Rapport sur l’état de la démocratie locale et le fédéralisme en Russie - CG (4) 4 Partie II

Rapporteur : Alexander TCHERNOFF (Pays-Bas)

---------------------------

EXPOSE DES MOTIFS

I. La Russie et la Charte européenne de l’autonomie locale

Depuis le 28 février 1996, la Fédération de Russie fait partie des Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette participation implique non seulement la reconnaissance de la “ prééminence du droit ” (art. 3 du Statut du Conseil de l’Europe), mais aussi l’obligation d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’à la Charte européenne de l’autonomie locale (ci-après : la Charte). Ces obligations ont été clairement stipulées dans la Résolution (193) 1996 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 25 janvier 19961 (al. 10/v). Certes, la Russie a signé la Charte ; mais faute de ratification (cf. art. 15 de la Charte), celle-ci n’est pas encore entrée en vigueur dans la Fédération de Russie.

Le rapport qui suit a été élaboré pour le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (ci-après : CPLRE) suite à un courrier du 4 novembre 1996 adressé au CPLRE par M. Sysuev, maire de la ville de Samara. Se référant à certains événements survenus dans la République d’Oudmourtie et d’autres régions russes (destitution de fonctionnaires locaux élus), M. Sysuev a demandé au CPLRE d’observer ces événements et de les interpréter. Une autre origine de ce rapport se trouve dans la déclaration finale du “ Séminaire sur l’administration locale dans la Fédération de Russie ”, qui s’est tenu le 25 novembre 1996 à Moscou. Outre le Bureau de la Chambre des Pouvoirs locaux du CPLRE, les délégués russes de la Chambre et des représentants des collectivités locales de Russie ont participé à ce séminaire. Le document final constate que, malgré les succès atteints jusqu’alors, de graves insuffisances demeurent dans l’organisation de l’autonomie locale en Russie. Dans le cadre de cette coopération, le Conseil de l’Europe et le CPLRE ont exprimé leur intérêt pour une évaluation des problèmes actuels et se sont déclarés prêts à participer à leur résolution. Il a donc été décidé de constituer un groupe de travail afin d’approfondir l’évaluation de la situation actuelle et d’élaborer des recommandations pour le Conseil de l’Europe et le CPLRE. Ce groupe de travail, a séjourné en Russie du 15 au 20 mars 1997. L'expert du groupe, spécialiste du droit russe, qui a assisté la Rapporteur dans l'élaboration du projet de rapport a également pris part aux réunions en Russie.

Le rapport suivant traite du stade actuel de développement de l’autonomie locale en Russie et donne un aperçu des perspectives d’une future entrée en vigueur de la Charte pour la Fédération de Russie. Les points suivants seront abordés :

- l’organisation de l’Etat dans la Fédération de Russie (II) ;

- le droit russe de l’autonomie locale (III) ;

- les grands problèmes actuels de l’autonomie locale en Russie (IV) ;

- les perspectives de l’adhésion de la Fédération de Russie à la Charte européenne de l’autonomie locale (V) ;

- conclusions et recommandations (VI).

A la base de ce rapport se trouvent, outre les dispositions correspondantes du droit russe, tous les renseignements dont le rapporteur a pu prendre connaissance au cours de la mission qui l’a mené, en tant que membre du groupe de travail du CPLRE, à Moscou, Kazan et Samara. A ce sujet, on soulignera surtout :

- la prise de position de M. Alexandre Voronine, vice-ministre pour les affaires des Nationalités et les Relations Fédérales (annexe I) ;

- la prise de position de l’Union des petites villes de Russie (annexe II) ;

- la décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 21 janvier 19972 et les documents complémentaires (annexe III);

ainsi que de nombreux documents transmis au groupe de travail par le gouvernement de la République du Tatarstan et l’administration de la région de Samara.

II. Organisation de l’Etat dans la Fédération de Russie

L’organisation (verticale) des pouvoirs d’Etat dans la Fédération de Russie résulte en premier lieu de la Constitution russe du 12 décembre 19933 (ci-après : la Constitution). On y distingue 3 niveaux, qui sont la Fédération (l’Etat dans son ensemble), les sujets de la Fédération, qui lui sont directement subordonnés, et les unités territoriales, qui composent les sujets de la Fédération.

1. Les sujets de la Fédération

Selon l’art. 65 par. 1 de la Constitution, la Fédération de Russie se compose en tout de 89 sujets aux statuts de droit public différents. Il s’agit de :

Ces différences surtout formelles entre les sujets de la Fédération ont une origine avant tout historique. En ce qui concerne les conditions réelles (taille, population, capacité économique), il existe des différences importantes entre les sujets de la Fédération4. Néanmoins, la qualité du droit public dans un sujet de la Fédération en tant que république, région ou autre ne se juge pas sur ces critères.

Bien que, selon l’art. 5 par. 4 de la Constitution, les sujets de la Fédération doivent être égaux entre eux dans leurs rapports mutuels avec les organes fédéraux du pouvoir d’Etat, la Constitution elle-même stipule toute une série de différenciations entre les sujets (art. 5 par. 2, art. 68 par. 2, art. 66 par. 3 et 4 de la Constitution). Enfin, dans les art. 11 par. 3 et 78 par. 2 et 3, la Constitution russe offre la possibilité de modifier par voie contractuelle la répartition des compétences entre la Fédération et ses sujets. Cette possibilité a été largement exploitée depuis sous la forme d’accords sur la délimitation et la répartition des compétences, au nombre de 26 actuellement5. Trois de ces accords de répartition des compétences (signés avec le Tatarstan6, le Bachkortostan et la Iakoutie (Sakha)) concernent directement l’organisation de l’autonomie locale.

2. Structure des sujets de la Fédération

Chaque sujet de la Fédération est en général divisé en arrondissements (en russe : rayoni). Au même niveau administratif se situent les grandes villes directement subordonnées aux sujets de la Fédération (en russe : goroda oblastnogo ou respublikanskogo znatchenija) qui n’appartiennent à aucun arrondissement. Du fait de leur taille, ces villes autonomes sont souvent divisées en arrondissements urbains. Les arrondissements des sujets de la Fédération se composent généralement de villes, d‘agglomérations urbaines ou agricoles ainsi que de districts agricoles (en russe : sel’skie okrugy), c’est-à-dire des regroupements de plusieurs petits villages.

D'après les données statistiques officielles au 1 janvier 1996 en Russie il y avait : 17 villes avec la population dépassant 750 000 d'habitants; 59 villes avec la population entre 250 000 et 750 000 d'habitants; 268 villes avec la population entre 50 000 et 250 000 d'habitants et, enfin, 741 villes et villages de type urbain ayant moins de 50 000 d'habitants. A présent en Russie on décompte 1 085 villes et villages de type urbain, ainsi que 152 922 villages qui forment 23 976 arrondissements ruraux (volost', sel'sovet ).

Il s’ensuit que le droit russe doit résoudre le problème suivant : auxquelles des unités territoriales ci-dessus le statut juridique d’organe de l’autonomie locale revient-il ?7

III. Le droit russe de l’autonomie locale

Le droit de l’autonomie locale se trouve toujours au stade du développement, même si la loi fédérale sur l’autonomie de 1995 constitue un succès appréciabl. La situation actuelle est cependant carctérisée par deux points de vue principaux :

. du fait de la répartition constitutionnelle des compétences, la Fédération, ses sujets et finalement les municipalités elles-mêmes sont compétents pour la promulgation des dispositions juridiques importantes;

- d’importantes lacunes réglementaires subsistent dans de nombreux domaines.

1. Aperçu de l’évolution juridique jusqu’à aujourd’hui

L’entrée en vigueur de la Constitution russe du 12 décembre 1993 est en général considérée comme le véritable début de l’autonomie régionale en Russie. Des efforts analogues remontant en partie à l’époque finale de l’ère soviétique étaient restés largement sans effet » 8. Cela vaut surtout pour la loi fédérale sur l’autonomie du 6 juillet 19919, qui n’a jamais été appliquée.

Le premier pas sur la voie d'organisation de l'autonomie locale en Russie était l'adoption en 1993 de la Constituion qui énonce les principes de la démocratie locale et établit les pouvoirs locaux élus par le peuple. Ainsi, le processus de formation d’organes communaux élus est loin d’être terminé. Selon les informations de M. Voronine, en janvier 1997 il n’y avait encore aucun organe d’autonomie locale élu dans 64 grandes villes de 16 sujets de la Fédération car dans lesdits sujets de la Fédération les élections ont été fixées pour l'été et l'automne 1997.

2. Aperçu sur la réglementation de l’autonomie locale

Du point de vue de la compétence législative, il faut avant tout faire la différence entre les dispositions juridiques adoptées par la Fédération et celles adoptées par ses sujets. Dans certains domaines, les municipalités prennent des décisions autonomes.

a) Dispositions juridiques adoptées par la Fédération

En droit fédéral, outre les dispositions constitutionnelles, c’est avant tout la loi fédérale sur l’autonomie qui régit l’autonomie locale.

La Constitution considère à l’art. 12 le principe de l’autonomie locale comme un des fondements de l'ordre constitutionnel de la Fédération de Russie. Ce principe est concrétisé dans les art. 130 à 133 de la Constitution russe. Les points suivants sont déterminants :

- l’autonomie locale n’est pas seulement considérée comme un principe abstrait (objectif) de droit, mais comme un droit propre (subjectif) des municipalités et de leurs habitants (art. 133, 32 par. 2 de la Constitution). C’est là le changement le plus significatif par rapport à l’organisation de l’administration locale qui prévalait jusqu’alors. Les municipalités sont désormais reconnues comme des organes administratifs autonomes avec des droits propres vis-à-vis de l’Etat.

- la garantie d’autonomie locale inclut également ses bases économiques (propriété municipale, impôts et prélèvements locaux) (art. 132 de la Constitution).

- le droit à l’autonomie locale est garanti par la protection judiciaire (art. 133, art. 46 par. 2 de la Constitution); cependant, la Cour constitutionnelle ne peut pas être saisie par les municipalités elles-mêmes (art. 125 de la Constitution).

En outre, la Constitution stipule que “ l’établissement des principes généraux d’organisation du système des organes de l’autonomie locale” relève de la compétence partagée de la Fédération et de ses sujets (art. 72 par. 1 al. m) de la Constitution). Cela signifie que la Fédération est en droit d’adopter des dispositions de principe, qui peuvent être complétées et concrétisées par les propres règles juridiques des sujets de la Fédération (art. 76 par. 2 de la Constitution).

Les dispositions constitutionnelles sur l'autonomie locale ne doivent pas être sous-estimées. L’Union des petites villes de Russie a fait remarquer dans son rapport, au moyen de nombreux exemples, que les dispositions de la Constitution fédérale, en particulier les art. 130 et suiv., seraient souvent ignorées. Cela serait en premier lieu le fait des parlements et gouvernements des sujets de la Fédération.

b) dispositions juridiques adoptées par les sujets de la Fédération

Les sujets de la Fédération ont largement fait usage de leur pouvoir de réglementation en matière d’autonomie locale : selon les informations de l’Union des petites villes de Russie, 68 des 89 sujets de la Fédération avaient promulgué leurs propres lois sur l’autonomie locale à la fin de 1996. Cependant, il manque souvent les dispositions juridiques annexes, comme les lois sur le budget municipal, les élections municipales et autres.

Dans ce domaine, le fait que les dispositions des sujets de la Fédération soient souvent en contradiction avec les données du droit fédéral esquissées plus haut est extrêmement problématique. Cela s’applique en particulier pour les dispositions antérieures à la loi fédérale sur l’autonomie. Selon la règle sur les conflits de lois énoncée à l’art. 76 par. 5 de la Constitution, ces dispositions juridiques adoptées par les sujets de la Fédération ne sont pas applicables si elles s’opposent au droit fédéral. Dans la pratique, de telles lois des sujets de la Fédération continuent d’être appliquées, surtout pour éviter l’extension de lacunes réglementaires. Du reste, l'une des conséquences du régime fédéral russe est une grande variété de systèmes de l'autonomie locale mis en place dans différents Sujets de la Fédération.

c) Législation autonome des municipalités

Outre la législation d’Etat, la législation autonome des municipalités participe également à l’organisation de l’autonomie locale par la promulgation d’un statut propre au contenu réglementaire étendu (cf. le catalogue dans l’art. 8 de la loi fédérale sur l’autonomie). Comme le souligne M. Voronine, plus de 1000 statuts municipaux ont été enregistrés dans la Fédération de Russiei.

L’Union des petites villes de Russie a cependant fait remarquer à ce sujet que le domaine d’autonomie réglementaire des organes de l’autonomie locale ne peut pas être exploité de façon suffisante. Cela serait dû d’une part aux lois correspondantes adoptées par les sujets de la Fédération. De plus, les municipalités ne dispose pas de capacité réelle d'élaborer leurs propres règles. Néanmoins ces dernières années, le Ministère des Nationalités et des Relations fédérales de la Russie a élaboré et a mis à la disposition des sujets de la Fédération et des organes de l'autonomie locale 4 recueils de lois-modèles ainsi que d'actes-modèles concernant l'organisation de l'autonomie locale.

d) Cas particulier du Tatarstan

Le cas de la République du Tatarstan et certains autres sujets ayant conclu des traîtés avec la Fédération entraîne des incertitudes juridiques particulières pour l’autonomie locale. Le Tatarstan qui avait refusé de signer le Traité fédéral en 1992 et en 1993, a tout fait pour entraver le déroulement du référendum sur la Constitution fédérale de 1993 sur son propre territoiriie. Il se définit plutôt dans l’art. 61 de sa propre constitution10 comme un “ Etat souverain..., associé... avec la Fédération de Russie ”. La confrontation politique entre le Tatarstan et la Fédération de Russie a certes pu être largement désamorcée par le traité sur la répartition des compétences du 15 février 199411. L’accord, en tant que compromis politique, contient cependant de nombreuses règles juridiquement obscures.

3. Application judiciaire du droit sur l’autonomie locale

L’autonomie locale, selon les termes de l’art. 130 par. 1 de la Constitution, est un droit subjectif qui s’applique aussi bien aux municipalités qu’à leurs habitantiiis. Ce droit bénéficie par principe de la protection judiciaire. A ce niveau, il existe cependant des différences entre le droit des municipalités et celui de leurs habitants. Les municipalités ne peuvent s’appuyer que sur les droits énoncés aux art. 130 à 133 de la Constitution. La population de chaque municipalité dispose en plus d’un droit fondamental à participer à l’autonomie locale, stipulé à l’art. 32 par. 2 de la Constitution.

Comme il n’existe en Russie aucune juridiction administrative institutionnellement indépendante, ce sont en principe les juridictions de droit commun qui sont compétentes (art. 231 et suiv. du code de procédure civile russe12); c’est seulement pour les différends en matière de droit commercial que la compétence est donnée aux tribunaux d’arbitrage (art. 22 du code de procédure d'arbitrage russe13).

Par contre, les municipalités ne sont pas en droit de saisir la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie pour violation du droit à l’autonomie locale. Cela découle des attributions de compétences énoncés à l’art. 125 par. 2 de la Constitution et dans la loi de la Cour constitutionnelle du 21 juillet 199414. Si la garantie constitutionnelle de l’autonomie locale (art. 12, art. 130 et suiv. de la Constitution) est entravée par une loi, les organes de l’autonomie locale doivent alors faire engager une procédure de contrôle de constitutionnalité auprès de la Cour constitutionnelle russe par l’un des organes habilités à la saisir (art. 125 par. 2 de la Constitution).

Dans le passé récent la Cour constitutionnelle a pris quelques décisions en se référant aux principes de l'autonomie locale. Mais dans la pratique, l’exécution des décisions de la Cour constitutionnelle s’avère cependant extrêmement difficile. Ainsi, le président Eltsine s’est vu contraint de régler l’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle du 27 janvier 199715 par un décret particulier16.

Le fait que les dispositions juridiques des différents organes compétents ne soient pas suffisamment harmonisées pose actuellement un problème pour l'autonomie locale en Russie. Cela concerne en premier lieu les dispositions contradictoires de la Fédération et de ses sujets. Le législateur devrait apporter très prochainement une solution à ce problème , en particulier grâce au projet de loi sur l'organisation de l'Etat dans les sujets de la Fédération (cf. art. 72 par. 1 al. a) et m) de la Constitution). Une résolution du problème par la jurisprudence semble par contre moins réaliste. Tout au plus pourrait-elle venir de la Cour constitutionnelle, que les municipalités ne peuvent toutefois pas saisir elles-mêmes.

Comme la loi fédérale sur l'autonomie n'offre qu'un cadre réglementaire, l'organisation juridique de l'autonomie locale en Russie est loin d'être achevée. Elle nécessitera au contraire d'importants efforts à plusieurs niveaux :

- les dispositions promulguées par la Fédération et ses sujets antérieurement à la loi fédérale sur l'autonomie doivent être adaptées à cette dernière;

- la loi fédérale sur l'autonomie doit être complétée par une série de dispositions juridiques de la Fédération et de ses sujets;

- outre les aspects juridiques, le cadre personnel et technique nécessaire au développement de l'autonomie locale doit être crée. Les missions principales à remplir dans ce domaine figurent dans l'ordonnance du gouvernement russe du 27 décembre 1995.17

IV. Les grands problèmes actuels de l’autonomie locale en Russie.

Ce chapitre va maintenant esquisser les grands problèmes actuels de l’autonomie locale en Russie. Il s’agit des points suivants :

- définition des organes de l’autonomie locale ;

- organisation interne des municipalités ;

- compétence des municipalités et contrôle de l’Etat ;

- bases économiques de l’autonomie locale.

1. Définition des organes de l’autonomie locale

Etant donnée la structure du territoire de Russie présentée plus haut (II), la question suivante se pose : à quel niveau territorial les organes de l’autonomie locale doivent-ils être instaurés ? Cela pose également la problématique des rapports entre les municipalités et les organes administratifs publics en général.

a) Organisation de l’administration publique

Selon l’art. 11 par. 1 et 2 de la Constitution, le pouvoir d’Etat est exercé par les organes de la Fédération et de ses sujets, et par un système unique d’organes publics pour les affaires de compétence législative fédérale (art. 77 par. 2 de la Constitution). L'organisation de l'administration publique est un des éléments de l'ordre constitutionnel russe. L’organisation de l’Etat dans les sujets de la Fédération est définie par leurs constitutions ou leurs statuts (art. 66 par. 1 et 2 de la Constitution) ; elle doit cependant concorder avec les principes constitutionnels énoncés aux art. 1 à 16 de la Constitution (art. 77 par. 1 de la Constitution). En outre, la Constitution prévoit à l’art. 72 par. 1 al. m) qu’une loi fédérale sur les principes généraux d’organisation de l’Etat dans les sujets de la Fédération peut être promulguée. Cela ne s’étant pas encore produit, les sujets de la Fédération disposent actuellement d’une grande liberté d’action en matière réglementaire. Selon les informations de l’Union des petites villes de Russie, il existe dans certains sujets de la Fédération des dispositions selon lesquelles l’administration publique et les organes de l’autonomie forment un “ système unique ”.

b) Administration publique vs. autonomie locale

Dans certains sujets de la Fédération, il existe des autorités administratives publiques qui se situent au niveau des arrondissements (rajony), des grandes villes qui sont subordonnées directement à un sujet. A ce niveau elles entrent en concurrence avec les organes de l’autonomie locale. Cela s’applique particulièrement là où des niveaux administratifs donnés ne sont pas considérés comme des organes d’autonomie locale et où seuls les arrondissements et les grandes villes représentent des organes administratifs publics.

La réglementation en vigueur dans la république du Tatarstan en est un des nombreux exemples : la constitution tatarive définit comme organes centraux de l’Etat le Conseil d’Etat (art. 89 et suiv.), le président (art. 106 et suiv.), et le cabinet des ministres (art. 116 et suiv.). De plus, la constitution prévoit, parallèlement à l’administration publique centrale, l’existence d’un système d’administration publique locale, qui forme avec la première un système unique (art. 64 de la constitution tatare). Selon la loi du 30 novembre 199418, des conseils et administrations locaux des pouvoirs publics doivent être constitués. Par conséquent, les organes de l'administration publique n'existent qu'au niveau des arrondissements (rayoni) et des grandes villes. Dans ce système, la plupart des compétences sont aux mains des administrations, dont les chefs sont avant tout nommés par les dirigeants de l’Etat (art. 26 et 27 de la loi du 30 novembre 1994). L’autonomie locale n’est pas prévue pour le niveau des arrondissements et des villes autonomes. Ce sont plutôt les agglomérations faisant partie des arrondissements et les quartiers des villes autonomes qui représentent les organes d’autonomie locale19. De tels règlements peuvent, selon l’Union des petites villes de Russie, être considérés comme un obstacle de taille au développement de l'autonomie et de la démocratie locales en Russie.

Du fait de la liberté d’action conférée par la répartition constitutionnelle des compétences en matière réglementaire, des réglementations divergentes s’appliquent dans d’autres sujets de la Fédération. Ainsi, dans la région de Samara, les arrondissements et les villes autonomes, c’est-à-dire relevant directement de la région, sont également reconnus comme municipalités et donc comme organes de l’autonomie locale (art. 13 par. 1 de la loi du 21 décembre 199520). Par contre, les arrondissements urbains et autres structures administratives similaires ne doivent pas obtenir le rang d’organes de l’autonomie.

c) Conclusions

La question de savoir si les organes de l'autonomie locale doivent être établis au niveau de toutes les villes et au niveau des arrondissements (rayoni) est cruciale pour la force de l'autonomie locale. Des organes d’autonomie efficaces ne peuvent se développer que là où ils disposent de ressources suffisantes pour s’acquitter des tâches qui leur incombent. Selon les constatations de M. Mildner, ce n’est presque exclusivement le cas qu’au seul niveau des arrondissements et des grandes villes , c’est-à-dire directement subordonnées aux sujets de la Fédération. Si ces niveaux administratifs ne sont pas reconnus comme des organes d’autonomie locale, il s’opère donc un transfert important de pouvoirs en faveur de l’administration publique des sujets de la Fédératiovn.

La question de la constitutionnalité de telles réglementations se pose alors aussi. Cette question a cependant reçu une réponse largement positive de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie dans sa décision du 27 janvier 1997. La Cour a dit dans cette décision que des réglementations restrictives des sujets de la Fédération étaient conformes à la Constitution. Pour les détails de cette décision, on pourra se reporter au rapport du professeur Lesage21.

La décision concernait la loi de la république d’Oudmourtie sur l’administration publique locale22. La décision de la Cour se réfère au fait qu'en Russie actuellement il n'existe aucune loi fédérale sur l'organisation d'Etat ou d'administration publique dans des sujets de la Fédération. Par conséquent, lorsque les sujets de la Fédération définissent la structure de l'administration publique sur leurs territoires, ils ne sont censés être tenus que par les articles 1-16 de la Constitution concernant l'ordre constitutionnel. D'autre part, la Cour constitutionnelle estime que la Constitution ne dit pas expressément si les organes des autorités locales doivent être formées au niveau des villes et des arrondissements (rayoni) (cf. art. 131 de la Constitution de la Fédération de Russie). Par ailleurs, la Cour ne fait aucune référence à la loi fédérale sur les principes généraux de l'organisation de l'autonomie locale de 1995 (ci-après : la loi fédérale sur l'autonomie) qui stipule que les villes et les arrondissements forment une base territoriale pour l'autonomie locale.

Par conséquent, la Cour constitutionnelle juge que les sujets sont libres de créer des organes de l'autonomie locale au niveau inférieur. D'autre part, selon l’interprétation de la Cour constitutionnelle, la situation juridique des sujets de la Fédération ne peut être modifiée que par la promulgation d’une loi fédérale sur l’organisation de l’Etat dans les sujets de la Fédération23. Cette loi fédérale devrait stipuler que l'administration publique devrait être établie au niveau des villes et des arrondissements ruraux (rayoni).

2) Organisation interne des municipalités

En ce qui concerne l’organisation interne des municipalités, la loi fédérale sur l’autonomie n’offre qu’un cadre réglementaire très général (art. 16 à 21 de la loi fédérale sur l’autonomie). L’organisation détaillée reste confiée à l’organe législatif des sujets de la Fédération (ex. réglementation sur la personnalité juridique des communes, art. 5 n° 14 de la loi fédérale sur l’autonomie) ou aux municipalités elles-mêmes (art. 14 par. 6 de la loi fédérale sur l’autonomie). A cette fin, les municipalités se donnent des statuts, qui doivent cependant être enregistrés par l’Etat (art. 8 de la loi fédérale sur l’autonomie). Du fait de cette situation juridique, il existe dans les organes de l’autonomie locale des modes d’organisation communale très différentvis.

A ce stade, il suffit de présenter rapidement l’organisation interne de la ville de Samara d’après son Statut24 : les organes principaux en sont le maire et la Douma de la ville, élus au suffrage direct (art. 7 et 8 du Statut). La Douma se compose de 18 membres professionnels élus au suffrage majoritaire dans des circonscriptions électorales uninominales. Le maire assure la présidence de la Douma, à qui l’art. 7.14 du Statut réserve le droit de voter sur les affaires les plus importantes de la ville. Le maire est en outre chargé de représenter la ville à l’extérieur et assure la direction générale de l’administration municipale (art. 8.5 du Statut). En outre, la ville est gérée par une administration dont le chef est nommé par le maire avec l’accord de la Douma (art. 9.3.2 du Statut). Enfin, des administrations sont constituées pour chaque arrondissement de la ville (art. 9.5 du Statut).

Le droit communal russe attribue aux formes de démocratie directe une valeur exceptionnelle (comp. art. 130 par. 2 de la Constitution). Pour la gestion des affaires locales ces formes juridiques sont le référendum local (art. 22 de la loi fédérale sur l’autonomie) et dans les petites municipalités l’assemblée communale (art. 24 de la loi fédérale sur l’autonomie). La réglementation des procédures s’y rapportant incombe aux statuts des municipalités elles-mêmes. La loi sur l’autonomie de la région de Samara prévoit en outre “ l’autonomie sociale au niveau local” (art. 33). Dans la pratique, cette forme de démocratie directe, comme les autres, ne joue quasiment aucun rôle. Selon les informations de M. Skobeev (Président de la Douma de Samara), la population se désintéresse complètement des questions de politique municipale, ce qui se traduit entre autres par une participation très faible aux élections. Cependant, cette situation ne semble absolument pas typique de la Fédération de Russie dans son ensemble, car selon M. Voronine, la participation aux élections municipales dépasse largement celle des élections au niveau des sujets ou de la Fédération.

3) Compétences des municipalités et contrôle de l’Etat

En relation avec l’art. 130 par. 1 de la Constitution, l’art. 1 et l’art. 2 par. 1 de la loi fédérale sur l’autonomie définissent l’autonomie locale comme “ l’activité autonome et responsable de la population ... dans la gestion des affaires d’importance locale ”. Les affaires concernées par l’autonomie sont énumérées à l’art. 6 par. 1 n°1 à 30 (loi fédérale sur l’autonomie). Ce sont entre autres :

- les questions de développement économique et social des collectivités locales (n°4);

- la gestion du logement (n°5);

- les travaux publics (n°9);

- la gestion des archives locales (n°19);

En outre, les municipalités peuvent également se voir confier des missions d’administration publique, pour lesquelles elles doivent recevoir une compensation financière aux dépenses engagées (art. 132 par. 2 de la Constitution, art. 6 par. 4 de la loi fédérale sur l’autonomie).

Les municipalités remplissent leurs missions de façon autonome et responsable. Seules les missions d’administration publique sont réalisées sous le contrôle de l’Etat (art. 6 par. 4, 2è phrase de la loi fédérale sur l’autonomie). En général, les organes d'Etat ne sont habilités à superviser que la légalité des activités municipales. En outre, les municipalités ou leurs fonctionnaires sont soumis à la tutelle du ministère public, la Prokuratura (art. 51 de la loi fédérale sur l’autonomie), qui est un organe fédéral (art. 1 par. 1 de la loi fédérale sur la Prokuraturviia), de même qu’au contrôle disciplinaire des organes d’Etat des sujets de la Fédération (art. 49 par. 3 de la loi fédérale sur l’autonomie). Dans ce domaine, des sanctions ne peuvent cependant être prises qu’après constatation judiciaire d’un manquement disciplinaire.

Dans le cadre de la tutelle, la Prokuratura est autorisée à contester les actions illégales des municipalités au moyen d’une réclamation (art. 21 et 24 de la loi sur la Prokuratura). Si le problème soulevé par la réclamation n’est pas résolu, les mesures mises en cause doivent être contestées devant un tribunal (art. 23 de la loi sur la Prokuratura). Selon M. Skobeev, un représentant de la Prokuratura assiste à chaque session de la Douma de la ville de Samara. Si une protestation est déposée, la Douma y remédie régulièrement dans la moitié des cas ; dans les autres cas, la Prokuratura a jusqu’à présent toujours évité de porter plainte, car elle n’a visiblement pas la confiance nécessaire envers les institutions judiciaires.

4) Les bases économiques de l’autonomie locale

Bien que la Constitution russe place expressément la propriété municipale et l’indépendance financière des municipalités (impôts et budgets locaux) sous sa protection (art. 132 par. 1 de la Constitution), les bases économiques de l’autonomie locale constituent la principale cause d’affrontements politiqueviiis, et ce pour les raisons suivantes :

- Dans la plupart des domaines, il manque les bases juridiques adéquates ou ce sont des bases juridiques contradictoires qui s’appliquent, par conséquent, une planification à long terme est impossible.

- L’économie et les finances russes sont en cours de décentralisation et de régionalisation. Comme la Constitution russe ne prévoit aucune réglementation correspondante, l’affrontement politique est inévitable sur ce point.

- La politique économique russe subit actuellement un processus de transformation du système, accompagné d’une sévère crise économique.

Ceci a finalement placé les collectivités locales dans une situation de totale dépendance vis-à-vis des subventions de l'Etat. De l'avis de l'Union des petites villes de Russie, qui rejoint l'opinion de tous les autres interlocuteurs russes, le principal obstacle au développement de l'autonomie locale est la mauvaise situation économique des collectivités locales. Pour résoudre ce problème, il faudrait que soient promulguées dans un proche avenir toute une série de lois qui doivent avoir des répercussions directes sur les bases économiques de l'autonomie locale. Il convient de souligner à ce propos l'importance des nouvelles réglementations prévues en matière de droit foncier et de droit fiscal.

Dans le cadre de la décentralisation touchant la réglementation de la propriété et de la privatisation, des entreprises publiques et des terrains ont été partagés ces dernières années entre la Fédération, les sujets de la Fédération et les collectivités locales. Les municipalités sont certes habilitées, en vertu de l'art. 29 de la Loi fédérale sur l'autonomie locale, à gérer elles-mêmes leurs biens, mais les formes juridiques de cette gestion doivent dériver du droit foncier, qui n'est actuellement pas réglementé, tout au moins pas de manière conforme à la Constitution (cf art. 36 par. 3 de la Constitution de la Fédération russe). Jusqu'à présent, la loi sur la propriété immobolière prévue par l'art. 13 de la loi d'introduction du Code civil25 n'a pas pu être adoptée.

Les problèmes budgétaires de la Russie, que nous avons esquissés, font que le droit fiscal et budgétaire actuellement en vigueur n'est pas réglementé de façon cohérente. C'est pourquoi le gouvernement russe prévoit pour l'année 1997 la promulgation d'un Code des impôts qui y remédiera. Comme une telle loi requiert, selon l'art. 106 b/ de la Constitution de la Fédération russe, l'accord du Conseil de la Fédération (donc des sujets de la Fédération), il est à craindre que, lors de son adoption, les intérêts des unités locales ne soient négligés au profit de ceux des sujets de la Fédération.

V. Perspectives d'adhésion de la Fédération russe à la Charte européenne de l'autonomie locale

La Russie a certes signé la Charte européenne de l'autonomie locale; mais faute de ratification (art. 15 par. 1 de la Charte), celle-ci n'est pas encore entrée en vigueur dans la Fédération russe. Etant donné le grand prestige politique dont jouissent en Russie le Conseil de l'Europe et ses institutions, on peut supposer que le gouvernement russe entamera très prochainement une procédure interne de ratification (voir ci-dessous 1), ce qui pose la question des répercussions que cette ratification aura sur le droit russe et sur l'autonomie locale en Russie (voir ci-dessous 2).

1. La ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale par la Fédération russe

La ratification des traités de droit international signés par la Russie est, sur le plan extérieur, du ressort du Président de la Fédération (art. 86 c/ de la Constitution de la Fédération russe, art. 18, 19 de la loi sur les Traités26). Mais selon l'article 15 par. 2 de la Loi fédérale sur les Traités, elle nécessite sur le plan interne l'adoption d'une loi de ratification correspondante par la Douma, avec l'approbation du Conseil de la Fédération (art. 105, 106 d/ de la Constitution de la Fédération russe).

L'organisation fédéraliste de l'Etat en Russie n'empêche en rien son adhésion à la Charte européenne de l'autonomie locale, car en vertu de l'article 71 j/, la politique étrangère et la conclusion de traités internationaux relèvent de la compétence (exclusive) de la Fédération. Le fait que la réglementation de l'autonomie locale relève quant à elle de la compétence législative partagée de la Fédération et de ses sujets (art. 72 par. 1 m/ de la Constitution de la Fédération russe) n'y change rien. En vertu de l'article 3 par. 1 de la loi sur les Traités, la signature de traités est, dans ces cas-là aussi, du ressort de la Fédération27.

Après la ratification, le contenu de la Charte doit, en vertu de l'art. 15 par. 4 alinea 1 de la Constitution de la Fédération russe, faire partie intégrante de la législation russe. Le fait que la compétence législative à mettre en oeuvre pour la mise en place de l'autonomie locale soit, selon art. 72 par. 1 m/ de la Constitution, partagée entre la Fédération et ses sujets, n'y fait pas obstacle. En effet, les articles 72 par. 1 n/ de la Constitution de la Fédération russe et 32 par. 3 de la loi sur les Traités plutôt obligent les sujets de la Fédération à mettre leur législation en conformité avec le contenu de la Charte.

2. La Charte européenne dans la législation russe

Les répercussions qu'aura à l'intérieur de la législation russe la Charte européenne de l'autonomie locale après sa ratification ne sont pas absolument établies.

a) Le domaine d'application de la Charte

Concrètement, le domaine d'application de la Charte recouvre, selon son article 13, toutes les sortes de collectivités territoriales locales; celles-ci peuvent éventuellement être définies avec plus de précision lors du dépôt par l'Etat signataire de l'acte de ratification. Ceci montre que le domaine d'application embrasse les différents types d'organisation des pouvoirs locaux existant dans les pays signataires de la Charte.

En ce qui concerne la future ratification de la Charte par la Russie, on peut tout d'abord établir que les sujets de la Fédération28, ainsi nommés dans l'article 65 par. 1 de la Constitution de la Fédération russe, ne tombent en aucune façon dans le domaine d'application de la Charte. Etant donné qu'ils sont, d'une part, directement subordonnés à la Fédération et, d'autre part, directement au-dessus des collectivités locales, seule la Charte européenne de l'autonomie régionale29 en projet pourra s'appliquer à eux. C'est aussi le cas des villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg, qui sont également qualifiées, dans l'article 65 par. 1 de la Constitution de la Fédération russe, de sujets de la Fédération. Elles non plus ne bénéficient pas de la garantie constitutionnelle de l'autonomie locale (art. 12, 130 et suivants de la Constitution). Le législateur russe l'a établi clairement par la loi d'amendement de la loi fédérale sur l'autonomie locale en date du 17.3.199730. Avec cette loi d'amendement, il a simplement permis aux deux villes de ne pas mettre en place des collectivités autonomes sur leur territoire. Si tant est qu'il sera fait usage de cette opportunité, on se retrouvera face à la même situation juridique que dans la ville libre et hanséatique de Hambourg, divisée en arrondissements n'ayant pas le caractère de communes31.

D'autre part, on peut se demander si les arrondissements ruraux (raïony) et les villes non rattachées à un arrondissement, qui sont directement subordonnés à un sujet de la Fédération, pourront retirer des droits de la Charte. Pour répondre à cette question nous devons deux types de municipalités.

Pour ce qui est des villes non rattachées à un arrondissement, on peut répondre à cette question par affirmative, car il s'agit là de groupes de peuplement homogènes qui, en dehors de toute considération juridique, présentent les caractères d'une unité communale. En revanche, il appartient indéniablement à la seule Fédération russe, lors du dépôt de l'acte de ratification, de se prononcer sur l'opportunité ou non d'inclure aussi les arrondissements dans le champs d'application de la Charte, et ce indépendamment de l'article 12 par. 1 de la loi sur l'autonomie, selon laquelle les arrondissements disposent eux aussi du droit à l'autonomie locale.

En raison du contexte général régnant en Russie (personnel, finances etc.) les arrondissements sont pourtant, bien plus que les communes qui leur sont rattachées, à même de faire usage d'un droit à l'autonomie locale et de former ainsi un contre-poids au pouvoir d'Etat. C'est la raison pour laquelle le Conseil de l'Europe et le CPLRE devraient user de toute leur influence politique afin que, lors de la ratification de la Charte, la Russie inclue également les arrondissements (raïony) parmi les unités jouissant de l'autonomie locale dans le sens de l'article 13 de la Charte. Ce sont seulement les arrondissement ruraux (rayoni) qui disposent des ressources (personnel, finances etc) nécessaires à l'exercice réelle et effective de l'autonomie locale.

b) La mise en application du contenu de la Charte

En vertu de l'article 15 par. 4 de la Constitution de la Fédération russe, les traités internationaux, une fois ratifiés, font partie intégrante de la législation russe et priment sur les lois et autres actes juridiques votés "dans la Fédération russe". Selon cette formulation, la primauté du contenu des traités de droit international vaut donc aussi vis-à-vis du droit des sujets de la Fédération. Dans le cas où les dispositions d'un traité international entrent en collision avec le droit national russe, la Constitution russe dit explicitement (art. 15 par. 4 alinea 2) que ce sont les dispositions du traité international qui doivent être appliquées. Ni la Constitution (art. 125 par. 2) ni la loi sur la Cour constitutionnelle n'envisagent toutefois de vérification de la conformité aux traités internationaux des dispositions juridiques nationales. Cette vérification doit plutôt se faire au coup par coup pour chaque procédure.

Ainsi que l'établit l'article 15 par. 4 alinea 2 de la Constitution fédérale, les obligations sur le plan international qui résultent pour la Russie de la ratification de la Charte peuvent entrer directement en vigueur. Ceci ne vaut toutefois que dans la mesure où les dispositions de la Charte comportent dans leurs termes des droits et des obligations directs. Si, en revanche, les dispositions de la Charte ont besoin d'être développées par des réglementations nationales, ce qui est généralement le cas (par exemple art. 6 par. 2, 7, 8 de la Charte), leur ratification entraîne quoi qu'il en soit la non validité des réglementations juridiques russes qui leur sont contraires. Les lacunes qui en résultent dans la législation doivent, le cas échéant, être comblées par le législateur russe (Fédération ou sujets de la Fédération). C'est ce que prévoit l'article 5 par. 3 de la loi fédérale sur les traités32.

VI. Conclusions et recommandations

Le contexte que nous venons d'exposer amène les conclusions et recommandations suivantes.

1. Conclusions

Tenant compte des normes et des institutions en Fédération de Russie, telles qu'elles existent actuellement, force est de constater qu'elles ne sont pas encore conformes aux principes énoncés dans la Charte européenne de l'autonomie locale dans tous les sujets de la Fédération. Toutefois, des succès importants ont déjà été enregistrés dès 1993 auxquels, il est vrai, font pendant des insuffisances flagrantes.

a) Succès enregistrés dans le développement de l'autonomie locale en Russie

On peut considérer comme des succès dans le processus de développement de l'autonomie locale au sein de la Fédération russe les points suivants:

(1) la Constitution russe du 12.12.1993 consacre plusieurs de ses dispositions à la garantie de l'autonomie locale (art. 12, art. 130 à 133). Ces garanties constitutionnelles sont conformes avec les principes de la Charte.

(2) La loi de 1995 sur les principes généraux d'organisation de l'autonomie locale, base légale de première importance pour l'autonomie locale, promulguée en septembre 1995, est conforme aux principes de la Charte ce qui constitue un développement significatif.

(3) Grâce à l'institution des pouvoirs de la Cour constitutionnelle, il est dans une large mesure possible de faire appliquer les dispositions de la Constitution russe par voie judiciaire. Jusqu'à présent, la Cour constitutionnelle russe avait, dans un certain nombre de cas, l'occasion de se prononcer sur les dispositions législatives relatives à l'autonomie locale. C'est de cette manière que les dispositions législatives afférentes ont pu être clarifiées.

(4) Dans certains sujets de la Fédération de Russie, les règles juridiques de l'autonomie locale ont été appliquées avec succès. Cela constitue une contribution importante au développement de la démocratie.

(5) Les collectivités locales concernées par l'autonomie se sont regroupées en associations: l'Union des villes russes et l'Union des petites villes de Russie. Ces associations joué un rôle actif ces dernières années dans la vie publique, leurs efforts devant être encouragés.

b) Les carences du développement de l'autonomie locale en Russie

En dépit des succès considérables obtenus sur une très courte période, le développement de l'autonomie locale présente encore bien des insuffisances:

(1) Un an après son adhésion au Conseil de l'Europe la Russie n'a pas encore ratifié la Charte et on constate encore l'insuffisance des bases juridiques nécessaires à l'autonomie locale, aussi bien dans la législation de la Fédération que dans celle des sujets de la Fédération.

Citons, en guise d'exemple des dispositions légales faisant défaut dans la Fédération:

- le Code des impôts de la Fédération russe, qui doit réglementer le recouvrement par les collectivités locales de recettes spécifiques,

- la loi fédérale sur les bases financières de l'autonomie locale,

- la loi fédérale sur les bases de la fonction publique au niveau local.

Par ailleurs, plusieurs des sujets de la Fédération ne disposent pas encore d'une réglementation, ou tout au moins d'une réglementation complète, relative à l'application de la loi fédérale sur l'autonomie locale.

(2) Plusieurs des sujets de la Fédération passent outre aux dispositions de la Constitution russe et de la loi fédérale sur l'autonomie locale. De plus pour ce qui concerne l'application des décisions de Cour constitutionnelle de la Fédération, il arrive aussi fréquemment que les décisions de la Cour Constitutionnelle ne soient pas respectées dans toute la Fédération de Russie. En outre, la législation de certains sujets de la Fédération n'est pas conforme à la législation fédérale.

(3) La définition des bénéficiaires de l'autonomie locale est un problème crucial. Ainsi, plusieurs des sujets de la Fédération n'ont instauré de collectivités autonomes qu'au niveau le plus bas du pouvoir, à savoir au niveau des petites villes, des villages, des arrondissements urbains etc. La législation de certains sujets de la Fédération stipule également qu'au niveau de l'échelon supérieur du pouvoir (des arrondissements (raïony) et des grandes villes, subordonnés directement aux sujets de la Fédération), doivent être établis des organes du pouvoir d'Etat et non ceux de l'autonomie locale. Or de telles réglementations n'encouragent aucunement le développement de l'autonomie locale mais au contraire sont susceptibles de lui être fortement préjudiciables.

(4) A l'heure actuelle, les collectivités locales ne disposent pas de fonds financiers nécessaires, malgré le fait que la Constitution russe garantit expressément les bases économiques et financières de l'autonomie locale. C'est pourquoi les collectivités locales restent fortement dépendantes des subventions de l'Etat.

(5) Peu de collectivités locales disposent des ressources qui leur sont nécessaires. On manque souvent de personnel bien formé car les programmes de formation ne sont ni suffisants ni sont coordonnés de manière appropriée. C'est un gros handicap, notamment pour l'adoption par les collectivités locales de réglementations juridiques et des statuts, car l'aide apportée par l'Etat (par exemple en proposant des modèles de statuts) demeure insuffisante.

(6) Enfin la justice russe rencontre de graves difficultés sur la voie d'application effective de l'autonomie locale, En outre, les collectivités locales ne sont pas habilitées à faire recours devant la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie.

2. Recommandations

La Fédération de Russie et ses sujets doivent encore faire des efforts substantiels afin de mettre leur législation en conformité avec les principes de la Charte. Pour encourager un développement positif l'assistance fournie par la Conseil de l'Europe et le CPLRE s'avére nécessaire.

a) Recommandations aux organes d'Etat de la Fédération russe

Eu égard aux dispositions constitutionnelles sur la répartition des compétences, les organes fédéraux et les institutions russes devraient prendre des mesures suivantes :

(1) La Fédération russe devrait ratifier dès que possible la Charte. L'instrument de la ratification devrait déterminer le champ d'application de la Charte de la manière la plus large possible en assurant son application non seulement aux villes et aux villages, mais également aux arrondissements ruraux (raiony).

(2) La Russie devrait appuyer le projet de la Charte européenne de l'autonomie régionale et d'adhérer le moment venu à ladite Charte car cela pourrait contribuer au développement de l'autonomie locale. La Charte européenne de l'autonomie régionale devrait non seulement protèger les intérêts des régions, c'est-à-dire dans le cas de la Russie les intérêts des sujets de la Fédération, mais aussi les intérêts des collectivités locales. Dans cette perspective, une référence à l'art. 7 du projet de la Charte européenne de l'autonomie régionale devrait être faite. Cet article entend que les Sujets de la Fédération devraient respecter le principe de subsidiarité dans leurs relations avec les collectivités locales.

(3) La Fédération russe devrait, dès que possible, promulguer les lois qui font encore défaut pour la mise en place de l'autonomie locale. Il convient en cela de prendre en compte comme il se doit l'opinion des collectivités locales et de leurs associations.

Le législateur fédéral devrait promulguer, en particulier, le Code des impôts, la loi fédérale sur les ressources financières des collectivités locales et la loi fédérale sur les principes d'organisation du pouvoir d'Etat dans les sujets de la Fédération. Une telle loi devrait, conformément aux principes de la Charte, inclure une disposition selon laquelle, au niveau administratif des villes et des arrondissements ruraux (raïony), ne devrait être instauré aucun organe d'Etat mais seulement les organes de l' autonomie locale.

Par ailleurs, la Fédération russe devrait envisager une modification de sa Loi sur la Cour constitutionnelle. Dans le cadre d'une telle modification, il serait possible d'accorder aux collectivités locales un droit de recours à la Cour constitutionnelle de la Fédération russe et de garantir le respect des décisions de la Cour constitutionnelle dans toute la Fédération de Russie.

(4) Le gouvernement russe devrait à l'avenir s'impliquer plus fortement pour que les législations des sujets de la Fédération soient en harmonie avec le droit fédéral. L'élaboration de lois-types pour les sujets de la Fédération serait à cet égard utile, ce processus devant prendre en compte les différents aspects et le diversité des structures de l'autonomie locale en Russie, le Conseil de l'Europe pouvant aider les autorités russes sur demande.
b) Recommandations aux sujets de la Fédération

Compte tenu de la répartition des compétences constitutionnelles en vigueur en Russie, les sujets de la Fédération devraient adopter les mesures suivantes.

(1) Les sujets de la Fédération devraient continuer à élaborer les bases juridiques de l'autonomie locale en promulguant, dans le cadre de leur compétence, les lois nécessaires et/ou en modifiant - pour autant que cela soit nécessaire - les lois déjà existantes afin d'assurer la conformité de leur législation avec celles de la Fédération, ainsi qu'avec les principes de la Charte. Dans les deux cas, les organes législatifs des sujets de la Fédération ne devraient pas s'orienter uniquement en fonction des prescriptions du droit fédéral, mais aussi en fonction des principes définis dans la Charte.

(2) Les sujets de la Fédération devraient créer les organes de l'autonomie locale conformément à la loi fédérale sur l'autonomie, y compris au niveau des villes et des arrondissements ruraux (raiony).

(3) Les sujets de la Fédération sont, de plus, invités à pourvoir les collectivités locales de moyens financiers et techniques indispensables à l'exercice réel des compétences dont elles sont chargées. Outre la disposition des ressources financières suffisantes, il s'agit surtout de garantir pour elles de disposer d'un personnel administratif qualifié.

(4) Les sujets devraient assurer une formation appropriée et bien coordonnée au personnel des administrations des collectivités locales.

(5) Ils devraient garantir à la population l'accès à l'information adéquate en matière d'autonomie locale. En outre, les sujets devraient encourager les media sous leur contrôle à diffuser l'information relative aux affaires locales.

(6) Les sujets de la Fédération sont par ailleurs invités à user de leur influence au sein du Conseil de la Fédération de Russie pour encourager le développement de l'autonomie locale.

c) Recommandations au Conseil de l'Europe et au CPLRE

Considérant que le développement positif de l'autonomie locale en Russie requiert le déploiement des efforts significatifs, le Conseil de l'Europe et le CPLRE sont appelés à offrir aux institutions russes leur soutien, et ce grâce aux mesures suivantes:

(1) Le CPLRE doit encourager la Fédération de Russie à ratifier le plus vite possible la Charte. Il conviendra au CPLRE d'informer le gouvernement russe de l'importance de la Charte, comme instrument d'application non seulement à toutes les villes, mais aussi aux arrondissements ruraux (raïony).

(2) Par conséquent, le CPLRE devrait réunir systématiquement l'information sur l'évolution de l'autonomie locale en Russie et ses bases légales, en proposant son expertise aux institutions russes.

Pour atteindre ces objectifs, le CPLRE devraient axer ces activités sur le programme commun de l'Union Européenne et le Conseil de l'Europe, "RUS 2", en proposant au Comité de Ministres de prendre des mesures suivantes :

- établir un pool d'experts chargés de fournir systématiquement une information concernant l'état de la démocratie locale en Russie, de préparer des commentaires sur des projets de lois compte tenu des principes énoncés dans la Charte et d'offrir leur assistance juridique aux institutions de la Fédération de Russie, à ses sujets, à des municipalités et leurs associations;

- favoriser la formation du personnel (des élus, l'administration des municipalités, des responsables de la Fédération et des sujets chargés des questions d'autonomie locale) et prêter aux autorités russes l'assistance dans l'élaboration d'une stratégie de formation du personnel des pouvoirs locaux et régionaux et des élus en établissant des centres régionaux en collaboration avec ENTO, le Réseau Européen des Institutions de Formation des Pouvoirs Locaux et Régionaux;

- établir en Russie une unité permanente capable de fournir information et conseils en matière d'autonomie locale pendant la période de réforme, en tenant compte de la diversité de l'autonomie locale existant en Russie.

1 Décision de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n° 193/1996 du 25 janvier 1996 sur la demande d’admission de la Russie au Conseil de l’Europe.

2 . SZRF 1997, n° 5, art. 708 ; cf. le rapport du 5 mars 1997 du Pr. Lesage au Congrès.

3 Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 (Rossijskaja Gazeta du 25 décembre 1993)

4 cf. présentations détaillées par R. Götz / U. Halbach, Politisches Lexikon Rußlands, Munich 1994, p. 55 et suiv.

5 cf. résumé par P. Kirkow, Im Labyrinth russischer Regionalpolitik : Ausgehandelter Föderalismus und institutionelle Veränderungen, OSTEUROPA 1997, p. 38 et suiv., pp. 49-50.

6 Accord du 15 février 1994 (Rossijskaja Gazeta du 17 février 1994); pour plus de détails voir A. S. Beliaev, Die neuen Rechtsgrundlagen der Beziehungen zwischen der Russischen Föderation und der Republik Tatarstan, OSTEUROPA-RECHT 1995, p. 121 et suiv.

7 cf. ci-dessous IV.1.

8 Sur la situation juridique et les pratiques administratives en Union soviétique, voir K.Westen in M. Fincke (éditeur), Handbuch der Sowjetverfassung, Berlin 1983, n° 18 et suiv. sur l’art. 3; S. Kropp, Systemreform und lokale Politik in Rußland : Zur Demokratisierung politischer Entscheidungsprozesse, Opladen 1995, p. 25 et suiv.

9 VSNDIVS RSFSR 1991, n° 29, art. 1011

10 Constitution de la République du Tatarstan du 30 novembre 1992, dans la version du 30 novembre 1994.

11 Note n°6

12 Code de procédure civile de la RSFSR du 11 juillet 1964 (VVS RSFSR 1964, n° 24, art. 407), modifié par la loi du 21 août 1996 (SZRF 1996, n° 35, art. 4134).

13 code de procédure économique de la Fédération de Russie du 5 mai 1995 (SZRF 1995, n° 19, art. 1709).

14 Loi constitutionnelle sur la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 21 juillet 1994 (SZRF 1994, n°13, art. 1447).

15 Pour plus de détails sur le contenu et la signification de cette décision, cf. ci-dessous IV. 1c.

16 Décret sur les mesures d’application de la décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 24 janvier 1997, n° 1-F du 10 mars 1997 (Rossijkaja Gazeta du 12 mars 1997).

17 Ordonnance sur le programme fédéral de soutien public à l'autonomie locale du 27 décembre 1995 ( SZRF 1996, n° 2, art. 121).

18 Loi sur les organes locaux du pouvoir public et de l’administration publique du 30 novembre 1994, dans la version de la loi du 25 mai 1995

19 art. 1 de la loi sur l’autonomie locale de la République du Tatarstan du 30 novembre 1994

20 Loi de la région de Samara sur l’autonomie locale du 21 décembre 1995

21 cf. note n°2

22 loi de la république d’Oudmourtie sur le système des organes du pouvoir d’Etat du 17 avril 1996

23 cf. art. 77 par. 1, art. 72 par. 1 al. m) de la Constitution et ci-dessus le point a).

24 Statut de la ville de Samara du 30 avril 1996, dans la version du 13 juin 1996. Le statut a été adopté par la Douma de la ville et enregistré par la Douma de région le 9 juillet 1996.

25 Loi d'introduction à la première partie du Code civil de la Fédération de Russie, du 30.11.1994 (SZRF 1994, N° 32, art. 3302).

26 Loi du 15.7.1995 sur les Traités internationaux de la Fédération de Russie (SZRF 1995, N° 29, art. 2757).

27 Même dans les cas où un sujet de la Fédération se trouve particulièrement concerné par un traité, il n'existe selon l'article 4 de la Loi sur les Traités qu'une obligation de consultation; T. Beknazar, Le nouveau Droit relatif aux traités internationaux en Russie, ZaöRV 1996, p. 406 et suivantes, p. 409-410.

28 Voir ci-dessus II.

29 Le projet de la Charte de l'autonomie régionale est inscrit dans la résolution 37/1996 du CPLRE, du 5.7.1996.

30 Rossijskaïa Gazeta du 20.3.1997.

31 K. Sieveking, Droit communautaire européen et villes-Etats, DöV 1993, p. 449 et suivantes, p. 452-453.

32 Cf à ce sujet T. Beknazar (note 39) ZaöRV 1996, p. 406 et suivantes, p. 409-410.