Le droit de vote individuel des femmes : une exigence démocratique - CG (9) 7 Partie II

Rapporteur: Mme Diane BUNYAN (Royaume-Uni)

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EXPOSE DES MOTIFS

INTRODUCTION

L’expression « vote familial » décrit les pratiques de vote qui privent des femmes de leur droit de vote. Le vote familial revêt trois formes : un membre de la famille de sexe masculin accompagnant dans l’isoloir une ou plusieurs femmes auxquelles il est apparenté – le vote de « groupe » ; des groupes familiaux votant ensemble publiquement – le vote « public » ; un membre de la famille de sexe masculin collecte les bulletins de vote qui appartiennent normalement à une ou plusieurs femmes de sa parenté et les coche comme il l’entend – vote par « procuration ». Ce comportement découle d’attitudes et de pratiques culturelles qui dénient aux femmes une citoyenneté entière et égale à celle des hommes. Il est facilité par le refus des personnes en charge des opérations de vote de se conformer pleinement au droit électoral.

Des rapports établis par des observateurs indépendants des processus électoraux appartenant à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE), ainsi qu’à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), indiquent que le vote familial existe dans certaines parties de l’Europe étendue, essentiellement dans certains Etats de l’ex-Union Soviétique (Annexe 1). Cette pratique a été portée à l’attention du Bureau du Conseil de l’Europe par la délégation du Congrès qui a observé les élections locales dans « l’ex-République Yougoslave de Macédoine » les 10 et 24 septembre 2000. En conséquence, la Commission de la cohésion sociale, lors de sa réunion du 23 mars 2001, a insisté sur le caractère primordial dans une démocratie du droit des femmes à un vote individuel, libre et secret, et a déclaré que le problème du vote familial, observé dans plusieurs pays de l’Europe étendue, n’était pas acceptable au regard des droits fondamentaux de la femme.

Pour la préparation de ce travail, les rapports d’observations d’élections adoptés par le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe, l’Assemblée Parlementaire et de l’OSCE au cours de ces dernières années ont été examinés pour mesurer l’ampleur du problème dans les Etats membres du Conseil de l’Europe ou les Etats candidats. Le Rapporteur souhaiterait ici remercier chaleureusement Yvonne Galligan, Directrice du Centre pour la promotion des femmes en politiques de l’Université Queen de Belfast et membre du Groupe d’experts sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie politique et publique du Conseil de l’Europe, pour son assistance essentielle à la rédaction du rapport. Le Congrès a également établi une coopération étroite avec la Division de l’Egalité1 de la Direction Générale des Droits de l’Homme, dont les conseils ont été très utiles pour une envisager une approche intégrée de cette problématique au sein du Conseil de l’Europe.

Agneta Kyller, Représentante du Congrès auprès du CDEG, a par ailleurs été auditionnée par la Commission sur l’Egalité des chances pour les femmes et les hommes de l’Assemblée Parlementaire le 7 mars 2002 à Paris, ce qui a donné lieu à un échange de vue fructueux et une réflexion sur cette question fondamentale en matière d’exercice des droits démocratiques. Des pistes de travail ont également été ébauchées dans le cadre de l’élaboration du projet intégré "Les institutions démocratiques en action" initié par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en 2001 ainsi qu’avec la Commission de Venise pour la rédaction d’un Code de bonne conduite en matière électorale.

Enfin, des contacts ont été établis notamment avec les membres du Comité Directeur de l’Egalité entre les Femmes et les Hommes (CDEG) du Conseil de l’Europe, le Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme (BIDDH / ODIHR) de l’OSCE, la Task Force Egalité du Pacte de Stabilité, le Groupement Egalité Parité Hommes-Femmes de la Commission de Liaison des ONG dotées du statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe pour le recueil d’informations et de bonnes pratiques.

La protection du droit de vote individuel est une base fondamentale de la démocratie, et il figure dans les constitutions des Etats membres du Conseil de l’Europe. Ces dispositions constitutionnelles prévoient invariablement le suffrage universel pour tous les citoyens âgés de plus de 18 ans, des élections directes et libres au parlement et aux assemblées locales, ainsi que le vote à bulletin secret. De nombreuses constitutions vont plus loin et protègent l’égalité de droits politiques, civiques, culturels et économique des femmes avec les hommes (Tableau 1). La législation et la réglementation électorale découle de ces principes fondamentaux. En outre, le droit des femmes à exercer leur droit de vote est protégé par le droit international (Article 7, CEDAW). Tous les pays étudiés ont, au minimum, adhéré à la Convention et sont légalement tenus de mettre ses dispositions en pratique. L’Article 7, garantissant les droits politiques des femmes, devient ainsi applicable entre les Etats membres.

Toutefois, les pratiques culturelles qui reflètent la domination du patriarcat sur la démocratie dans certains Etats membres ont pour effet de priver les femmes de leur droit de vote. Ce problème se pose dans les Etats dans lesquels les structures politiques démocratiques sont relativement nouvelles, à la différence des démocraties plus anciennes où le droit de vote individuel est solidement établi. Cette transgression du droit international, constitutionnel et électoral a pour conséquence le fait que de nombreuses citoyennes de sexe féminin se voient privées de leur droit de vote. Elle confirme, de manière très fondamentale, l’observation du groupe de spécialistes du Conseil de l’Europe sur l’égalité et la démocratie, selon laquelle « la valeur et la dignité égales des femmes et des hommes, bien qu’elles soient d’ores et déjà prises en compte dans la législation de la majorité des pays, ne sont toujours pas reconnues dans les faits ».2 Il en résulte un fonctionnement défectueux de la participation démocratique, et les nouvelles démocraties pluralistes voient ainsi sapée la légitimité qu’elles cherchent à construire. Ainsi que le relève la déclaration sur l’égalité entre les femmes et les hommes : La marginalisation des femmes dans la vie publique et la démocratie est un facteur structurel qui est lié à la répartition inégale du pouvoir économique et politique entre les femmes et les hommes, ainsi qu’à des attitudes stéréotypées concernant les rôles sociaux des femmes et des hommes. Ces rôles sociaux stéréotypés limitent la capacité des femmes et des hommes à réaliser leur potentiel..3

La portée du problème

A ce jour, le problème du vote familial n’a pas été pris en compte dans les documents du Conseil de l’Europe sur l’égalité des sexes en matière de décision politique. Les nombreux textes traitant de cette question prennent en compte le fait que les femmes ont mené une lutte longue et difficile pour conquérir le droit de vote, mais ils présupposent qu’une fois que les femmes ont acquis ce droit, elles sont libres de l’exercer à leur gré. Dans ces documents, les discussions sur l’égalité des sexes sont centrées sur des mesures visant à supprimer les nombreuses autres discriminations dont souffrent les femmes.

Une évaluation des rapports électoraux par des observateurs indépendants du Conseil de l’Europe et de l’OSCE révèle qu’entre 1995 et 2001, le vote familial a été identifié comme un problème récurrent dans 16 pays de l’Europe étendue (Annexe 1). La gravité du problème diffère d’un pays à l’autre, mais aussi d’élection en élection : le vote familial était rare en Pologne et en Bulgarie, et de peu d’importance en Hongrie ; au fil du temps, le vote familial a paru diminuer en Géorgie, mais il demeure une pratique largement répandue dans d’autres Etats de l’ex-Union Soviétique. Les explications du vote familial fournies aux observateurs du processus électoral étaient centrées sur les attitudes et les traditions locales, dans lesquelles il semblait normal que les hommes s’expriment et agissent pour les femmes dans les affaires publiques et politiques. Dans certains domaines, la pratique du vote familial était associée à des cultures à fondement ethnique. Dans d’autres, cette pratique a été décrite comme un phénomène post-communiste plutôt que de nature ethnique. Il ressort des rapports des observateurs, que dans la plupart des cas, les pratiques de vote familial observées l’ont été dans des communautés rurales. Dans de nombreux cas, le personnel chargé du déroulement du scrutin ne faisait guère d’efforts pour empêcher ces pratiques, même si celles-ci étaient contraires au droit électoral et constitutionnel. Certains des observateurs ont également traité la question du vote familial comme une question de moindre importance par rapport à d’autres atteintes au processus électoral.

Un premier pas vers le règlement de ce problème a été franchi avec une enquête sur la situation constitutionnelle concernant le droit de vote et l’égalité entre les femmes et les hommes dans les Etats membres où ce problème a été relevé (Annexe 2), ainsi que sur l’étendue de l’acceptation de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Un relevé des conclusions figure dans le Tableau 1 :

TABLEAU 1 : Dispositions constitutionnelles relatives à l’égalité et au droit de vote dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, et application de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard les femmes (CEDAW)

Etat membre

Constitution

CEDAW

Albanie

Art 1 : Elections libres
Art 3 : Protection des droits de l’Homme
Art. 18 : Non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe)
Art. 45 : Droit de vote, bulletin secret

A. 11.5.94

Arménie

Art 3 : Elections, bulletin secret
Art 4 : Protection des droits de l’Homme
Art. 16 : Egalité devant la loi (généralités)

A. 13.9.93

Azerbaïdjan

Art 2 : Elections, bulletin secret
Art 25 : Egalité entre les femmes et les hommes
Art 54 : Droit de participer à la vie politique
Art 55 : Droit de participer au gouvernement de l’Etat
Art 56 : Droit de vote des citoyens

A. 10.7.95

Bosnie-Herzégovine

Art 1 : Elections libres et démocratiques
Art 2 : Droits de l’Homme et non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe)

D. 1.9.1993

Bulgarie

Art 6 : Non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe)
Art 10 : Elections, bulletin secret
Art 42 : Droit de vote des citoyens

C. 8.2.82

Croatie

Art 14 : Egalité des droits (groupes désignés)
Art 45 : Droit de vote, bulletin secret

D. 9.9.92

République Tchèque

Art 6 : Règle de la majorité
Art 10 : Protection des droits de l’Homme
Art 18 : Elections, droit de vote, bulletin secret

C/D.
22.2.1993

Estonie

Art 12 : Non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe)
Art 56 : Droit de vote des citoyens
Art 57 : Age légal de vote
Art 60 : Elections parlementaires, bulletin secret
Art 156 : Elections pour les collectivités locales, bulletin secret

A. 21.10.91

Géorgie

Art 7 : Protection des droits de l’Homme (généralités)
Art 14 : Egalité devant la loi, fondements énumérés (dont le sexe)
Art 28 : Droit de vote
Art 49 : Elections parlementaires, bulletin secret

A. 26.10.94

Hongrie

Art 8 : Protection des droits de l’Homme (généralités)
Art 56 : Egalité entre les femmes et les hommes
Art 66 : Egalité entre les femmes et les hommes
Art 70 : Elections, droit de vote
Art 70A : Non-discrimination, fondements énumérés (dont le sexe) ; sanctions pour discrimination ; égalité des chances
Art 71 : Bulletin secret

C. 22.12.80

Lettonie

Art 6 : Elections parlementaires, bulletin secret
Art. 8 : Age légal de vote
Arts. 89-91 : Droits de protection (généralités)

A. 14.4.92

Lithuanie

Art 29 : Egalité, protections énumérées (dont le sexe)
Art 34 : Droit de vote des citoyens
Art 55 : Vote à bulletin secret pour le parlement national
Art 119 : Vote à bulletin secret pour les collectivités locales

A. 18.1.94

Moldova

Art 2 : Souveraineté populaire
Art 4 : Protection des droits de l’Homme
Art 16 : Egalité devant la loi, fondements énumérés (dont le sexe)
Art 38 : Bulletin secret, droit de vote

A. 1.7.94

Pologne

Art 32 : Egalité devant la loi (généralités)
Art 33 : Egalité entre les femmes et les hommes ; égalité des chances entre les femmes et les hommes, y compris en matière de fonctions
Art 62 : Droit de vote
Art 96 : Vote à bulletin secret pour les élections parlementaires
Art 97 : Vote à bulletin secret pour les élections sénatoriales
Art 169 : Vote à bulletin secret pour les collectivités locales

B. 30.7.80

Roumanie

Art 4 : Non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe)
Art 16 : Egalité devant la loi
Art 34 : Droit de vote
Art 59 : Bulletin secret
Art. 120 : Elections aux collectivités locales

B. 7.1.82

Fédération de Russie

Art 2 : Protection des droits de l’Homme
Art 19 : Egalité des droits, fondements énumérés (y compris le sexe) ; égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes
Art 32 : Droits d’élire et d’être élu aux fonctions dirigeantes
Art 81 : Vote à bulletin secret aux élections présidentielles
Art 96 : Elections à la Douma

C. 23.1.81

Slovaquie

Art 11 : Supériorité des traités internationaux dans le domaine des droits de l’Homme
Art 12 : Egalité ; garantie des droits de catégories énumérées (y compris le sexe)
Art 30 : Bulletin secret et égalité des droits en matière de vote

D. 28.5.93

Slovénie

Art 14 : Protection des droits de l’Homme, fondements énumérés (y compris le sexe)
Art 43 : Droit de vote
Art 80 : Elections parlementaires, bulletin secret

 

Ukraine

Art 3 : Garantie des droits de l’Homme
Art 21 : Egalité (généralités)
Art 24 : Non-discrimination sur des fondements énumérés (dont le sexe) ; égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes
Art 70 : Droit de vote
Art 71 : Bulletin secret

C. 12.3.81

« Ex-République Yougoslave de Macédoine »

Art 8 : Reconnaissance des droits des citoyens
Art 9 : Egalité devant la loi, fondements énumérés (y compris le sexe)
Art 22 : Droit de vote ; bulletin secret

D. 18.1.94

Pour la CEDAW : A = Accession ; B = Déclarations/réserves ; C = Réserves retirées ultérieurement ; D = Succession. Sources : www.psr.keele.ac.uk/const.htm, consulté le 2 décembre 2001 ; www.un.org/womenwatch consulté le 4 décembre 2001.

Au vu des dispositions constitutionnelles et des engagements pris en vertu de la CEDAW tels que synthétisés dans le Tableau 1, il n’existe aucun fondement légal au vote familial. Toutefois, les attitudes et les traditions locales, ainsi que la perception du rôle civique des femmes facilitent la confiscation constante du rôle des femmes dans nombre d’Etats postcommunistes.

Les explications politiques et sociales du problème du vote familial paraissent, dans une certaine mesure, fondées. En particulier, l’explication de la « démocratie incomplète » a une certaine pertinence, qui laisse penser que les pratiques de vote dans les nouvelles démocraties pluralistes ne sont pas aussi solidement établies que dans les démocraties plus anciennes, et qu’ainsi le principe fondamental, une personne, un vote, basé sur le vote individuel à bulletin secret, ne s’est pas encore pleinement traduit en pratiques électorales.

La seconde explication, proposée dans un certain nombre de cas, suggère que les femmes sont moins éduquées que les femmes, et qu’elles doivent ainsi être aidées à exprimer leur vote. Cette explication contredit une perception plus fondamentale du rôle social des femmes, qui est que les activités politiques et publiques sont le domaine réservé des hommes. L’évaluation de cette théorie nécessiterait une quantité considérable de données nationales précises, détaillées en fonction du contexte régional et ethnique, et elle sort du cadre de cette étude. Toutefois, un examen des macro-indicateurs liés au sexe des personnes semble suggérer que, de manière générale, même si les femmes sont moins privilégiées que les hommes, sur le plan économique, politique ou social, elles sont présentes sur le marché du travail et dans les mécanismes de prise de décision, et sont, de manière générale, aussi éduquées que les hommes (Tableau 2). A l’exception de la Moldova, les femmes ont acquis le droit de vote au début ou à la moitié du XXème siècle. Les femmes sont présentes en tant que décideuses dans la vie politique et économique, proposant des modèles de comportement et revendiquant un espace public. Alors que la capacité bénéficiaire des femmes est seulement comprise entre la moitié et un tiers de celle des hommes, au moins la moitié des femmes en âge de travailler exercent un emploi rémunéré. En outre, à l’exception de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine et, dans une moindre mesure, de la Roumanie, le niveau d’éducation des femmes est relativement semblable à celui des hommes.

Tableau 2 : Inégalités politiques, éducatives et économiques entre les femmes et les hommes, 2000

 

Etat membre

Droit de vote des femmes

Représentation des femmes dans les parlements

Représentation des femmes dans les parlements, dans la haute administration et parmi les cadres supérieurs (en % du total)

Population féminine active en %

Part du revenu acquise par les femmes en proportion de part du revenu acquise par les hommes

Taux d’analphabétisme des adultes

Hommes Femmes

Albanie

1920

6

-

41

-

9

23

Arménie

1921

3

-

48

-

1

3

Azerbaïdjan

1921

11

-

43

-

-

-

Bosnia and Herzegovina

1949

7

 

38

-

2

12

Bulgarie

1944

26

-

48

-

1

2

Croatie

1945

21

26

44

,55

1

3

République Tchèque

1920

16

23

47

,64

-

-

Estonie

1918

18

35

49

,63

-

-

Géorgie

1918, 1921

7

-

47

-

-

-

Hongrie

1918

8

34

45

,57

1

1

Lettonie

1918

17

39

50

,65

0

0

Lituanie

1921

11

39

48

,67

0

1

Moldova

1978,
1993

13

-

49

-

1

2

Pologne

1918

20

34

46

,61

0

0

Roumanie

1929, 1946

11

26

44

,58

1

3

Fédération de Russie

1918

8

37

49

,63

0

1

Slovaquie

1920

13

32

48

,65

-

-

Slovénia

1945

12

31

46

,61

0

0

Ukraine

1919

8

38

49

,54

0

1

« L’ex-République Yougoslave de Macédoine »

1946

7

-

42

-

-

-

Note : - signifie que les informations n’étaient pas disponibles.

Source : Indicateurs de développement humain des Nations Unies dans le Rapport mondial des Nations Unies sur le développement humain, à l’adresse suivante www.undp.org/hdr2001, consulté le 12 décembre 2001 ; base de données de l’Union interparlementaire pour les femmes au parlement, à www. ipu.org, consulté le 12 décembre 2001, statistiques de la Banque mondiale, www.gendstats.worldbank.org,

Ainsi, les indicateurs ci-dessus renforcent-ils l’impression que le vote familial constitue un problème spécifique dans certains domaines, ainsi que, le cas échéant, au sein de groupes ethniques spécifiques de l’Europe étendue, dans lesquels le profil socio-économique des femmes peut ne pas être aussi avancé que ce qui est décrit au Tableau 2. Par conséquent, toute initiative pour régler le problème doit être fondée sur des recherches propres au pays, qui identifient les racines profondes du vote familial, ainsi que les lieux géographiques et les milieux sociaux particuliers où le problème se pose.

S’attaquer au problème

Le vote familial est une question difficile et sensible. Elle requiert l’attention de diverses instances, y compris du Conseil de l’Europe, des Etats membres individuels, des organisations non-gouvernementales ayant vocation à bâtir la démocratie, et des prestataires de services de formation en matière électorale. Les difficultés liées à un contrôle indépendant des élections dans les Etats membres du Conseil de l’Europe pour faire en sorte que cette pratique disparaisse progressivement, constituent un problème dans le cadre de cette lutte. De même, dans certains cas, la problématique amène les gouvernements des Etats membres à reconnaître que le problème existe sur leur territoire. Il se peut que cela soit dû, en partie, à la réticence des autorités à admettre que les femmes sont victimes de préjugés et de stéréotypes qui les cantonnent dans une citoyenneté subordonnée, des explications toutes faites sur les « exceptions culturelles » masquant des manifestations graves de traitements injustes. Toutefois, le droit individuel des femmes à exercer leur droit de vote, librement et à bulletin secret, doit être accepté dans toutes les sociétés démocratiques, et un manquement à cet égard est une atteinte aux pratiques électorales démocratiques, ainsi qu’une amoindrissement de la légitimité démocratique des pouvoirs publics (nationaux, régionaux ou locaux). Ainsi que le précise la Plate-forme d’action de Pékin4 : Le renforcement du pouvoir et de l’autonomie des femmes et de l’amélioration de leur statut social, économique et politique, sont essentiels à la mise en place d’une administration et d’un Etat et transparents et responsables, ainsi que d’un développement durable dans tous les domaines de la vie… sans la participation active des femmes et l’intégration de la perspective féminine à tous les niveaux du processus de prise de décision, les objectifs d’égalité, de développement et de paix ne peuvent être atteints.

A la lumière de ce qui précède, les recommandations ci-après pour lutter contre les pratiques de vote familial sont soumises pour considération :

Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est bien placé pour plaider en faveur du renforcement des normes démocratiques les plus élevées dans les Etats membres, et il est en mesure de le faire grâce à toute une gamme d’initiatives conçues pour soutenir la capacité démocratique institutionnelle et individuelle.

1. En travaillant par le biais du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le Conseil de l’Europe peut encourager le jumelage des autorités locales et régionales des Etats membres, comme, entre autres, le moyen de soutenir les meilleures pratiques électorales démocratiques. Le jumelage pourrait également faciliter le rapprochement de femmes de cultures ethniques, religieuses ou autres similaires, pour leur permettre de partager leur expérience du processus électoral et de s’engager dans une action informelle de sensibilisation aux droits des femmes en tant que citoyens politiques.

2. L’Assemblée Parlementaire pourrait attirer l’attention sur le caractère inapproprié de la pratique du vote familial dans le cadre de son travail permanent sur la participation des femmes et des hommes à la vie politique et publique.

3. Travaillant en coopération avec l’Assemblée et le CPLRE, le Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CEDG) pourrait présenter au Conseil des ministres une résolution destinée à consolider, mettre en œuvre et soutenir les meilleures pratiques en matière de vote, ainsi qu’à faire appliquer le droit électoral dans le cadre du processus électoral démocratique dans les Etats membres.

4. Travaillant en coopération avec l’Assemblée et le CPLRE, le CEDG pourrait engager une recherche sur les meilleures pratiques et les stratégies effectives concernant les programmes de sensibilisation aux droits des femmes en qualité de membres du corps politique.

5. La Commission de la Cohésion sociale pourrait alerter les autres commissions statutaires compétentes du Congrès sur cette pratique et développer avec elles un programme d’action commun pour l’élimination du vote familial auquel pourraient être associés des observateurs électoraux, des organisations de promotion de la démocratie, ainsi que des organisations féminines non-gouvernementales.

6. Par des canaux appropriés (par exemple, le CPLRE), le Conseil de l’Europe pourrait apporter un soutien aux activités des organisations non-gouvernementales de promotion de la démocratie et des organisations féminines pour renforcer la sensibilisation, au plan local, aux droits des femmes en tant que membres du corps politique, y compris en ce qui concerne leur droit de vote.

7. La signification du vote familial comme processus tendant à priver les femmes de leur droit de vote et à constituer une fraude électorale devrait occuper une place plus importante dans la formation des observateurs des élections, ainsi que dans le cadre des briefings dispensés par le Conseil de l’Europe.

8. Pour donner effet à la Déclaration adoptée à l’occasion de la 4ème Conférence ministérielle européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes (Istanbul 1997), et en particulier à l’engagement de « faire en sorte que la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes fasse partie du suivi des engagements du respect, par les Etats membres, de leurs obligations démocratiques ».

9. La large diffusion des rapports du Conseil de l’Europe sur les bonnes pratiques et les stratégies pour parvenir à une représentation équilibrée entre femmes et hommes dans le processus de prise de décision politique et sociale. Ils pourraient être accompagnés de séminaires sur les droits politiques des femmes, organisés en coopération avec les ONG féminines locales et les instances en charge du développement démocratique.

10. Encourager les délégations nationales à porter le problème du vote familial devant leurs commissions parlementaires sur les droits des femmes, et à les soumettre à leurs ministres responsables du droit électoral et des droits des femmes.

11. Soumettre le problème du vote familial à l’attention des réunions européennes de suivi de la Plate-forme d’action de Pékin.

États membres

Les Etats membres sont déjà constitutionnellement et légalement engagés à maintenir les pratiques électorales démocratiques, y compris des droits de vote égaux entre les femmes et les hommes. Il faut désormais que leur attention se concentre sur la mise en œuvre de ces engagements.

1. Le droit électoral contient une clause rendant les personnes responsables du déroulement des élections légalement responsables de tout manquement à faire respecter les pratiques de vote démocratiques. Les membres de la commission électorale doivent être conscients du risque qu’ils encourent de se voir infliger une sanction grave si une fraude est découverte dans un bureau de vote dont ils ont la charge. Ces sanctions devraient être appliquées pour le vote familial, comme pour les autres atteintes au droit électoral.

2. Les personnes responsables du déroulement des élections devraient être dûment formées à la conduite d’une élection démocratique, en insistant sur l’importance du vote individuel et à bulletin secret, ainsi que sur la nécessité de faire preuve d’une tolérance zéro à l’encontre des pratiques dérogeant à ces principes.

3. Les personnes responsables du déroulement des élections devraient disposer d’un soutien adéquat en termes d’infrastructures et de personnel, pour leur permettre d’exercer leurs fonctions conformément aux meilleures pratiques démocratiques.

4. La commission électorale et les personnes responsables du déroulement des élections devraient appliquer avec rigueur les procédures démocratiques.

5. Il faut envisager de désigner des personnes responsables du déroulement des élections hors de la région, pour les zones dans lesquelles le vote familial est le plus susceptible de se produire (par exemple, dans les régions rurales).

6. Les procédures de réclamation devraient être accessibles, simples à comprendre et rapides à mettre en œuvre, comportant une procédure d’enquête efficace.

7. Des campagnes d’information publiques insistant sur l’importance du vote individuel et insistant sur le fait que le vote familial est une pratique illégale et inacceptable devraient avoir lieu avant les élections. Elles pourraient prendre la forme de formations ciblées, axées sur les droits des femmes, mais également s’inscrire dans le cadre de programmes plus larges d’éducation à la démocratie. Les femmes occupant des postes décisionnels peuvent faire figure de modèles et de championnes du droit de vote des femmes et de la participation au processus de décision démocratique.

8. Les partis politiques devraient être obligés d’élaborer des programmes de formation démocratiques, incluant des modules consacrés à l’égalité des sexes, pour pouvoir bénéficier de financements publics.

9. La constitution de groupe de femmes devrait être encouragée au sein de partis politiques, et ceux-ci devraient recevoir une aide pour lutter contre le problème du vote familial.

10. Un enseignement général sur la citoyenneté et l’égalité devrait être dispensé dans les écoles, en insistant sur l’égalité des droits des femmes avec les hommes dans les sphères politique, civique, sociale et économique. Ces programmes devraient s’efforcer de traiter des traditions locales et des pratiques et perceptions culturelles qui cantonnent les femmes et les jeunes filles à une citoyenneté subordonnée.

11. L’alphabétisation devrait être un droit fondamental pour tous, avec un accès égal à une éducation complète pour les femmes et les jeunes filles, quelle que soit leur culture ou appartenance.

12. Les autorités locales et régionales devraient promouvoir la sensibilisation à l’égalité des droits politiques et civiques des femmes et encourager les meilleures pratiques de vote, par les médias imprimés ou audio-visuels, des séminaires, ou des campagnes publiques. Ces programmes sont destinés à lutter contre les attitudes et les expressions sexistes et elles prennent comme modèle les campagnes de sensibilisation média élaborées par le Groupe d’action sur l’égalité des sexes du Pacte de stabilité.

13. Les ONG impliquées dans le développement démocratique doivent être aidées et leur action doit être facilitée par les instances nationales, locales et régionales. En particulier, elles doivent bénéficier d’une aide en matière d’éducation et d’information de la population concernant le droit de vote individuel.

14. Les bulletins de vote doivent tenir compte des besoins des électeurs (par exemple, un libellé en deux langues et les symboles partisans peuvent figurer sur les bulletins) afin de permettre aux femmes électrices de prendre des décisions individuelles en matière de vote sans recourir à l’aide d’autres personnes.

15. Les pouvoirs publics nationaux devraient élaborer une déclaration politique expliquant que les femmes disposent du droit de vote à égalité avec les hommes et prohibant toute interdiction faite aux femmes d’exprimer leur choix par le vote.

16. Les pouvoirs publics nationaux devraient encourager les recherches sur les causes et l’étendue du vote familial et, sur la base des conclusions de ces travaux, établir un programme national pour éliminer ces pratiques, avec des calendriers, des objectifs et des mécanismes de contrôle.

17. Les ONG devraient développer leurs activités en tant que groupes de pression travaillant pour l’égalité dans le processus politique, en mettant tout particulièrement l’accent sur l’égalité des droits des femmes en matière de vote.

18. Les ONG devraient initier et/ou développer des programmes d’activités et de formation visant à informer les femmes au sujet de leurs droits civils et politiques – tels que le Programme de développement de la citoyenneté des femmes actives du Groupe d’action sur l’égalité des sexes du Pacte de stabilité, qui pourrait, par exemple, servir de modèle.

19. Les ONG devraient contrôler les élections dans les collectivités locales pour évaluer l’importance de la participation des femmes au vote, et soumettre un rapport à la Commission électorale concernant les modalités de la participation féminine et la mesure dans laquelle les femmes ont été libres de faire leur choix en privé.

20. Les ONG féminines devraient être encouragées et soutenues, par tous moyens appropriés, à travailler en réseau avec des ONG ayant vocation à développer la démocratie, pour mettre en commun leur expérience, leurs connaissance et leurs stratégies pour soutenir le droit des femmes à voter.

22. Les pouvoirs publics (nationaux, régionaux et locaux) devraient, dans les régions ou le problème du vote familial se pose, apporter leur soutien à l’extension de programmes de sensibilisation à la politique du type « les femmes peuvent le faire », ainsi qu’à des programmes populaires visant à donner du pouvoir politique aux femmes élaborés dans le cadre du Groupe d’action sur l’égalité des sexes du Pacte de stabilité.

Donner aux femmes les moyens d’exercer leur rôle de citoyennes

Cette étude du vote familial montre clairement que les femmes n’ont pas les moyens d’exercer pleinement leurs droits politiques. Cette situation résulte, d’une part, du fait que les femmes se voient directement empêchées d’exercer leurs droits d’électrices et, d’autre part, du fait qu’elles n’ont pas suffisamment conscience de leurs droits civiques et politiques. Dans la présente section, nous décrirons un certain nombre de pratiques novatrices grâce auxquelles les femmes sont susceptibles de mieux connaître leurs droits civiques et politiques et d’être en mesure d’exercer leur choix démocratique dans l’urne. Elles ont été choisies de manière à illustrer toute une gamme de moyens imaginatifs propres à aviver la conscience politique des femmes et à leur donner confiance dans l’exercice de leurs droits; ajoutons que ces pratiques ne doivent pas être considérées comme les seules activités de ce type.

« l’ex-République yougoslave de Macédoine » et Turquie: travailler avec les femmes de la campagne

L’une des difficultés inhérentes au travail de sensibilisation des femmes dans les sociétés où les groupes ethniques conservent leurs pratiques traditionnelles tient au fait que les femmes ont rarement le droit de se réunir avec les «étrangers» hors de la présence des hommes avec lesquelles elles vivent au quotidien. Lorsqu’on s’est penché sur le problème du vote familial, on s’est rendu compte que ce facteur constituait souvent un obstacle majeur aux activités de base en matière de sensibilisation. Telle militante d’une ONG qui travaillait sur des questions de développement et de droits de l’homme au sein de la communauté albanaise de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » a décrit la stratégie qu’elle utilisait pour capter l’attention des femmes tout en décourageant la présence masculine. Elle s’était rendu compte qu’il y avait une question en particulier qui faisait fuir les hommes dans un débat public: cette question était celle de l’hygiène féminine. Ainsi, elle utilisait ce sujet comme moyen de réunir les femmes; après qu’il eut fait le tour des préoccupations hygiéniques, le groupe abordait d’autres aspects ayant une importance concrète pour la vie des femmes.

Cette stratégie n’était pas sans rappeler celle employée par une militante féministe dans la Turquie rurale au cours d’une campagne électorale dans les années 1990. Le Parti de la prospérité, nouveau parti proreligieux (fondé en 1983) cherchait à obtenir une assise électorale; et la femme qui dirigeait la section provinciale du parti était retournée dans son village d’origine en Turquie occidentale, près de la ville de Bursa. Là, elle demanda à une parente d’organiser une réunion de femmes pendant que les hommes étaient partis boire leur café. Des femmes des villages voisins vinrent également assister à la réunion, lors de laquelle la militante fit campagne pour son parti. Le Parti de la prospérité obtint des résultats exceptionnels dans le village et aux alentours, au grand étonnement de beaucoup de gens!5

Ces deux exemples montrent qu’il est souvent nécessaire de recourir à des stratégies imaginatives pour pouvoir entrer en contact avec la population féminine rurale, surtout lorsque ces femmes vivent dans des communautés traditionnelles. L’efficacité de ces stratégies d’accès dépend de plusieurs considérations importantes, et au premier chef de la confiance et du respect de la confidentialité au sein du groupe et entre le groupe et la militante. En second lieu, il faut que la militante ne soit pas une inconnue pour les femmes. En troisième lieu, il faut être conscient du fait qu’il ne s’agit là que d’un premier pas dans une démarche visant à approcher des femmes qui vivent dans des conditions très protégées. Il faut que la militante/l’ONG suive un plan qui donne aux femmes progressivement les moyens d’exercer leur droits politiques.

Il reste que cette stratégie, si elle s’accompagne d’une campagne publique, à l’intention des hommes comme des femmes, sur les droits des électrices, peut être un outil performant pour promouvoir l’éducation politique de femmes.

Bosnie-Herzégovine: les électrices peuvent le faire

L’idée de donner aux femmes les moyens d’exercer leurs droits d’électrices est très répandue dans le contexte du sud-est européen; et beaucoup de pays de la région ont élaboré un arsenal de stratégies autour de ce thème. Le projet bosniaque est ambitieux; il vise à accroître la participation des femmes de la campagne aux élections législatives de 2002 en Bosnie-Herzégovine; ce projet, qui se déroulera de mars à décembre, a, de l’aveu même de ses promoteurs, trois objectifs:

– accroître la participation électorale des femmes de la campagne et obtenir une diminution du nombre de bulletins nuls qu’elles déposent; également, vérifier l’inscription des femmes sur les listes électorales;

– sensibiliser les milieux ruraux au secret du vote et réduire le problème du vote familial;

– mieux faire comprendre, dans les zones rurales, la nouvelle loi électorale de Bosnie-Herzégovine.

Le projet, conçu par la « task force » Egalité femmes/hommes du Pacte de stabilité (SPGTF), se penche sur un problème bien réel, à savoir l’ignorance dans laquelle sont les femmes en ce qui concerne le processus électoral et leur nouveau rôle dans les élections démocratiques – avec, comme conséquence, la prédominance du vote familial. Cette initiative, que l’on doit à la task force "Egalité femmes/hommes» et à une coalition d’ONG féminines politiquement conscientes, entend responsabiliser des femmes appartenant à quarante communautés de Bosnie-Herzégovine. En même temps, des spécialistes étudieront, sur place, l’inscription des électrices dans les villages, tout en encourageant la tenue, dans ces villages, de réunions de sensibilisation électorale. Les femmes seront informées de la nouvelle loi électorale et recevront des informations de base sur l’emplacement de leur bureau de vote et la manière de remplir un bulletin. Dans la mesure du possible, des femmes membres du conseil municipal seront invitées à venir rencontrer leurs mandantes; de leur côté, les femmes de la campagne auront des possibilités supplémentaires de se rencontrer et de développer des interactions. Ce projet, qui requiert un haut niveau de coordination, sera dirigé par un comité national de projet de vingt membres. Le centre régional de la SPGTF à Zagreb assurera le contrôle, le suivi et l’évaluation globaux du projet. La GTF de Bosnie-Herzégovine procèdera à sa mise en œuvre par l’intermédiaire de partenaires locaux, sous la direction du comité de projet.

La méthode «Women can do it», mise au point en Norvège, est un instrument de formation de grand format destiné aux femmes politiques; mais elle rend également service pour la sensibilisation préélectorale. La démarche consiste à former quelques formatrices/militantes, lesquelles forment à leur tour d’autres formatrices et militantes; il s’agit de prendre conscience du potentiel des femmes en politique et de développer leurs capacités. Ajoutons que beaucoup des formatrices sont elles-mêmes entrées en politique; il y a là un effet secondaire qui n’était pas prévu. L’exemple de la Croatie que nous évoquons ci-dessous illustre les potentialités de cette stratégie.

Croatie: Initiatives «Women can do it»

En 1977, cinq femmes croates suivirent une formation «Women can do it» à Budapest; et de retour au pays, elles mirent en pratique leurs idées pour entreprendre la formation de femmes croates. Depuis lors, on forme chaque année davantage de formatrices, et les réunions de formation locales se sont multipliées et ont mis à contribution de petits groupes de femmes dans de nombreuses localités. Chaque formatrice se met d’accord avec une autre pour organiser jusqu’à trois réunions de formation locales dans sa région. Dans la période qui a précédé les élections locales de 2001, on a organisé, au niveau local, quelque quatre-vingt sessions de formation d’une journée, qui ont permis de donner aux participantes des connaissances de base sur l’égalité hommes/femmes et la nécessité de faire davantage de place aux femmes en politique. Beaucoup de ces initiatives de formation locales ont été soutenues par des hommes – maires et autres élus.

Parallèlement à la formation «Women can do it», d’autres activités ont été organisées. Des groupes féminins tels que B.a.B.e. et le «Center for Women’s Studies» ont organisé des séminaires et des ateliers lors desquels les femmes ont pu se familiariser avec les techniques du débat et de la prise de parole en public. Ces activités ont été confortées par une campagne publicitaire – avec des supports tels que sacs utilisés pour faire des achats, badges, affiches, dépliants et spots télévisés. Les gadgets ont été distribués par un autocar, avec orchestre à bord, qui a fait un circuit de vingt-trois villes en douze jours; la présence de l’orchestre a facilité l’impact médiatique. La conjugaison de ces efforts a porté ses fruits: les élections locales se sont traduites par une féminisation du conseil municipal, le pourcentage de femmes passant de 4 % à 20 %. Une grande proportion des élues avait suivi les sessions de formation «Women can do it».

L’avantage d’un programme comme «Women can do it» est qu'il donne aux femmes les moyens de devenir des citoyennes actives – en les encourageant à soutenir des candidatures féminines ou en les familiarisant avec les compétences indispensables pour exercer des fonctions de représentation. En même temps, ce programme accrédite chez les femmes l’idée qu’elles sont à égalité avec les hommes en ce qui concerne le droit de participer à la vie politique. A terme, ce sentiment est susceptible de diminuer la pratique du vote familial. En attendant, d’autres mesures peuvent être prises pour encourager les femmes à acquérir un sens plus aigu de leurs droits politiques.

République fédérale de Yougoslavie: Go Out and Be Active

L’année 2000 a vu le lancement de multiples actions tendant à susciter une prise de conscience chez les femmes et à les faire participer davantage aux élections, dans la perspective des scrutins de septembre et décembre 2000. Go Out and Be Active (GOBA) s'adressait aux femmes en tant que groupe spécifique et entendait leur donner les moyens de surmonter leur apathie politique. GOBA a duré cinq mois; ce mouvement a été animé par une large coalition de groupes féminins et d’autres ONG, indépendants des partis politiques. Les activités prenaient essentiellement la forme de campagnes publicitaires, avec panneaux d’affichage, autocollants, dépliants, boutons, matériel publicitaire tel que chapeaux, sacs, T-shits, «jingles»; il y avait aussi des communiqués de presse et un site web. Des actions directes, concentrées dans les grandes villes, ont eu, de par leur caractère très imaginatif, un impact médiatique considérable. C’est ainsi qu’on a mis du linge à sécher sur la place principale de Belgrade, avec des affiches et des dépliants provenant de tous les groupes féminins participants. D’autres «happenings» de ce genre ont été organisés dans d’autres villes, et l’on a vu fleurir les affiches dès l’annonce des élections. A la suite de ces efforts, la participation féminine a augmenté jusqu’à égaler la participation masculine.

ANNEXE 1

Informations sur le vote familial tel qu'il a été observé par l'Assemblée parlementaire, le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe et l'OSCE au cours d'élections récentes

Albanie

Arménie

Azerbaïdjan

Bosnie Herzegovine

22. Les circonstances particulières de ces élections ont exigé des procédures électorales extrêmement complexes notamment pour le vote par correspondance et par scrutin « soumissionné ». Il convient de trouver avant les prochaines élections des solutions efficaces pour simplifier ces procédures et leur donner une plus grande transparence, mais aussi pour mieux planifier et anticiper les difficultés. Le secret des bulletins « soumissionnés » est une préoccupation légitime. Les règles concernant le vote familial doivent également être mieux définies.

Bulgarie

Assemblée parlementaire, doc. 9134, 25 juin 2001

Croatie

Estonie

Géorgie

Il est à souligner que certains observateurs n'ont pas constaté ce genre de pratique et qu'un grand nombre de scrutateurs et d'observateurs locaux faisaient preuve d'une vigilance toute particulière à cet égard.

Hongrie

Lettonie

41. Les observateurs ont relevé très peu d'irrégularités. Il conviendrait peut-être de mentionner qu'un grand nombre d'électeurs n'entraient pas dans les isoloirs; il est à noter toutefois qu'il n'y en avait pas assez dans certains des bureaux de vote où la participation était inattendue, vu l'impossibilité de prévoir le nombre d'électeurs du fait que ces derniers pouvaient voter dans n'importe quel bureau de vote. Il y avait également de nombreux cas de « vote familial ».

Lituanie

„L’ex-République yougoslave de Macédoine“

Si l'on peut admettre que cette pratique peut être comprise dans des cas où cela peut apparaître nécessaire (difficultés de visoin, handicaps, etc.), la délégation ne peut accepter qu'une personne détermine le vote de l'ensemble de sa famille. Certaines équipes d'observateurs ont également été le témoin d'opérations de bourrage des urnes lorsqu'une personne se présentait en possession de plusieurs cartes d'électeur et opérait un vote multiple. Dans ces mêmes bureaux de vote, la délégation du Congrès a constaté des taux de participation record (de l'ordre de 95%) et un véritable plébiscite pour l'un des candidats.

Si la possibilité d'une explication liée à la culture n'est pas à exclure, il y a lieu de souligner également que les bulletins de vote étaient uniquement rédigés en macédonien (écriture cyrillique), langue que beaucoup d'Albanais de Macédoine ne parlent ni n'écrivent. Un grand nombre de femmes sont analphabètes et ne parlent que l'albanais. Elles étaient donc dans l'impossibilité d'exercer comme il se doit leur droit de vote.

Moldova

· forme des bulletins de vote;
· procédure pour tamponner les bulletins de vote;
· intransigeance des membres des bureaux de vote lorsqu'il fallait décider si le bulletin était valide ou non;
· formation des observateurs présents dans les bureaux de vote;
· présence de personnes non autorisées pendant le dépouillement;
· pratique du vote familial.

Pologne

Roumanie

Fédération de Russie

45. Néanmoins, dans les quelque 100 bureaux de vote visités le jour du scrutin par les membres de la commission ad hoc, ceux-ci ont relevé un certain nombre d'irrégularités qui mériteraient d'être analysées par les autorités compétentes:

Slovaquie

Ukraine

République yougoslave de Macédoine

Assemblée parlementaire, doc. 8934, 22 janvier 2001

 

1 http://www.humanrights.coe.int/equality/DefaultFrench.htm

2 EG (97) 1, p. 4

3 Déclaration sur l’égalité entre les femmes et les hommes comme critère fondamental de la démocratie (Istanbul 1997)

4 Plate-forme d’action des Nations Unies et Déclaration de Pékin (1996), p. 109.

5 Nous sommes redevables de cette information au professeur Yesim Arat, membre du groupe de spécialistes sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décisions dans la vie politique et publique.