Strasbourg, le 4 décembre 1997

CG/BUR (4) 69

Observation des élections en Bosnie-Herzégovine, 13 – 14 septembre 1997

Rapporteur de la délégation : Alan Lloyd (Royaume-Uni)

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Président de la délégation : Alain Chénard (France)
Expert : Nicolas Levrat (Suisse)

Rapport adopté par la Commission Permanente
le 27 novembre 1997

Membres de la délégation : M. Bernat (Slovaquie, R), M. Buldanli (Turquie, R), M. Casagrande (France, L), M. Chénard (France, L), M. Hallberg (Suède, R), M. Kieres (Pologne, R), M. Lloyd (Royaume-Uni, L), M. Morgan (Royaume-Uni, L), M. O'Brien (Irlande, R), M. Suykerbuyk (Belgique, R)

Résumé des conclusions des observateurs envoyés par le CPLRE pour suivre

les élections locales organisées en Bosnie et Herzégovine les 13 et 14 septembre 1997

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe a envoyé une délégation de dix membres, plus un expert et deux membres du Secrétariat. De son côté, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a envoyé une délégation d'observateurs pour suivre ces élections; et le Président de la délégation du Congrès (M. Chénard), ainsi que deux autres membres du Congrès ont pu rencontrer la délégation de l'Assemblée parlementaire pour une séance d'information avant les élections à Sarajevo, et aussi pour un «debriefing» et une conférence de presse commune à Sarajevo le 16 septembre. La délégation du Congrès tient à souligner que la coopération avec la délégation de l'Assemblée parlementaire a été excellente pendant toute la durée de cette mission.

1. Contexte général

1.1 Rarement élections locales auront fait l'objet d'une telle attention internationale:

Ä elles font partie du processus engagé à Dayton pour le rétablissement de la paix dans l'ex-Yougoslavie (essentiellement en Bosnie). L'article II.2 de l'annexe 3 de l'Accord de Dayton (qui traite des élections) demande à l'OSCE d'organiser diverses élections en Bosnie; toutefois, c'est uniquement pour les élections locales qu'on a ajouté la réserve «et, si possible», ce qui montrait clairement qu'on était conscient des difficultés spécifiques liées à l'organisation de ces élections;

Ä vu la complexité des questions en jeu, ces élections ont du être retardées pendant un an, contrairement à tous les autres scrutins qui se sont déroulés en Bosnie et Herzégovine au cours de septembre 1996;

Ä après le «gel» du processus de purification ethnique par l'Accord de Dayton, certaines des principales questions concernant la cohabitation inter-ethnique et intercommunautaire se trouvent aujourd'hui en jeu au niveau local; il s'agit notamment des problèmes majeurs, mais en grande partie non résolus, qui concernent la mise en œuvre de la liberté de circulation prévue par l'Accord de Dayton.

Dans ce contexte, la délégation du CPLRE exprime sa satisfaction de constater que la communauté internationale, en accordant une telle importance à ces élections, confirme la nécessité de promouvoir «les autorités [élues démocratiquement] les plus proches des citoyens» (pour reprendre la formulation de l'article 4.3 de la Charte européenne de l'autonomie locale) pour que puisse exister une véritable démocratie. En outre, la tenue d'élections locales libres et régulières fait partie des conditions à remplir pour adhérer au Conseil de l'Europe.

1.2 De surcroît, la délégation du CPLRE tient à souligner l'importance particulière qui s'attache aux élections locales dans le cadre institutionnel actuel de la Bosnie et Herzégovine, en raison des larges compétences dévolues aux autorités locales dans un certain nombre de domaines primordiaux tels que le contrôle des médias locaux (en Bosnie et Herzégovine, la plupart des collectivités locales ont leurs propres médias), le contrôle de la police locale, l'aide sociale, et en raison de leur rôle potentiellement important pour le dialogue inter-ethnique. Un grand nombre des orientations arrêtées par les autorités centrales se sont soldées par un échec; il ressort des discussions et des entretiens qui ont eu lieu que, de l'avis de nombreuses personnes, le moment est venu de prendre des décisions au niveau local, dans l'intérêt de la population locale.

2. Observation des élections

2.1 Le CPLRE observe les élections locales en Europe centrale et orientale depuis 1990; il a ainsi acquis, dans ce domaine, une expertise qui n'est comparable à celle d'aucune autre organisation ou instance internationale. Sa propre méthode d'observation se fonde sur plusieurs éléments: examen minutieux du cadre juridique applicable aux pouvoirs locaux; évaluation de la situation politique sur la base des nombreux contacts avec les représentants des partis politiques aux niveaux local et national; enfin, observation directe du déroulement du scrutin dans les bureaux de vote. En outre, le CPLRE a acquis une expertise qui concerne la surveillance de la manière dont les résultats des élections se traduisent dans les faits et le contrôle de l'instauration d'une véritable démocratie locale.

La méthode d'observation utilisée par l'OSCE, qui consiste essentiellement à assurer une très large couverture des bureaux de vote aux fins de l'élaboration de statistiques, a assurément ses mérites. Mais elle ne remplace pas l'évaluation fournie par les responsables politiques. En tant qu'émanation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, la délégation considère qu'elle avait le statut, l'expérience et la légitimité requises pour procéder à une telle évaluation politique des élections locales; c'est pourquoi les membres de la délégation regrettent vivement que l'OSCE n'ait pas laissé le temps aux membres du CPLRE de s'acquitter de cette tâche. Toutefois, une délégation de quatre membres du Congrès a eu l'occasion de rencontrer M. Slavo Cuk, Maire de Banja Luka, qui est membre de la délégation «invité spécial» au Congrès et qui n'était pas candidat à ces élections.

Par ailleurs, les membres de la délégation du CPLRE souhaitent faire part de la surprise que leur a causée la présence, parmi les observateurs déployés sous l'autorité de l'OSCE, d'observateurs de l'Iran et de nombreux observateurs de la République fédérale de Yougoslavie.

2.2 Pendant les deux jours de scrutin, la délégation du CPLRE a été présente dans quelque 150 bureaux de vote. D'une manière générale, tous les membres de la délégation ont jugé très positif le processus électoral. La procédure choisie excluait toute possibilité de fraude massive pendant le vote ou le dépouillement. Voici quelques précisions complémentaires:

2.2.1 Le système de vote était très simple; il s'agissait d'un scrutin de liste. Cette méthode était assurément celle qui permettait au plus grand nombre possible d'électeurs de comprendre la procédure du vote. Malgré tout, un très grand nombre (jusqu'à 30 % dans certains bureaux de vote) d'électeurs illettrés ou de mal voyants ont dû solliciter une aide pour pouvoir s'acquitter de leur devoir électoral; il est possible que cela ait entraîné quelques irrégularités mineures, dans la mesure où des dirigeants de partis locaux ont essayé d'aider la plupart des personnes illettrées.

2.2.2 Mais c'est la question de l'inscription qui a probablement été la question fondamentale Ä davantage que le déroulement du scrutin proprement dit. Ces opérations d'inscription, menées sous la responsabilité de l'OSCE, ont fait apparaître un net clivage entre les électeurs des différentes communautés: les personnes déplacées serbes se sont, dans leur grande majorité, inscrites dans la circonscription dans laquelle elles vivent aujourd'hui (comme le permet expressément l'article 10 b. des Règles et dispositions de 1997 adoptées par la Commission électorale provisoire); en revanche, la plupart des électeurs croates et musulmans ont suivi le principe général exprimé à l'article 8 de ces «Rules and Regulations», lequel stipule que l'inscription doit se faire dans la commune où le citoyen était inscrit lors du recensement de 1991.

Malgré tous les efforts entrepris pour assurer le bon déroulement des opérations d'inscription, il semble que les experts de l'OSCE aient rencontré des difficultés d'ordre informatique à la suite desquelles un nombre non négligeable d'électeurs ont été inscrits en tant qu'«électeurs multiples» (deux ou plusieurs inscriptions en différents endroits); s'il est vrai que certains électeurs ont effectivement été inscrits deux ou plusieurs fois, il semble que beaucoup ont été simplement victimes d'erreurs informatiques. Tous les électeurs en situation de «vote multiple» auraient dû être autorisés à voter dans le cadre d'une procédure dite «tendered ballot procedure» (autorisation de vote sous réserve de vérification ultérieure); toutefois, faute d'un matériel suffisant pour appliquer la «tendered ballot procedure», beaucoup de présidents de commissions de bureaux de vote ont cherché à dissuader les intéressés de voter, ou leur ont même refusé le droit de vote. Bien que dans aucun des bureaux de vote visités par les observateurs ces incidents n'aient été suffisamment nombreux pour affecter le résultat global, cette expérience a été vécue comme très contrariante par les électeurs concernés, surtout si l'on considère que beaucoup de ceux qui se sont heurtés à ces difficultés ont été victimes d'une double défaillance de la part des organisateurs internationaux de ces élections. Dans un nombre non négligeable de cas, des électeurs qui avaient reçu confirmation de leur inscription n'étaient pas inscrits sur des listes définitives, de sorte qu'ils se sont vus aussi obligés de voter selon la procédure du «tendered ballot». D'une manière générale, cette procédure s'est heurtée à la plus grande méfiance des intéressés, compte tenu, d'une part, du fait que le secret du vote n'était plus respecté et, d'autre part, des doutes subsistant sur le point de savoir si dans telle ou telle commission lointaine à Sarajevo les voix ainsi exprimées seraient dûment comptabilisées.

2.2.3. Les membres de la délégation du CPLRE ont regretté qu'aucune procédure n'ait été prévue qui permît aux personnes malades ou handicapées de se rendre aux urnes. Tout en comprenant les raisons de sécurité qui ont présidé à une telle option, les observateurs ont trouvé choquant qu'un certain nombre de criminels de guerre connus aient été autorisés à voter alors que des citoyens âgés, handicapés ou malades se voyaient refuser l'exercice de ce droit. Néanmoins, certains bureaux de vote ont mis en œuvre des solutions pragmatiques satisfaisantes pour les personnes handicapées.

2.2.4. Les observateurs du CPLRE tiennent à souligner que la procédure suivie pour ce scrutin et pour le dépouillement, de même que le haut niveau de dévouement et de compétence qui a caractérisé la plupart (mais pas la totalité, hélas!) des commissions de bureaux de vote et des superviseurs, sont des éléments de nature à garantir que ces élections ont été loyales et qu'aucune fraude sérieuse n'a été possible au stade du vote et du dépouillement.

2.2.5 Bien qu'ils n'aient pu recueillir des informations suffisantes au sujet de la campagne qui a précédé ces élections, certains membres des délégations ont constaté des cas de violation flagrante des règles relatives à l'utilisation des médias pendant la campagne. A Sarajevo on a pu voir, samedi soir, un spot télédiffusé pour le SDA. Il y avait là une violation flagrante des règles selon lesquelles la campagne devait prendre fin 48 heures avant le jour du scrutin. Dans d'autres localités, par exemple à Doboj, les observateurs du CPLRE ont constaté que les bureaux d'un journal local d'opposition avaient été incendiés au cours de la semaine précédant la consultation; en outre, le siège local d'un parti d'opposition avait été plastiqué le même jour. Il convient d'exprimer des réserves au sujet de cet aspect des élections, sur lequel la délégation du CPLRE n'a pas pu obtenir d'informations suffisantes.

3. La logistique et le rôle de l'OSCE

3.1 La logistique déployée par la communauté internationale pour l'organisation et l'observation de ces élections locales a été impressionnante. Ont estime qu'environ 3 500 expatriés ont été acheminés en Bosnie et Herzégovine à cet effet. D'une manière générale, la logistique a été suffisante, si l'on excepte les dérapages susvisés, liés aux opérations d'inscription et au matériel électoral afférent à la «tendered ballot procedure» (autorisation de vote sous réserve de vérification ultérieure). On a également signalé certains cas de fermeture temporaire de bureaux de vote pour cause d'erreur dans l'attribution de matériel électoral.

La logistique pour les observateurs n'a pas été entièrement satisfaisante en ce qui concerne le transport, le logement, l'information sur le contexte politique.

3.2. Le principe consistant à prévoir un superviseur international dans chaque bureau de vote rendait nécessaire la mobilisation de nombreuses personnes; les Etats membres de l'OSCE se sont acquittés de cette tâche avec diligence. Toutefois, les observateurs du CPLRE insistent sur la nécessité de bien sélectionner de tels superviseurs; en effet, dans un petit nombre de cas, certains d'entre eux se sont avérés totalement incompétents. Peut-être avaient-ils reçu une formation à domicile dans leur langue maternelle; en effet, certains avaient du mal à comprendre les instructions qui leur étaient données en anglais.

Au moment de la fermeture des bureaux de vote, la transmission du matériel électoral aux commissions électorales locales représentait un gros travail administratif; de ce fait, beaucoup de superviseurs n'ont pu surveiller efficacement la procédure du dépouillement. Il conviendrait de remédier à cet inconvénient à l'avenir, soit en réduisant les formalités administratives, soit en donnant des instructions claires au sujet de ces formalités.

3.3. D'une manière générale, l'OSCE s'est bien tirée d'affaire dans l'organisation de ces élections. Le principal problème s'est situé, semble-t-il, au niveau du processus des inscriptions Ä avec pour conséquence un nombre relativement élevé de «votes multiples» et d'électeurs dont le nom ne figurait pas sur les listes définitives; il y a eu aussi quelques rares difficultés concernant la fourniture de matériel électoral (notamment dans le contexte de la «tendered ballot procedure»).

3.4. Enfin, les observateurs du CPLRE souhaitent faire part Ä c'est une question de principe Ä de leur scepticisme quant à la capacité d'une organisation d'organiser à elle seule des élections, puis d'en observer impartialement le déroulement. En tout état de cause, le «debriefing» qui a été effectué par l'antenne locale de l'OSCE et l'observateur de longue durée à Banja Luka (auquel ont participé la majorité des membres de la délégation du CPLRE) a été catastrophique; c'est ainsi, par exemple, que des observateurs en mission de courte durée se sont vu périodiquement demander de voter sur les statistiques fournies. Les critiques visant les méthodes de l'OSCE n'ont même pas été consignées.

4. Perspectives d'une véritable autonomie locale en Bosnie et Herzégovine

4.1 Le point essentiel sur lequel la délégation du CPLRE souhaite insister, c'est que ces élections ne représentent qu'une petite étape Ä mais une étape importante Ä dans le processus de rétablissement de la démocratie en Bosnie et Herzégovine. L'utilisation des compétences locales par les organes locaux nouvellement élus, conformément aux souhaits de la population, constitue un test important du succès de la démocratie en Bosnie et Herzégovine et de la viabilité d'une solution pacifique aux tensions actuelles, de la même manière que la tenue des élections elles-mêmes.

Les observateurs du CPLRE notent que les compétences qui sont effectivement dévolues aux collectivités locales ne sont nullement négligeables. Mais il est encore trop tôt pour dire si les collectivités locales disposeront des moyens permettant de traduire ces compétences dans les faits. Les observateurs souhaitent que les organes compétents du CPLRE prennent l'engagement de suivre l'évolution de la démocratie locale et de proposer, à chaque fois que cela paraîtra utile, l'assistance et l'expertise du Congrès dans ce domaine.

4.2 L'autre point qu'il faut souligner, c'est la nécessité pour les collectivités locales nouvellement élues d'être en mesure de fonctionner de manière satisfaisante, avec la présence effective de tous les élus. Les limites qui pèsent actuellement sur la liberté de circulation en Bosnie et Herzégovine peuvent rendre cet objectif difficile à atteindre. C'est pourquoi la présence et le soutien actif des forces internationales en Bosnie et Herzégovine seront absolument nécessaires, bien au-delà de la date actuellement proposée pour leur rapatriement. S'il n'y a pas de rétablissement véritable de la liberté de circulation, toutes les procédures concernant le vote par procuration/par correspondance, le vote intercommunal, resteront autant d'illusions dangereuses, portant en germe de nouveaux conflits pour l'avenir.

4.3. Enfin, il faut espérer que le climat politique, à un stade ultérieur, permettra aux questions locales d'émerger plus clairement pour les électeurs. Les observateurs du CPLRE ont eu le sentiment que les procédures de vote actuelles tendent, à l'exception notable de la zone de Banja Luka, où les listes locales paraissent avoir tiré leur épingle du jeu Ä à encourager les gens à voter pour des partis politiques nationaux Ä pour ne pas dire nationalistes et ethniques Ä plutôt que sur la base d'un programme électoral lié à des questions qui relèvent typiquement des organes locaux.

4.4. En outre, les débats qui ont eu lieu pendant ces élections ont clairement montré la nécessité de parfaire l'éducation des citoyens de la Bosnie et Herzégovine en ce qui concerne l'organisation d'un pays qui comprend deux entités: la Fédération de Bosnie et Herzégovine et la Republika Srpska. Malheureusement, les prochaines élections législatives dans la Republika Srpska ne feront qu'accroître la confusion des citoyens à cet égard. A cela s'ajoute le fait que ce qu'on appelle la «Herzeg Bosna» continue d'exister, en dépit de la contradiction qui en résulte avec les Accords de Dayton.

4.5. Une volonté politique claire s'est exprimée en faveur d'une aide internationale de grande envergure; mais de toute évidence, les procédures ont empêché d'exploiter pleinement les ressources qui avaient été prévues par l'Union européenne. Il est vital de remédier à cette situation, si l'on veut rétablir la confiance de la population dans la démocratie et améliorer la situation économique du pays. L'aide internationale doit absolument être utilisée pleinement et renforcée afin de permettre la reconstruction et la reprise économique du pays sans quoi une paix durable ne sera pas possible.

4.6. Le CPLRE et le Conseil de l'Europe en général sont prêts à aider la démocratie locale qui vient de voir le jour en Bosnie et Herzégovine; ils sont disposés à fournir des conseils juridiques et à assurer la formation des personnes qui ont la tâche de gérer les affaires locales et, plus généralement, d'établir des contacts avec les collectivités locales d'autres pays européens. Les ambassades de la démocratie locale qui ont été établies dans certaines villes de Bosnie et Herzégovine sous l'égide du CPLRE peuvent aussi jouer un rôle important dans ce domaine. Tous les pays du Conseil de l'Europe et les pays voisins doivent intensifier leur action afin de solidifier la démocratie et la coopération des trois communautés ethniques.

4.7. Enfin, à la date du 1er novembre 1997, les résultats des élections n'ont pas encore été rendus publics ce qui de l'avis du CPLRE est vivement regrettable.