Le rôle des médiateurs/ombudsmen dans la défense des droits des citoyens - CG (6) 9 Partie II

Rapporteur: M. Martin HAAS (Suisse)

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EXPOSE DES MOTIFS

1. L'initiative du Congrès, visant à examiner le rôle des médiateurs/ombudsmen locaux et régionaux, a eu son origine en l'observation de la complexité croissante des relations pouvoirs publics/citoyens. Aujourd'hui, l'Etat est de plus en plus un fournisseur d'une large gamme de services. Les organes administratifs se sont accrus en nombre et en puissance, ils ont élargi leurs domaines d’activité et doivent désormais soumettre leurs actes à un système parfois complexe de dispositions juridiques. En conséquence, on remarque parfois chez le citoyen un sentiment d’impuissance sinon de méfiance vis-à-vis de la machine bureaucratique.

2. Pour faire face à ce sentiment, très répandu dans certains Etats, et améliorer l'administration publique, plusieurs états, régions, villes ont expérimenté la mise en place de bureaux de médiateurs. Le Congrès a donc estimé opportun d'entamer une réflexion sur les possibilités de rapprochement des citoyens aux pouvoirs publics par le biais de cette institution.

3. A cette fin, les 13-15 novembre 1997, le Congrès avait organisé à Messine (Italie) une conférence internationale réunissant des médiateurs locaux et régionaux des pays membres du Conseil de l'Europe. Compte tenu du souhait manifesté par les participants à cette conférence, le Congrès a estimé nécessaire de lancer une étude sur la fonction de médiateur. L'étude, dans une approche comparée, a analysé les différentes solutions de médiation adoptées par les médiateurs locaux et régionaux en Europe.

4. Cette analyse à abouti à considérer comme positive l'institution du médiateur et par conséquent à proposer son renforcement là où elle existe ou son introduction dans les pays ne disposant pas encore de cette forme de protection du citoyen. Les projets de recommandation, de résolution et le présent rapport visent donc à contribuer à la réalisation de ces objectifs, en facilitant la tâche des autorités locales et régionales souhaitant mettre en place des bureaux de médiation. Ainsi, le projet de Résolution, soumis au vote du Congrès, prévoit en son annexe des Principes régissant l'institution du médiateur aux niveaux local et régional pouvant offrir aux utilisateurs potentiels (autorités locales et régionales qui souhaitent introduire cette institution à leur niveau) la possibilité de choisir les solutions les mieux adaptées aux réalités et aux buts poursuivis.

5. Lors de sa réunion du 22 février 1999, le Groupe de travail a examiné le contenu de la Recommandation et de la Résolution. Les observations formulées par les membres du groupe ont été reprises dans les versions amendées de ces deux textes qui ont été transmis par la suite, pour accord définitif et unanime, aux membres du groupe de travail.

6. Pour cette activité, le Groupe de travail a bénéficié des contributions des experts Claudio Zanghi', Président de l'INTERCENTER, qui a également été à l'origine de la Conférence de Messine et Giorgio De Sabbata, Médiateur de la Région des Marches et ancien Membre du Congrès. Nous tenons à les remercier pour le travail accompli et pour l'excellente qualité des conclusions tirées de la recherche sur les différentes formes de médiation existant auprès des autorités locales et régionales européennes.

7. Bien que le recours au médiateur ne soit pas un véritable recours au sens juridique et formel, il faut le considérer en fait comme une voie d’action réelle à laquelle le citoyen peut accéder facilement, parfois à peu de frais ou sans frais. Les avis émis par les médiateurs peuvent constituer un facteur déterminant dans l’évolution des principes et des règles qui régissent les actes de l’administration et la conduite des fonctionnaires.

8. Nous avons constaté l'existence de défauts, et parfois d'omissions des services administratifs, (c'est-à-dire de la mauvaise administration), qui cependant n’atteignent pas le degré d’une action « illicite » et contre lesquels on ne peut pas toujours envisager une action juridictionnelle. C'est dans ce contexte que nous avons considéré l'action du médiateur .

9. D'ailleurs, les formes usuelles de contrôle judiciaire ne permettent pas toujours de réagir avec l’efficacité et la rapidité nécessaires. Ainsi, se fait jour une demande croissante de contrôles qui soient à la fois rapides, souples, simples et moins onéreux. Or, la fonction du médiateur, telle qu'elle ressort de l'analyse du groupe de travail, met l'accent sur des procédures simples et peu coûteuses, sur la rapidité par laquelle les recommandations tendant à l’adoption de mesures correctives sont formulées et sur la compétence technique et l'impartialité des médiateurs.

10. Partant de l’hypothèse qu’il y a un rapport direct entre l’administration publique et le médiateur, nous pouvons mieux comprendre pourquoi l’institution du médiateur a été établie à différents niveaux : niveaux européen, national, régional et local.

11. Surtout au niveau des autorités locales et régionales il y a une exigence d’établir un médiateur. Nous savons que dans certains pays, le degré d’autonomie locale ou régionale est très poussé; l’Etat central n’a pas le droit de s’occuper de certaines matières qui ressortent de la compétence exclusive des autonomies régionales ou communales. Si tel est le cas, l’existence d’un seul médiateur national ne couvre pas les relations entre l’individu et la commune, l’individu et la province, l’individu et la région, etc. Dans cette hypothèse, sauf dérogation explicite, l’Etat national, et, par conséquent, le médiateur national, n’aurait pas la possibilité juridique de s’occuper des problèmes de mauvaise administration au niveau des administrations territoriales. Par conséquent, la nécessité d'instituer des médiateurs aux niveaux local et régional est aussi fonction du degré d’autonomie existant dans un pays ou dans un autre.
12. A cet égard, il faut souligner que dans cette dernière moitié du siècle, on a assisté à une évolution importante de la structure de l’Etat moderne. Plusieurs Etats, qui étaient à l’origine fortement centralisés et unifiés, se présentent maintenant comme fortement décentralisés, souvent sur la base d'autonomies non seulement administratives mais aussi législatives avec des corps électoraux élus.

13. Le groupe de travail du CPLRE s'est basé sur l'analyses des caractéristiques de la fonction de médiateur telle qu'elle a été observée dans les pays membres du Conseil de l'Europe. Parmi les 22 pays qui ont institué un médiateur national, il y en a 6 qui ont institué d’autres médiateurs au niveau local/régional (Autriche, Belgique, Espagne, Pays Bas, Royaume-Uni et Suisse) et un pays - l’Italie - qui n’a pas encore de médiateur national, mais qui par contre, en a plusieurs aux niveaux local et régional. D’autres pays ont institué un médiateur, toujours au niveau local, mais avec une compétence bien limitée selon la matière. Par exemple : pour la santé et les télécommunications, en Finlande; pour l’environnement et les télécommunications, au Portugal. Il y a enfin d’autres pays qui, ayant déjà un médiateur national, lui ont conféré les pouvoirs nécessaires pour agir également au niveau local (Chypre, Danemark, Islande, Lituanie).

14. Il est utile de souligner que le mot "médiateur", employé dans les projets de recommandation et de résolution est entendu dans un sens large. En effet l'appellation des institutions de défense civique varie d’un pays à l’autre selon les traditions nationales: Procureur du Peuple (en Autriche), Protecteur de justice (au Portugal), Protecteur des droits des citoyens (en Slovénie), Commissaire aux droits des citoyens (en Pologne), Commissaire parlementaire de l’administration (au Royaume-Uni), Médiateur (en France), Médiateur communal (en Belgique), Défenseur civique (en Italie), Défenseur du Peuple (en Espagne), Sìndic de Greuges (en Catalogne), Justicia mayor (en Aragone), Ararteko (aux Pays basques), Valedor do Pobo (en Galice), Diputado del Comun ( aux Canaries), Procurador del Comun (en Castilla et Léon).

15. Les réflexions menées au sein du Groupe de travail du CPLRE nous ont donc finalement suggéré que l’établissement d’un médiateur se justifie à tous les niveaux des collectivités de l’Etat dans lesquelles des compétences administratives autonomes, qui peuvent toucher aux droits et intérêts des individus, subsistent.

16. En général, l'institution du médiateur, telle que nous l'avons considérée, a été conçue dans le but d'améliorer les décisions, les actes, les comportements de l'administration (nationale, régionale, locale) afin d’empêcher, si possible, ou de réduire, les préjudices aux droits et intérêts des citoyens. Or, compte tenu des différentes situations, la définition des fonctions du médiateur et la délimitation de ses compétences n’est pas toujours facile. Néanmoins, sur la base des résultats de l'étude, nous avons énoncé dans les Principes annexés au projet de Résolution les fonctions du médiateur qui ont été retenues comme essentielles par les experts consultants et par les membres du groupe de travail.

17. Tout d'abord, il est utile d'évoquer l'activité menée par le médiateur à l'encontre de la mauvaise administration. Il faut intégrer dans ce concept, les retards, les irrégularités, la négligence, les comportements non justifiés, le manque d'impartialité, de transparence, d'efficacité, de rectitude, etc.

18. Il est également utile de rappeler la nature de la fonction générale de médiation. Alors que l’autorité judiciaire doit trancher, le médiateur doit rechercher une solution qui a pour objectif la protection du droit, de l’intérêt, de la situation spécifique de l’individu. Pour atteindre cet objectif, dans certains cas, il convient d'explorer les voies possibles de la médiation, du compromis, des bons offices, plutôt que l'application rigoureuse de la règle de droit, typique de l’action judiciaire.

19. Il est très important de souligner que ce sont le dialogue, la médiation, la recherche de la meilleure solution possible qui caractérisent les fonctions des médiateurs locaux et régionaux. Eux peuvent d'ailleurs disposer d'une connaissance directe des personnes. La confiance réciproque, qui peut s’établir, facilite alors le rôle du médiateur et lui donne davantage de résultats.

20. De plus, les médiateurs exercent une fonction de conseil pour les citoyens: avant d’entamer une action quelconque, tant au niveau judiciaire qu'au niveau administratif ou autre, le citoyen doit être en mesure de connaître ses propres droits ainsi que les moyens d’actions dont il dispose.

21. En effet, le médiateur, étant mis en condition de connaître les cas de mauvaise administration, est bien placé pour lutter non seulement contre les effets de cette mauvaise administration mais parfois contre les causes de celle-ci. Cette connaissance et l’expérience acquise en la matière, lui permettent fréquemment de suggérer les remèdes appropriés pour éviter que les situations négatives se reproduisent. Ses suggestions, exhortations et propositions peuvent être adressées aux autorités territoriales lorsqu'il s’agit d’un problème d’organisation et de fonctionnement des bureaux, de procédure ou d’interprétation des textes applicables. Les mêmes actions peuvent être destinées aux organes législatifs lorsqu’il s’agit, par exemple, de suggérer la modification des dispositions législatives.

22. En ce qui concerne les "moyens d’action du médiateur", le groupe de travail a estimé que l'action des médiateurs dépasse les schémas traditionnels de répression des illégalités et d’engagement d’actions disciplinaires. L’activité du médiateur s’exerce essentiellement par des incitations à bien administrer, en suggérant tout comportement susceptible d’améliorer la rectitude, l’efficacité, le rendement et la pleine mise en œuvre des droits des citoyens. Nous avons considéré le médiateur comme un instrument moderne d’aide au fonctionnement correct des pouvoirs publics. Si on devait le prendre pour un organe supplémentaire de contrôle, le médiateur ne ferait qu'ajouter aux structures traditionnelles qui ont montré leurs limites, alors qu'il a pour mission essentielle de les compléter en les dépassant.

23. Il est vrai que l’enquête menée par le Congrès a montré que certains médiateurs regrettent l’insuffisance de leurs pouvoirs d’intervention effective: un organe doté d’armes émoussées, telles que la recommandation, la sollicitation ou l’exhortation, peut finir par être ignoré. Cependant, le caractère non obligatoire des initiatives ou des actes des médiateurs, ne constitue pas un désavantage ou un inconvénient. En effet, si les pouvoirs du médiateur étaient vraiment pointus et par conséquent soumis à des procédures rigides, cette institution deviendrait rapidement une nouvelle instance hiérarchique en perdant ainsi toute la flexibilité qui au contraire doit la caractériser. Si on permettait à un médiateur de trancher un litige, il exercerait à ce moment là, les fonctions d’un juge. Nous estimons que le médiateur doit être plus souple et jouir de plus de liberté qu’un juge.

24. Nous formulons l'espoir que les principes énoncés puissent constituer une base de travail adéquate pour les autorités locales et régionales qui souhaitent introduire cette institution dans leurs territoires respectifs. Par ailleurs, nous exprimons le vœu que le travail accompli puisse devenir un moyen de soutien et de diffusion d'une institution qui peut contribuer à mieux satisfaire les attentes des citoyens.