26e SESSION

Strasbourg, 25-27 mars 2014

CG(26)6 AMDTREV

25 mars 2014

AMENDEMENTS

La situation de Leyla Güven et d’autres élus locaux en détention en Turquie

Bureau du Congrès

Rapporteurs :    Anders KNAPE, Suède (L, PPE/CCE[1])

Leen VERBEEK, Pays-Bas (R, SOC)

Projet de résolution (pour vote) AMENDEMENTS 1-5. 2

Projet de recommandation (pour vote) AMENDEMENT 1. 5

Exposé des motifs. 6

Résumé

Leyla Güven a été arrêtée Le 29 décembre 2009, pendant qu’elle était maire de Viranşehir et membre du Congrès. Quatre ans plus tard, elle est toujours en détention. Son procès est en cours depuis 2010 et aucune date n’a été fixée pour son jugement.

Alors que la Turquie se prépare à de nouvelles élections locales, prévues en mars 2014, un grand nombre de maires, maires adjoints et conseillers municipaux sont maintenus en détention provisoire depuis des années.

Les rapporteurs du Congrès font rapport de leur deuxième visite à Leyla Güven en détention et, notant que tous les membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie qui étaient en détention ont été libérés suite à un arrêt récent de la Cour constitutionnelle de Turquie, demandent que les mêmes principes soient appliquées aux élus locaux qui restent en détention.


PROJET DE RESOLUTION[2]

1. Leyla Güven a été arrêtée le 29 décembre 2009, peu de temps après avoir été nommée à la nouvelle délégation turque du Congrès et prononcé un discours à la session plénière du Congrès d’octobre 2009. Elle est en détention provisoire depuis plus de quatre ans.

 

2. Le Congrès continue de suivre son affaire. Le Bureau du Congrès a déjà fait part de ses préoccupations quant à la situation de Mme Güven et des autres élus en détention provisoire dans sa « Déclaration sur les élus détenus en Turquie » de mai 2010. Dans une « Déclaration sur la situation des élus locaux et régionaux en Turquie » de mars 2013, le Congrès a réaffirmé sa position selon laquelle la détention massive d’élus locaux en Turquie affaiblit la démocratie locale.

3. Le 7 décembre 2013, conformément à la décision prise par le Bureau du Congrès lors de sa réunion du 3 décembre 2012, les rapporteurs du Congrès ont rendu visite à Leyla Güven à la prison de Diyarbakir. Leur rapport, qu’ils ont présenté au Bureau du Congrès à sa réunion du 10 février 2014, est reproduit dans l’exposé des motifs de la présente recommandation.

4. Alors que la Turquie se prépare à de nouvelles élections locales, prévues en mars 2014, de nombreux maires, maires adjoints et conseillers municipaux sont maintenus en détention provisoire depuis des années, une situation sans précédent dans les États membres du Conseil de l’Europe.

Amendement no 1

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, EPP/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Remplacer les paragraphes no 4 et 6 par un nouveau paragraphe no 4 et modifier la numérotation en conséquence :

« 4. La Turquie se prépare à de nouvelles élections locales, prévues en mars 2014. Dans ce contexte, le Congrès escompte et espère une issue similaire pour Leyla Güven et pour les 15 maires, 23 maires adjoints et 44 conseillers municipaux. »


Amendement no 2

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, PPE/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Placer le paragraphe no 5 avant le paragraphe no 4 (qui devient ainsi le nouveau paragraphe no 4).

« 4. Le Congrès note qu’à la suite de l’arrêt du 4 décembre 2013 de la Cour constitutionnelle de Turquie dans l’affaire de Mustafa Balbay, ordonnant sa libération au motif que la durée de sa détention provisoire avait été excessive et donc illégale, et qu’il y avait eu violation de son droit d’être élu, les tribunaux turcs ont libéré les cinq parlementaires détenus dans des circonstances similaires et pour les mêmes motifs que Leyla Güven. »

5. Le Congrès note qu’à la suite de l’arrêt du 4 décembre 2013 de la Cour constitutionnelle de Turquie dans l’affaire de Mustafa Balbay, ordonnant sa libération au motif que la durée de sa détention provisoire avait été excessive et donc illégale, et qu’il y avait eu violation de son droit d’être élu puisqu’il avait été empêché d’honorer son mandat de service public pendant sa détention, les tribunaux turcs ont libéré les cinq parlementaires détenus dans des circonstances similaires et pour les mêmes motifs que Leyla Güven,

6. Le Congrès déplore que cet arrêt ne s’applique pas à Leyla Güven ni aux 15 maires, 23 maires adjoints et 133 conseillers municipaux encore incarcérés en Turquie.

Amendement no 3

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, EPP/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Au paragraphe no 6, remplacer l’expression « 133 conseillers municipaux » par « 44 conseillers municipaux ».


7. En conséquence, le Congrès :

a. gardant à l’esprit le rapport de la visite rendue par les rapporteurs à Leyla Güven à la prison de type E de Diyarbakir le 7 décembre 2013, ainsi que le rapport de leur précédente visite à Leyla Güven, le 6 octobre 2011 ;

b. convaincu que ces détentions entravent sérieusement le processus démocratique en Turquie et soulèvent de graves questions en relation avec l’Etat de droit et la protection des droits de l’homme dans ce pays ;

Amendement no 4

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, EPP/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Supprimer le paragraphe no 7.b et modifier la numérotation en conséquence.

c. décide de continuer de suivre l’affaire de Leyla Güven et de tous les élus locaux qui se retrouvent dans des situations similaires ;

d. demande à son Bureau de continuer à examiner cette affaire à chacune de ses réunions, jusqu’à ce que les personnes concernées soient libérées, et à tenir à jour un dossier sur Leyla Güven, avec notamment sa photo et des informations sur sa détention, sur la page d’accueil de son site internet.

Amendement no 5

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, EPP/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Supprimer le paragraphe no 7.d et modifier la numérotation en conséquence.


PROJET DE RECOMMANDATION[3]

1. Le 29 décembre 2009, Leyla Güven a été arrêtée, comme de nombreuses autres personnes placées en garde à vue à la suite d’une vague d’arrestations. À l’époque, elle était maire de Viranşehir, élue lors des élections locales de 2009, et membre du Congrès. Quatre ans plus tard, elle est toujours en détention. Son procès est en cours depuis 2010 et aucune date n’a été fixée pour son jugement.

2. Elle n’est pas la seule dans ce cas. Alors que la Turquie se prépare à de nouvelles élections locales, prévues en mars 2014, 15 maires, 23 maires adjoints et 133 conseillers municipaux sont maintenus en détention provisoire depuis des années, une situation sans précédent dans les États membres du Conseil de l’Europe.

3. Le 7 décembre 2013, conformément à la décision prise par le Bureau du Congrès lors de sa réunion du 3 décembre 2012, les rapporteurs du Congrès ont rendu visite à Mme Güven à la prison de Diyarbakir. Leur rapport, qu’ils ont présenté au Bureau du Congrès à sa réunion du 10 février 2014, est repris dans l’exposé des motifs de la présente recommandation.

4. Le Congrès, convaincu que la présomption d’innocence est un principe fondamental de la justice, note que :

a. selon les avocats de Mme Güven, la durée de sa détention provisoire excède déjà largement toute peine encourue pour les charges qui pourraient être retenues à son encontre ;

b. le 4 décembre 2013, la Cour constitutionnelle de Turquie a rendu un arrêt appelé à faire jurisprudence dans l’affaire, similaire, de Mustafa Balbay, un député lui aussi détenu depuis 2009, et a ordonné sa libération au motif que la durée de sa détention provisoire avait été excessive et donc illégale, et qu’il y avait eu violation de son droit d’être élu puisqu’il avait été empêché de s’acquitter des obligations liées à son mandat pendant sa détention ;

c. suite à cet arrêt, les tribunaux turcs ont libéré les cinq parlementaires détenus dans des circonstances similaires et pour les mêmes motifs que Leyla Güven, tandis que les 15 maires, 23 maires adjoints et 133 conseillers municipaux sont toujours incarcérés et dans l’incapacité d’honorer les mandats pour lesquels ils ont été élus.

5. En conséquence, le Congrès demande au Comité des Ministres :

a. d’inviter les autorités turques à appliquer aux élus locaux les mêmes normes et principes qu’aux parlementaires, et par conséquent :

b. de libérer Leyla Güven et tous les élus locaux turcs qui se trouvent dans une situation similaire et ce, dans la perspective des élections municipales turques de mars 2014.

Amendement no 1

Présenté par Merita JEGENI YILDIZ; Turquie (R, EPP/CCE)

Signé par : Rauf ALIYEV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Andrew BOFF, Royaume-Uni (R, CRE), Gaye DOGANOGLU, Turquie (L, PPE/CCE), Anar Adil IBRAHIMOV, Azerbaïdjan (R, PPE/CCE), Dobrica MILOVANOVIC, Serbie (L, NI), Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD).

Supprimer le paragraphe no 5.b.


EXPOSE DES MOTIFS

1.             Le 29 décembre 2009, Leyla Güven, maire de Viranşehir et membre de la délégation turque du Congrès, a été arrêtée lors des vagues d’arrestations en série d’élus locaux, d’avocats, de journalistes, ainsi que de militants politiques et des droits de l’homme.

2.             Plus de quatre ans après, Mme Güven est toujours en détention provisoire, comme de nombreux autres élus locaux, tous accusés d’infractions à la législation pénale et antiterroriste turque. La situation de Mme Güven a été évoquée lors de plusieurs sessions du Congrès et, depuis la première visite des rapporteurs dans son lieu de détention, le 6 octobre 2011, le Bureau du Congrès a été informé de sa situation à chacune de ses réunions. Son procès est en cours depuis octobre 2010.

3.             Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a rendu visite à Leyla Güven en prison en mai 2010 ; il a commenté dans le détail les conditions des détentions dans un rapport de 2012 intitulé « Administration of justice and protection of human rights in Turkey » (« Administration de la justice et protection des droits de l’homme en Turquie » ; en anglais seulement), dont des extraits figurent dans l’annexe au présent rapport.

Rapport de la visite à Leyla Güven (7 décembre 2013)

4.             Le samedi 7 décembre 2013, conformément à la décision prise par le Bureau du Congrès lors de sa réunion du 3 décembre 2012, une délégation composée des rapporteurs du Congrès sur la Turquie, Anders Knape (Suède, PPE/DC) et Leen Verbeek (Pays-Bas, SOC), a rendu visite à l’ancien membre du Congrès Leyla Güven, incarcérée à la prison de type E de Diyarbakir. Ils étaient accompagnés de Jean-Philippe Bozouls, Secrétaire exécutif de la Chambre des pouvoirs locaux. Gaye Doganoglu (PPE/DC), Présidente de la délégation turque du Congrès, a également pris part à cette mission.

5.             Lors de la visite, effectuée à la demande du Bureau du Congrès et autorisée par les autorités turques, les rapporteurs ont pu s’entretenir longuement avec Mme Güven. Ils ont rendu compte de leur visite au Bureau du Congrès à sa réunion du 10 février 2014.

La rencontre avec Mme Güven

6.             La délégation a rencontré Mme Güven dans le bureau du directeur adjoint de la prison, qui n’a pas assisté à l’entretien. Les rapporteurs ont trouvé Mme Güven en bonne santé et ayant bon moral. Elle a remercié la délégation de sa visite ; elle a également remercié le Congrès pour le soutien sans faille qu’il lui témoigne depuis le début de sa détention. Ce soutien compte beaucoup pour elle.

7.             Elle a redit combien elle avait été heureuse de faire partie de la délégation du Congrès et combien elle avait été impressionnée par l’unique session plénière à laquelle elle avait pu participer avant son arrestation en 2009. Elle s’est félicitée du nombre de femmes dans les délégations du Congrès, ce qu’elle a salué comme une conquête importante à porter au compte du Congrès.

8.             Mme Güven était vêtue de noir, en signe de deuil après que deux jeunes hommes ont été tués par des tirs de la police le 6 décembre 2013 à Gever (district d’Yüksekova), dans la province d’Hakkari, alors qu’ils participaient à une manifestation pour dénoncer des actes de profanation de sépultures.

9.             Elle a exprimé sa tristesse de ne pas pouvoir exercer son mandat de maire et servir ses concitoyens depuis son élection en 2009. Ses administrés ne méritaient pas ça. Sa commune est située dans une région où les inégalités sociales sont profondes, en particulier à l’égard des femmes. Elle avait de nombreux projets pour améliorer la situation des femmes de sa municipalité, mais elle n’a pas été en mesure de les mettre en œuvre. Avant son élection en 2009, elle avait été maire de Küçükdikili, Adana, où elle avait fait beaucoup pour améliorer la situation des femmes.

10.          Mme Güven n’a pas l’intention de se présenter aux élections locales de mars 2014, car elle ne pourra pas assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses concitoyens si elle est encore en détention.


La prison

11.          Mme Güven est incarcérée à la prison de droit commun de Diyarbakir, dont une aile est réservée aux femmes accusées d’infractions terroristes. Les femmes restent en détention provisoire jusqu’au jugement. Comme Mme Güven, la majorité des 50 femmes actuellement détenues dans cette aile de la prison sont incarcérées depuis quatre ans ou plus.

12.          La prison est surpeuplée. D’après nos différents interlocuteurs, entre 1 050 et 1 300 détenus sont actuellement incarcérés dans la prison, qui ne peut en accueillir que 650 à 1 000. De nouvelles prisons sont en construction à la périphérie de Diyarbakir, à proximité de la prison de type D (haute sécurité). Une fois les travaux achevés (en 2015), la vieille prison de type E située dans le centre de Diyarbakir est destinée à être fermée, et n’a donc pas été rénovée. La plomberie est défectueuse et la qualité de l’eau potable pose souvent problème. Mme Güven a indiqué avoir été plusieurs fois malade depuis son incarcération, ce qui selon elle ne serait pas arrivé dans d’autres circonstances.

13.          Mme Güven partage une cellule avec treize autres femmes, dont deux jeunes filles de 16 ans. Il n’y a que huit lits. L’une des femmes doit dormir à même le sol. Ses codétenues veillent à ce que Mme Güven ait un lit pour elle, eu égard à son âge. La situation s’est quand même améliorée depuis 2009, puisqu’à l’époque 23 femmes partageaient la même cellule. Selon Mme Güven, cette amélioration tient uniquement au fait qu’elles ont elles-mêmes proposé de transférer plusieurs femmes dans d’autres prisons plus grandes.

14.          Les visites se font dans des conditions déplorables, les visiteurs étant souvent obligés de faire la queue pendant des heures à l’extérieur de la prison, sans pouvoir s’asseoir ni s’abriter. Les fouilles corporelles sont monnaie courante et humiliantes, en particulier pour les femmes âgées. Suite aux plaintes de ces dernières, les autorités ont cessé d’utiliser des chiens renifleurs pour procéder aux fouilles.

15.          Mme Güven, qui ne reçoit que peu d’informations sur le Congrès, aimerait pouvoir se tenir davantage au courant de ses activités. Elle a le droit d’acheter trois journaux et a accès à 18 chaînes TV. Les détenus ont aussi le droit d’avoir un poste de radio, mais ils doivent payer les piles. Il n’y a pas d’accès à Internet. Les prisonniers peuvent cantiner de quoi préparer leur petit déjeuner, et doivent acheter eux-mêmes leurs articles de toilette, mais leur prix en prison est si élevé que beaucoup n’ont pas les moyens de s’en acheter.

16.          Après la visite à la prison, la délégation a rencontré le vice-gouverneur de la province de Diyarbakir, M. Zafer Engin, qui l’a assurée qu’il informerait les autorités compétentes des mauvaises conditions dans lesquelles se font les visites et des conditions de détention déplorables dans les palais de justice.

Le procès

17.          Mme Güven a informé les rapporteurs que son procès avait été reporté au 14 janvier 2014. Sur 175 prévenus, 65 doivent encore être entendues en audience. Quand son tour est arrivé, le micro a été coupé dès qu’elle a commencé à parler en kurde. Bien que la loi ait été modifiée depuis afin de permettre aux prévenus de s’exprimer en kurde, elle n’aura pas d’autre occasion d’être entendue.

18.          Lorsque le tribunal siège, les prévenus passent cinq jours par semaine au palais de justice, la plupart du temps dans un cachot infesté de rats et humide. Les repas viennent de la prison. Aucune date n’a été fixée pour la fin du procès. Le tribunal renouvelle l’ordonnance de détention provisoire tous les deux mois. Pendant ses quatre années de détention provisoire, seulement 18 prévenus, sur 175, ont été libérés. Elle affirme qu’une détention provisoire aussi longue est illégale.

19.          D’après Mme Güven, la plupart des preuves présentées au procès proviennent d’écoutes téléphoniques et d’enregistrements clandestins de réunions politiques datant de 2006 à 2009. La plupart des accusations reposent uniquement sur le fait que des mots tels que « PKK » ou « KCK » ont été prononcés en réunion ou dans les conversations. Rien ne laisse supposer que des actes violents aient été commis ou planifiés, ni qu’il y ait eu une quelconque incitation à commettre de tels actes. Selon elle, un grand nombre de ces accusations sont parfaitement ridicules. Elle est accusée d’avoir appartenu à une organisation terroriste et à ce titre elle encourt une peine de six ans et demi à douze ans et demi de prison.

La situation des autres élus locaux et régionaux en détention

20.          Bien que le Bureau du Congrès ait choisi de porter toute son attention sur la situation de Mme Güven, il sait que son cas n’est pas isolé. Mme Güven est jugée dans le cadre d’un procès collectif impliquant 175 prévenus. De nombreux autres responsables politiques locaux et régionaux, militants, avocats et journalistes ont été incarcérés pour des chefs d’inculpation similaires.

21.          Selon l’avocat rencontré par la délégation, tous les faits reprochés aux prévenus sont de nature politique et reposent sur des conversations et des discussions privées tenues lors de réunions politiques internes. La position adoptée par la défense est qu’il s’agit d’un procès clairement politique, sans aucun fondement juridique. Les poursuites à l’encontre de la majorité des prévenus ont débuté en avril 2009, soit juste un mois après que l’ancien parti Société démocratique (DTP), auquel a succédé le parti Paix et Démocratie (BDP), a obtenu de bons résultats aux élections municipales. La plupart des éléments à charge reposent sur des enregistrements clandestins de réunions internes de la commission de l’autonomie locale du DTP. Le BDP a une commission identique, en charge des mêmes dossiers que l’ancienne commission, mais ses travaux n’ont fait l’objet d’aucune poursuite.

22.          Pour l’avocat, la plupart des charges retenues reposent sur le Code pénal turc (loi n° 5237, article 220), qui dispose qu’une personne peut être accusée d’appartenance à une organisation illégale, même s’il est clairement établi qu’elle n’en est pas membre, s’il peut être démontré qu’elle a aidé un tel groupe ou fait de la propagande en s’exprimant en faveur de ce groupe ou de ses objectifs. Souvent, le simple fait de participer à l’une des nombreuses manifestations organisées dans la région suffit pour engager une action pénale, si l’un des slogans scandés pendant la manifestation peut être assimilé à de la propagande. De ce fait, le nombre de personnes poursuivies ne représente qu’une infirme partie de celles qui pourraient l’être pour de tels faits. Certains affirment cependant que, dans la pratique, le gouvernement cible certaines personnes – dont Leyla Güven – pour intimider toutes les autres.

23.          Plusieurs des accusations portées contre Mme Güven et les autres prévenus reposent sur l’article 314 du Code pénal (appartenance à une organisation armée) et les articles 6 et 7 de la loi sur le terrorisme (loi n° 3713). Ces articles, souvent critiqués par la communauté internationale, ont été à maintes reprises utilisés conjointement par le ministère public, entraînant la mise en détention, notamment, de nombreux journalistes. Selon les critiques, ces articles limitent de manière excessive la liberté d’expression et de réunion. En octobre 2013, le ministère turc de la Justice a révélé qu’au cours des quatre années écoulées, 20 000 personnes avaient été condamnées en vertu de la loi sur le terrorisme et, pour une grande majorité, incarcérées pour des infractions non violentes.

24.          Une décision récente de la Cour constitutionnelle de Turquie a fait naître un espoir chez bon nombre de prévenus. Le 4 décembre 2013, elle a rendu un arrêt appelé à faire jurisprudence dans l’affaire de Mustafa Balbay, député du parti d’opposition CHP, lui aussi incarcéré depuis 2009. La Cour a ordonné sa libération, considérant que sa détention provisoire avait été excessive, et par conséquent illégale, et que son droit d’éligibilité n’avait pas été respecté puisqu’il n’avait pas pu remplir son mandat pendant sa détention. Ces deux points s’appliquant aussi à Leyla Güven, on peut espérer que la décision de la Cour facilitera sa libération et celle d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue. Le Président turc Abdullah Gül a insisté sur l’importance de cet arrêt dans son allocution du 5 décembre 2013 à Kilis.

25.          Le droit d’exercer librement un mandat politique électif est aussi inscrit à l’article 7.1 de la Charte européenne de l’autonomie locale, l’un des articles par lesquels la Turquie a déclaré être liée lorsqu’elle a ratifié la Charte le 1er avril 1993. Des membres du parti BDP de Leyla Güven ont rappelé aux rapporteurs que l’une des priorités de leur parti en matière d’autonomie locale était d’étendre l’application de la Charte en Turquie.

26.          Il a aussi été avancé que les élections municipales prévues en mars 2014 ne sauraient être tenues pour libres et équitables avec un aussi grand nombre d’élus et de membres de partis encore en détention.

27.          Les rapporteurs considèrent que les caractéristiques de la détention et des poursuites à l’encontre de Mme Güven et des autres élus locaux en Turquie sont parfaitement décrites dans le rapport « Administration of justice and protection of human rights in Turkey », rédigé par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite de la visite qu’il a effectuée en Turquie du 10 au 14 octobre 2011 (voir Annexe).

Conclusion

28.          Bien qu’impressionnés par la force morale de Mme Güven, et tout en notant que ses conditions de détention se sont légèrement améliorées depuis leur visite en 2011, les rapporteurs s’inquiètent de la durée excessive de la procédure et de la détention provisoire, et s’interrogent sur la nature des accusations. Ils estiment que la situation de Mme Güven et des autres élus locaux détenus dans des conditions similaires pose de graves problèmes quant à l’engagement de la Turquie à respecter la démocratie locale et limite considérablement leur capacité à exercer leurs mandats politiques.

29.          Les rapporteurs notent, concernant Mme Güven et les nombreux élus locaux placés de longue date en détention provisoire en Turquie[4], que les problèmes relatifs à l’administration de la justice décrits par le Commissaire aux droits de l’homme en 2011 sont toujours d’actualité deux ans après.

30.          Ils estiment que la crédibilité des prochaines élections municipales du 30 mars 2014 sera gravement compromise si cette situation perdure, et ils appellent à la libération de tous les maires et conseillers municipaux concernés.


Annexe

CommDH(2012)2, 10 janvier 2012

Administration de la justice et protection des droits de l’homme en Turquie

Rapport de Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, consécutif à sa visite en Turquie du 10 au 14 octobre 2011

Extraits

[…]

5. Comme le soulignait le Commissaire dans son rapport de juillet 2011 sur la liberté d’expression en Turquie, certaines failles du système judiciaire turc sont une source importante de violations de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la CEDH ») en Turquie. La Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») a rendu plus de 2 200 arrêts relatifs à la Turquie pendant la période 1995-2010, dont près de 700 portaient sur des violations du droit à un procès équitable, et plus de 500 sur le droit des personnes à la liberté et à la sûreté. Le Commissaire observe que le système judiciaire turc n’est pas parvenu, à ce jour, à combattre efficacement ces violations, ni à les prévenir, bien que la Cour ait identifié certains dysfonctionnements systémiques comme étant souvent la cause directe de violations des droits de l’homme.

6. Ces dernières années, la législation turque a subi d’importants changements pour être mis en conformité avec les normes de la CEDH, avec notamment l’adoption du nouveau Code pénal turc (ci-après « le CPT ») et du nouveau Code de procédure pénale (CPPT) en 2004. En particulier, les modifications apportées au CPPT entrées en vigueur le 1er juin 2005 visaient à remédier aux nombreuses failles de procédure identifiées dans la jurisprudence de la Cour.

7. Toutefois, à la suite de ces réformes, il est apparu de plus en plus clairement que l’interprétation et l’application de la nouvelle législation par les tribunaux et le ministère public obéissaient souvent à des usages établis incompatibles avec les normes de la CEDH. Conjuguée aux nombreux problèmes structurels liés à l’administration de la justice en Turquie (comme la lourde charge de travail des tribunaux et des procureurs, qui entraîne des retards considérables dans le traitement des dossiers, en particulier dans les juridictions supérieures), cette situation a empêché les réformes législatives de produire pleinement les effets escomptés. Il convient de souligner, cependant, qu’un grand nombre d’insuffisances tiennent à la législation elle-même, et notamment à la lettre et à l’esprit de la Constitution turque.

8. Les requêtes pour lesquelles la Cour a directement incriminé le système judiciaire turc comme étant l’une des sources des violations sont en premier lieu celles qui concernent les articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 6 (droit à un procès équitable) de la CEDH. En particulier, l’usage excessif de la détention provisoire et la durée excessive des procédures judiciaires sont des problèmes récurrents dans de nombreuses requêtes contre la Turquie. La Cour s’est également intéressée au rôle des autorités judiciaires en liaison avec les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture) de la CEDH, notamment sur les questions des investigations effectives et de l’impunité des acteurs de l’Etat, souvent en combinaison avec l’article 13 de la CEDH (droit à un recours effectif). Enfin, la jurisprudence de la Cour indique que l’approche extrêmement contraignante, centrée sur l’Etat, des autorités judiciaires a joué un rôle majeur concernant les restrictions excessives liées aux articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la CEDH.

9. De récentes affaires largement médiatisées, notamment Ergenekon, « Balyoz » (« marteau de forgeron ») et KCK (Union des communautés du Kurdistan), ainsi que les procédures internes liées notamment au meurtre de l’écrivain et journaliste Hrant Dink, ont mis en lumière certains dysfonctionnements spécifiques, existant de longue date, dans l’administration de la justice. Ce constat a probablement créé des conditions relativement favorables à une réforme judiciaire.

[…]

19. Les retards de procédure pendant les procès sont considérés comme une autre raison majeure de leur durée excessive. En Turquie, les procédures judiciaires, quel que soit le type de juridiction, se caractérisent souvent par des ajournements répétés et par des expertises qui immobilisent le dossier pendant de longues périodes. Dans la plupart des affaires, les audiences sont planifiées avec plusieurs mois de retard.

[…]

24. Pour ce qui concerne l’action des procureurs, un autre problème souvent évoqué lors de la visite du Commissaire portait sur les actes d’accusation : leur préparation, pendant laquelle les suspects sont généralement placés en détention provisoire, est souvent très longue. Le Commissaire s’inquiète d’indications selon lesquelles ces rapports peuvent avoir une longueur excessive, parfois des milliers de pages, en particulier dans les affaires liées au terrorisme et au crime organisé. Cela tient au fait qu’ils contiennent une compilation de pièces, telles que de longues transcriptions, peu sélectives, de nombreuses écoutes téléphoniques, dont certaines n’auraient que peu de lien avec les infractions en question. Le Commissaire considère que les autorités turques devraient veiller à ce que les procureurs disposent des qualifications et des ressources nécessaires pour filtrer convenablement les éléments de preuve existants et pour en recueillir de nouveaux dans des affaires aussi complexes, ce qui leur permettrait de préparer des actes d’accusation de qualité, qui contiendraient des analyses juridiques solides établissant un lien entre les preuves essentielles et l’accusation.

[…]

27. Le Commissaire rappelle la Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres sur la détention provisoire, qui indique que son usage doit toujours être exceptionnel et justifié. Il est crucial de préserver le principe de la présomption d’innocence et de garder à l’esprit que seul l’objectif de garantir l’efficacité des enquêtes (protection de toutes les preuves disponibles, prévention de la collusion et de toute interférence avec les témoins) et d’empêcher les suspects d’échapper à la justice peut justifier la mise en détention de personnes dont la culpabilité n’a pas été établie par un tribunal. Lorsque cet objectif peut être atteint au moyen de mesures moins contraignantes (comme le contrôle judiciaire, la libération sous caution ou l’interdiction de quitter le pays), ces mesures doivent être préférées à la détention. Dans tous les cas, la détention doit être aussi courte que possible et ne se prolonger que tant qu’elle est justifiée.

28. En septembre 2011, le Comité des Ministres a contrôlé l’exécution de 144 arrêts de la Cour. Ils concernent principalement l’usage et la durée excessifs de la détention provisoire (et la longueur excessive des procédures pénales), en violation de l’article 5, paragraphe 3, de la CEDH. La Cour a noté que ces affaires avaient pour origine « des problèmes répandus et systémiques découlant du dysfonctionnement du système turc de justice pénale et de l’état de la législation turque pertinente ». La Cour a par ailleurs conclu que des mesures générales devaient être prises au niveau national pour remédier à la situation, à la lumière des plus de 140 affaires similaires sur lesquelles elle devait encore statuer.

[…]

Durée maximale de la détention

38. Bien que le nouveau CPPT ait fixé des limites au-delà desquelles la détention provisoire ne peut pas être prolongée, le Commissaire considère que la durée autorisée reste extrêmement longue, en particulier pour les atteintes à la sûreté de l’Etat. Ainsi, la durée maximale définie par l’article 102 du CPPT est de deux ans pour les infractions relevant de la compétence des cours d’assise, avec la possibilité de la prolonger de trois années supplémentaires. Ces durées sont doublées pour certaines infractions liées à la sûreté de l’Etat prévues par l’article 252, ce qui porte à dix ans la durée maximale de détention autorisée par la loi. Le Commissaire considère que ces durées sont excessivement longues.



[1] L : Chambre des pouvoirs locaux / R: Chambre des régions

PPE/CCE : Groupe du Parti Populaire Européen au Congrès

SOC : Groupe Socialiste

GILD : Groupe Indépendant et Libéral Démocratique

ECR : Groupe des Conservateurs et Réformistes européens

NI : Membre n’appartenant à aucun groupe politique du Congrès

[2] Avant-projet de résolution et avant-projet de recommandation approuvés par le Bureau du Congrès le 10 février 2014.

Membres du Bureau :

H. van Staa (Président du Congrès), J.-C. Frécon (Président de la Chambre des pouvoirs locaux), N. Romanova (Présidente de la Chambre des régions), A. Knape, M. O’Brien, G. Doganoglu, H. Pihlajasaari, J. Warmisham, G.-M. Helgesen, A. Koopmanschap, U. Wüthrich-Pelloli, M. Cools, C. Lammerskitten, E. Verrengia, S. Orlova, D. Suica, L. Sfirloaga.

N.B. : Les noms des membres qui ont pris part au vote sont imprimés en italique.

Secrétariat de la commission : D. Rios Turón, L. Taesch.

[3] Voir note de bas de page 2

[4] D’après les informations recueillies par les rapporteurs pendant leur visite, 15 maires, 23 maires adjoints, 133 conseillers municipaux, 21 conseillers provinciaux et 8 anciens maires sont toujours en détention provisoire en Turquie.