Rapport sur la situation de la démocratie locale et régionale en Lettonie - CG (5) 5 Partie II

Rapporteurs: Leon KIERES (Pologne) et Markku POHJOLA (Finlande)

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EXPOSE DES MOTIFS

I. LE CONTEXTE GENERAL

La République de Lettonie a une superficie de 64 000 km². En 1997, la population était de 2 456 000 habitants dont la répartition géographique traduit une large concentration à Riga, la capitale, et son agglomération (900 000 habitants environ).

La Lettonie est une société multiethnique qui a connu une forte évolution depuis la fin de la second guerre mondiale. En 1997, les chiffres officiels donnent 56,7% de lettons de souche. Les russes représentent le second group ethnique avec 30,2% de la population. Viennent ensuite les biélorusses, ukrainiens, polonais et lituaniens. Il est à noter que la minorité russophone est majoritaire dans six villes du pays.

Cette situation est l'héritage de l'annexion de la Lettonie par l'Union soviétique en 1940 et, après la fin de la seconde guerre mondiale, la Lettonie devint un pays d'immigration où ouvriers et soldats russes vinrent s'établir. Quelques chiffres traduisent cette évolution: en 1935, les lettons de souche représentaient 75,5% de la population, en 1959, 62%, en 1979, 53,7% et, au moment de l'indépendance en 1990, 52% de la population totale.

La Constitution de la République de Lettonie, Satversme, a été adoptée en 1922 et restaurée dans son intégralité en 1993 après la proclamation de l'indépendance. Elle est d'une rédaction courte et jouit d'une force symbolique déterminante. Le texte suprême stipule que la Lettonie est une république démocratique caractérisée par un régime parlementaire classique: le Parlement (Saeima) élit le Président de la République et le Chef du Gouvernement est responsable devant lui.

Depuis l'indépendance, la vie politique intérieure est marquée par la fragilité des coalitions et l'instabilité gouvernementale due à la fragmentation des forces politiques.

La mise en place de pouvoirs locaux autonomes a été un thème majeur des premières années de la transition. Jusqu'en 1995, un Ministère de la Réforme de l'Etat a eu la charge exclusive d'élaborer et de mettre en pratique le dispositif de base de la décentralisation.

Toutefois, il faut signaler que les réformes et l'organisation territoriale actuelle s'appuient sur le précédent des lois relatives aux autorités locales de 1922 et 1926, soit la première période d'indépendance. La Lettonie était alors divisée en 19 comptés, 519 communes rurales et 60 villes dont Riga.

Sur le plan économique et culturel, la richesse et le dynamisme se concentrent sur Riga, son agglomération et Ventspils. Fort taux de chômage en zone rurale notamment, faiblesse des salaires, agriculture et industrie en pleine restructuration caractérisent la situation économique. A ce titre, la région orientale adossée à la Bélarus, la latgale, semble la plus démunie.

II. LES FONDEMENTS JURIDIQUES ET LES METHODES APPLIQUEES EN VUE DE LA PREPARATION DU RAPPORT

Sur la base de la Résolution 58 (1997) du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe du Conseil de l'Europe (CPLRE) visant à établir un rapport sur la situation de la démocratie locale et régionale dans six pays membres de l'organisation, une délégation du CPLRE s'est rendue à deux reprises en Lettonie, du 8 au 11 décembre 1997 puis du 1er au 2 mars 1998.

Lors du premier séjour, cette délégation était composée de M. Markku POHJOLA (Finlande), rapporteur pour les aspects locaux, M. Leon KIERES (Pologne), rapporteur pour les aspects régionaux, M. Michael O'BRIEN (Irlande), membre du Bureau, M. Michel RIVOLLIER, expert et un représentant du Secrétariat du Conseil de l'Europe. M. O'Brien, empêché, n'a pas pu participer à la deuxième rencontre. Il a été remplacé par M. CONNOR-SCARTEEN (Irlande).

Durant ces séjours, la délégation du CPLRE a rencontré les représentants des différents organismes: M. KAKSITIS, Vice-Premier Ministre, M. KALVINS, Président de la Commission parlementaire sur l'administration d'Etat et d'Autonomie Locale, M. BUNKSS, membre de cette commission et ancien secrétaire d'Etat du Ministère de la Réforme de l'Etat, M. ZUNDA, Ministre d'Etat chargé des collectivités locales, Mme KRUMINA, Conseiller du Cabinet du Ministre pour les Affaires Locales, des représentants du Ministère du Développement Régional, du Ministère des Finances et du Bureau de l'Auditeur Général ainsi que le Président de l'Association lettone des pouvoirs locaux et un certain nombre d'élus locaux et régionaux. Les autorités lettones ont saisi l'occasion de discuter l'avant-projet de ce rapport, ce qui leur a permis de réagir de façon plus appropriée pendant les discussions avec la délégation du CPLRE. En particulier, M. Zunda a formulé des observations écrites à l'avant-projet susmentionné.

III. LES PRINCIPAUX POINTS DISCUTES

1. La reconnaissance constitutionnelle et légale de l'autonomie locale

1.1 L'article 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale stipule que "le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution". Dans le cadre des activités du Conseil de l'Europe, le problème de la reconnaissance constitutionnelle de l'autonomie locale avait été mis en évidence dans un rapport de mission de février 1995. Le débat demeure. Actuellement, la Constitution adoptée par la Lettonie indépendante en 1922 et reprise dans son intégralité en 1993 ne comprend qu'une référence indirecte à la notion d'"autorités locales". L'article 25 du texte traite des relations que celles-ci entretiennent avec les Commissions parlementaires lors de leurs travaux. La mention explicite du concept d'autonomie locale dans la Constitution en complément de la loi semble admise par tous les interlocuteurs rencontrés mais se heurte à différents obstacles.

1.1.1 Les facteurs favorables

Les partisans de la reconnaissance constitutionnelle considèrent que le vote récent d'amendements constitutionnels par le Parlement letton constitue un moment propice pour l'adoption d'une disposition sur les autorités locales. Des propositions en ce sens restées sans suite existent depuis 1994 / 1995. Actuellement nous sommes en présence de trois projets d'amendements constitutionnels :

- le premier, inspiré par l'Association lettone des Pouvoirs Locaux, reprend tous les acquis en matière de décentralisation pour les intégrer au texte suprême sous la forme d'une section élaborée ;

- les deux autres, plus récents, émanent de la Commission parlementaire de l'Administration d'Etat et de l'autonomie locale. Ces textes proposent l'insertion d'une section 8 consacrée à l'autonomie locale. La version la plus récente en date de février 1996 comporte une rédaction plus dense avec un article 89 relatif à une "autorité locale élue, au système électoral et à ses compétences relevant du domaine de la loi, complété par un article 90 reconnaissant un "budget indépendant".

1.1.2 Les obstacles

Les obstacles politiques. Une modification constitutionnelle exige une majorité qualifiée. Or, du fait de l'éclatement des forces politiques, il n'existe pas une telle majorité sur ce point précis même si un consensus a été trouvé par ailleurs au Parlement pour insérer une section consacrée aux Droits de l'Homme et aux Libertés fondamentales.

Par ailleurs, l'adoption récente d'amendements constitutionnels considérés comme secondaires par les responsables de la Commission parlementaire ne peut être perçue comme favorable à des changements plus substantiels.

Il existe aussi des réticences d'ordre historique et philosophique. Le Vice-Président de la Commission considère que, ayant à l'esprit l'article 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale, la reconnaissance de l'autonomie locale dans la Constitution ne représente qu'une option, non une obligation. De plus, la Constitution lettone est un texte court et l'insertion d'une nouvelle section va à l'encontre de l'esprit de ses rédacteurs. Enfin, le texte suprême actuellement en vigueur date de 1922, restauré dans son intégralité en 1993. A ce titre, il constitue le symbole de la continuité d'une Lettonie indépendante.

Les interlocuteurs de la Délégation ont réaffirmé que l'insertion d'une section sur les Droits de l'Homme dans la Constitution reste la priorité. Les rapporteurs en concluent que la reconnaissance constitutionnelle du principe d'autonomie locale se heurte à un problème d'interprétation restrictive de l'article 2 de la Charte de la part des autorités lettones et à un blocage politique lié à l'absence de majorité parlementaire forte sur ce sujet. Toutefois, selon les membres de la Commission parlementaire chargée du dossier, la question figurera dans le programme des formations politiques pour les élections législatives de l'automne.

Tout en prenant acte que le débat pourrait trouver une issue favorable après le renouvellement du Parlement, les rapporteurs considèrent que l'article 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale doit être le guide du processus d'intégration du concept d'autonomie locale dans la Constitution.

1.2 La reconnaissance légale

Par une loi du 22 février 1996, le Parlement de Lettonie a voté l'adhésion à la Charte européenne sur l'autonomie locale tout en refusant de ratifier les paragraphes 6.2, 7.2, 9.4 et 9.8 sur les trente que comporte la Charte. Celle-ci est entrée en vigueur le 1er avril 1997. Le dispositif légal en matière d'autonomie locale comprend plusieurs lois relatives au statut des membres des assemblées, à leur élection, aux budgets locaux et à la péréquation financière. Cependant, le texte de base reste la loi sur l'Autonomie locale du 19 mai 1994, amendée le 25 novembre 1997. Or, la Délégation du CPLRE a réaffirmé que cette loi dans sa version ultime ne satisfait pas aux exigences de l'article 3 de la Charte adoptée et ratifiée entre-temps. Les membres du CPLRE ont mis en évidence la terminologie du nouvel article 3 de la loi amendée qui définit la collectivité locale comme "une forme d'administration locale d'Etat qui, avec l'aide de représentants élus..., assure l'exécution de fonctions établies par la loi". Tous les interlocuteurs (ministres, hauts fonctionnaires, parlementaires, experts) ont avancé les difficultés de la traduction fidèle au letton et admis que l'association des trois mots-clés et le choix du terme "état" étaient inappropriés. Les rapporteurs ont insisté pour que le législateur retienne une terminologie conforme à l'esprit de décentralisation et pour qu'en particulier le mot "état" disparaisse au profit d'"administration publique".

Le contrôle de constitutionnalité couvre un autre aspect de la protection légale de l'autonomie locale en référence à l'article 11 de la Charte. Une loi de juillet 1996 a instauré une Cour constitutionnelle chargée de vérifier la conformité du droit interne à la Constitution et aux accords internationaux. Toutefois, la saisine du juge constitutionnel est réservée au Chef de l'Etat, au cabinet des ministres, au Président de la Cour ainsi qu'à vingt parlementaires. Bien que ne disposant pas du droit de saisine directe, à l'encontre des lois contraires aux principes de la Charte, les collectivités territoriales peuvent saisir la Cour constitutionnelle pour contester une délibération du Cabinet des Ministres. Les rapporteurs considèrent qu'il est prématuré de porter un jugement définitif sur la réalité du contrôle de constitutionnalité mais que l'institution d'un juge constitutionnel et la saisine même indirecte par les autorités locales répondent à l'esprit de l'article 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale sur la possibilité pour les collectivités locales de "disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale consacrés dans la Constitution ou la législation interne".

2. Contrôle de l'Etat sur les autorités territoriales

2.1 Les pouvoirs territoriaux sont soumis à un double contrôle légal et financier.

2.1.1 Le contrôle de légalité est confié par les articles 45, 47 et 49 de la loi de 1994 au Ministère responsable, à savoir l'Unité administrative des Affaires Locales du Ministère du Développement Régional et de l'Environnement. Le premier temps de la vérification de légalité est l'obligation de transmission dans un délai de trois jours des actes à portée obligatoire pris par les autorités locales au Ministère. Une décision illégale ou une partie de la décision est suspendue par le Ministre sur injonction motivée. Le Président de l'assemblée locale dispose alors de quinze jours pour réunir l'organe délibérant et modifier la décision. Il a aussi le droit de faire appel de la décision de suspension. A défaut de réunion dans les délais impartis, l'acte contesté est considéré comme annulé. En pratique, il existe une phase de négociation entre l'autorité locale et l'autorité de tutelle avec proposition de modification et avertissement avant suspension.

2.1.2 Le contrôle financier des pouvoirs locaux et régionaux est assuré par l'Auditeur général, institution récemment créée et relevant directement du Parlement. Ce contrôle qui vise le budget de l'Etat et les budgets locaux et régionaux s'exerce a posteriori et s'appuie, selon les responsables, sur les trois principes d'équilibre, d'efficacité et d'économie. A ce titre, l'Auditeur présente ses rapports et ses recommandations à la Commission parlementaire d'audit. Il est aussi en contact régulier avec le Ministère des Finances.

2.2 Le principe d'un tel contrôle est contenu dans l'article 8 de la Charte européenne de l'autonomie locale. La Délégation a noté les aspects positifs du contrôle a posteriori et de l'indépendance structurelle de ce service.

2.3 Il demeure une ambiguïté sur la nature même du contrôle de légalité et sur la réalité d'une dérive vers un contrôle d'opportunité (expediency control) dans le contexte letton de rodage des rapports entre collectivités locales et pouvoir central.

2.4 Si l'Auditeur général revendique une totale liberté d'action par rapport au pouvoir central, l'Association lettone des Pouvoirs Locaux émet des doutes quant à son indépendance vis-à-vis du Ministère des Finances. De plus, il a été confirmé aux membres du CPLRE que le contrôle budgétaire ne visait pas l'échéancier et le contenu même d'un projet si celui-ci était réalisé sur les fonds propres de la collectivité. Toutefois, il semble légitime de s'interroger sur la possibilité réelle des autorités locales d'autofinancer en totalité une réalisation compte tenu de la faiblesse générale du produit de leurs revenus propres.

3. Les finances locales

Les questions financières liées à l'autonomie locale et régionale sont régies par un ensemble de lois et décrets gouvernementaux et notamment :

- Loi sur les impôts et les taxes (2 février 1995) qui est le texte de base,

- Loi sur le budget des collectivités territoriales (mars 1995),

- Loi sur l'organisation budgétaire et financière (1995).

Parallèlement à ce dispositif légal, la situation financière des collectivités locales dépend chaque année du vote de la loi de finance (budget de l'Etat et part réservée aux collectivités locales) et du système de péréquation financière mis en place annuellement.

3.1 La notion de "ressources propres" des collectivités locales et régionales

Une confusion semble exister dans l'esprit de certains des interlocuteurs de la Délégation entre :

- La création d'impôts locaux par la collectivité locale,

- La collecte d'impôts d'Etat par cette même collectivité,

- Le transfert d'impôts d'Etat sur les budgets locaux et régionaux.

3.1.1 L'impôt sur le revenu, l'impôt sur la propriété et l'impôt sur la propriété foncière représentent la base des recettes des collectivités locales. Celles-ci bénéficient chaque année d'un transfert total ou partiel de ces impôts d'Etat :

- L'impôt sur la propriété est transféré dans sa totalité par le Service central du Revenu.

- L'impôt sur la propriété foncière est versé directement sur les budgets locaux. Celui-ci sera remplacé en 1998 par l'impôt sur la propriété foncière bâtie dont la base représentera 1.5 % de la valeur cadastrale du bien.

- L'impôt sur le revenu est transféré par le Service central du Revenu à hauteur de 71.6 %, le reste allant au Ministère de la Santé pour financer des services de santé publique. Selon l'Association des Pouvoirs Locaux, l'impôt sur le revenu représente 65 % de l'ensemble des recettes locales.

En réalité, les collectivités locales et régionales lettones ne peuvent décider l'institution d'un impôt local direct et ne disposent donc pas de "ressources propres" aux termes de l'article 9 alinéa 1 de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Les interlocuteurs de la Délégation du CPLRE s'accordent pour reconnaître que, à part quelques exceptions très restreintes, les collectivités locales et régionales ne peuvent lever l'impôt et se contente de l'administrer et qu'à défaut de création d'impôts par l'autorité locale, le transfert d'impôts d'Etat vers les budgets locaux et régionaux demeure le principe de base.

A cette absence de souveraineté financière, s'ajoutent la faculté de plus en plus réduite de collecter l'impôt et l'impossibilité pour les collectivités locales de modifier le taux de l'impôt, exception faite de celui de la propriété foncière dans une proportion allant de 0.5 à 1.5 %.

3.1.2 Les subventions et dotations d'Etat constituent la deuxième source de recettes locales et régionales. Elles proviennent tout d'abord du Fonds de péréquation financière : les subventions et dotations couvrent en particulier les salaires et charges du personnel enseignant du primaire, du secondaire et de la formation professionnelle. Le budget de l'Etat est une autre source de dotations et subventions spécifiques notamment pour l'investissement local et régional.

3.1.3 Les droits et taxes constituent la dernière partie des recettes des collectivités locales et régionales. Elles relèvent de la compétence propre de chaque collectivité mais elles ne représentent que 1 à 2 % de l'ensemble des revenus à l'exception de quelques villes comme Riga, ou Jurmala. La marge de manoeuvre financière apparaît donc dérisoire.

Il apparaît que le dispositif fiscal actuel ne répond que partiellement aux termes de l'article 9.3 de la Charte européenne de l'autonomie locale et à la notion de "ressources propres suffisantes".

3.2 L'accès au marché national de capitaux. Depuis 1995, le Gouvernement central a réduit progressivement l'accès des collectivités locales et régionales au marché de capitaux privés. Désormais, les pouvoirs locaux ne peuvent emprunter que par le canal de la Direction du Trésor du Ministère des Finances qui argue de taux d'intérêts préférentiels et du manque de solvabilité des pouvoirs locaux.

Ceci enlève toute possibilité d'investissement propre et contrevient à l'alinéa 8 de l'article 9 de la Charte européenne de l'autonomie locale, lequel n'a d'ailleurs pas été ratifié par la Lettonie.

3.3 La péréquation financière

Un système de péréquation financière verticale (de l'Etat aux collectivités) et horizontale (entre collectivités) a été mis en place depuis 1995. Cependant, il n'est pas satisfaisant à double titre :

- Le système manque de stabilité puisqu'il n'est valable que pour un exercice budgétaire,

- Le nombre de collectivités soumises à un écrêtement au bénéfice des plus démunies est très limité et se concentre essentiellement sur Riga et Ventspils.

Il faut souligner que le principe d'une péréquation financière rejoint les exigences de l'article 9.5 de la Charte sur la "protection financière des collectivités locales par la mise en place de procédures de péréquation...". Toutefois, il reste à conférer au système actuel une permanence, ce que prévoit le législateur pour 1998. Il conviendrait aussi de fixer par la loi la part de chacun des critères de péréquation en tenant compte de la diversité interne du pays dans un but de rééquilibrage du milieu rural par rapport au milieu urbain.

3.4 La situation financière des pouvoirs locaux et régionaux dans le budget de l'Etat

On constate que la grande majorité des collectivités locales et régionales ne peut porter un projet d'envergure puisque globalement la part de l'investissement dans leur budget ne dépasse guère 1 à 2 % de la masse financière.

Un autre débat porte sur le poids des finances locales et régionales dans le budget de l'Etat ainsi que sur son évolution depuis 1994. Pour l'Association, la part du revenu national consacrée aux collectivités territoriales est passée de 25 à 20% entre 1992 et 1995 pour se situer à 16,7% en 1997. Ceci sous l'effet conjugué d'une part d'une volonté affichée de l'Etat de réduire drastiquement le déficit budgétaire, d'autre part, d'un accroissement des tâches des collectivités. Aux fonctions déterminées par la loi sont venues s'ajouter celles déléguées par l'Etat sans moyens financiers correspondants. Pour les autorités lettones, on ne peut parler de réduction budgétaire : les services su Ministère des finances et les responsables de la Commission parlementaire sur les collectivités territoriales annoncent un pourcentage de 22,6% pour 1998. Ils expliquent la différence avec les chiffres avancés plus haut par l'Association et d'autres interlocuteurs de la Délégation par une diminution confirmée de l'enveloppe des dotations versées aux collectivités locales largement compensée par l'augmentation du montant des subventions spécifiques versées par l'Etat à ces collectivités.

De plus, par rapport à 1994, année où la dépendance budgétaire des collectivités était totale, la situation s'est améliorée.

Les rapporteurs sont conscients de graves difficultés rencontrées par les autorités locales dans l'exercice de leurs compétences sans pouvoir disposer de ressources financières suffisantes. Cependant elle considère que les autorités centrales sont actuellement confrontées à des problèmes importants en ce qui concerne le développement socio-économique du pays et qu'elles ne sont pas en mesure de satisfaire pour le moment les demandes des autorités locales avant l'accomplissement de la réforme territoriale. Dans cette perspective, il est suggéré d'inviter les autorités parlementaires et gouvernementales lettones à fonder la réforme territoriale sur l'exigence de renforcer l'autonomie politique administrative et financière des collectivités territoriales et à appliquer le principe de subsidiarité tel qu'il est exprimé à l'article 4, paragraphe 3 de la Charte européenne de l'autonomie locale.

4. La réforme territoriale

La Lettonie comprend deux catégories de collectivités territoriales : les pouvoirs locaux et les régions :

A. Les pouvoirs locaux

- Les municipalités ("pagasts") au nombre de 491 dont la population va de 400 à 3 000 habitants en moyenne. Les municipalités ont aussi la dénomination de "districts ruraux",

- les villes ("cities") au nombre de 70,

- les grandes villes ou communautés urbaines au nombre de 7 (Riga, Daugavpils, Liepaja, Ventspils, Jurmala, Rezekne et Jelgava). Parmi elles, Riga la capitale représente 36 % de la population totale

(2 500 000 habitants),

B. Les régions

- les régions ("rajons") au nombre de 26 dont chacune d'elle comporte des pagasts et des villes à l'exception des 7 communautés urbaines.

4.1 A partir d'un document intitulé "le concept de développement régional en Lettonie" approuvé en Conseil des ministres en décembre 1996 et devant conduire à une loi-cadre, le Ministère du Développement Régional a mis en chantier une réforme dont l'objectif essentiel est de réduire le nombre des régions. Il existe actuellement deux variantes : l'une portant sur la refonte en cinq régions en tenant compte des critères exposés dans le texte ci-dessus mais aussi des provinces historiques du pays, l'autre variante est la constitution de huit régions articulées autour des grandes villes. Schématiquement, les raisons invoquées d'une telle réforme sont de trois ordres:

- Un découpage des régions actuelles hérité du premier dispositif de décentralisation de 1926, accentué lors de l'occupation soviétique.

- De plus larges entités régionales faciliteraient le dialogue avec l'Etat et réduiraient les empiétements de compétence entre municipalités et régions de taille trop réduite.

A ce titre, les critères énoncés par ce texte de 1996 pour dessiner les contours des futures régions peuvent être la géographie physique, les relations économiques et commerciales anciennes, les "intérêts nationaux" pour retenir l'idée de zones frontalières et de littoral.

- Les futures régions auraient la taille appropriée pour impulser une politique d'aménagement du territoire visant à réduire les disparités internes.

Le Ministère encourage financièrement toute proposition dans ce sens dont l'initiative viendrait de la base. C'est ainsi que cinq régions actuelles qui constituent la province orientale du Latgale ont engagé des discussions sur la future région.

4.2 Toutefois, cette réforme ne peut pas être séparée et comprise d'autres projets touchant les régions et les municipalités.

4.3 Les régions. La tenue des élections régionales prévues en mars 1997 a été supprimée sur proposition du précédent gouvernement. Un amendement à la loi de 1994 adopté le 25 novembre dernier prévoit que les régions seront représentées par les élus des municipalités, lesquels désignent leur président. Bien que le suffrage indirect ne réponde pas aux exigences de l'article 3 de la Charte, il peut être considéré comme un compromis provisoire et acceptable si l'on se réfère à la situation antérieure.

4.4 Les municipalités. Les différents gouvernements ont tous affiché leur volonté de réduire le nombre de municipalités. La raison officielle avancée est que leur faiblesse en population, en moyens financiers et leur éclatement ne leur permettent pas d'assurer de façon satisfaisante les services à la population et, pour l'Etat, d'entretenir des relations avec chacune d'elles. Le nombre retenu serait de l'ordre de 200 nouvelles entités municipales.

4.5 Un projet de loi est actuellement à l'étude dans les services du Ministère de l'Environnement et du Développement régional pour être présenté au Cabinet des Ministres, début avril 1998. Au préalable, il fera l'objet de consultations auprès de l'Association nationale des Pouvoirs Locaux qui n'a pas été encore saisie officiellement du texte. La philosophie générale de la réforme proposée est celle d'une intégration de collectivités locales de base ("pagasts", districts) sur les critères de développement durable, stabilité du revenu de base, infrastructures existantes, unité géographique et historique, capacité d'agir. La démarche proposée s'inscrit en deux phases:

- jusqu'au 1er janvier 2000, les municipalités s'engagent dans un processus volontaire de réflexion et de proposition sur les contours des nouvelles municipalités ;

- de 2000 à mars 2001, phase de finalisation devant aboutir à l'adoption de la réforme par le Parlement. Durant cette période, seront réglés les cas des communes ayant refusé la démarche de coopération-intégration ou ayant échoué dans l'élaboration d'un projet. Un comité de coordination composé de représentants de l'Etat, du Parlement et de l'Association nationale des Pouvoirs Locaux statuera sur ces cas litigieux et ses propositions seront intégrées dans le projet de réforme.

4.6 Certaines municipalités ont profité des possibilités offertes par la loi sur l'autonomie locale et par l'article 10 de la Charte pour mettre en place des activités de coopération intercommunale en vue de l'exécution de tâches d'intérêt commun. Par ses rencontres sur le terrain avec des autorités locales, la Délégation a pu identifier deux démarches de coopération :

- La création récente et expérimentale d'une "novads" (ou "bassin de vie") à l'exemple de Kandava, sud-ouest de la Lettonie. Elle représente une forme de coopération-intégration (amalgamation). Trois municipalités ont décidé de s'associer à une petite ville-centre pour exécuter des tâches en matière d'éducation et d'action sociale. Cette entité de 9 000 habitants est représentée par un président et un conseil formé de l'ensemble des conseillers municipaux concernés. La nouvelle structure dispose d'un budget propre. Il est à noter que la décision de créer cette forme de coopération intégrée a été prise par deux conseils municipaux et, dans la troisième municipalité, après le résultat positif d'un référendum sur la question.

- La coopération-participation se caractérise par la souplesse de la démarche. L'idée maîtresse est que l'intercommunalité s'installe avec le temps. Tel est l'exemple de huit communes dont la ville de Cesis (20 000 habitants) qui ont impulsé une action intercommunale en matière d'éducation, d'infra-structures routières et d'alimentation en eau. Chaque commune-membre conserve ses institutions et cofinance tout projet intercommunal par des participations financières imputées sur le budget communal.

4.7 Le Ministère de l'Environnement et du Développement Régional ne cache pas sa préférence pour la première démarche et la présente comme la ligne à suivre. L'Association nationale est, quant à elle, très réticente face à tout projet de regroupements intercommunaux et elle penche pour une coopération souple dans le respect des entités communales actuelles.

Il apparaît qu'à ce stade de la mise en chantier de la réforme territoriale, la consultation préalable de l'Association des Pouvoirs Locaux ainsi que la phase de concertation et de formulation de propositions des collectivités de base prévue dans le projet de loi-cadre répondent à l'exigence de consultation énoncée par les articles 4.6 (consultation sur "toutes les questions qui les concernent directement") et 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale (consultation "pour toute modification des limites territoriales"). Les rapporteurs proposent que ce mouvement général de restructuration des municipalités s'appuie sur la récente loi sur les référendums à portée locale afin de respecter et de consacrer le droit de consultation des populations concernées tel que prévu aux articles 5 et 4.6 de la Charte européenne de l'autonomie locale.

5. Démocratie locale et citoyenneté

Aux termes du préambule de la Charte européenne de l'autonomie locale, "le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques fait partie des principes démocratiques connus" aux membres du Conseil de l'Europe. Or, la Lettonie est confrontée au problème d'intégration démocratique d'une part importante de "non-citoyens" de sa population.

5.1. Durant un demi-siècle d'annexion soviétique, la Lettonie est devenue un pays d'immigration : en 1997, les lettons de souche représentent 56,7% de l'ensemble de la population alors que la minorité constituée principalement de russes, biélorusses et ukrainiens, totalise 37%. De plus, la population se répartit entre "citoyens" et "non-citoyens". En 1997, 675 000 personnes environ sur un total de 2 500 000 habitants sont des résidents "non-citoyens", soit 27%. Parmi ceux-ci, les russes, majoritaires dans six des huit grandes villes, représentent 66% de l'ensemble.

Il apparaît que la question de l'appartenance ethnique recoupe celle de la citoyenneté.

Pour les résidents autres que lettons, les candidats à la naturalisation doivent vivre en Lettonie depuis mai 1990 pour une période minimale de cinq ans et satisfaire à un examen de langue, d'histoire et d'institutions lettones. Ce dispositif est encore renforcé par un système de classes d'âge : actuellement, seuls les "non-citoyens" de moins de trente ans sont habilités à déposer une demande de naturalisation. En réalité, différentes études et sondages révèlent un manque d'intérêt des jeunes "non-citoyens" pour la citoyenneté lettone. Selon un récente enquête de l'OSCE, 6% seulement d'entre eux en ont fait la demande. Les raisons d'une telle désaffection sont multiples : peu d'engouement pour la pratique du letton, dispense du service militaire, octroi du passeport russe pour voyager en Russie dont la validité est censée s'arrêter au 31 mars 1998. Malgré ces différents obstacles, la quasi-totalité d'entre eux souhaite rester en Lettonie où ils vivent en bonne harmonie avec la communauté lettone.

5.2. Aux termes de la loi, sont citoyens lettons ceux qui possédaient la citoyenneté du pays en juin 1940 au moment de l'invasion soviétique de la République balte ainsi que leurs descendants. Cependant, l'acquisition de la citoyenneté lettone reste un processus complexe : à l'âge de seize as, les enfants de mariages mixtes doivent choisir l'appartenance ethnique de l'un des parents.

5.3 La question actuelle de la citoyenneté en Lettonie n'est pas sans conséquence sur l'exercice de la démocratie locale : quelle place accorder à ces résidents dans le cadre des futures réformes des collectivités territoriales? Certains élus locaux s'efforcent de réinsérer cette catégorie de population dans le contexte social et politique local par le biais d'instances de consultations ou de reconnaissance d'associations représentatives.

Dans quelques villes comme Daugavpils, Ventspils et Dobele où le pourcentage de non-citoyens est supérieur à 25% de la population municipale, des comités consultatifs (Committees of Aliens) ont été créés pour traiter des problèmes propres aux résidents "non-citoyens".

Enfin, une loi récemment adoptée sur les référendums à portée locale prévoit la participation des non-citoyens dans le cas de questions facultativement soumises à référendum.

La Délégation considère ces initiatives comme un pas en avant vers une plus grande intégration des non-citoyens dans la société lettone et suggère de se rapprocher de la future Convention européenne sur la participation des étrangers à la vie publique locale.

IV. CONCLUSION

Tout progrès en matière de démocratie locale en Lettonie passe par un système politique stable capable de réaliser la réforme territoriale dans une phase post-transitionnelle. Or, de ce point de vue, les institutions actuelles traduisent un état général de faiblesse lié à:

- L'absence d'une majorité parlementaire stable et l'atomisation des forces politiques : tout accord sur une réforme de la Constitution passe par le vote d'une majorité qualifiée très difficile à obtenir. A titre d'exemple, la Commission parlementaire en charge des collectivités locales comprend onze membres répartis en cinq factions de la majorité parlementaire et trois membres de l'opposition.

- Le manque de relais important des pouvoirs locaux et de leur association au sein de la classe politique nationale en raison d'un strict non-cumul des mandats et d'une faible insertion des partis dans le jeu politique local. Ainsi, la Délégation du CPLRE a noté que, lors des deux visites sur le terrain, la majorité des conseillers locaux avait été présentée par des groupes informels de citoyens organisés pour participer au scrutin local. Sur le plan national, seuls 16% des conseillers municipaux ont été élus sous une étiquette partisane.

- Le Protocole annuel prévu par la loi sur l'autonomie locale de 1994 entre l'Association et le précédent gouvernement de 1995 à 1997 n'a pas permis de déboucher sur des accords stables. Pour les autorités locales, il est le principal lieu de dialogue direct et de moyen de pression face au pouvoir central.

- Les relations se sont nettement améliorées avec la nomination d'un nouveau Premier Ministre et les négociations du Protocole annuel pourraient trouver une issue positive. Mais la Délégation du CPLRE a l'impression que pour l'instant il reste que tout progrès en matière de démocratie locale et régionale dépend du bon vouloir du Gouvernement en place.