Strasbourg, le 10 novembre 2000

CG/CP (7) 13 rev

Rapport sur les élections locales en Albanie 
1er et 15 octobre 2000

Rapporteurs de la délégation du CPLRE : M. CHENARD (France) et M. BUCCI (Italie)

Adopté par la Commission Permanente le 10 novembre 2000

INTRODUCTION

TOILE DE FOND DES ELECTIONS

II.A. Nouvelle loi électorale et composition de la Commission électorale centrale (CEC)

II.B. Organisation des élections et composition des commissions électorales locales

II.C. Listes électorales

II.D. Division de Tirana en arrondissements

LA CAMPAGNE

III.A. Les médias

III.B. Éducation de l'électorat

DEROULEMENT DU VOTE, DEPOUILLEMENT DU SCRUTIN ET RESULTATS DU PREMIER TOUR

IV.A. Le cas d'Himara

IV.B. Résultats du premier tour

IV.C. Procédure relative aux plaintes électorales

V. L'ENVIRONNEMENT ELECTORAL AVANT LE SECOND TOUR

V.A. Déroulement du vote et dépouillement du scrutin au second tour

CONCLUSIONS

Annexe 1 : Programme de la mission

Annexe 2 : Communiqué de presse du CPLRE du 2 octobre 2000

Annexe 3 : Décision de la CEC n° 40 du 7 octobre 2000

Annexe 4 : Observation des élections à Himara, les 14 et 15 octobre 2000

Annexe 5 : Communiqué de presse du CPLRE du 17 octobre 2000

I. INTRODUCTION

1. À l'invitation du ministre albanais des Pouvoirs locaux, le Bureau du CPLRE a décidé à sa réunion du 12 septembre 2000 d'envoyer en Albanie une délégation chargée d'y observer les élections locales, prévues pour les 1er et 15 octobre 2000.

2. Pour le premier tour des élections, le groupe d'observateurs du CPLRE était conduit par M. Alain Chénard (France – L), ancien président du Congrès, et se composait des membres suivants : M. Moreno Bucci (Italie – L), Mme Ayse Bahar Çebi (Turquie – L), Mme Brith Fäldt (Suède – L), M. Tomas Jirsa (République tchèque – L), M. Wlodzimierz Karpinski (Pologne – L), Mme Riikka Moilanen (Finlande – R), M. Christopher Newbury (Royaume-Uni – L), M. Gellért Szabó (Hongrie – L) et M. Dan P. Medrea (Roumanie – expert). La délégation était accompagnée de M. Jean-Paul Chauvet et de M. György Bergou, du Secrétariat du CPLRE.

3. L'équipe du second tour était conduite par M. Bucci et comprenait M. Jirsa et M. Newbury ; elle était accompagnée de M. Ulrich Bohner, Chef adjoint du Secrétariat du CPLRE.

4. La délégation du CPLRE a reçu une assistance considérable, au cours des préparatifs de la mission comme sur le terrain : ainsi doit-elle des remerciements à M. Jørgen Grunnet, Représentant spécial du Secrétaire Général en Albanie, à M. Mats Lindberg et à tout le personnel du Bureau du Conseil de l'Europe à Tirana ; les observateurs tiennent à remercier aussi le ministère des Pouvoirs locaux et la Commission électorale centrale de leur soutien et de leur coopération.

5. Force est de mentionner aussi l'excellence de la collaboration avec les représentants de l'OSCE, et en particulier la Mission d'observation des élections du BIDDH, conduite par M. Eugenio Polizzi, auprès de qui la délégation a trouvé un soutien logistique, des informations et des conseils pendant toute la durée de la mission.

6. La délégation du Congrès a eu deux séries de rencontres à Tirana : les 28 et 29 septembre et les 12 et 13 octobre respectivement (on en trouvera les programmes en annexe).

7. Pour le premier tour, les six équipes d'observateurs ont été déployées le 30 septembre de la manière suivante :

MM. Chénard et Chauvet Tirana

MM. Bucci et Bergou Kruja – Shijak – Kavaje – Durres

MM. Newbury et Karpinski Berat – Tepelena – Gjirokastra

Mmes Moilanen et Jirsa Lac – Lezha – Shkodra

Mme Fäldt et M. Szabó Lushnja – Fier – Vlora

Mme Çebi et M. Medrea Elbasan – Prrenjas – Pogradec – Korça

8. Pour le second tour, les deux équipes ont pris leur poste le 14 octobre : MM. Bucci et Bohner se sont rendus à Himara, dans le district de Vlora, où avait lieu un face-à-face entre le Parti des droits de l'homme et le Parti socialiste, tandis que MM. Jirsa et Newbury allaient à Korça et dans trois communes avoisinantes, où étaient opposés le Parti démocrate et le Parti socialiste et (dans une commune) le Parti socialiste et le Parti des droits de l'homme.

9. Les équipes du CPLRE ont travaillé en étroite coopération avec les observateurs de l'OSCE-BIDDH. Après chacun des deux tours, l'OSCE-BIDDH a organisé une séance de fin de mission au cours de laquelle des représentants de la délégation du CPLRE ont exposé leurs conclusions. En l'une et l'autre occasions, les deux organisations ont rédigé ensemble un communiqué de presse et tenu une conférence de presse commune.

10. Une partie du présent rapport repose sur les informations communiquées par l'OSCE-BIDDH, qui a assuré – au cours de ces élections - une présence de longue durée avec de nombreux observateurs (environ 240 au premier tour et 40 au second).

TOILE DE FOND DES ELECTIONS

11. Les élections ont été marquées à nouveau par une très forte polarisation de la politique albanaise, qui tient aux élections passées et aux suites de la crise de 1997. La scène politique de ce pays reste dominée par les deux principaux rivaux, le Parti socialiste (PS), qui est au pouvoir, et le Parti démocratique (PD), qui est dans l'opposition. Au cours des dix dernières années, les fortunes de ces deux formations ont beaucoup fluctué d'une consultation électorale à l'autre. Les précédentes élections locales générales, qui avaient eu lieu en octobre 1996, avaient vu la victoire écrasante du PD, qui devait alors dominer les pouvoirs locaux jusqu'aux dernières élections, avec 80% des élus au sein des conseils urbains et ruraux. Ces élections avaient été observées par le Congrès (voir Recommandation 28(1997) du CPLRE sur l'état de la démocratie locale et régionale en Albanie) et l'Assemblée parlementaire.

12. Les élections d'octobre 2000 constituaient donc la première grande épreuve de soutien populaire que la coalition conduite par les socialistes avait à passer depuis son accession au pouvoir par suite du violent soulèvement de 1997. (Les élections partielles de 1998, aussi observées par le CPLRE, ne portaient que sur sept munipalités et neuf communes.)

13. Une loi adoptée le 31 juillet a aboli les districts en tant qu'unités administratives autonomes, tout en portant création de onze mini-municipalités (districts) pour le territoire de Tirana. Les nouvelles régions, qui doivent remplacer les anciens districts comme niveau administratif intermédiaire, ne seront dotées que d'assemblées élues au suffrage indirect. Il s'agissait donc d'élire les conseillers municipaux et les conseillers de commune (y compris les membres du conseil de chaque mini-municipalité de Tirana) au scrutin proportionnel et les maires au suffrage direct (avec possibilité de second tour pour ces derniers seulement). De plus, les partis considéraient ces élections locales comme un test en vue des élections parlementaires de l'an prochain.

14. Bien que le CPLRE n'eût pas d'observateur présent en Albanie pendant la campagne électorale, les informations disponibles dans les médias ou fournies par l'OSCE et le bureau du Conseil de l'Europe donnaient une bonne idée des préparatifs. Les réunions avec les principaux partis politiques et la Commission électorale centrale ont aussi révélé les principaux problèmes qui se posent lors d'élections partielles.

15. La conduite des élections et la volonté des principaux partis d'en respecter les résultats apparaissent comme traduisant le niveau de maturité politique atteint par l'Albanie et comme le signe précieux que ce pays avance dans la bonne direction.

16. Une résolution de l'Assemblée parlementaire adoptée fin juin insiste pour que « ... les prochaines élections locales et législatives qui doivent se tenir en Albanie respectivement en octobre 2000 et juin 2001 se déroulent conformément à la nouvelle loi électorale, qu'elles soient équitables et libres, et que leurs résultats soient acceptés par tous les partis politiques... C'est à la lumière de ces élections et des nouvelles mesures législatives et administratives adoptées dans le cadre de la procédure de suivi que l'Assemblée parlementaire pourra décider si l'on peut considérer que l'Albanie a respecté ses obligations et engagements en tant qu'Etat membre du Conseil de l'Europe. » (Résolution 1219(2000)).

II.A. Nouvelle loi électorale et composition de la Commission électorale centrale (CEC)

17. Le processus électoral de l'Albanie a toujours souffert de handicaps qui se rencontrent aussi dans la plupart des autres secteurs institutionnels : législation inadaptée, capacités insuffisantes, politisation excessive, méfiance dans la gestion des institutions démocratiques et manque de soutien politique d'ensemble.

18. Depuis la crise de 1997, les autorités albanaises ont pris d'importantes mesures pour réformer les structures de l'État et le cadre électoral, notamment en adoptant une nouvelle Constitution (en 1998, à la suite d'un référendum boycotté par le PD), un code électoral (8 mai 2000) et un registre national informatisé des électeurs (été 2000). En outre, elles ont lancé un ambitieux programme de décentralisation visant à accroître les pouvoirs des représentants des municipalités et communes. D'une manière générale, ces nouveaux instruments ont permis d'accomplir de nets progrès dans l'amélioration des structures étatiques et le respect des normes internationales en matière d'élections démocratiques.

19. Comme par le passé, néanmoins, des difficultés sont venues gâcher le processus électoral. L'OSCE s'est efforcée de tenir compte des critiques adressées au code électoral en créant un groupe de travail ouvert à toutes les parties, afin de traiter les questions techniques et législatives afférentes à l'enregistrement des électeurs et à la mise en œuvre du code électoral. Depuis le début de mars 2000, ce groupe s'est réuni presque chaque jour pour discuter des questions juridiques ou techniques soulevées par les participants. Il a ainsi élaboré, puis transmis en mai au Parlement une version amendée du code contenant les modifications acceptées par toutes les parties et tenant compte des propositions des experts internationaux, y compris ceux du Conseil de l'Europe et de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (FISE). Dans le code ainsi amendé, il était tenu compte aussi des suggestions formulées par le Congrès dans sa Recommandation 28(1997). De l'avis des experts internationaux, ce texte devrait doter l'Albanie d'une base juridique répondant aux normes internationales relative à la tenue d'élections libres et équitables.

20. La Constitution albanaise prévoit la création d'une Commission électorale centrale (CEC) indépendante et non politique, au sein de laquelle les partis politiques ne puissent se faire représenter ou prendre part aux travaux. La Constitution habilite le Président de la République à nommer deux membres de la CEC, et le Haut Conseil de la Justice, qu'il préside, à en élire trois, les deux autres étant élus par le Parlement.

21. En réalité, la majorité parlementaire à introduit dans le code des dispositions transitoires à un stade tardif de l'élaboration, ce qui n'est conforme ni aux dispositions principales, ni aux recommandations des experts internationaux. On s'est inquiété, en particulier, de la composition et de la présidence des commissions électorales locales, qui compromettent l'équilibre politique de ces dernières.

22. La composition des commissions a du reste suscité de constantes dissensions. À cause des dispositions transitoires et de son opposition incessante à la nouvelle Constitution, y compris aux dispositions concernant la CEC, le PD a rejeté globalement le Code et refusé de prendre part à son adoption au Parlement, bien qu'il eût participé à la plupart des tables rondes multipartites avant de s'en retirer à la dernière minute. Il a accusé le Président Meidani de faire de la CEC un organe politiquement partisan pour aider le Parti socialiste à truquer les élections. Selon lui, le nouveau code offre un fondement légal à la manipulation des élections, et de plus, cinq membres de la CEC sont nommés par une seule et même partie, avant même que le code soit seulement approuvé et au mépris des critères qu'il énonce. Le résultat en est que la CEC n'a pas la confiance de toutes les forces politiques participant aux élections.

23. Tout au long des partielles, les deux partis en présence ont utilisé ces réformes comme thèmes de campagne, le PD critiquant vivement les assises juridiques et les principales institutions de l'État. La composition des commissions électorales centrale et locales est restée au centre des débats entre les deux camps. De ce fait (en partie du moins), les commissions ont été constituées avec du retard, ce qui devait ajouter aux difficultés qu'elles avaient toutes à surmonter pour administrer ces élections complexes dans un laps de temps réduit.

II.B. Organisation des élections et composition des commissions électorales locales

24. La nomination anticipée de six des sept membres de la CEC avant l'adoption du Code ainsi que l'affiliation au PS de certains de ses membres ont suscité d'importantes controverses. A un stade ultérieur du processus, deux membres ont démissionné et trois nouveaux membres de la CEC ont été sélectionnés, ce qui a quelque peu calmé la polémique. Cependant, le PD a prétendu que les membres n'avaient pas tous été régulièrement invités aux réunions. Cette accusation a été rejetée par M. Fotaq Nano, président de la CEC, lequel a déclaré, lors de sa rencontre avec la délégation du CPLRE, que la commission avait adopté une attitude plus nuancée et plus souple lors des dernières phases de la période préélectorale.

25. L'activité de la CEC a été freinée par diverses difficultés allant du sous-effectif, de l'inexpérience et de l'insuffisance logistique initiaux à la déficience persistante des règles de procédure. Occasionnellement, la CEC a adopté des décisions lors de réunions informelles, et en a inutilement retardé la publication. Les partis politiques, les candidats et les électeurs ont été mal informés de ces décisions, en particulier en milieu rural. Ces pratiques ont affecté la transparence et l'uniformité de l'administration électorale. Les commissions locales, en particulier, n'ont pas reçu de recommandations claires ni bénéficié d'une formation suffisante.

26. La composition des commissions locales était fondée sur l'appartenance politique. L'application des dispositions transitoires les plus controversées de la loi assurait aux représentants de la coalition au pouvoir la majorité des sièges dans l'ensemble des commissions locales, conformément aux résultats des dernières élections générales. Pour renforcer la confiance dans le processus électoral, la CEC a donné pour instruction aux présidents des commissions électorales de zone (CEZ - les commissions du deuxième niveau pour ces élections) d'appliquer dans l'ensemble du pays un coefficient de 50/50 entre les deux partis principaux. La CEC n'a fait que recommander la mise en œuvre des mêmes modalités pour la nomination des présidents des commissions des bureaux de vote (CBV – commissions du troisième niveau). En conséquence, la plupart des CBV ont été constituées tardivement et les présidents n'ont pas été uniformément désignés conformément à la recommandation de la CEC. Les commissions électorales étaient largement tributaires du soutien logistique apporté par les structures administratives de l'Etat. La réglementation de cette interaction n'était pas suffisante pour assurer la transparence, ce qui a entraîné des allégations d'abus d'autorité.

27. Si les commissions multipartites ont accru la transparence, les membres des commissions affiliés à des partis politiques ont parfois profité de leur position au sein des CEZ et des CBV pour faire obstacle à l'administration électorale. Ces carences de l'administration électorale ont engendré des lacunes procédurales, notamment pour l'enregistrement des candidats, entraînant des effets négatifs pour les petits partis en particulier. Dans plusieurs cas, les CEZ n'ont pas communiqué à la CEC la documentation pertinente, ce qui a porté un grave préjudice à un nombre limité de candidats et de partis. La CEC n'a pas traité efficacement les plaintes.

II.C. Listes électorales

28. Le premier registre électoral national informatisé a initialement été salué par les principaux partis comme une grande réussite. Cependant, une fois publiées, les listes électorales préliminaires ont suscité maintes objections. Le fait qu'un nombre important d'erreurs aient été commises et que des inscriptions non vérifiables aient été supprimées des listes électorales préliminaires a été invoqué par le PD comme la preuve d'une manipulation politique. Lors de sa rencontre avec la délégation du CPLRE, M. Berisha a affirmé que six cent mille électeurs, essentiellement des sympathisants du PD, avaient été délibérément écartés des listes.

29. En réponse, la CEC a annoncé que chacun des noms correspondant aux inscriptions non vérifiables incluses dans la base de données serait intégré aux listes électorales définitives, et a émis des instructions à cet effet, en créant deux registres : un pour les électeurs contrôlés et un autre pour les inscriptions non vérifiables. Ainsi, tous les citoyens, qu'ils soient inscrits sur la première ou sur la seconde liste, ont bénéficié du droit de vote, à condition de détenir des documents d'identification en bonne et due forme. La CEC a par ailleurs chargé les CBV de faire preuve de souplesse en matière d'identification des électeurs. La réponse de la CEC a été efficace en ce qu'elle a réduit les risques de déchéance du droit de vote des électeurs et a permis d'éviter une crise le jour du scrutin. Malgré tout, les observateurs du CPLRE ont rencontré dans la quasi-totalité des bureaux de vote visités des personnes qui n'étaient inscrites sur aucune des deux listes.

II.D. Division de Tirana en arrondissements

30. Le 31 juillet, le Parlement a approuvé un projet de loi proposant la division de Tirana en onze arrondissements (« mini-municipalités »), tout en maintenant la municipalité de Tirana dans sa globalité. L'opposition a rapidement accusé les Socialistes de tenter de créer des circonscriptions électorales qui leur donneraient la majorité des voix dans un grand nombre d'arrondissements tout en concentrant le poids électoral de l'opposition dans le nombre de circonscriptions le plus réduit possible.

31. Le ministre des pouvoirs locaux, M. Bashkim Fino, initiateur de ces réformes, a toutefois déclaré que celles-ci visaient l'amélioration de la gestion globale de la ville, dont la population a brutalement augmenté de 290 000 habitants en 1990 à un nombre estimé à 700 000 en 2000 (ce chiffre est discutable, dans la mesure où d'autres sources donnent une population moins importante pour Tirana). Lors de sa rencontre avec la délégation du CPLRE, M. Fino a affirmé que la division de la mairie centralisée de Tirana en onze municipalités donnerait davantage d'autonomie aux collectivités locales. Il a ajouté que ces changements étaient conformes à la Charte européenne de l'autonomie locale.

32. Si ces arguments semblent raisonnables, il ne restait pas suffisamment de temps pour mettre en œuvre ces changements avant les élections. Toutefois, le jour du scrutin, les électeurs de Tirana ont été invités à voter quatre fois : pour le maire de Tirana, le conseil municipal de Tirana, le maire de l'arrondissement et le conseil d'arrondissement.

III. LA CAMPAGNE

33. Un total de 2 232 candidats se sont présentés aux élections municipales, et 2 360 listes de conseillers se sont affrontées, dans 385 circonscriptions. Ces chiffres témoignent une nouvelle fois du caractère concurrentiel de ces élections.

34. La campagne électorale s'est globalement déroulée dans le calme, même si l'atmosphère s'est nettement tendue à l'approche du scrutin. Quelques incidents isolés liés à la campagne ont eu lieu. A la différence de ce qui s'était produit lors des campagnes précédentes, la police a généralement réagi de façon appropriée, en dépit d'allégations d'actes isolés d'intimidation. En règle générale, les candidats ont pu faire campagne dans toutes les régions du pays, y compris celles qui étaient traditionnellement considérées comme des bastions du « parti adverse ».

35. Malgré les appels des organisations internationales exhortant à éviter les confrontations extrêmes, les dirigeants des deux principaux partis du pays ont débattu en s'adressant des critiques particulièrement virulentes. La rhétorique utilisée par les candidats locaux se distinguait toutefois nettement de celle des dirigeants nationaux des partis. Si les premiers avaient une approche pragmatique et, en règle générale, se respectaient mutuellement, les seconds avaient encore tendance à recourir aux provocations verbales. Bien que dans un certain nombre de municipalités, des accords aient été conclus entre les dirigeants des partis au sujet d'une éthique de campagne, la polarisation politique a prévalu au niveau central.

36. La campagne des petits partis a été éclipsée par les deux principales forces politiques. L'affectation de fonds publics a également favorisé les deux plus grands partis.

III.A. Les médias

37. Les médias ont joué un rôle majeur lors de la campagne électorale, tant au niveau national que local. Pour la première fois, un large éventail d'organes d'information offraient aux électeurs une information d'une grande diversité. Néanmoins, peu de médias pouvaient être considérés comme indépendants. Dans certains cas, une ligne éditoriale et un soutien affirmés pour l'un ou l'autre parti étaient manifestes.

38. Conformément au Code électoral, le conseil directeur de l'organisme public de radiodiffusion TVSH a gratuitement accordé un temps d'antenne aux partis et aux candidats participant aux élections. Les créneaux horaires ont été attribués lors d'un tirage au sort télédiffusé, afin de garantir la transparence du processus.

39. Le Conseil national de l'audiovisuel (CNA), organe indépendant chargé de la surveillance et du contrôle des médias, a travaillé en toute transparence et impartialité, et mis en place un dispositif efficace de traitement des plaintes liées aux médias. Selon l'interprétation donnée par le CNA, le cadre juridique dont relèvent les médias contraint les réseaux publics et privés de télévision à assurer une couverture impartiale de la campagne électorale.

40. Si la télévision publique a amélioré ses prestations en terme de couverture équitable de la campagne, les médias privés ont consacré la majeure partie de leur temps aux deux principaux partis politiques. De manière générale, les médias n'ont pas accordé une grande attention aux petits partis, dans un climat politique fortement polarisé. Une vingtaine de débats télévisés ont opposé les candidats dans l'ensemble du pays : la moitié ont été diffusés sur des chaînes publiques et réunissaient un nombre plus important de partis, l'autre moitié étant retransmis par la télévision privée et limités aux principales formations politiques.

41. Les médias ont souvent exacerbé le ton provocant utilisé par les principaux dirigeants nationaux au cours de la campagne. Tel a été le cas, en particulier, de la presse partisane, qui a donné des informations souvent dénaturées et d'une piètre qualité.

III.B. Education de l'électorat

42. Comme la délégation l'a appris au cours de sa rencontre avec le président de la CEC, une campagne d'éducation civique des électeurs avait été lancée assez tardivement, juste avant les élections. En dépit de leur utilité, les spots télévisés expliquant la procédure de vote et le marquage des bulletins de vote pour l'élection des maires comme pour celle des conseillers municipaux (listes proposées par les partis) se sont avérés insuffisants, et les observateurs ont constaté de multiples cas d'électeurs incapables de voter sans assistance, d'ou un nombre important de votes nuls.

DEROULEMENT DU VOTE, DEPOUILLEMENT DU SCRUTIN ET RESULTATS DU PREMIER TOUR

43. Le vote et le dépouillement du scrutin ont eu lieu dans l'ordre et le calme dans la majorité des municipalités et des communes et aucun incident sérieux en matière de sécurité n'a été rapporté. Après certains retards dans l'ouverture des centres, les CBV ont en général administré les procédures de vote de manière correcte et dans un esprit de coopération. Dans presque tous les bureaux de vote visités, des électeurs, dont certains détenaient le certificat délivré à l'occasion du recensement au porte-à-porte (“coupons bleus”) ou même une carte d'électeur, n'ont pu trouver leur nom sur les listes électorales. Leur nombre, cependant, ne semblait pas suffisamment important pour devoir influer sur le résultat des élections dans une majorité de bureaux de vote.

44. En général, à la question des observateurs sur les personnes se présentant pour voter dont le nom n'était pas inscrit sur les listes électorales, il a été répondu que leur nombre représentait environ 1% de l'électorat. Dans de nombreux cas, ces personnes ont été dirigées vers d'autres CBV, l'informatisation des listes ayant souvent abouti à une inscription dans une circonscription électorale voisine. Il était donc non seulement difficile de trouver le bon bureau de vote, mais aussi de trouver son nom sur les listes électorales qui reposaient sur un classement par rues et non sur un classement alphabétique, ce qui les rendait également moins facilement déchiffrables aux observateurs.

45. Pour autant que les observateurs du Congrès ont pu le constater, les forces de police se sont en général comportées d'une manière appropriée et conforme à la loi.

46. Les irrégularités générales suivantes ont été observées le jour du scrutin :

A Durrës et à Tirana, la distribution du matériel électoral s'est effectuée de façon désordonnée et certains bureaux de vote n'ont pas reçu à temps une quantité suffisante de bulletins de vote.

Les élections n'ont pu avoir lieu dans une circonscription du fait de l'incapacité du CEZ d'y distribuer le matériel électoral.

Environ 20% des bureaux de vote observés ont ignoré la procédure d'encrage du pouce mais le nombre très peu élevé de votants inscrits sur les listes complémentaires qui se sont présentés semble indiquer que l'éventualité des cas de double vote était faible.

Le “vote en famille” a pu être observé dans la majorité des centres visités, en contradiction avec le principe du vote à bulletin secret. Les présidents des CBV se montraient souvent réticents à intervenir sur cette question, alléguant certaines “traditions culturelles”.

47. Les observateurs du CPLRE ont en outre relevé les problèmes suivants :

Un grand nombre de CBV n'avaient pas été suffisamment préparées et formées aux procédures électorales et ceci s'est traduit par des retards dans l'ouverture des bureaux de vote.

Les dispositions concernant le dépôt des bulletins, la procédure de dépouillement ainsi que les fonctions spécifiques des représentants des partis politiques et des observateurs nationaux n'ont pas toujours été respectées.

Certaines équipes de contrôle ont relevé le comportement intrusif des observateurs nationaux et de certains membres des CBV (discutant des procédures et/ou cherchant à influencer les électeurs).

Les paravents fournis par la CEC se sont révélés dans de nombreux cas inaptes à assurer le secret du vote : de véritables isoloirs devraient être utilisés à leur place.

Très souvent, le bureau de vote était trop petit pour le nombre d'électeurs de la zone concernée, ce qui provoquait un encombrement injustifiable et des scènes de bousculade à l'intérieur ou obligeait les électeurs à faire la queue devant le bureau de vote.

Les bulletins de vote n'étaient pas adaptés à leur fonction : les noms des candidats et des partis étaient imprimés en caractères trop petits, sans espace suffisant entre les lignes et ne portaient pas l'emblème des différents partis. La conséquence en était qu'un grand nombre d'électeurs âgés, en particulier dans les régions rurales, avaient besoin d'aide pour voter, ce qui avait un effet sur le secret de la consultation.

Dans certains cas, les affiches des partis politiques n'avaient pas été retirées du voisinage des bureaux de vote.

Bien que les votants non inscrits sur les listes aient en général été refusés par les CBV (conformément aux instructions de la CEC), dans certaines zones rurales, leur nom a été porté sur une liste manuscrite et ils ont été autorisés à voter.

Les CBV n'ont en général pas établi de liste des personnes refusées car ils n'avaient reçu aucune instruction à ce sujet mais une telle liste aurait pu être utile pour amender les listes électorales nationales en vue des élections parlementaires de l'an prochain.

Dans certains cas, les bulletins de vote ont été mélangés entre les deux urnes électorales (pour les maires et les conseils municipaux), bien que les deux types de bulletins de vote étaient de couleurs différentes faciles à distinguer.

La concordance entre le nombre de bulletins de vote contenus dans chaque urne et celui des votants noté par la CBV n'a pas toujours été vérifiée avant le dépouillement du scrutin.

Certains bureaux de vote n'étaient pas fermés et le public était autorisé à aller et venir librement pendant les opérations de dépouillement du scrutin.

Dans de nombreux bureaux de vote, les bulletins de vote n'ont été comptés qu'une fois, les voix obtenues par chaque parti étant comptées par les représentants présents du parti concerné.

Un nombre trop important de bulletins de vote ont été considérés comme invalides (dans certains bureaux de vote, ce nombre pouvait atteindre 20 %), y compris dans certains cas où l'intention du votant était clairement exprimée. Bien que la nouvelle législation soit sur ce point moins stricte que l'ancienne, de nombreuses CBV ne semblaient pas en être informées et ont donc ignoré les changements.

48. Malgré ces problèmes, les observateurs du CPLRE ont reconnu que le premier tour des élections témoignait d'un progrès significatif dans le respect des normes électorales démocratiques (voir communiqué de presse n° 1 cité en annexe). Aucun des observateurs n'a été témoin de désordres, de violences ou d'intimidations dans les secteurs observés.

IV.A. Le cas d'Himara

49. Lors du premier tour, les équipes du CPLRE n'ont pas couvert les secteurs de Dropull et d'Himara, où de graves problèmes ont été signalés par la minorité de langue grecque, y compris des cas de “violence psychologique” contre des électeurs et des représentants du Parti de l'Union des droits de l'homme.

50. D'après les résultats publiés par la CEC, le Parti de l'Union des droits de l'homme a perdu les élections dans la commune de Ksamil, dans l'une des deux communes de Dropull et était en ballottage dans l'autre commune de Dropull et dans la municipalité de la côte d'Himara. (Cette circonscription comprend sept villages dont quatre de langue albanaise et trois de langue grecque. De manière générale, la plupart des hommes politiques albanais, à l'exception des représentants du Parti des droits de l'homme, ne reconnaissent pas l'existence d'une minorité grecque à Himara, alors que la plupart des officiels grecs veulent défendre cette minorité.)

51. Suite au déroulement désastreux des élections, l'organisation de la minorité grecque, Omonia, a accusé le gouvernement de “trucage des élections”. Les observateurs grecs et étrangers ont rapporté des cas d'irrégularités et de fraude dans certains endroits. Les autorités albanaises font aussi l'objet de pressions de la part de la Grèce en vue de l'organisation de nouvelles élections dans les communes reconnues de minorité grecque et à Himara.

52. Le CPLRE, étant dans l'incapacité de prendre position sur ces faits sur la base de l'observation du premier tour, a décidé d'envoyer une équipe observer le déroulement du second tour à Himara (voir plus bas).

IV.B. Résultats du premier tour

Le premier tour portait sur l'élection des conseils municipaux et communaux et des maires. Alors que les élections aux conseils avaient lieu à la proportionnelle, les maires devaient obtenir pour être élus une majorité absolue au premier tour. Là où cette majorité n'a pu être atteinte, c'est-à-dire dans 28 municipalités, 127 communes et 10 arrondissements de Tirana, de nouvelles élections ont été fixées au 15 octobre. En outre, de nouvelles élections au premier tour sont prévues le 1er octobre dans 7 communes dans lesquelles le vote n'a pu avoir lieu ou n'a pu être organisé dans des conditions satisfaisantes.

54. Les résultats du premier tour pour les sièges de maires ont donné une franche victoire aux candidats du Parti socialiste (PS) dans 140 circonscriptions et aux candidats du Parti démocratique (PD) dans 67 circonscriptions ; le candidat du Parti des droits de l'homme a remporté la victoire dans cinq communes et celui du Mouvement albanais pour la légalité dans une commune.

55. La Commission électorale centrale a annoncé les résultats finals du premier tour le 7 octobre sur la base des informations fournies par les Commissions électorales de zone (CEZ) (voir décision n°40 de la CEC en annexe). Toutefois, la décision numéro 40 de la CEC était incomplète car elle n'incluait ni le nombre final des votants inscrits, ni le chiffre total de participation, ni les résultats détaillés du scrutin proportionnel pour les conseils municipaux ou communaux. En outre, à Tirana, la CEC a accepté de la CEZ de la ville des protocoles incomplets qui ne portaient pas les signatures et tampons requis et ne mentionnaient pas le nombre de bulletins de vote invalides. Ceci a donné naissance dans la presse locale à une rumeur non confirmée portant le nombre de bulletins de vote invalides à cent mille dans la seule capitale.

56. Il est apparu ensuite, cependant, que le nombre de bulletins de vote invalides était bien inférieur à celui qui était indiqué dans la presse. Les chiffres fournis à titre officieux à la délégation du CPLRE par le président de la CEC le 13 octobre indiquaient que pour l'ensemble du pays, au premier tour, le nombre de bulletins de vote invalides était d'environ 90.700, ce qui est encore trop élevé, et se situait entre 8 et 10.000 pour l'ensemble des municipalités de Tirana.

IV.C. Procédure relative aux plaintes électorales

57. Après le premier tour des élections, les partis politiques ont déposé un grand nombre de plaintes auprès des commissions électorales et des tribunaux. Malheureusement, la procédure en matière de plaintes électorales ne leur offrait aucun moyen effectif de réparation légale.

58. Les dispositions du nouveau Code électoral à ce propos sont insuffisantes et la CEC et la Haute Cour n'ont pas réussi à établir des règles détaillées de procédure, comme le prévoyait le Code. Les critères légaux requis pour qu'un nouveau dépouillement soit effectué, par exemple, sont trop stricts et ont été appliqués de manière sélective.

59. Le 7 octobre, la CEC a décidé, sans offrir aucune justification légale, de rejeter l'énorme majorité des plaintes concernant le déroulement des élections. Cette décision de la CEC, en outre, n'a été rendue publique que le 11 octobre, c'est-à-dire à une date où le délai pour le dépôt des appels devant la Haute Cour pouvait être considéré comme dépassé. Pour des raisons difficiles à expliquer, d'autres plaintes ont été transmises par la CEC aux tribunaux locaux. Au niveau local, les CEZ ont classé certaines affaires hâtivement et, dans certains cas, n'ont même pas accusé officiellement réception des plaintes reçues ou ont tout simplement refusé d'enquêter sur certaines anomalies. Les tribunaux d'arrondissement et les cours d'appel ont aussi manifesté, à quelques exceptions près, une réticence à examiner sur le fond les plaintes qui leur ont été adressées.

60. L'insuffisance de la procédure de recours a particulièrement pénalisé le Parti républicain qui s'est plaint auprès de la délégation du Congrès du fait surtout que certains de ses candidats dûment inscrits n'étaient pas apparus sur les bulletins de vote le jour des élections. Malgré ses appels devant diverses instances, le parti n'a pu obtenir réparation légale auprès des commissions ou des tribunaux.

A Durrës, le candidat local du PD s'est plaint de ce que, dans quatre cas, les résultats portés sur les tableaux de la CEZ ne correspondaient pas aux chiffres des protocoles officiels. Les chiffres des tableaux n'ont pas été approuvés par le représentant du PD à la CEZ et, dans deux cas, ces chiffres apparaissaient également disproportionnés par rapport aux résultats d'autres bureaux de vote. L'écart était suffisamment important pour justifier un scrutin de ballottage à Durrës mais la CEZ et la CEC ont rejeté la plainte sans fournir de raison valable. Le PD a décidé, cependant, de ne pas chercher à obtenir réparation devant les tribunaux.

62. Le 8 novembre 2000, le Bureau du Congrès a été saisi d'une lettre de Mme Jozefina Topalli, Vice-Présidente du Parlement albanais pour le Parti Démocratique, qui contenait une déclaration de l'opposition parlementaire albanaise au sujet des élections locales du 1er octobre. Les constats faits dans le présent rapport ainsi que les recommandations qui figurent dans les conclusions devraient permettre, si elles étaient mises en œuvre, de pallier un certain nombre des plaintes formulées par les partis d'opposition. Il n'appartient pas au Congrès de lancer une enquête internationale sur ces questions qui devraient pouvoir trouver leur solution dans le cadre des procédures démocratiques et des recours judiciaires existant au sein même de l'Albanie. 

V. L'ENVIRONNEMENT ELECTORAL AVANT LE SECOND TOUR

63. L'évaluation généralement positive du premier tour a souffert de la déception éprouvée par de nombreux observateurs au sujet du fonctionnement de la Commission électorale centrale entre les deux tours, en particulier à propos des questions mentionnées dans le Communiqué de presse : la CEC, en effet, n'a pas pris de mesures appropriées pour remédier aux insuffisances constatées le 1er octobre. Elle n'a pas fourni aux commissions électorales de niveau inférieur une formation et une information complémentaires sur les procédures relatives aux cas d'inexactitudes des listes électorales, à l'invalidation des bulletins de vote et au traitement des plaintes électorales. La CEC n'a pas non plus fixé une date limite au retrait des candidats avant le deuxième tour et ceci a entraîné une certaine confusion à la veille de l'élection lorsqu'un certain nombre de membres du PD se sont retirés. La CEC a alors décidé d'ignorer ces retraits et de poursuivre les élections comme prévu.

64. La mission a également été extrêmement déçue par le fait que, bien que des résultats préliminaires aient été publiés afin de justifier les scrutins de ballottage du second tour, il n'est toujours pas possible de disposer des résultats consolidés détaillés du premier tour. Ces résultats avaient effectivement été communiqués à la délégation par le président de la Commission électorale centrale, M. Fotaq Nano, mais ils ont ensuite été retirés par cette Commission.

65. Le second tour, en outre, a rencontré des difficultés à la suite de l'appel au boycott des élections lancé par M.Berisha et les responsables nationaux du Parti démocratique. Pour protester contre certaines manipulations alléguées du processus électoral, la direction du PD a menacé de ne pas participer au second tour si la CEC n'était pas réorganisée, les listes électorales mises à jour et les élections retardées. La CEC et le gouvernement ont tous deux rejeté ces conditions.

66. L'appel au boycott ne disposait pas du soutien de tous les responsables du PD. Il semble cependant avoir été entendu dans un certain nombre de circonscriptions et, en particulier, dans les différents arrondissements de Tirana et dans la municipalité de Korça où le PD n'a pas participé à la campagne électorale et celle-ci y a, par conséquent, été unilatérale. En d'autres endroits, cependant, les candidats du Parti démocratique ont poursuivi leur campagne et les membres du PD ont participé aux Commissions électorales locales.

67. Le déroulement du deuxième tour a encore été assombri par la polarisation des esprits dans la petite municipalité d'Himara où le premier tour avait été marqué par de graves insuffisances. La tension s'y est aggravée entre les deux tours. Malgré leur profonde rivalité, les socialistes et les démocrates ont uni leurs forces dans cette municipalité contre le candidat du Parti des droits de l'homme. Lors du 2e tour, de nombreux officiels de Tirana étaient présents sur les lieux, de même que des représentants grecs.

68. La fin de la campagne au niveau local et national a été entachée de discours nationalistes opposant les communautés albanaise et grecque dont la presse a fait grand état jusqu'au jour du scrutin, dans une atmosphère marquée par une tension accrue avec le pays voisin. Des mesures auraient été prises par l'Albanie pour gêner le trafic avec la Grèce, comme l'arrêt des cars à la frontière sous divers prétextes administratifs et l'organisation de manœuvres militaires dans la mer d'Ionie empêchant le passage des ferries reliant Corfou à Himara et à Saranda. La présence policière était très forte à Saranda où s'étaient également rendus des parlementaires grecs.

69. Malgré l'importance certaine du problème de la minorité grecque, il est quelque peu étrange que cette question soit passée au premier plan pendant toute la durée du second tour : Himara est une petite municipalité comptant seulement 8.615 électeurs inscrits, dont un grand nombre ne résident pas régulièrement à Himara mais travaillent en Grèce. Les observateurs du Congrès ont constaté la présence d'une communauté hellénophone à Himara, ville où l'existence d'une minorité grecque n'est pas officiellement reconnue. Toutefois, il ne leur appartenait pas de se pencher sur l'importance ou l'histoire de cette minorité.

70. Comme au premier tour, un large éventail de médias a couvert les élections. Le temps consacré aux candidats et à la campagne électorale était en général limité, les médias préférant se concentrer sur les problèmes politiques généraux comme la menace de boycott du PD et la situation à Himara. Pour sa part, la chaîne de télévision publique TVSH a accordé l'essentiel de son temps d'antenne au PS, reflétant le caractère unilatéral de la campagne ; le ton de l'information, cependant, était en général équilibré.

71. Le 9 octobre, le Conseil national de la radio et de la télévision a publié un communiqué appelant les médias à faire preuve de professionnalisme dans la couverture du second tour. En outre, le Conseil a demandé à la CEC d'imposer une amende à la chaîne de télévision privée ATN1 pour avoir enfreint le silence sur la campagne électorale le 30 septembre.

V.A. Déroulement du vote et dépouillement du scrutin au second tour

72. Le jour des élections, les procédures de vote et de dépouillement ont en général été menées dans l'ordre et le calme dans la plupart des circonscriptions. Certaines irrégularités ont de nouveau été relevées comme l'ouverture tardive de certains bureaux de vote et l'application insuffisante des procédures concernant l'encrage du pouce des votants ou les modalités de dépouillement.

73. La pratique du “vote en famille”, fréquemment observée, dans laquelle mari et femme ou père et enfants entrent ensemble dans l'isoloir et remplissent en même temps leurs bulletins de vote, a aussi constitué un sujet d'inquiétude pour la délégation du Congrès. Cette pratique, en effet, est contraire au principe du vote individuel à bulletin secret et elle constitue en outre une entrave au droit de vote d'un grand nombre de femmes et de jeunes.

74. Interrogées à ce propos, les Commissions des bureaux de vote bien souvent ne réagissent pas parce qu'elles considèrent qu'il s'agit là d'une tradition culturelle, ou bien elles indiquent que beaucoup de femmes mariées ou de jeunes ne savent ni lire ni écrire. Cette dernière explication semble assez peu crédible et devrait en tous cas être portée sur les minutes des Commissions des bureaux de vote, ce qui n'est pas le cas. La formation tant des CBV que des électeurs sur ce point revêt donc une importance particulière.

75. La démission des représentants du PD au sein des commissions en réponse au boycott lancé par M. Berisha a privé cette élection d'une garantie et d'un élément de transparence essentiels et de ce fait, les commissions électorales n'ont pu dans certains cas atteindre le quorum légalement exigé.

76. A Himara, la situation a été marquée par plusieurs irrégularités graves allant de l'intimidation des membres des commissions électorales à un cas de violence, dans lequel une urne électorale a été détruite, et à des cas attestés de fraude électorale dans au moins trois autres bureaux de vote.

77. Les observateurs du Congrès ont confirmé que, parfois, des représentants du Parti des droits de l'homme bénéficiant d'une accréditation régulière s'étaient vu refuser l'entrée dans les centres de vote ou en avaient été « expulsés ». Ils ont également été confrontés à des cas de signatures falsifiées et de remplissage d'urnes dans plusieurs bureaux de vote. Un compte-rendu détaillé du second tour des élections à Himara est reproduit en Annexe.

78. Les autorités albanaises devront veiller à ce que ces irrégularités fassent l'objet d'une enquête, conformément au principe de la prééminence du droit.

CONCLUSIONS

79. L'évaluation généralement positive du premier tour a été très vite atténuée par le manque d'efficacité de la Commission électorale centrale entre les deux scrutins : à l'issue du premier tour, les commissions électorales et les tribunaux ont négligé le traitement des plaintes, entravant ainsi l'accès à un recours effectif. Plusieurs plaintes recevables ont été rejetées sans explication aucune. La Commission électorale centrale n'a annoncé les résultats définitifs que tardivement et partiellement et n'a pris aucune mesure pour remédier à certaines anomalies constatées le 1er octobre.

80. Des élections générales en Albanie sont prévues pour juin 2001. Il est extrêmement important d'éviter que de telles anomalies se reproduisent l'année prochaine, car elles pourraient nuire à la crédibilité des élections législatives.

81. Les élections locales de cette année ont montré que des progrès restaient à faire en ce qui concerne le respect des engagements de l'Albanie en tant qu'Etat membre du Conseil de l'Europe. A l'issue de leur mission, les observateurs du CPLRE adressent plusieurs recommandations au Gouvernement albanais :

a. Améliorer l'établissement et la présentation des listes électorales :

On notera que ces listes ont été pour la première fois informatisées grâce à l'aide d'organisations internationales. Toutefois, en l'absence de présentation par ordre alphabétique, leur consultation était plutôt difficile, même pour des Albanais ayant l'habitude de ce système.

Ces listes informatisées semblent encore présenter des imperfections. La première mesure à prendre serait d'inclure tous les électeurs qui, cette fois, étaient inscrits sur la liste B mais dont les voix ont été comptabilisées pour la liste A, et de produire une liste électorale unique.

En outre, nombre de plaintes ont été déposées concernant le caractère incomplet des listes. Il importerait par conséquent de comparer les listes électorales actuelles avec les listes d'électeurs non inscrits qui ont été fournies, notamment par le Parti démocratique. Une telle mesure est indispensable pour répondre aux allégations selon lesquelles des électeurs n'auraient pas été inscrits en raison de leur abstention lors du référendum sur la Constitution en 1998 (hypothèse du PD).

Mettre en place un mécanisme permettant aux électeurs dont le nom ne figure pas sur les listes électorales de voter :

Dans un pays caractérisé par une forte mobilité de la population et une mauvaise tenue des registres d'état-civil, il est probablement impossible de produire des listes électorales « inattaquables », même si celles-ci sont régulièrement mises à jour. Pour résoudre ce problème, il semble nécessaire d'établir un mécanisme juridique (ex : inscription des électeurs le jour du scrutin par les tribunaux de district sur la base d'une preuve bien définie de l'identité) afin de réduire le nombre des électeurs privés de leur droit électoral.

c. Améliorer la publication des résultats

Bien que la CEC ait publié des résultats partiels une semaine après le premier tour et indiqué notamment les communes/ municipalités où tel parti était vainqueur et celles où un second tour devait être organisé, les résultats définitifs n'avaient toujours pas été publiés deux semaines après le premier tour. Il convient également de rappeler que les résultats devraient être publiés dans les bureaux de vote eux-mêmes, ainsi que par les commissions électorales de zone dans chaque municipalité ou commune.

Améliorer le traitement des plaintes afin de garantir l'effectivité des voies de recours

De graves problèmes ont été constatés dans ce domaine à l'issue du premier tour des élections. La CEC n'a pas recherché de solution au problème des listes électorales erronées, des bulletins de vote nuls et des plaintes concernant le processus électoral. Plusieurs plaintes recevables ont été rejetées sans explication aucune. L'amélioration de la procédure de recours doit passer par la définition des commissions électorales compétentes pour recevoir les plaintes, la fixation de délais pour leur examen et l'identification des juridictions compétentes pouvant, le cas échéant, être saisies. Il est apparu que certaines plaintes n'avaient pas été examinées comme il se doit ou traitées dans les délais.

Revoir la composition et la présidence de la Commission électorale centrale afin de dépolitiser autant que possible cet organe

Aux termes de la Constitution, la CEC doit être un organe indépendant et non-partisan, ce qui ne semble pas être le cas de la présente commission. Il semble que la législation actuelle lui permet d'être largement contrôlée par le Gouvernement, alors qu'en vertu des principes démocratiques, les partis d'opposition devraient y être suffisamment représentés pour que ses actes ne puissent être considérés comme influencés par quelque partie que ce soit.

Contrôler la composition et la présidence des commissions électorales de niveau inférieur de manière à ce que celles-ci bénéficient de la confiance de toutes les forces politiques participant aux élections :

Pendant ces élections, l'équilibre politique entre les commissions électorales de zone (CEZ) et les commissions des bureaux de vote (CBV) a été rompu au moment de la désignation des présidents, engendrant de nombreux problèmes à tous les niveaux du processus électoral. Cet équilibre devrait refléter les résultats des élections locales précédentes, et non pas ceux des élections nationales (parlementaires).

Renforcer la formation des membres des commissions électorales à tous les niveaux sur leurs droits et leurs obligations, afin de garantir un bon déroulement des élections et de limiter les inexactitudes ou les erreurs liées à une méconnaissance ou mauvaise interprétation de la loi :

Plusieurs irrégularités ont été constatées en ce qui concerne à la fois la procédure électorale et le comptage des bulletins. Une plus grande flexibilité serait particulièrement nécessaire afin d'éviter que des bulletins soient déclarés nuls, alors même que le choix de l'électeur était évident. Le 8 mai 2000, une nouvelle loi a été publiée qui modifie un certain nombre de points, relatifs notamment au problème des bulletins nuls, en exigeant un plus grand respect de la volonté de l'électeur. Cet aspect de la nouvelle loi a été largement ignoré des CBV et donc rarement appliqué.

Améliorer la présentation des bulletins de vote et l'éducation des citoyens en ce qui concerne la procédure électorale :

Une telle mesure semble nécessaire compte tenu des problèmes rencontrés dans la quasi-totalité des bureaux de vote : vote familial, présence de personnes âgées et analphabètes incapables de voter sans assistance et de nombreux bulletins nuls. Il serait souhaitable d'imprimer les symboles des partis sur les bulletins de vote.

i. Introduire des mesures pour renforcer la confiance entre les principaux partis politiques d'Albanie

En ce qui concerne le boycott de ces élections, il doit être clair que cette pratique – bien qu'elle constitue un droit - n'est pas habituellement encouragée dans un Etat démocratique. Des progrès pourraient ainsi être envisagés si les partis politiques tentaient de trouver un terrain d'entente pour éviter les menaces de boycott ou le boycott effectif des élections à l'avenir. Dans cet esprit, le Conseil de l'Europe, y compris le Congrès, se doivent d'organiser des rencontres de formation ou de reflexion ouvertes aux nouveaux élus et principalement les plus jeunes d'entre eux, afin de favoriser la modération nécessaire dans les rapports entre les acteurs de la vie politique albanaise.

Augmenter les chances des petits partis en leur offrant un financement adéquat et des possibilités appropriées d'intervention dans les médias au cours de leur campagne

Les petits partis ont été manifestement pénalisés pendant ces élections à cause du système actuel de financement et d'organisation médiatique des campagnes.

Mettre un terme à l'utilisation d'un langage nationaliste pendant la campagne électorale

Les propos de haine nationalistes à caractère ethnique doivent être évités dans le monde politique, car ils risquent d'inciter le monde extérieur et en particulier les pays voisins à intervenir dans les affaires internes de l'Albanie.

l. Garantir le libre accès de tous les observateurs étrangers et des électeurs vivant en dehors du pays

Il importe également de veiller à ce que les parlementaires de tous pays puissent observer librement les élections. D'autre part, le libre accès des électeurs vivant à l'étranger au centre de vote où ils sont inscrits ne doit pas être entravé.

m. Veiller à la bonne application de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales à toutes les minorités résidant dans le pays

L'incident de Himara, où le PS et le PD ont formé une coalition invraisemblable contre le Parti des droits de l'homme, a mis en lumière les dangers du nationalisme et des conflits ethniques. Le Congrès demande aux autorités albanaises de veiller au respect absolu de toutes les minorités, qu'elles résident dans des zones officiellement reconnues ou non. Le Gouvernement devrait adopter des mesures pour renforcer la confiance entre la majorité albanaise et les groupes minoritaires, qu'ils soient reconnus dans certaines zones ou auto-proclamés dans d'autres.

n. Signer et ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Le Congrès espère également que le Gouvernement albanais adhèrera à cette Convention qui énumère toute une série de mesures à prendre pour favoriser l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique.

Poursuivre le processus de mise en place et de renforcement de l'autonomie régionale en Albanie

Le Congrès se félicite des mesures de décentralisation déjà mises en œuvre, incluant la création de « mini-municipalités » à Tirana et l'attribution de pouvoirs accrus aux représentants des municipalités et communes. Il encourage le Gouvernement à poursuivre la restructuration administrative visant à remplacer les anciens districts par un autre niveau démocratique intermédiaire, conformément aux principes stipulés dans le projet de Charte européenne de l'autonomie régionale.

* * *

82. Ces élections pourraient marquer un tournant pour la démocratie locale en Albanie. On rappellera toutefois que les municipalités ont déjà fait preuve de leur efficacité, même pendant la difficile période de 1996-1997 et la crise du Kosovo en 1998-1999. Aujourd'hui, ces élections offrent une nouvelle chance de décentralisation et de développement des compétences de l'administration locale, en augmentant les actifs financiers de celle-ci et en améliorant la formation de son personnel.

83. A cet égard, le Congrès rappelle sa proposition de création d'un centre de formation pour l'administration locale en Albanie, pour lequel il n'a pas encore été possible de trouver un financement suffisant.

84. L'administration locale est également invitée à améliorer ses infrastructures de base, à promouvoir la protection de l'environnement et le développement économique des municipalités et des communes albanaises. L'administration centrale doit reconnaître cette nécessité et encourager le développement de l'autonomie locale, en garantissant l'égalité des chances de toutes les municipalités et communes, indépendamment de la couleur politique de leur maire ou de leur conseil (coalition gouvernementale ou opposition). Cette mesure permettrait de renforcer la confiance et le respect dans le cadre d'activités impliquant plusieurs partis.

En attendant, le risque d'un climat malsain caractérisé par une apathie croissante à l'égard de l'ensemble du processus démocratique subsiste. Les Albanais semblent dégoûtés de la politique et las de cette situation continuellement tendue à cause des âpres conflits et des luttes que se livrent les principales forces politiques. Les observateurs du CPLRE regrettent que la scène politique albanaise se caractérise toujours par une politique du pouvoir et de personnalités, et non par une politique de programmes. Tant que la classe politique ne respectera pas les conventions, en usage dans les autres démocraties occidentales, relatives aux relations normales entre partis, le risque subsistera que l'assistance internationale en matière législative et institutionnelle demeure vaine.

La stabilité en Albanie revêt une importance particulière pour le succès des efforts entrepris par la communauté internationale au Kosovo et dans la zone du Pacte de stabilité. La leçon qui doit être tirée de ces trois dernières années est que la démocratie pluraliste en Albanie est encore fragile et inachevée et que le besoin d'une attention et d'un soutien au niveau international reste toujours aussi vif.

87. Dans cet esprit, et à la lumière des suites données par le Gouvernement albanais et d'autres éléments nouveaux, le Congrès se réserve la possibilité de revenir sur les sujets traités dans ce rapport, le cas échéant en coopération avec l'Assemblée parlementaire.

Annexe 1

Programme de la mission

1er tour

Jeudi 28 septembre

17 h 00 Exposé du Représentant spécial Jørgen Grunnet (Bureau de Tirana du Conseil de l'Europe)

18 h 00 Exposé de l'Ambassadeur Geert Ahrens, chef de la Présence de l'OSCE

Vendredi 29 septembre

9 h 00 Rencontre avec M. Bashkim Fino, ministre des Pouvoirs locaux

10 h 00 Rencontre avec M. Fotaq Nano, Président de la Commission électorale centrale

11 h 00 Exposé sur la sécurité et les télécommunications radio par l'OSCE

15 h 00 Rencontre avec M. Gramoz Ruci, Secrétaire Général du Parti socialiste

16 h 00 Rencontre avec M. Sali Berisha, Président du Parti démocrate

17 h 00 Exposé de M. Eugenio Polizzi, Mission d'Observation des élections du BIDDH

Samedi 30 septembre

- Déplacement dans les zones d'observation (six équipes du CPLRE)

- Rencontres avec des représentants sur plan de l'OSCE

- Rencontres avec des commissions électorales locales

Dimanche 1er octobre

7 h 00 -

18 h 00 Observation des élections (visite de bureaux de vote dans la zone de déploiement)

18 h 00 Observation du décompte des voix dans des bureaux de vote sélectionnés

Lundi 2 octobre

Retour à Tirana

11 h 00 Rapport des observateurs du CPLRE

14 h 00 Rapport de l'OSCE/BIDDH et des autres observateurs

17 h 00 Conférence de presse commune avec l'OSCE/BIDDH à l'hôtel Tirana international

2e tour

Jeudi 12 octobre

16 h 00 Rencontre avec le Représentant spécial Jørgen Grunnet (Bureau de Tirana du Conseil de l'Europe)

17 h 00 Rencontre avec Genc Pollo, Mouvement pour la réforme du Parti démocrate

Vendredi 13 octobre

9 h 00 Rencontre avec M. Albert Brojka, maire de Tirana

9 h 00 Exposé du BIDDH (hôtel Tirana International)

10 h 30 Rencontre avec M. Fotaq Nano, Président de la Commission électorale centrale

12 h 00 Rencontre avec Mme Jozefina Topalli, Vice-présidente du Parti démocrate et Vice-présidente du Parlement

16 h 00 Rencontre avec M. Gramoz Ruci, Secrétaire Général du Parti socialiste

17 h 00 Exposé de M. Eugenio Polizzi, Mission d'Observation des élections du BIDDH

18 h 00 Rencontre avec M. Fatmir Mediu, Président du Parti républicain

19 h 00 Rencontre avec M. Vasil Melo, Président du Parti des droits de l'homme

Samedi 14 octobre

- Déplacement dans les zones d'observation (deux équipes du CPLRE)

- Rencontres avec des représentants sur plan de l'OSCE et avec des commissions électorales locales

Dimanche 15 octobre

7 h 00 -

18 h 00 Observation des élections (visite de bureaux de vote dans la zone de déploiement)

18 h 00 Observation du décompte des voix dans des bureaux de vote sélectionnés

Lundi 16 octobre

13 h 40 Rapport des observateurs du CPLRE

14 h 00 Rapport de l'OSCE/BIDDH et des autres observateurs

15 h 00 Rencontre avec M. Polizzi et les agents du BIDDH pour préparer un communiqué de presse commun

17 h 00 Conférence de presse commune avec l'OSCE/BIDDH au Musée national

Annexe 4

Observation des élections à Himara, les 14-15 octobre 2000

Après le premier tour des élections tenues le 1er octobre, Une vive controverse a entouré les problèmes que plusieurs observateurs internationaux ont constatés dans la commune de Himara, où l'on a même affirmé que des fraudes commises dans plusieurs bureaux de vote avaient privé le candidat du Parti des droits de l'homme de la victoire qu'il aurait dû remporter au premier tour.

C'est pourquoi, le CPLRE a souhaité envoyer à Himara une délégation présidée par M. Moreno Bucci et comprenant un agent du Secrétariat M. Ulrich Bohner.

La délégation était sur place du samedi 14 au lundi 16 octobre au matin. Certaines irrégularités observées à Himara ont déjà été mentionnées dans le rapport général et dans le communiqué de presse commun du BIDDH/OSCE et du CPLRE.

Il convient de souligner que les élections locales de Himara ont donné lieu à une polémique à un niveau très élevé en Albanie même et à l'étranger.

Dans le pays même, la situation a abouti à un affrontement étrange entre la plupart des forces albanaises, dont le parti socialiste et le parti démocrate, qui s'opposent partout ailleurs, ainsi que d'autres partis, qui ont fermement soutenu le candidat du parti socialiste. A cette fin ont même été employés des arguments ultra-nationalistes déniant toute existence à la minorité hellénophone de Himara (considérée comme étant formée d'Albanais ordinaires qui, pour une raison inconnue, persistent à parler grec). La situation a incité les milieux grecs à apporter un soutien politique affirmé, ce qui s'est traduit par des démarches de représentants diplomatiques grecs auprès de différentes organisations internationales et des autorités de nombreuses capitales européennes, par des déclarations à la presse à Athènes et par la présence de neuf parlementaires grecs le jour du scrutin à Himara.

Pour prendre la juste mesure des choses, il convient cependant de dire que la minorité grecque en tant que telle est bien reconnue dans d'autres régions du Sud de l'Albanie et que la population totale de Himara n'atteint pas plus de 12 à 13 000 habitants dont la plupart passent le plus clair de l'année en Grèce.

8 615 électeurs au total étaient inscrits sur les listes électorales (A et B), ce qui a abouti à 4 635 bulletins valides le jour du scrutin d'après la Commission électorale locale dirigée par un membre du parti socialiste.

En dépit des irrégularités signalées lors du premier tour et de celles qui ont été remarquées par les observateurs lors du second tour, les observateurs du Congrès se demandent néanmoins si l'attention très large qu'a mérité cette élection dans une municipalité de taille relativement modeste n'était pas sans commune mesure avec la situation réelle du Sud de l'Albanie.

Bien qu'il ne leur appartienne pas de dire s'il y a ou non une minorité grecque à Himara et qu'elle en est l'importance, les observateurs du CPLRE ont constaté que dans la municipalité et dans le village-même (Fshat) de Himara (où les bureaux de vote accueillent plus ou moins 3 500 électeurs), il semble qu'il y ait un groupe relativement homogène d'habitants hellénophones. On ne peut en dire autant de certains bureaux de vote dans les villages, notamment dans ceux qui sont situés dans les montagnes environnantes. Il a semblé aux observateurs que ceux-ci étaient pour l'essentiel habités par une population albanophone.

Le climat général était aussi conditionné par la présence massive de forces de police et d'agents de la police spéciale venus de Vlora. Cependant, les observateurs du CPLRE n'ont remarqué à aucun moment que la police soit intervenue de manière brutale ou abusive auprès de personnes sur le terrain, bien qu'un tel comportement lui ait été reproché essentiellement par des représentants grecs. Il y a eu un cas où les observateurs ont noté qu'un agent de police se trouvait brièvement à l'intérieur d'un bureau de vote sans y avoir été invité par le Président. Dans un autre cas, il se trouvait à l'entrée même pour retenir les électeurs afin d'assurer le bon déroulement du scrutin à l'intérieur sans qu'il intimide ceux-ci par son comportement. Les observateurs du Congrès ont estimé que c'était là une attitude normale.

De même, ils n'ont pas remarqué d'attitude déplacée de la part des représentants grecs, en ce qui concerne notamment les parlementaires grecs qui étaient présents, bien que les médias albanais aient raconté que l'on avait vu certains d'entre eux en train de faire campagne et d'intimider les électeurs non hellénophones dans certains bureaux de vote.

Samedi, les observateurs du CPLRE ont rencontré à plusieurs reprises des observateurs du BIDDH/OSCE et des membres de la commission électorale locale. Le Président, membre du Parti socialiste, a répété à cette occasion que tout avait été bien fait, alors que le Président adjoint, membre du parti démocrate, a reconnu que des irrégularités avaient eu lieu lors du premier tour. Les observateurs du CPLRE ont aussi rencontré dans des cafés de Himara, le candidat du Parti des droits de l'homme, qui avait une attitude en général modérée, ainsi que des parlementaires grecs et de hauts représentants du parti démocrate de Tirana, qui ont critiqué le boycott annoncé par M. Berisha. Le jour du scrutin, ils ont constaté que le candidat socialiste entrait plutôt excité dans l'un des bureaux de vote.

Le jour des élections, l'équipe d'observateurs du CPLRE s'est rendue dans six bureaux de vote différents (n° 6, 8, 9, 10, 11 et 12) et a assisté à l'ouverture du scrutin et au dépouillement dans le bureau n° 8 (à la Maison de la culture de Himara). Dans les bureaux n° 8, 6 et 9 (respectivement Himara Fshat et l'école d'Himara), il ne semblait pas y avoir d'irrégularités importantes, sinon le fait que des votes en famille ont été observés ici ou là, ce qui viole le secret du vote. On ne peut non plus exclure que dans le bureau n° 9, l'agent de police posté à l'extérieur du bureau ait pu voir les électeurs compléter leur bulletin. Le Président a immédiatement corrigé cet état de chose dès que l'observateur du CPLRE a attiré son attention sur ce point.

Le boycott préconisé par M. Berisha ne semble pas avoir eu d'influence sur les bureaux électoraux de Himara. Dans la plupart des bureaux de vote, des observateurs du Parti des droits de l'homme et de l'Association pour la culture démocratique étaient présents.

Certains problèmes ont été constatés dans les autres bureaux de vote. Dans le bureau n° 11 (Qeparo Fush, situé dans la vallée), le Président était absent lors de la visite des observateurs du CPLRE, semble-t-il en raison de l'enterrement d'un neveu. Ses assesseurs semblaient avoir du mal à gérer la situation de manière satisfaisante, notamment lorsqu'un électeur a signé et voté quatre fois (au nom de sa femme et de ses deux filles). C'est pourquoi, le bureau électoral a même voulu interrompre le scrutin. En fin de compte, la femme et les deux filles sont revenues. Elles ont signé la liste et ont légitimé autant que faire ce peut, le vote exprimé par le chef de famille.

Il y a eu en général beaucoup de confusion dans ce bureau pendant que les observateurs du CPLRE s'y trouvaient. Selon les constatations d'autres observateurs, il semble que les opérations se soient mieux déroulées après le retour du Président. La liste des électeurs n'était pas apposée à l'extérieur du bureau et, pour des raisons obscures, les électeurs devaient signer sur deux exemplaires de la liste.

Dans le bureau n° 12 (Qeparo Fshat), le représentant du Parti des droits de l'homme a changé, mais le nouveau délégué n'a pas été accepté par les six autres assesseurs du bureau électoral. Il a compté depuis l'extérieur les électeurs qui entraient dans le bureau de vote et a affirmé qu'alors que 44 électeurs seulement étaient entrés, 95 personnes avaient déjà voté à l'intérieur. Les observateurs du CPLRE ont constaté que 51 signatures apposées sur la liste n'étaient dues qu'à 21 électeurs.

Il est aussi étrange que dans ce bureau de vote-là, 77% des électeurs inscrits sur les deux listes soient censés avoir voté, apportant 99% des voix au candidat du parti socialiste.

Les observateurs ont remarqué la situation la plus bizarre dans le bureau de vote n° 10 (Pillul), où le représentant du Parti des droits de l'homme au sein du bureau électoral n'était pas présent entre 8h00 et midi, bien qu'un nouveau représentant, arrivé à 9h00, n'ait pas été admis tant qu'il ne pouvait produire de document approprié délivré par la Commission électorale locale.

Pendant ce temps, 250 des 364 électeurs inscrits sur la liste ont voté, ce qui constitue une participation incroyablement élevée pendant la matinée, alors même que le représentant du Parti des droits de l'homme était absent. Cet état de choses est d'autant plus étrange qu'au premier tour, seuls 84 électeurs avaient voté pendant la matinée. Les observateurs du CPLRE ont constaté que 18 personnes seulement avaient signé pour 42 électeurs. Dans ce bureau de vote, aucun tampon encreur n'a été utilisé pour les électeurs. De plus, l'identité des votants n'a pas été contrôlée, car les membre du bureau électoral ont affirmé qu'ils connaissaient tout le monde.

Le premier représentant du Parti des droits de l'homme était censé être malade, mais on a aussi affirmé qu'il avait été la cible d'intimidations. Par la suite, les observateurs du Conseil de l'Europe ont rencontré dans le centre-ville le nouveau membre. Celui-ci a affirmé qu'il avait été ouvertement menacé et qu'il avait dû quitter ce bureau de vote. Là encore, les résultats totaux ont fait ressortir à Pillul une participation élevée (82%) des listes A et B, 90% des voix étant en faveur du candidat du parti socialiste.

Dans le bureau de vote n° 6 (Himara Fshat), le bureau de vote était en très mauvais état, car il était installé dans une vieille école sans fenêtre et les électeurs devaient monter un escalier pour pouvoir voter. La population tendait là à parler uniquement grec. La participation dans ce bureau n'était que de 31%, dont de nombreuses personnes âgées.

Les observateurs du CPLRE ont assisté au dépouillement dans le bureau n° 8 (Maison de la culture de Himara), au rez-de-chaussée de la mairie, la Commission électorale locale ayant ses bureaux au premier étage du bâtiment. Les bureaux de vote ont fermé à 18h00 sans problème, bien qu'un bulletin nul (portant l'indication d'un parti) ait suscité de vives discussions. Cependant, le bureau électoral n'a pas commencé par compter le nombre total de bulletins dans l'urne.

L'intervention des observateurs, qui ont attiré l'attention du bureau électoral sur les nouvelles dispositions de la loi qui concernent les bulletins nuls et qui visent à respecter autant que possible la volonté des électeurs, a suscité une discussion très vive, bien que le nombre total de bulletins nuls n'ait été que de seize. Comme le bureau n'est pas parvenu à un accord sur les bulletins qui pouvaient néanmoins être considérés comme valides, notamment parce que le membre du parti socialiste souhaitait que soient validés deux bulletins de plus où le nom et l'appartenance du candidat du Parti des droits de l'homme avaient été biffés soient validés, le bureau électoral a finalement déclaré nuls les seize bulletins. Le Président du parti démocrate du bureau a remis un exemplaire du rapport aux observateurs du CPLRE comme la loi le prévoit.

Au total, les observateurs du CPLRE ont constaté de graves fraudes dans trois des bureaux de vote (n° 10, 11 et 12, alors que dans les autres bureaux visités, le scrutin semble s'être déroulé dans des conditions plutôt satisfaisantes.

Avant l'annonce des résultats définitifs (soit 3 397 voix pour le candidat socialiste et 1 238 pour le candidat du Parti des droits de l'homme) et pendant que la Commission électorale locale rendait ceux-ci publics, une foule de personnes essentiellement hellénophones a manifesté à l'extérieur de la mairie, en scandant des slogans, mais sans recourir à la violence.

Les observateurs du CPLRE ont noté qu'il y avait une corrélation étrange entre le pourcentage de voix exprimées dans les différents bureaux de vote et les voix obtenues par le candidat socialiste. Dans tous les cas où la participation était élevée, le candidat socialiste a enregistré un large pourcentage de voix (entre 44 et 81% des voix), alors que dans le centre de Himara, là où la participation était faible, le pourcentage de voix recueillies par le candidat socialiste était aussi faible (entre 13 et 16%). Les seuls endroits où la participation était relativement faible et le pourcentage de voix en faveur du candidat socialiste assez élevé, étaient Ilias (n° 4) et Qeparo Fush (n° 11).

D'autres observateurs du BIDDH/OSCE ont observé de graves incidents et fraudes au moins dans les bureaux n° 2 et 3 (Gilic et Dhermi). Il convient donc de noter que la fraude a eu lieu en faveur du candidat socialiste et qu'elle a été relativement bien organisée selon un même modèle dans les différents bureaux électoraux.

Il n'est pourtant pas certain que sans cette fraude, le candidat du Parti des droits de l'homme aurait remporté les élections, étant donné la faible participation des quartiers en majorité hellénophones de la municipalité.

En tout état de cause, il n'appartient aux observateurs du CPLRE de dire si le scrutin de Himara devrait être invalidé. Une telle décision revient aux commissions et tribunaux albanais compétents.

Les observateurs tiennent à remercier l'observateur local du BIDDH/OSCE, présent de longue date, pour son excellente collaboration pendant la préparation et la réalisation de la mission et lors des différents contacts avec la Commission électorale locale.