La responsabilité citoyenne et la participation a la vie publique - CG (7) 8 Partie II

Rapporteur: Martin HAAS (Suisse)

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EXPOSE DES MOTIFS

INTRODUCTION

1. En 1997, l’association d’anciens chefs d’Etat Inter Action Council a publié un projet de déclaration universelle des devoirs de l’homme. Ses membres ont fait, entre autres, les observations suivantes:

«La mondialisation de l’économie s’accompagne de problèmes mondiaux et les problèmes mondiaux exigent des solutions mondiales s'appuyant sur des idées, des valeurs et des principes respectés par toutes les cultures et toutes les sociétés. La reconnaissance des droits égaux et inaliénables de tous les êtres humains nécessite la préservation de la liberté, de l’équité et de la paix — mais elle suppose aussi que les droits et les responsabilités aient la même importance, de manière à constituer une éthique qui permettrait à tous les hommes et à toutes les femmes de vivre ensemble en paix et de développer leurs aptitudes personnelles. Un meilleur ordre social, aux niveaux national et international, ne saurait être instauré seulement par des lois, des règlements et des conventions, mais exige aussi une éthique mondiale. L'espoir de progrès ne pourra se concrétiser que sur la base de valeurs et de principes reconnus et respectés à tout moment par tous les hommes et toutes les institutions.»

Ces constatations prennent toute leur signification et leur pertinence si l'on considère les problèmes immenses auxquels se trouvent confrontés les Etats, les économies et les sociétés au XXIe siècle: réchauffement du climat mondial, croissance démographique, mouvements migratoires, inégalités grandissantes, en termes de bien-être et d’éducation, entre les pays et dans les pays. La mondialisation de l’économie et les nouvelles technologies de l’information créent une nouvelle situation. Tous les Etats sont des concurrents dans la course mondiale aux emplois.

2. La transformation de la structure économique, technologique, sociale et culturelle mondiale est amplifiée dans les villes, où la cohabitation d’individus aux cultures, traditions et modes de pensée différents est une réalité. Les villes décident de l’utilisation de leur territoire, de l’approvisionnement de leurs habitants en énergie et eau potable, du parc de logements, de la diversité culturelle, de la mise en place et de l’entretien d'infrastructures de transports individuels et collectifs, du traitement des déchets et des eaux usées, etc. Déjà à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui s’est tenue en 1992 à Rio de Janeiro, les communes ont été reconnues et désignées comme des acteurs importants de l'évolution mondiale. Ce fut le point de départ d’une attention et d'une place croissantes accordées au niveau international aux politiques locales, comme en témoigne par exemple la présentation d'approches et d’actions communales modèles à la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II), qui s’est tenue à Istanbul en juin 1996. Il est aujourd’hui reconnu que la protection de l’environnement ne peut se faire qu’avec les citoyens, ce qui suppose non seulement leur consentement, mais aussi leur participation active, condition nécessaire si l'on veut que soit mise en avant l'importance de leur rôle, et leur reconnaissance sous forme de société civile. Le rôle des villes comme modèle de ce qui peut être fait au niveau local et comme élément régulateur face à des conditions de plus en plus complexes et à des mécanismes économiques de plus en plus puissants, demande à être consolidé par des mesures constitutionnelles et financières, conformément aux principes de la Charte européenne de l’autonomie locale.

3. D'autre part, les villes doivent lutter pour préserver la vitalité de leur autonomie. On déplore, de plus en plus souvent, depuis quelques années, la perte des valeurs qui conduirait à la désintégration de notre société et en ferait une société dominée par l’égocentrisme, l'individualisme et l'esprit de compétition, les citoyens attendant tout des pouvoirs publics. Le sens du politique, le souci de l’intérêt général et la conscience du devoir ont de moins en moins de signification pour les nouvelles générations.

Les démocraties libérales reposent sur le principe de la responsabilité de l’Etat. Elles n'attribuent qu'une place mineure à la responsabilité des citoyens dans les affaires publiques et mettent l'accent sur les droits fondamentaux. Mais l'existence normative de libertés individuelles en tant que telles ne débouche pas automatiquement sur l’intérêt collectif, et ne garantit pas qu’il sera atteint. La protection de la propriété n’apporte pas, à elle seule, le bien-être général, pas plus que la liberté de la presse ne fait la qualité des journaux. Dans la mesure où l’intérêt collectif dépend de l’exercice des libertés individuelles et des droits civiques, il est le produit de la subjectivité des titulaires de ces droits, et par conséquent de l'arbitraire, de capacités, de besoins, de préférences et d'actes individuels. Les citoyens peuvent faire de leurs intérêts l'étalon de l'usage des droits fondamentaux, et mettre leurs libertés fondamentales au service de leur épanouissement personnel. Le principe démocratique selon lequel les individus façonnent eux-mêmes leur avenir par des décisions collectives, qui doivent toujours être prises dans la plus grande liberté, repose sur certaines attentes auxquelles sont censés répondre les citoyens. Ainsi, chaque membre de la collectivité a la possibilité, mais aussi l'obligation, de participer librement aux décisions collectives. Les villes ont donc besoin d’une culture politique reliant les droits et les devoirs du citoyen, et permettant un consensus minimal entre les vertus civiques et les revendications individuelles.

C’est pourquoi sont évoqués, dans la première partie de la résolution, des devoirs de nature éthique et morale, auxquels fait référence le préambule. En soulignant que l’ordre juridique fondé sur les droits de l’homme et du citoyen, et l’exercice des devoirs qui en découlent, sont des conditions nécessaires mais non suffisantes de la réussite de la vie en commun, on vise à écarter le malentendu selon lequel un catalogue des devoirs éthiques restreindrait ou limiterait la possibilité de faire valoir ces droits.

Les discussions qui auront lieu au sein des conseils, des partis, des écoles, des associations et des établissements de formation continue sur les devoirs éthiques et moraux exposés ici, et leur acceptation seront le fondement d’une société citoyenne qui conciliera épanouissement personnel et souci de l'intérêt général et créera une «culture de ville» qui réalisera un équilibre social entre les attentes personnelles d’une part, et une responsabilité individuelle, un sens civique et une solidarité accrus d’autre part.

4. Les villes, de leur côté, sont appelées à examiner les conditions générales d'un engagement citoyen, et à l’attendre, le cas échéant, avec l'aide des groupements dont elles font partie.

Les communes sont la base de l’organisation de l’Etat démocratique. Le droit des citoyens de participer aux affaires publiques est l’un des principes démocratiques communs à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe (préambule de la Charte européenne de l’autonomie locale).

L’autonomie des communes est l’expression de la décentralisation et de la subsidiarité. Selon le principe de subsidiarité, c'est toujours à l'instance la plus proche des citoyens qu'il appartient en priorité d'agir, dans la mesure où elle dispose de moyens suffisants et l’Etat ou la commune sont censés créer les conditions nécessaires pour que les petites entités puissent agir prioritairement. Cela signifie que les initiatives des citoyens doivent être soutenues. La participation des citoyens à la vie politique est dans une large mesure formalisée, mais cela ne signifie pas qu'elle doive se résumer à des actes électoraux formels. D’autres moyens peuvent et doivent être donnés aux citoyens pour influer sur l'élaboration de la politique. Dans chaque commune, l’information et la transparence sont indispensables pour intéresser à la politique, permettre de prendre des décisions, et instaurer un climat de confiance. C'est à chaque Etat membre qu'il revient de décider en fonction de ses traditions, s'il y a lieu de consacrer par la loi, et dans ce cas jusqu'à quel point, l'extension de formes de démocratie directe ou la création de nouveaux organes consultatifs. Les exemples donnés dans la résolution sous le point II reflètent les différentes formules qui sont actuellement appliquées en totalité ou en partie, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

De plus en plus souvent, les tâches des communes sont confiées, intégralement ou partiellement, à des associations privées, par exemple dans le domaine social (garde d’enfants, gestion de crèches ou de jardins d’enfants), sportif ou culturel (location d’installations récréatives, de salles d’exposition et de salles municipales; nettoyage des rues; déneigement des routes; obligation pour les bénéficiaires de l’aide sociale aptes au travail d’accomplir des tâches d’utilité publique). Certaines des initiatives de ce type connaissent un vif succès. Les communes doivent toutefois veiller à la continuité des services et au maintien d'un niveau de qualité satisfaisant.

La question de savoir par quelles incitations nouvelles les collectivités locales pourraient mobiliser le potentiel latent d’engagement bénévole, est aujourd’hui largement débattue par les experts.

Il est essentiel de se rendre compte à cet égard que l’engagement bénévole naît souvent de la prise de conscience: qu'il ne suffit pas, dans une société libérale de citoyens engagés, d'appeler l’Etat à l’aide pour résoudre tous les problèmes dans tous les domaines. Diverses analyses des observations faites au cours des dernières décennies ont mis en évidence l'évolution des valeurs qui motivaient l'engagement bénévole. Si le sentiment du devoir était autrefois décisif, ce sont aujourd'hui la satisfaction et l’épanouissement personnels que procurent les activités bénévoles qui l'emportent. Pour beaucoup, la prise en compte des capacités et des inclinations personnelles est souvent le principal critère.

Il faut donc, pour promouvoir l’engagement social, avoir une palette de propositions correspondant aux diverses motivations ou permettant un engagement pour une durée limitée. Il s'agit donc de créer les conditions requises par un travail de relations publiques, une publicité ciblée, la mise en place d’une infrastructure, et des offres de conseil et de coordination.

Il est important de mettre à profit les connaissances et l’engagement des citoyennes et des citoyens, qui sont directement concernés par les décisions politiques et administratives, si l'on veut parvenir à des solutions adéquates et proches de la population. Il faut par conséquent développer une culture du dialogue entre les instances politiques et administratives d’une part, et les citoyens, les groupes de la société, les associations, les représentants des entreprises et d’autres acteurs de la société civile, d’autre part.

Cette approche participative est devenue une tendance dominante au niveau mondial. Elle est encouragée aussi bien par les Nations Unies que par les associations internationales de communes.