces changements radicaux, le Premier ministre a créé un groupe spécialement chargé de toutes les questions liées à la mise en oeuvre de la réforme administrative. Le groupe est présidé par le Premier ministre adjoint, qui exerce aussi la fonction de ministre des affaires intérieures et de l'administration, et se compose des vice-ministres de tous les ministères concernés par la mise en oeuvre de la réforme. Le secrétaire du groupe est aussi son directeur exécutif; il occupe un poste de vice-ministre et dispose de son propre cabinet.

29. Dans chacune des nouvelles régions, le Gouvernement a désigné un représentant chargé d'organiser les structures de l'administration. Les représentants ont établi des organigrammes provisoires concernant les services de l'administration et des projets de budget pour les régions et les districts. Ces représentants sont des sous-secrétaires d'Etat issus de différents ministères; ils ne sont donc pas soumis à l'influence des groupes de pression locaux et prennent leurs décisions en toute indépendance. Officiellement, les nouvelles entités territoriales ont commencé à fonctionner le 1er janvier 1999, mais dans les régions, les personnes élues le 11 octobre 1998 ont immédiatement commencé à collaborer avec les représentants du Gouvernement pour organiser les nouvelles structures.

30. La réforme administrative a été engagée il y a un an. Il est trop tôt pour évaluer ses effets. De manière générale, elle est accueillie favorablement par l'opinion publique. Mais sa mise en oeuvre n'est pas encore terminée. Plusieurs groupes de pression ont mené des actions pour se réapproprier des pouvoirs qui leur avaient été retirés. L'an dernier, l'administration du travail a été l'enjeu d'une lutte spectaculaire, qui s'est terminée par un compromis assez peu satisfaisant. En outre, les finances publiques restent trop centralisées et les collectivités régionales manquent de ressources pour remplir leurs nouvelles missions. L'administration centrale n'est toujours pas réformée, même si plusieurs services ont été décentralisés.

31. La Pologne se trouve confrontée à de nouveaux défis à la suite de l'augmentation de l'aide apportée par les fonds de préadhésion de l'UE. Ces crédits joueront un rôle essentiel dans le développement économique du pays et lui permettront d'atteindre les normes européennes en matière d'infrastructures et de protection de l'environnement. Ils formeront l'une des principales ressources financières. Le danger vient de la nécessité d'établir une structure et un mécanisme permettant de distribuer ces crédits. Si la bureaucratie se charge de cette tâche, les gouvernements locaux et régionaux se trouveront dans la position de clients et seront à la merci de décisions administratives. L'aide de l'UE risque donc d'entraîner une recentralisation des finances publiques. Elle risque aussi de provoquer un renforcement de l'organisation sectorielle de l'Etat. En effet, l'une des principales tâches des gouvernements régionaux est d'élaborer des politiques globales en faveur du développement régional, ce qui exige une coordination des grands projets au niveau régional. Or les fonds structurels de l'UE se répartissent selon six stratégies. Les ressources permettant la mise en oeuvre d'une stratégie donnée seront transférées au ministère compétent. L'organisation sectorielle de l'Etat et de l'économie risque donc de se renforcer, contre l'intérêt des régions.

IV. RECOMMANDATIONS

32. Compte tenu de l'expérience polonaise et de l'avancement des réformes visant à mettre en oeuvre la régionalisation dans d'autres pays d'Europe centrale et orientale, les recommandations suivantes sont proposées:

- pour soutenir les premières mesures déjà adoptées dans le cadre des réformes et promouvoir l'établissement d'Etats démocratiques décentralisés en Europe centrale et orientale, il est nécessaire de créer des structures régionales, facteurs essentiels du progrès et du développement économiques; en vue d'atteindre ces deux objectifs, les forces politiques favorables à la décentralisation et à la délégation de pouvoirs doivent mobiliser leurs ressources pour diffuser efficacement des informations sur les bons résultats de la régionalisation;

- la large diffusion des informations sur les bons résultats de la régionalisation doit servir à former des coalitions qui soutiennent les changements en cours et les programmes en préparation;

- il conviendrait d'établir un mécanisme permettant aux pays d'Europe centrale et orientale d'échanger plus facilement des informations et des enseignements tirés de l'expérience; à cette fin, les gouvernements locaux devraient tirer parti des compétences des organisations non gouvernementales favorables à la décentralisation; celles-ci peuvent continuer à faire vivre les principes de la régionalisation lorsque les organes législatifs et exécutifs cessent de soutenir les réformes;

- en vue de favoriser la régionalisation, il convient d'opérer des changements institutionnels au niveau central, première étape de la création d'un cadre institutionnel adapté à un Etat décentralisé;

- dans tous les pays, et notamment dans ceux qui sont frappés par la crise économique, il convient de préparer des arguments économiques pour défendre les principes de la régionalisation; en vue de préparer ces arguments, il est recommandé de mettre en place des équipes spéciales ou des groupes de spécialistes chargés de répondre aux inquiétudes des communautés locales et aux objections de l'Etat central;

- il convient de voir dans la régionalisation un moyen de prévenir les conflits et d'encourager l'expression de valeurs minoritaires (langue, religion et culture en général), et il importe de faire partager cette vision; la régionalisation devrait donc figurer parmi les priorités politiques des organes chargés de la prise de décisions (Etat central, mais aussi gouvernements locaux);

- malgré les problèmes politiques et économiques et les divers obstacles, il est recommandé de poursuivre la préparation de la régionalisation au sein de groupes d'universitaires et de spécialistes chargés d'élaborer le cadre conceptuel de la décentralisation;

- à partir du suivi des changements en cours et de l'analyse des étapes précédentes des réformes, il conviendrait d'élaborer un ensemble de recommandations à l'intention des décideurs; ces recommandations devraient être présentées dans un cadre de discussion qui pourrait prendre la forme d'un organe politique spécial (par exemple une commission mixte regroupant des représentants de l'Etat et des gouvernements locaux);

- les travaux préparant la création de régions devraient porter en priorité sur la répartition des compétences et le mécanisme des transferts intergouvernementaux;

- la réussite de la régionalisation et de la réforme administrative au sens large dépend dans une large mesure des ressources humaines; il convient de prendre dès que possible des dispositions concernant la formation des nouveaux cadres de l'administration.