Strasbourg, le 10 juin 2004

CEPEJ (2004) 13 REV 1

RESTREINT

                                                                                                                                                                 

COMMISSION EUROPEENNE POUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE

(CEPEJ)

Rapport d'évaluation

sur l'efficacité des systèmes judiciaires nationaux

dans

leurs réponses au terrorisme

Document préparé

Par

Monsieur Ph. de Koster

(Belgique)


Introduction

  1. Suite à l'adoption de la Résolution N° 1 par les Ministres européens de la Justice lors de leur 25e Conférence (Sofia, octobre 2003), et conformément à la Décision prise par les Délégués des Ministres à l’occasion de leur 864ème réunion, l'élaboration d'un rapport d'évaluation sur l'efficacité des systèmes judiciaires nationaux dans leurs réponses au terrorisme a été demandée.

  1. Lors de sa troisième réunion tenue à Strasbourg le 26 janvier 2004, le Bureau de la CEPEJ a précisé que le rapport devra indiquer les caractéristiques générales des politiques anti-terroristes en Europe, montrer les grandes tendances européennes des diverses réactions juridiques et judiciaires au terrorisme et formuler des observations concernant les aspects positifs et négatifs de ces tendances ( notamment en évaluant les indicateurs empiriques de l’efficacité des mesures adoptées par les Etats), et enfin formuler, pour autant que de besoin, des suggestions concernant les mesures à prendre au niveau national et international pour renforcer les réactions des systèmes judiciaires nationaux au terrorisme.

  1. Dans le cadre de la mission, ont été prises en compte les contributions fournies par les Etats membres et les observateurs du Conseil d’Europe en vue de la 25ième Conférence des Ministres de la Justice du Conseil de l’Europe qui s’est tenue à Sofia les 9 et 10 octobre 2003 [1].

  1. Afin de procéder à une telle évaluation, il convient de disposer des renseignements précis. Force est de constater qu’il n’existe pas encore de base de données complètes sur certains éléments qui sont de nature à décrire avec précision les réponses judiciaires et juridiques des Etats face au terrorisme. Le Codexter , lors de sa réunion du 29 mars au 1 avril 2004, a élaboré un projet de structure pour les profils nationaux sur la capacité juridique et institutionnelle à lutter contre le terrorisme [2]. Dès lors, dans l’attente de la création de cette base de données, le consultant n’a eu d’autre recours que de consulter le site du Comité contre le terrorisme du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En effet, à l’occasion de la préparation de ce rapport, il ne paraissait pas  nécessaire de procéder à la rédaction d’un questionnaire qui aurait fait double emploi avec les travaux menés par le Codexter. La consultation du website du CTC s’inscrit aussi dans la ligne de la coopération engagée lors la rencontre de la visite du président du CTC au Conseil de l’Europe le 21 novembre 2003.

  1. Ensuite, compte tenu de la présence des Etats membres de l’Union européenne au sein du Conseil de l’Europe, il est apparu également nécessaire de tenir compte des développements liés à l’application de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à l’incrimination du terroriste. Cela s’inscrit aussi dans la ligne de la coopération qui s’instaure entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

  1. Enfin, il faut tenir compte de la nécessité absolue d’inscrire la lutte contre le terrorisme dans le cadre du respect des droits et libertés fondamentales. Par sa jurisprudence, la Cour européenne a défini les éléments qui participent à l’équilibre entre d’une part le respect des droits de l’homme et d’autre part une lutte efficace contre le terrorisme. Les lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme adoptées par le comité des ministres le 11 juillet 2002 lors de la 804ième    session des délégués des Ministres constituent l’instrument le plus pertinent en la matière qui résume le cadre de l’action judiciaire ou juridique que doivent mener les Etats.

La mesure de l’efficacité des systèmes judiciaires nationaux dans leurs réponses au terrorisme : critères empiriques d’évaluation

  1. La grille-pilote pour l’évaluation des systèmes judiciaires adoptée par la CEPEJ contient certaines questions qui peuvent être de nature à alimenter la discussion sur la question de l’efficacité de la justice pénale mais, eu égard au caractère général de la grille qui couvre  tous les aspects de la justice au sens large, une analyse des réponses ne semble pas la seule référence utile pour tenter de déterminer les tendances, les progrès voire les pas supplémentaires pour apprécier le bon fonctionnement de la justice pénale face au défi que constitue la terrorisme.

  1. S’exprimant au cours d’un séminaire à La Haye sur ''L’efficacité de la justice au Conseil de l'Europe et dans ses Etats membres'', la Secrétaire Générale Adjointe du Conseil de l’Europe a déclaré que « la justice doit être facile d’accès, équitable et efficace. Le défi est de trouver le bon équilibre entre ces objectifs afin qu’ils servent au mieux les intérêts de nos sociétés ».

  1. Ces critères habituels prennent une importance particulière en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Dans ce cadre précis, l’accès à la justice doit être assuré aux victimes d’attentats terroristes. La justice doit rester équitable et respecter notamment tous les éléments d’un procès équitable même à l’égard des terroristes. Enfin, elle se doit d’être efficace : cela signifie que tous les moyens d’enquête propres tant à découvrir qu’à réprimer les infractions de nature terroriste doivent être utilisés également dans le respect des principes issus de la convention européenne des droits de l’homme.

  1. En 1990, déjà Antonio Cassese disait « le terrorisme a un impact profondément négatif sur la communauté internationale dans le sens qu’il bouleverse les règles du jeu établies par les Etats souverains » [3]. Face au terrorisme, deux options possibles se dessinent : la force ou le droit. En préambule à cette étude, il faut constater que les Etats membres du Conseil de l’Europe ont d’emblée choisi l’option du droit considérant ainsi qu’ «  asseoir le terroriste  devant un juge est le pire des châtiments »[4]. Sans doute leur choix de laisser la prééminence à l’Etat de droit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a-t-il été facilité par le fait que la Cour européenne des droits de l’homme s’est exprimée à de nombreuses reprises pour définir d’une part l’obligation qu’ont les Etats membres de lutter contre le terrorisme  et d’autre part les limites démocratiques des moyens à utiliser.

  1. Il n’est pas inutile de rappeler les enseignements essentiels que l’on peut dégager de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. A l’occasion de plusieurs arrêts, la Cour a reconnu  « devant l’extension du terrorisme dans la société moderne, la nécessité , inhérente au système de la Convention, d’un juste équilibre entre la défense  des institutions de la démocratie dans l’intérêt commun et la sauvegarde des droits individuels» [5].

  1. Dans un contexte plus large, il faut, sans doute, aussi rappeler le principe fondamental intangible du droit à la vie consacré par l’article 2 de la Convention selon lequel « l’obligation positive de l’Etat à cet égard implique le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations » [6]

  1. La Cour européenne des droits de l’homme s’est souvent exprimée à propos de la nécessité de lutter contre le développement du terrorisme. Elle a validé la lutte contre le terrorisme en considérant que «  les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par des formes très complexes d’espionnage et par le  terrorisme, de sorte que l’ Etat doit être capable   pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les éléments subversifs opérant sur son territoire. La Cour doit donc admettre que l’existence de dispositions législatives accordant des pouvoirs de surveillance secrète de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications est, devant une situation exceptionnelle, nécessaire dans une société démocratique à la sécurité nationale et/ou à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales »[7].

  1. La Cour a considéré qu’il ne lui appartenait pas « de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales pour ce qui est de la meilleure politique dans le domaine de la poursuite des infractions terroristes (…).Il convient de laisser aux autorités nationales une certaine marge d’appréciation pour décider des mesures à prendre tant en général que dans des cas particuliers »[8]. Cet arrêt revêt une importance certaine puisqu’il laisse aux Etats le choix des moyens à mettre en œuvre, la Cour n’exerçant de contrôle que sur la compatibilité des mesures adoptées au regard des principes de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour n’accorde pas pour autant un blanc-seing aux Etats. Ainsi, elle a été amenée à dire que « elle doit, en tenant compte des circonstances de chaque affaire et de la marge d’appréciation dont dispose l’Etat, rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental d’un individu à la liberté d’expression et le droit légitime d’une société démocratique de se protéger contre les agissements d’organisations terroristes »[9].

 

  1. En se fondant sur ces acquis, les lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme ont  identifié les limites actuelles de l’ingérence dans les libertés fondamentales qu’impliquent les moyens de lutte contre le terrorisme[10].

  1. On ne pourra dès lors parler d’une réponse efficace des systèmes judiciaires que pour autant que la réponse ne dépasse pas les limites ainsi déterminées tout en tenant compte du caractère évolutif de la jurisprudence de la Cour.

Les tendances de la politique criminelle des Etats face au terrorisme

  1. Il semble bien qu’il n’existe qu’une seule tendance de politique criminelle face au terrorisme : celle de la criminalisation de l’acte terroriste et donc la nécessité de poursuites pénales tout en rappelant que la peine de mort n’est plus applicable en toutes circonstances en vertu des Protocoles 6 & 13 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et que la torture est prohibée en vertu de l’Article 3 de la même convention comme l’a rappelé la Cour dans les Arrêts Aksoy c./ Turquie du 18 décembre 1996 et Ocalan c./ Turquie du 12 mars 2003..

  1. C’est par la Recommandation n°703 du 16 mai 1973 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe [11] qu’est exprimée , pour la première fois, la nécessité de sanctions pénales à l’égard de certains actes de terrorisme international. L’Assemblée parlementaire n’a eu de cesse, depuis lors, de rappeler la nécessité d’une action vigoureuse et rigoureuse à l’encontre du terrorisme dans le respect des valeurs qui fondent les démocraties [12].

19.  La double condamnation morale et juridique du terrorisme a, cependant, engendré la question difficile d’une définition appropriée du terrorisme en tant que fondement d’une incrimination pénale. « Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente » ( [13]).                 En clair, aucune cause ne vaut d’être défendue par la violence aveugle, aucun droit et aucune liberté ne méritent d’être affirmés par le non-respect volontaire du droit naturel. Faut-il rappeler que l’article 2 CEDH - disposition intangible de la Convention - impose à chaque Etat de garantir à ses citoyens le droit à la vie.

  1. La réaction contre le phénomène terroriste est non seulement une nécessité morale mais aussi juridique. Le terrorisme ne peut pas être justifié et il doit aussi être condamné juridiquement. Cette condamnation juridique repose sur l’incrimination pénale du terrorisme. L’incrimination pénale désigne, en termes généraux et abstraits, certains faits qui sont érigés en infraction pénale par une norme juridique déterminée. Si l’existence d’une infraction pénale suppose l’existence d’une incrimination définie, on peut la concevoir comme la violation concrète d’une norme d’incrimination qui ne fera l’objet d’une qualification pénale  qu’à certaines conditions supplémentaires que le législateur peut prévoir. Ces principes généraux restent d’application pour l’incrimination de l’acte terroriste. Une véritable incrimination sui generis du terrorisme n’existe que depuis peu soit à travers le projet de convention globale, soit à travers la décision-cadre de l’Union européenne ( [14]).

  1. Cela paraît d’autant plus nécessaire au regard de l’article 7 CEDH qui traite de la légalité des délits et des peines. Il ne peut y avoir infraction pénale  sans que le comportement délictueux ait été prévu comme tel par une disposition légale. Une peine  ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue par la loi pénale ( [15]). Ces principes se rangent parmi les principes généraux du droit pénal des pays civilisés. Cet article prohibe aussi l’application de la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie ( [16]). Il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par la loi. Cette condition se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente, quels actes et omissions engagent sa responsabilité ( [17]).

  1. Une approche sectorielle définissant le terrorisme a prévalu, pendant de nombreuses années, dans l’attente de la convention globale des Nations Unies. A l’occasion d’ une étude circonstanciée sur la valeur ajoutée de l’élaboration au sein du Conseil de l’Europe d’une convention d’incrimination du terrorisme, le Professeur Tomuschat a dressé un inventaire exhaustif des tentatives de définition pénale du terrorisme [18].

  1. Cependant, dans le contexte de la négociation des traités internationaux, la question des réserves a une incidence directe sur l’efficacité de la coopération internationale et donc sur la réponse judiciaire. Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe a souligné l’attention qui doit être portée à cette question à de nombreuses reprises [19].

A cet égard, il convient de rappeler la décision du Comité des Ministres au niveau des délégués concernant les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la lutte contre le terrorisme [20] qui, dans le cadre de l’examen des suites à donner à la Déclaration du Comité des Ministres du 12 septembre 2001 relative à la lutte contre le terrorisme international, avait chargé l’Observatoire européen des réserves aux traités internationaux du CAHDI d’examiner la question des réserves aux conventions régionales et universelles concernant le terrorisme et d’organiser des échanges de vues sur les conventions en cours d’élaboration à l’ONU afin de coordonner les positions des Etats membres.

Le CAHDI examine la liste des réserves et déclarations aux traités internationaux applicables à la lutte contre le terrorisme figurant dans le document CAHDI (2004)3.

  1. Indépendamment des travaux au sein du Conseil de l’Europe [21], la Décision 2002/475/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative à la lutte contre le terrorisme [22]  constitue une avancée importante dans l’établissement d’une définition supranationale. Cette décision a pour objectif de rapprocher les législations des États membres en établissant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions en ce qui concerne les infractions terroristes. La décision-cadre est applicable à tout acte terroriste commis, de manière intentionnelle et pouvant porter atteinte à une organisation internationale ou à un pays. Les actes susmentionnés doivent être commis avec l'intention de menacer la population ou de porter gravement atteinte ou de détruire les structures politiques, économiques ou sociales du pays (meurtre, dommages corporels, prise d'otages, chantage, fabrication d'armes, commission d'attentats, menace de réaliser les comportements susdits…).
    Ces infractions pourront être commises par un ou plusieurs individus contre un ou plusieurs pays. La décision-cadre considère un groupe terroriste comme une association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, qui agit de façon concertée. En outre, l'incitation, l'aide, la complicité et les tentatives de réaliser un acte terroriste sont punissables. Afin de punir les actes terroristes, les États membres doivent prévoir dans leur législation nationale d’une part, des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, qui peuvent entraîner l'extradition et, d’autre part, des circonstances atténuantes (collaboration avec les autorités judiciaires et policières, identification de preuves et d'autres auteurs de l'infraction…).  Les États membres s'engagent à adopter toute mesure afin d’établir leur compétence en relation avec les actes terroristes mais aussi dans le cas où ils refusent d'extrader leurs propres ressortissants et également  de coordonner leur action, et d’établir leur compétence en vue de centraliser les poursuites dans un seul État membre, lorsque plusieurs États membres sont responsables. Les Etats membres  doivent garantir une aide adéquate à la victime de l'infraction et à sa famille [23].

  1. La mise en œuvre de cette décision-cadre constitue un pas dans le contexte d’une approche concertée européenne de définition  qui peut servir de base dans le cadre des négociations du Conseil de l’Europe à la détermination d’une politique criminelle européenne efficace en vue d’une coopération plus active.

  1. La création du mandat d’arrêt européen par la décision cadre du 13 juin 2002 [24] a participé également à l’émergence d’un nouveau concept de l’entraide judiciaire. Il constitue une innovation capitale qui vise à transformer l’acte politique d’extradition en acte essentiellement judiciaire. Le mandat doit permettre la remise directe des personnes recherchées d’autorités judiciaires à autorités judiciaires, dans la garantie des droits et libertés fondamentaux[25]. Cette décision-cadre modifie fondamentalement la nature de la coopération judiciaire pénale: il ne s’agit plus d’une coopération classique mais bien de l’exécution directe d’une décision judiciaire dans l’ensemble de l’Union européenne. Le principe traditionnel de la double incrimination a été en grande partie abandonné : la remise doit intervenir même si les faits pour lesquels le mandat a été délivré ne sont pas constitutifs d’une infraction selon la loi de l’Etat requis, dès lors que cette infraction figure dans la liste positive des 32 infractions donnant lieu à remise et passibles de 3 ans de prison dans l’Etat requérant.

  1. Pour innovateur qu’il soit, son application ne semble pas toujours évidente. Ainsi, plusieurs mandats d’arrêts européens ont été émis par les autorités espagnoles et transmis aux autorités belges visant à la remise de personnes condamnées en Espagne pour des faits de terrorisme. Il semble bien que la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein d’un espace intégré ne soit pas qu’un sentiment qui puisse s’imposer par la loi. Au cours des procédures, certains mandats n’ont pas été déclarés exécutoires pour des considérations tirées d’un éventuel irrespect des droits de l’homme [26]. Il convient de rappeler, pour autant que de besoin, que la décision – cadre contient une clause affirmant le respect des droits fondamentaux et le respect des principes reconnus par l’article 6 du traité sur l’union européenne.

  1. A la date du 7 mai 2004, et donc en tenant compte de l’élargissement de l’Union européenne, l’ état de la transposition des  décisions- cadres essentielles se présente comme suit :

Application de la loi sur le mandat d’arrêt européen à partir du :

Etat de transposition de la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme

Allemagne

-

Projet de loi (février 2004)

Autriche

1er mai 2004

Transposé

Belgique

 (1er janvier 2004)

Transposé (loi 19 déc. ’04)

Danemark

1er janvier 2004

Transposé

Espagne

1er janvier 2004

Transposé

Finlande

1er janvier 2004

Transposé

France

12 (Paris)/13 mars 2004

Transposé

Grèce

-

-

Irlande

1er janvier 2004

Projet de loi (février 2004)

Italie

-

Transposé

Luxembourg

26 mars 2004

Transposé

Pays-Bas

12 mai 2004

-

Portugal

1er janvier 2004

Transposé

Royaume-Uni

1er janvier 2004

Transposé

Suède

1er janvier 2004

Transposé

Chypre

1er mai 2004

-

Estonie

-

-

Hongrie

1er mai 2004

Transposé (CP 1 mars 2003)

Lettonie

-

-

Lituanie

1er mai 2004

-

Malte

-

-

Pologne

1er mai 2004

-

République tchèque

-

-

Slovaquie

-

-

Slovénie

1er mai 2004

-

  1. La prise en compte des droits des suspects et personnes mises en cause dans des procédures pénales constitue un aspect essentiel du droit à un procès équitable qui doit être garanti lors de l’application de ces deux décisions – cadres.

  1. Dans la perspective d’assurer de manière uniforme le respect du droit à un procès équitable, la Commission européenne a adopté, le 28 avril 2004, sa première proposition de décision-cadre axée sur les droits de la défense dans le domaine de la justice pénale. La proposition, qui va être transmise au Conseil et au Parlement européen, porte sur l'accès des suspects et personnes mises en cause à l'assistance d'un avocat, sur l'accès des personnes mises en cause d'origine étrangère aux services d'un interprète et d'un traducteur, sur la protection des personnes incapables de comprendre ou de suivre la procédure, sur l'assistance consulaire accordée aux détenus étrangers, sur la déclaration des droits ainsi que sur l'évaluation et le suivi. L'objectif est de parvenir à une équivalence entre les États membres, même si, pour commencer, ce sont des «normes minimales communes» qui seront adoptées, ce qui laissera aux États membres une certaine latitude pour garantir, sur cette base, la tenue de procès équitables sur leur territoire.

  1. Le projet de décision-cadre prévoit notamment l’ accès à l'assistance d'un avocat pendant toute la durée de toutes les procédures pénales, que la proposition définit comme «toutes les procédures se déroulant dans l'Union européenne afin d'établir la culpabilité ou l'innocence d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, ou de statuer à la suite d'un plaider-coupable à l'égard d'une accusation pénale».

  1. La proposition exige des États membres qu'ils élaborent une courte déclaration-type écrite, reprenant les droits fondamentaux (et énumérant, sous des rubriques communes à tous les États membres de l'UE, les dispositions nationales applicables), et qu'ils fassent en sorte que tous les suspects reçoivent obligatoirement ce document écrit, dans une langue qu'ils comprennent, le plus tôt possible et en tout état de cause avant tout interrogatoire. Cela devrait permettre aux suspects de faire respecter plus facilement leurs droits, puisqu'ils en seraient informés au moyen d'un formulaire accessible et compréhensible, même s'ils ne sont pas ressortissants de l'État dans lequel ils ont été arrêtés.

  1. A la suite des attentats du 11 septembre 2001, la réponse juridique des Etats s’est concrétisée tout d’abord par une augmentation de la ratification des instruments internationaux pertinents dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et ensuite, au niveau de l’Union européenne, par l’adoption d’une incrimination pénale du terrorisme et l’émergence du mandat d’arrêt européen et, au niveau du Conseil de l’Europe, par l’actualisation de la Convention de 1977 sur la répression du terrorisme. Ce mouvement a permis le développement de l’ébauche d’une réponse démocratique au terrorisme dans le respect des droits et libertés fondamentaux. Les attentats de Madrid du 11 mars 2004 ont accentué la nécessité de coordination de la réponse répressive face au terrorisme en mettant encore plus l’accent sur le renforcement de la coopération inter-étatique.

  1. Comment améliorer la coopération internationale ou européenne ? Si de nombreux  instruments existent pour fixer un cadre général, un besoin crucial est ressenti en ce qui concerne l’échange d’informations concernant les activités terroristes. A ce propos, il faut mentionner la récente initiative de la Commission européenne qui a présenté, le 29 mars 2004, une proposition de décision du Conseil relative à l’ échange d’informations et la coopération concernant les infractions terroristes [27].  Sans attendre la mise en place d'un casier judiciaire européen, la commission entend franchir une étape en vue d’améliorer l’échange d’informations entre les Etats membres et les organes chargés, au niveau de l'Union européenne, de la lutte contre le terrorisme.

  1. En s’appuyant sur la décision 2003/48/JAI du Conseil du 19 décembre 2002 relative à l'application de mesures spécifiques de coopération policière et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme  qui a contribué à améliorer les échanges d'informations relatives aux enquêtes et les procédures pénales concernant les "personnes, groupes et entités" figurant à l'annexe de la position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001, il convient d’ élargir le champ d'application des échanges d'informations à toutes les infractions terroristes au sens de la décision-cadre incriminant le terrorisme  L’échange concernera, non plus une liste de personnes et d'entités mais toutes les infractions terroristes, celles relatives à un groupe terroriste, y compris toute forme de financement de ses activités, et celles liées aux activités terroristes ainsi que l'incitation, la complicité et la tentative.

  1. Ces échanges d'informations doivent concerner tous les stades de la procédure, dont les condamnations pénales. Europol et Eurojust devraient être destinataires de ces informations, qu'il s'agisse d'informations relatives à des enquêtes, à des poursuites ou à des condamnations pour des infractions terroristes. Ces informations doivent permettre d'alimenter les enquêtes en cours et d'opérer tout rapprochement utile et toute connexion avec des procédures en cours.

  1. Selon la Commission, la lutte contre le terrorisme et les formes les plus graves de criminalité suppose une amélioration qualitative et quantitative des échanges d'informations dans le respect des droits fondamentaux, notamment la protection des données à caractère personnel, afin que les services concernés puissent disposer des informations  plus complètes et actualisées.

  1. Le terrorisme appelle des réactions dépourvues de toute ambiguïté: certainement sur le plan de la prévention, mais aussi sur celui de la répression, même si l'on a pu encore récemment parler de « l’impossible guerre contre le terrori­sme»  [28]. La lutte contre les crimes de nature terroriste ne peut plus être menée individuellement par les Etats. Si elle a commencé dans ce cadre national, et, aujourd'hui, le développement du phénomène terroriste à l’échelle transnationale impose  une politique d'ensemble unissant les divers Etats d'un continent. On constate une évolution constante du droit pénal européen en vue de développer un véritable droit européen anti-terroriste.

  1. L'évolution du droit pénal européen a consisté à déconnecter les infractions terroristes des infractions politiques. La convention européenne pour la répression du terrorisme élaborée par le Conseil de l'Europe [29]  a  « contribué à la répression des actes de terrorisme lorsqu'ils constituent une attaque contre les droits fondamentaux à la vie et à la liberté des personnes» [30]. Si son élaboration s’est justifiée par la montée particulièrement inquiétante des actes de terrorisme présentant un caractère international et un caractère particulièrement odieux [31], l’amendement de cette convention par son protocole signé le 15 mai 2003 [32] poursuit toujours les mêmes objectifs et exprime encore l’idée que l’extradition est une mesure particulièrement efficace pour combattre le terrorisme [33]. La mise en place du mandat d’arrêt européen au sein de l’Union européenne constitue une avancée supplémentaire qui intègre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales sur lequel se fonde la construction d’un espace de sécurité, de liberté et de justice au sein de l’Union européenne. La reconnaissance mutuelle  repose surtout sur la confiance mutuelle fondée sur l’attachement à des valeurs communes. Ce climat de confiance mutuelle existe aussi entre les Etats membres du Conseil de l’Europe en sorte qu’il n’est pas inutile de penser au développement d’un mandat d’arrêt paneuropéen comme le prévoyait le texte en projet de recommandation 1644 (2004) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe [34].

  1. Si des progrès importants ont été accomplis dans le domaine de l’extradition, il n’en demeure pas moins vrai que la définition pénale du terrorisme reste au centre de tous les enjeux d’une réponse juridique appropriée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Au regard de l’article 7 CEDH qui traite de la légalité des délits et des peines, il ne peut y avoir infraction pénale  sans que le comportement délictueux ait été prévu comme tel par une disposition légale. Une peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue par la loi pénale ( [35]). Ces principes se rangent parmi les principes généraux du droit pénal des pays civilisés. L’ article 7 de la CEDH prohibe aussi l’application de la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie ( [36]) ainsi d’ailleurs que l’article 22 § 2 du Statut de la cour pénale internationale. Dès lors, il est indispensable qu’une infraction soit clairement définie par la loi. Cette condition se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente, quels actes et omissions engagent sa responsabilité ( [37]).

  1. Sans définition précise du terrorisme, il est difficile d’établir une infraction terroriste et il est tout autant difficile d’élaborer une réponse juridique fondée sur le respect des principes de l’Etat de droit. Dès lors, l’incrimination pénale « européenne » du terrorisme telle qu’elle est prévue par la décision-cadre du 13 juin 2002 constitue un pas important dans la tentative de concilier lutte contre le terrorisme et respect des droits et libertés fondamentaux.

  1. Le défaut d’une incrimination pénale paneuropéenne s’appuyant sur les acquis de l’Union européenne et des Nations Unies développée dans le cadre du Conseil de l’Europe est de nature à empêcher l’ émergence d’une réponse judiciaire transnationale respectueuse de la Convention européenne des droits de l’homme.

  1. Tout en ayant conscience des difficultés que pose l’élaboration d’une  incrimination pénale du terrorisme, il est vivement souhaitable qu’une incrimination pénale paneuropéenne du terrorisme puisse être réalisée. L’élaboration d’une telle incrimination aurait le mérite d’amplifier le travail effectué par l’Union européenne et démontrerait l’engagement commun de lutter efficacement contre le terrorisme. Elle aurait aussi l’avantage de permettre l’abandon du principe de double incrimination en matière d’extradition dans le domaine sensible du terrorisme et constituerait une norme harmonisée dont la conformité au regard de l’article 7 CEDH pourrait être soumise à la Cour.

Les choix d’une réponse juridique efficace face au terrorisme

  1. S’il est incontestable que les Etats ont l’obligation de lutter contre le terrorisme et s’il est clair que la voie choisie est celle de la répression dès lors que les actes terroristes constituent des actes de violence de nature à provoquer des morts ou des dommages corporels graves, commis dans le cadre d’une entreprise individuelle ou collective, dans le but de créer la terreur dans la population [38], il est évident que la réponse juridique des Etats les amène à penser à des structures  ou à des systèmes performants.

  1. S’attaquer au terrorisme oblige bien évidemment à en appréhender correctement les phénomènes, les réseaux ou structures mais surtout à déterminer les intentions et les finalités des groupements terroristes. Cette détermination paraît constituer la principale difficulté dans le cadre des enquêtes terroristes outre le fait qu’il s’agit de trouver le ou les auteurs des agissements. Cette difficulté justifierait-elle la création d’un droit d’exception anti-terroriste ? Quelles sont les informations qui sont de nature à constituer les éléments de preuve de l’intention terroriste ? Faut-il, compte tenu de la spécificité du terrorisme, constituer des services spécialisés ou centralisés ou plutôt fonctionner avec des services généralistes ? Autant de questions qui appellent une réponse qui, à son tour, permettra de mesurer l’efficacité de l’action de l’Etat face au terrorisme.

  1. Tout d’abord, est-il nécessaire de développer un droit de la procédure pénale spécifique à la lutte contre le terrorisme ? 

  1. Le GMT, lors de sa troisième réunion les 10 et 11 avril 2002, avait souligné que les enquêtes sur les activités terroristes soulèvent de sérieuses difficultés accentuées par les liens fréquents entre le terrorisme et d’autres formes de criminalité[39].

Le terrorisme présente à tout le moins un point commun avec la criminalité organisée: il est l’œuvre d’organisations criminelles structurées et rarement d’individus isolés. Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent, les méthodes utilisées par les groupes terroristes pour blanchir des fonds d’origine criminelle semblent identiques à celles utilisées par la criminalité organisée [40] . Cela étant, bien que les méthodes puissent être les mêmes, les deux formes d’activité criminelle diffèrent dans leurs objectifs ultimes.

  1. La Cour a considéré que la criminalité terroriste constitue une situation exceptionnelle menaçant les sociétés démocratiques qui implique pour l’Etat la nécessité de pouvoir s’attaquer efficacement à ces situations [41]. Par conséquent, les pouvoirs de surveillance ainsi que d’autres restrictions temporaires ou anormales semblent, prima facie, nécessaires dans une société démocratique qui se trouve devant une situation exceptionnelle comme le terrorisme [42]. Cependant, de pareilles restrictions comportent le risque de détruire la démocratie au motif de la défendre. Dès lors, tout n’est pas permis dans la lutte contre le terrorisme : il en va de la prééminence du droit, de la conception commune et du commun respect des droits de l’homme. Il faut donc ménager un juste équilibre entre le respect des droits de l’individu et la protection de la société démocratique [43]. On peut considérer que la Cour n’entend pas cautionner une mise entre parenthèses des principes fondamentaux établis par la Convention européenne des droits de l’homme.

  1. Il ne semble pas que, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la réponse des Etats ait abouti à l’émergence de procédures pénales d’exception. On peut plutôt constater des dérogations ou des assouplissements qui étaient déjà apparus dans le contexte plus général de la lutte contre certaines formes graves de criminalité organisée dans le cadre strict de la Convention européenne des droits de l’homme en vue de la conciliation des impératifs d’une lutte contre le terrorisme et le respect des droits fondamentaux.

  1. D’une part, il ressort  des arrêts de la Cour que tout le droit de la criminalité organisée, y compris dans ses aspects terroristes, est soumis au droit commun sur la base de l'article 15 § 2 de la C. E.D.H, qui , «sauf, en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, ne permet pas aux Etats de déroger à certains droits comme celui a l'intégrité de la personne».  Selon la Cour européenne, «les nécessités de I'enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité, notamment en matière de terrorisme, ne sauraient conduire a limiter la protection due à l'intégrité physique de la personne» [44]. Cette décision est très importante car tout en reconnaissant les difficultés de l'enquête en matière de terrorisme,  le droit du terrorisme reste soumis au droit commun.

  1. D’autre part, la Cour a tenté de concilier les droits garantis par les articles 6 et 8 de la CEDH  en ce qui concerne les moyens d’enquête qui doivent être adaptés aux spécificités des enquêtes menées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. A l’occasion d’une étude sur l’usage des techniques spéciales d’enquête, le Conseil de l’Europe a examiné, au sein du Comité d’experts sur les techniques spéciales d’investigation en relation avec des actes de terrorisme ( PC-TI) , les conciliations opérées et il est renvoyé à ce document [45] .

  1. On peut considérer que le besoin de développer un droit d’exception dans le cadre de la lutte anti-terroriste ne se justifie pas car un tel régime juridique  ne serait pas compatible avec les principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne peut accepter des adaptations ou des dérogations précises et encadrées pour autant que ces assouplissements se justifient dans le cadre de la légitimité de la lutte contre le terrorisme. La Cour a considéré qu’il ne lui appartenait pas « de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales pour ce qui est de la meilleure politique dans le domaine de la poursuite des infractions terroristes (…).Il convient de laisser aux autorités nationales une certaine marge d’appréciation pour décider des mesures à prendre tant en général que dans des cas particuliers »[46]. Cependant la reconnaissance d’une marge d’appréciation n’est pas un blanc-seing dans la mesure où la Cour s’assurera que les Etats en font bon usage notamment à travers l’application du principe de proportionnalité de la mesure par rapport au but poursuivi qui semble constituer l’outil de référence pour juger de la compatibilité de mesures dérogatoires que nécessite la lutte contre le terrorisme.

  1. Sans grandes difficultés, il apparaît clairement que si le choix de la réponse ressort de la responsabilité de l’Etat qui en reste maître, ces choix doivent impérativement s’inscrire dans le respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Les lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme constitue l’outil de référence à l’aune duquel doit être mesurée la réponse juridique de chaque Etat.

  1. Il est recommandé aux Etats membres de garder présente à l’esprit la nécessité de concilier l’efficacité de la lutte contre le terrorisme avec le respect des droits et des  libertés fondamentaux en inscrivant leurs choix dans les lignes directrices sur les droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Structures étatiques en charge de la lutte contre le terrorisme

  1. Outre les moyens plus ou moins intrusifs d’enquête, les structures mises en place pour mener les investigations à l’égard des activités terroristes revêtent une importance particulière face aux traits du terrorisme. Le terrorisme est un phénomène et une infraction transnationale de nature changeante [47]. Même si le terrorisme national voire local n’a pas disparu, le terrorisme récent s’appuie sur des éléments d’extranéité pour l’accomplissement des actes. Notamment les attentats du 11 septembre 2001 et ceux du 11 mars 2004 ont mis en lumière l’existence de réseaux transnationaux. Les mouvances terroristes doivent être financées. Selon le GAFI, un individu disposant de moyens financiers suffisants peut également apporter un concours financier substantiel à des groupes terroristes, comme c’est apparemment le cas pour les attaques terroristes du 11 septembre. Ousama ben Laden, considéré comme le maître d’oeuvre de ces attaques, a semble-t-il consacré des montants importants de sa fortune personnelle à l’établissement et au soutien du réseau terroriste Al-Qaeda, ainsi que du régime Taliban qui détenait le pouvoir en Afghanistan [48]. Ensuite, des liaisons d’opportunité peuvent s’établir de plus en plus souvent avec la criminalité organisée notamment dans la recherche de ressources financières [49]. Enfin, un autre trait marquant est son impact instantané relayé par les médias.

  1. La lutte contre le terrorisme passe aussi par la lutte contre le financement du terrorisme. En agissant pénalement ou préventivement contre ce financement, on peut restreindre de manière indirecte l’accomplissement d’infractions plus graves. La ratification de la Convention des Nations Unies sur le financement du terrorisme a constitué un progrès substantiel dans le cadre d’une définition légale de l’infraction de financement du terrorisme. Les travaux relatifs au Protocole d’amendement à la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime [50] visent notamment à étendre la compétence des cellules de renseignement financier au financement du terrorisme tout en créant un cadre global permettant une meilleure coopération compte tenu de la nature différente des CRF [51]. Le développement d’une politique de prévention et de répression du financement du terrorisme constitue une composante importante de la réponse juridique des Etats face au terrorisme.

  1.  Le terrorisme apparaît comme un phénomène complexe nécessitant une connaissance pointue des organisations, des motivations, des liens et bien évidemment des acteurs. Le mobile politique constitue, aussi, un élément important de l’incrimination pénale du terrorisme dont il conviendra de rapporter la preuve devant le tribunal. Dès lors, face à un phénomène complexe supposant la mise en action de moyens d’enquête spécifiques et dérogatoires, il y a lieu de promouvoir des structures fondées sur la spécialisation des intervenants.

  1. En tenant compte de la lutte contre le terrorisme et son financement ainsi que de la recherche de renseignements sur les mobiles politiques des groupements, il est intéressant d’essayer d’avoir une vue d’ensemble  des services au sein des Etats qui interviennent de quelque manière que ce soit dans la lutte anti-terroriste.

  1. A ce jour, une analyse de l’ensemble des dispositions de procédure pénale et d’organisation judiciaire qui régissent la lutte contre le terrorisme n’a pas encore été effectuée de manière systématique. Le Conseil de l’Europe envisage la création d’un tel répertoire dans le cadre du Codexter. L’Union européenne a adopté, le  28 novembre 2002, une décision [52] prévoyant un mécanisme d’évaluation de l’application et de la mise en œuvre au plan national des engagements internationaux en matière de lutte contre le terrorisme et la procédure est en cours [53] . Seuls ont été exploités les rapports fournis au Comité anti-terroriste du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans l’attente de données plus affinées, cette analyse doit être prise avec toutes les réserves nécessaires et constitue une ébauche. Il conviendrait que ce tableau puisse être complété et corrigé en fonction des réactions des Etats moyennant l’ élaboration  d’un questionnaire  précis.

 

  1. Avec toute la prudence nécessaire, il peut cependant être constaté qu’il existe une tendance certaine à la centralisation des dossiers auprès d’institutions spécialisées. La France et l’ Espagne présentent un intérêt tout particulier du fait que la centralisation y concerne aussi bien le ministère public que les juridictions d’instruction et les juridictions de jugement. Il apparaît cependant que, si la compétence de l’Audiencia Nacional en Espagne est exclusive de celles des autres juridictions, la compétence des juridictions parisiennes est concurrente de celles des autres juridictions françaises. Ces différences démontrent la possibilité de réponses diversifiées qui tendent vers l’efficacité. En Belgique, par contre, le modèle de centralisation ne concerne que le ministère public - en l’occurrence le Parquet fédéral- mais ne concerne ni les juridictions d’instruction, ni les juridictions de jugement.

  1. De plus, ce choix de la création d’autorités centralisées est aussi prôné au sein de l’Union européenne tant à travers Europol que Eurojust. Elle s’est aussi développée à travers la création des équipes communes d’enquête sur un plan policier [54]. La décision 2003/48/JAI du Conseil du 19 décembre 2002 [55] relative à l'application de mesures spécifiques de coopération policière et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme, conformément à l'article 4 de la position commune 2001/931/PESC prévoit que chaque Etat membre désigne d’une part, un service spécialisé au sein de ses services de police qui aura accès aux informations concernant les enquêtes pénales menées par les autorités policières et impliquant les personnes ou les entités mentionnées dans la liste de la position commune 2001/931/PESC et, d’autre part, soit un correspondant national d'Eurojust en matière de terrorisme, soit une autorité judiciaire appropriée ou bien une autre autorité compétente qui aura accès aux informations concernant les procédures pénales menées par les autorités judiciaires et impliquant les personnes ou les entités mentionnées dans la liste de la position commune 2001/931/PESC.

  1. Le caractère complexe et transnational du terrorisme justifie la spécialisation des magistrats et plaide, certainement, en faveur d’une politique de centralisation. Il s’agit seulement de l’expression d’une préférence et non d’un jugement de valeur. Cependant, la spécialisation et la centralisation des autorités en charge de la lutte contre le terrorisme peuvent se justifier par la nécessité d’un meilleur échange d’informations, par une plus grande rapidité de réaction, par une meilleure connaissance de la matière mais surtout par la prudence qu’impose l’utilisation d’un concept de terrorisme.

  1. L’avancement des travaux du Codexter (profiler) en vue de la création rapide d’une base de données permettant d’avoir une vue globale et synthétique des acteurs et intervenants dans les procédures pénales menées contre des terroristes devrait être encouragé. 

  1. Au nom de l’efficacité des enquêtes pénales dans une dimension transnationale, il paraît indiqué de recommander à tout le moins la création d’entités judiciaires centrales spécialisées.

  1. Tableau de synthèse provisoire

Pays

Rapports - dates

Services de police spécialisés

Autorités judiciaires spécialisées

Unités de renseignements financiers spécialisées

Services de renseignements compétents

1

Albanie

S/2001/1309 (31/12/2001) S/2002/973 (29/08/2002)

non (Direction du Ministère des finances)

Services d'information de l'Etat

2

Allemagne

S/2002/11 (02/01/2002)      S/2002/1193 (24/10/2002)   S/2003/671 (25/06/2003)     S/2004/129 (20/02/2004)

Police criminelle fédérale,      

Office fédéral gardien de la Constitution

Parquet général auprès de la cour constitutionnelle

FIU Deutschland, police

Service fédéral du renseignement

3

Andorre

S/2001/1244 (26/12/2001) S/2002/1047 (19/09/2002)

UPB, administrative

4

Arménie

S/2002/162 (12/02/2002)   S/2003/146 (04/02/2003)  S/2003/1044 (27/10/2003)

non (Banque centrale)

5

Autriche

S/2001/1242 (26/12/2001)   S/2002/969 (29/08/2002)   S/2003/276 (06/03/2003)   S/2004/16 (13/01/2004)

Brigade de lutte contre le terrorisme

EDOK, police                   Organisme fédéral de protection de l'Etat et de lutte antiterroriste

Bureau fédéral d'enquêtes criminelles

Service fédéral du renseignement

6

Azerbaïdjan

S/2001/1325 (31/12/2001)   S/2002/1022 (13/09/2002)   S/2003/1085 (13/11/2003)

Bureau du Procureur général

7

Belgique

S/2001/1266 (27/12/2001)   S/2003/526 (19/05/2003)  S/2004/156 (27/02/2004)

Groupe interforce antiterroriste

Parquet fédéral

CTIF-CFI, administrative

Sûreté de l'Etat

8

Bosnie-Herzégovine

S/2001/1313 (31/12/2001)   S/2002/1086 (27/09/2002)

service d'équipes spéciales

non (Organisme bancaire de la fédération)

service fédéral de renseignement

9

Bulgarie

S/2001/1273 (27/12/2001)   S/2002/793 (19/07/2002)   S/2003/632 (09/06/2003)

Service national de lutte contre la criminalité organisée

Service central des enquêtes spéciales

BFI, administratif

Services nationaux du renseignement

10

Chypre

S/2001/1243 (24/12/2001)  S/2002/689 (20/06/2002)  S/2003/263 (07/03/2003)  S/2004/86 (04/02/2004)

MOKAS, judiciaire

Agence centrale d'information

11

Croatie

S/2001/1271 (27/12/2001)  S/2002/727 (05/07/2002)  S/2003/454 (25/04/2003)  S/2004/128 (20/02/2004)

Bureau du Procureur général

AMLD, administrative

12

Danemark

S/2001/1303 (08/01/2002)  S/2002/789 (19/07/2002)  S/2003/274 (06/03/2003)  S/2004/119 (18/02/2004)

Direction de la défense civile

SOK, mixte

13

Espagne

S/2001/1246 (24/12/2001)  S/2002/778 (19/07/2002)   S/2003/628 (09/06/2003)

 Audencia nacional (tribunal central spécialisé siégeant à Madrid) auquel sont attachés des juges d’instruction

SEPBLAC, administrative

14

Estonie

S/2001/1315 (10/01/2002)  S/2002/870 (01/08/2002)   S/2003/275 (06/03/2002)  S/2004/22 (13/01/2004)

Direction générale de la sécurité

Tribunaux pénaux ordinaires composés d'un collège de 3 juges

RA, police

15

Ex-République yougoslave de Macédoine

S/2001/1333 (31/12/2001)  S/2002/1048 (19/09/2002)

(unité spéciale antiterroriste auprès de l'armée)

Agence de renseignements

16

Fédération de Russie

S/2001/1284 (27/12/2001)  S/2001/1284/add.1 (18/01/2002)                       S/2002/887 (06/08/2002)     S/2003/839 (27/08/2003)

Procureur général de la Fédération de Russie

FMC, administrative

Service du renseignement

17

Finlande

S/2001/1251 (28/12/2001)   S/2002/879 (01/08/2002)   S/2003/279 (04/03/2003)   S/2004/118 (18/02/2004)

Bureau national d'investigation

Bureau du Procureur général

MLCH, police

Services de sécurité responsable du renseignement

18

France

S/2001/1274 (27/12/2001)  S/2002/783 (19/07/2002)   S/2003/270 (10/03/2003)   S/2004/226 (29/03/2004)

Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)

Service central de lutte antiterroriste du parquet de Paris, tribunal de grande instance de Paris,

Juges d’instruction antiterroristes, cour d'assises spéciale composée de magistrats professionnels

Tracfin, administrative

DST, Direction centrale des renseignements généraux

19

Géorgie

S/2002/3 (02/01/2002)   S/2002/3/add.1 (03/07/2002)     S/2002/1185 (21/10/2002)

Service spécial de protection de la sécurité de l'Etat,                Centre de lutte contre le terrorisme

Service des renseignements généraux

20

Grèce

S/2002/43 (09/01/2002)  S/2002/857 (06/11/2002)   S/2003/772 (18/07/2003) S/2004/136 (20/02/2004)

CFCI, administrative

21

Hongrie

S/2002/32 (08/01/2002)   S/2002/1153 (15/10/2002)  S/2003/787 (31/07/2003)

Unité antiterroriste

ORFK, police

Office national de la sécurité

22

Irlande

S/2001/1252 (28/12/2001) S/2002/675 (17/06/2002)  S/2003/816 (18/08/2003)

Bureau national des enquêtes criminelles

 Possibilité de tribunaux pénaux spéciaux

MLIU, police

23

Islande

S/2001/1308 (31/12/2001)   S/2002/1020 (13/09/2002)  S/2003/997 (15/10/2003)

Commissariat national de la police

RLS, police

24

Italie

S/2002/8 (02/01/2002)  S/2002/1390 (20/12/2001 S/1390/add.1 (01/04/2003) S/2003/724 (18/07/2003)  S/2004/253 (29/03/2004)

Département de la sécurité publique,                           Direction générale de la police criminelle

Procureur du chef lieu du district judiciaire.

UIC, administrative                   {Comité de sécurité financière}

Services de renseignement

25

Lettonie

S/2002/9 (02/01/2002)  S/2002/1370 (16/12/2002)  S/2003/1174 (15/12/2003)

Bureau de défense de la Constitution

KD, administrative

26

Liechtenstein

S/2001/1253 (27/12/2001) S/2002/788 (19/03/2003)   S/2003/273 (06/03/2003) S/2004/254 (29/03/2004)

EFFI, administrative                 {Groupe de coordination de la lutte contre le financement du terrorisme}

27

Lituanie

S/2002/23 (02/01/2002)  S/2002/2019 (13/09/2002)  S/2003/842 (27/08/2003)

Office du Procureur général

MLPD, police

28

Luxembourg

S/2002/6 (02/01/2002)  S/2002/1018 (13/09/2002)  S/2003/1014 (16/10/2002)

Groupe spécial terrorisme

Procureur d'Etat de Luxembourg, juridictions de jugement de l'arrondissement judiciaire de Luxembourg

Service antiblanchiment du parquet du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, judiciaire

Service de renseignement de l'Etat

29

Malte

S/2001/1250 (28/12/2001)  S/2002/876 (01/08/2002) S/2003/1118 (24/11/2003)

FIAU, administrative

30

Moldova

S/2002/33 (08/01/2002)  S/2002/1044 (19/09/2002)  S/2002/978 (10/10/2003)

Services de sécurité de l'Etat

Bureau du Procureur général

Service du renseignement

31

Norvège

S/2001/1138 (30/11/2002)  S/2002/791 (19/07/2002)  S/2003/265 (06/03/2003)

Service de la sécurité civile

Parquet général

OKOKRIM, police

32

Pays-Bas

S/2001/1264 (27/12/2001) S/2002/1136 (07/10/2002)  S/2003/897 (17/09/2003)

Office national des services de police

Procureur national

MOT, administrative

Service de la sécurité nationale

33

Pologne

S/2001/1275 (27/12/2001) S/2002/677 (17/06/2002)  S/2003/271 (10/03/2003)

Bureau central d'enquête

GIIF, administrative

Service de la sûreté nationale

34

Portugal

S/2002/120 (25/01/2002)  S/2002/120 add.1 (20/03/2002)                      S/2002/1190 (24/10/2002)

Police judiciaire

UIF, police

Service des renseignements généraux

35

République tchèque

S/2001/1302 (31/12/2001)  S/2002/872 (01/08/2002) S/2003/261 (07/03/2003)  S/2004/171 (02/03/2004)

Division spéciale de la police

FAU, administrative

Services du renseignement et de la sécurité

36

Roumanie

S/2001/1339 (31/12/2001)  S/2002/949 (28/08/2002)

Parquet de la Cour suprême de justice

ONPCSB,police

Service du renseignement

37

Royaume-Uni

S/2001/1232 (24/12/2001) S/2002/787 (19/07/2002)  S/2003/264 (06/03/2003) S/2004/157 (27/02/2004)

NCIS, police

Services du renseignement

38

Saint-Marin

1292 (08/01/2002) S/2002/786 (19/07/2002)  S/2003/841 (27/08/2003)

Coordinateur des forces de police

Juge d'instruction spécialisé

39

Serbie

S/2001/1328 (31/12/2001) S/2002/1025 (13/09/2002)

Service spécial antiterroriste

APML, administrative

40

Slovaquie

S/2001/1225 (21/12/2001) S/2002/730 (05/07/2002) S/2004/65 (23/01/2004)

Groupe de gestion des crises liées au terrorisme

SJFP, police

41

Slovénie

S/2001/1277 (27/12/2001)  S/2001/1277/ corr.1 (04/02/2001)                        S/2002/863 (01/08/2002)           S/2003/1086 (13/11/2003)

Parquet général

OMLP, administrative

Bureau national de la sécurité et du renseignement

42

Suède

S/2001/1233 (24/12/2001)  S/2002/691 (20/06/2002)

Service de sécurité

NFIS, police

43

Suisse

S/2001/1224 (20/12/2001)  S/2002/868 (01/08/2002)  S/2003/967 (06/10/2003)

Task force terror USA ,          Groupe interdépartemental terrorisme

Parquet général de la Confédération

MROS, police

44

Turquie

S/2001/1304 (31/12/2001)  S/2002/948 (23/08/2002)  S/2003/856 (03/09/2003)

Direction générale de la sécurité

Tribunaux spéciaux

MSK, administrative

Service national du renseignement

45

Ukraine

S/2001/1330 (31/12/2001)  S/2002/1030 (13/09/2002)  S/2002/1084 (13/11/2003)

Service de sécurité (centre antiterroriste)

SDFM, administrative

Services  du renseignement


  1. Au sein de l’organisation judiciaire de certains Etats, il existe un acteur singulier : le juge d’instruction. Disposant d’un statut hybride puisqu’il est à la fois juge et enquêteur, il est intégré dans le paysage judiciaire  lorsque l’on se trouve dans une procédure pénale de type accusatoire. Actuellement, il apparaît notamment en France, en Espagne, au Luxembourg, en Belgique, aux Pays-Bas ainsi qu’à Saint Marin. Le juge d’instruction ne juge pas les auteurs d’infractions mais instruit les affaires pénales qui lui sont soumises et a un rôle actif dans la recherche des preuves tout en disposant de pouvoirs de contrainte importants. Les partisans du modèle du juge d’instruction considèrent qu’un juge d’instruction est plus à même d’instruire à charge et à décharge qu’un service de police ou que le ministère public.

  1. Constatant la difficulté de combiner le rôle d’enquêteur avec celui de juge impartial, d’autres proposent la figure du juge de l’instruction : il s’agit d’un juge dégagé des tâches d’enquête et qui se limite à décider des mesures coercitives ou à trancher les conflits entre parties [56]. Il s’agit d’une conception qui implique un glissement progressif vers une procédure pénale de type plus accusatoire.

  1. En matière de lutte contre le terrorisme, des juges d’instruction anti-terroristes existent et leurs existence paraît plus être la conséquence du type de procédure pénale en application de manière uniforme dans ces pays que d’un choix délibéré de politique répressive. De toute manière, que la procédure pénale soit accusatoire ou inquisitoire, le respect des droits et libertés  fondamentaux s’impose de la même manière.

  1. A ce stade, sans une étude plus approfondie sur les avantages et désavantages de tel ou tel type de procédure pénale, il paraît difficile de dire si la présence ou l’absence du juge d’instruction est de nature à augmenter ou diminuer l’efficacité de la réponse au terrorisme.

  1. Il ne paraît pas souhaitable de recommander le maintien, la création ou  la suppression du juge d’instruction.

  1. A la suite des attentats de Madrid, le Conseil européen a exprimé, le 25 mars 2004, sa volonté d’intensifier le combat contre le terrorisme sous toutes ses formes. A cette occasion, soulignant l’importance d’une coopération efficace en matière de renseignement et d’une meilleure évaluation de la menace, le Conseil européen a invité les Etats membres à promouvoir une collaboration efficace et systématique entre les services de police et de renseignement.

  1. Partant, un nouvel acteur s’est ajouté à la liste des partenaires des autorités judiciaires en matière de lutte contre le terrorisme : les services de renseignement. On peut sans difficulté comprendre l’importance du renseignement lorsqu’il s’agit d’apprécier l’élément subjectif que constitue dans l’incrimination pénale le mobile terroriste. Les relations entre les autorités judiciaires et les services de renseignement ne sont certainement pas une nouveauté sur le plan national. Placées dans un contexte supranational voire régional, ces relations apparaissent comme une révolution de la transparence.

  1. S’interrogeant sur une possible structure de collaboration, M. Coosemans suggère, comme piste de réflexion, l’intégration des services de renseignement dans Europol ou dans les équipes communes d’enquête tout en reconnaissant qu’un tel choix posera des problèmes légaux en raison de la distinction  fondamentale entre « law enforcement » et « intelligence » [57].

  1. La confusion possible est bien expliquée par M. Brodeur, de l’Ecole de criminologie de Montréal, qui souligne «  la convergence du renseignement de sécurité et du renseignement criminel (…) est problématique et que le maillage des réseaux ne s'effectuera pas sans difficulté, s'il se réalise jamais. (…) Le renseignement criminel a pour but de conduire à l'arrestation de criminels et de les amener devant un tribunal pour qu'ils y subissent un procès. A cause du caractère public de ces procès et des contre-interrogatoires des témoins, le risque que des informations confidentielles y soient divulguées est toujours présent. C'est pourquoi les services de renseignement de sécurité ont de fortes réticences à partager avec les forces policières les renseignements dont ils disposent. Le but du renseignement de sécurité est la prévention de l'action violente avant qu'elle ne soit perpétrée, par divers moyens. Le recours aux tribunaux demeure une option parmi d'autres et, au vrai, un recours ultime » [58].

  1. Si les services de renseignement constituent les remparts et défenseurs de la démocratie dans les Etats de droit, il ne faut pas oublier que les dictatures  se sont appuyées sur ses « services secrets » comme instrument de répression. Un rapport de l’Assemblée de l’UEO constate ainsi que les services de renseignement, instrument entre les mains des institutions publiques, peuvent être utilisés pour le meilleur comme pour le pire: ils peuvent constituer le moyen de dépistage préventif ou de contrôle des situations dangereuses pour la société, mais ils peuvent aussi être détournés et servir de moyen de chantage secret [59] .

  1. L’Assemblée de l’UEO a  souligné que la recherche du renseignement se heurte toujours à un problème de déontologie : il existe une limite éthique aux moyens que l’on peut employer pour la recherche du renseignement. C’est un problème de démocratie, qui exige un suivi parlementaire et une connaissance sans faille des lois et règlements par les services concernés.[60] L'Amiral Lacoste, ancien directeur de la DGSE française, a déclaré « à une époque où les principes démocratiques et les droits de l'homme sont de plus en plus reconnus comme des valeurs universelles, les citoyens de tous les pays tendent à exiger de leurs gouvernements la transparence dans la conduite des affaires publiques. Beaucoup sont réticents à admettre que les hommes politiques et les administrations puissent arguer du « Secret d'Etat » pour dissimuler certaines informations à leurs concitoyens. Au delà des aspects sensationnels ou des polémiques portant sur des cas particuliers, il s'agit bien là d'un sujet capital, car il est éminemment politique, au sens noble du mot. C'est un débat de société qui ne devrait laisser personne indifférent » [61].

  1. Cette limite éthique dans la recherche du renseignement sera-t-elle en accord avec le principe de la loyauté des preuves qui constitue un élément du procès équitable ? La question ne peut qu’être posée tout en rappelant que le PC-TI a souligné que l’utilisation des techniques spéciales d’enquête à d’autres fins comme, par exemple, la protection de la sécurité nationale, peut soulever également des interrogations,  eu égard au respect des droits de l’homme et, plus particulièrement, du prescrit de l’article 8 de la CEDH [62].

  1. Le contrôle démocratique est donc impératif : (…) une série de contrepoids doit être mise en place au sein de la société démocratique contemporaine pour garantir le respect des lois qui gouvernent l'existence et l'activité des centres d'investigation et de renseignement: ainsi, tandis que le pouvoir exécutif en supervise la gestion et que le pouvoir judiciaire remédie aux manquements à la loi, le pouvoir législatif est appelé à régler par la loi le cadre d'action et à contrôler le respect de celui-ci [63] .

  1. C’est non seulement le contrôle démocratique qui s’impose mais aussi le respect des principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, dans le cadre des relevés de données à caractère personnel  nécessaires dans le cadre d’une information pénale[64] ou d’une enquête de sécurité[65], faut-il concilier les principes de l’article 8 de la CEDH et la lutte contre le terrorisme. Il faudra veiller à ce que l’encadrement légal des activités des services de renseignement soit d’une nature telle que la coopération entre les services judiciaires, policiers et les services de renseignement s’effectue dans le plein respect des dispositions de l’article 6 de la CEDH relative au procès équitable sans pour autant entraver l’action légitime des services de renseignement.

  1. Dans la perspective d’une collaboration accentuée entre les services de renseignement et les autorités de poursuite des infractions de terrorisme, il est souhaitable que les spécificités des services ainsi que la finalité de leurs actions restent inscrites dans les principes qui gouvernent le procès équitable.

Quelques difficultés de preuve

  1. Devant la progression de la criminalité, et particulièrement du terrorisme international, les autorités judiciaires et policières doivent protéger la société contre la perpétration d’actes et d’infractions criminels. Pour ce faire, ils ont recours à des techniques de surveillance de plus en plus sophistiquées ou à des méthodes de recherche particulières lorsqu’un crime est commis mais aussi bien avant qu’il ne le soit, dans le but de prévenir la commission d’infractions plus graves. Le Comité d’expert sur les techniques spéciales d’investigation a étudié les nombreuses techniques modernes plus ou moins  intrusives qui peuvent être utilisées [66].

  1. Dans le cadre de l’approche répressive efficace contre le terrorisme, les autorités judiciaires se trouvent confrontées à la difficulté de recueillir les preuves. La détermination de l’élément subjectif - à savoir le mobile terroriste – est sans doute beaucoup moins aisée que la détermination ou la découverte d’éléments matériels lorsqu’un acte délictueux a été commis. Une tendance se dessine de rechercher les éléments de preuve préalablement au passage à l’acte. La preuve du mobile terroriste peut apparaître à travers les liens entretenus par des personnes, à travers des écrits, des paroles, à travers l’appartenance à un réseau.  On en arrive à soupçonner une personne de vouloir commettre une infraction ou d’appartenir à un groupement qui va commettre une infraction.

  1. Egalement, la Cour a interprété  la notion de raisons plausibles dans le cadre de l’article 5 de la CEDH en disant que « l’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli une infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances » ([67]).

  1. On peut s’interroger sur le point de savoir si l’action policière et judiciaire est subordonnée à la constatation préalable d'un fait délictueux ou si, au contraire, cette action peut également avoir une dimension proactive lui permettant d'entreprendre des investigations en amont du passage à l'acte ou de l'enregistrement d'un fait par un service de police.

  1. Deux con­ventions internationales ont consacré explicitement la notion de police ou recherche proactive : d’une part,  la Convention  Schengen qui permet le transfert d'informations, entre les différents pays, relatives à la répression d'infractions futures (article 46) et, d’autre part, la convention Europol  qui autorise la centralisation de données concernant des faits délic­tueux futurs ou en préparation (article 8).

  1. L’enquête réactive renvoie à l’enquête sur un ou plusieurs faits définis tandis que l’ enquête  proactive suppose une approche prospective d'un phénomène plus imprécis. La démarche proactive s'apparente à celle des services de renseignement qui rassemblent des informations sur des menaces potentielles, non encore autrement exprimées [68].

87.  Une action proactive doit conserver une finalité judiciaire. Par conséquent, un

objectif exploratoire ou de simple police administrative est exclu ; une suspicion raisonnable que des faits punissables ont été commis mais ne sont pas encore connus ou vont être commis. Une enquête proactive se justifie pour  les crimes ou délits les plus graves et  donc le terrorisme. Le professeur Jean Pradel a eu le mérite de suggérer l’élaboration d’un statut légal de l’enquête pénale proactive[69] et la définit comme « l’ensemble des investigations utilisant le plus souvent des techniques spéciales pour prévenir la commission probable d’infractions ou détecter des infractions déjà commises mais restées inconnues »[70]. Cette enquête proactive doit répondre à des critères de légalité, de subsidiarité et de proportionnalité [71] qui ont été examinés par le comité d’expert sur les techniques spéciales d’enquête. Le développement de techniques spéciales d’enquête et d’enquête proactive paraît de nature à  renforcer la réponse des Etats dans le respect de la prééminence du droit.

88.  Dans le but d’action pénale plus ferme, on peut envisager de recommander le développement et la mise en œuvre de toutes les techniques d’enquête propres à prévenir et à réprimer le terrorisme sans pour autant s’écarter du respect des principes de la Convention européenne des droits de l’homme.

89.  Il semble également que le recueil des preuves ne soit pas optimal dans le cadre de l’entraide judiciaire.

90.  Un expert du Conseil de l’Europe a considéré que «  les mécanismes d’entraide policière et judiciaire en matière pénale pour l’établissement d’un cadre juridique commun ne se sont pas révélés aussi efficaces et expéditifs qu’espéré, et n’ont pas permis de prendre des mesures énergiques contre les organisations criminelles internationales les plus dangereuses » notamment parce que les Etats requis sont parfois peu intéressés par les enquêtes dans le cas de demande d’entraide unilatérale et parce que les Etats s’accrochent à la souveraineté dans l’administration de la justice pénale [72] .

91.  Fin 2003, la Commission européenne a présenté une proposition visant à créer un mandat européen d'obtention de preuves qui appliquera le principe de la reconnaissance mutuelle à l'obtention de certains types d'éléments de preuve en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales. Cette proposition s’inscrit dans le cadre des travaux en cours au sein de l’Union européenne afin de mettre en place un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Elle repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, dont le Conseil européen de Tampere de 1999 a souhaité qu'il devienne la pierre angulaire de la coopération judiciaire. L'idée fondamentale est que le mandat européen sera une décision émise par une autorité judiciaire dans un État membre et directement reconnue et exécutée dans un autre État membre. Par rapport aux procédures d'entraide judiciaire existantes qu'il remplacera, le mandat européen d'obtention de preuves présentera plusieurs avantages; il permettra notamment d'accélérer les procédures et offrira des garanties claires en matière d'émission et d'exécution.

92.  La démarche adoptée pour ce mandat européen permettra aussi de surmonter les différences notables existant entre les États membres sur le plan de la procédure pénale. Si le mandat énonce l'objectif à atteindre, l'État d'exécution reste néanmoins libre de déterminer le meilleur moyen d'obtenir les éléments de preuve conformément à son droit interne. On évitera ainsi le problème qui se pose dans un système fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions nationales, certains Etats membres étant obligés d'exécuter un ordre de perquisition, alors qu'ils auraient normalement recours à un mécanisme moins intrusif. Ainsi, l'obtention d'informations bancaires nécessite d'utiliser, dans certains Etats membres, un ordre de perquisition et, dans d'autres, une injonction de produire, moins intrusive.

93.  La proposition contient des garanties spécifiques. Dans l'État d'émission, un mandat européen d'obtention de preuves ne pourra être émis que par un juge, un magistrat instructeur ou un procureur. L'autorité d'émission devra s'assurer qu'elle serait en mesure de recueillir les objets, documents ou données dans des circonstances analogues s'ils se trouvaient sur le territoire de son propre Etat membre. De la sorte, le mandat européen d'obtention de preuves ne pourra servir à éluder les garanties nationales entourant la recherche d'éléments de preuve. Dans l'État d'exécution, la protection du droit fondamental de ne pas témoigner contre soi‑ même est garanti. Devra être prévu tant dans l'Etat d'émission que dans l'Etat d'exécution, un droit de recours effectif lorsque des mesures coercitives ont été appliquées pour obtenir les éléments de preuve.

94.  L’efficacité des enquêtes pourra se trouver renforcée dans un telle perspective. Cet exemple pourrait servir de fondement à une nouvelle coopération judiciaire européen.

95.  L’émergence de nouveaux mécanismes à côté de conventions anciennes et amendées par des protocoles additionnels pose la question fondamentale de l’existence d’un code clair et cohérent de règles d’entraide internationale. La multiplicité des instruments peut rendre difficile et lourde une entraide que l’on veut simple, rapide et efficace. Une coordination des textes développés au sein du Conseil de l’Europe intégrant les nouveaux mécanismes de l’Union européenne et le développement d’un vade-mecum quant à leur emploi constitueraient des instruments qui sont de nature à augmenter l’efficacité de la réponse des Etats face à  des phénomènes particulièrement graves.

96.  Une telle initiative pourrait être confiée aux comités compétents du Conseil de l’Europe.

La formation des magistrats

  1. Face au rôle qu’il est appelé à assumer, le magistrat se doit d’acquérir, de conserver et de développer des connaissances qui lui permettent de rester à l’écoute de la société dans laquelle il se meut et au sein de laquelle il doit assurer un rôle de régulateur social. Le contenu de la formation devra veiller à fournir une formation liée à l’entrée en fonction , ensuite, des formations thématiques doivent être dispensées de manière à lui permettre de rester en contact avec les développements législatifs nationaux ainsi que les développements internationaux. Ces formations thématiques peuvent aussi être consacrées aux questions fondamentales de la société contemporaine. La formation du magistrat est sans aucun doute un enseignement mais elle est aussi plus que cela :  «  elle tend aussi à partager un ensemble d’informations opérationnelles ( le savoir-agir) et à présenter des modèles de comportement ( le savoir-être) » [73].

  1. La mise en place récente du réseau européen de formation judiciaire  par l’Union européenne constitue le prolongement de l’action de précurseur entreprise par le Conseil de l’Europe dans le cadre du réseau de Lisbonne. Les objectifs du réseau qui sont de coopérer entre autres sur l’analyse et l’identification des besoins de formation, la conception de programmes et d’outils  communs de formation dans la perspective de la création d’un espace judiciaire européen.

  1. Dans le cadre de la recherche d’une efficacité de la réponse des Etats face au terrorisme, la formation des magistrats revêt une importance certaine. Outre les rencontres de nature strictement opérationnelle ou les échanges internationaux d’expérience professionnelles, il y a place pour une meilleure connaissance des instruments juridiques de lutte contre le terrorisme. Le Conseil de l’Europe a développé de nombreux instruments de coopération judiciaire internationale qui ont jeté les bases de coopérations quotidiennes entre les magistrats et ont participé à la création d’un espace paneuropéen de justice.

  1. Le rapport présenté par le Ministre de la Justice de la Bulgarie, lors de la 25ième Conférence des Ministres de la Justice [74], précise aussi, à juste titre que cette formation des magistrats doit être, en quelque sorte, multidisciplinaire : si cette formation doit couvrir le droit pénal antiterroriste et l’entraide judiciaire, elle doit aussi inclure le droit bancaire et le droit fiscal. Ce dernier aspect ne doit pas être négligé dans la perspective de la lutte contre le financement du terrorisme.

  1. Essentiel dans le domaine de la répression d’infractions transnationales, et donc aussi dans la lutte contre le terrorisme, le fonctionnement de l’entraide judiciaire internationale est souvent critiquée.  L'exercice d'évaluation effectué par le Conseil de l’Union européenne [75] a mis en évidence que, si l'entraide n'est pas exempte de défauts, les critiques de lenteur, d'inefficacité et d'impuissance qui sont habituellement formulées à son encontre sont excessives; en général, l'entraide ne fonctionne pas aussi mal qu'on le dit.

  1. Cet exercice européen a souligné que l'entraide peut toutefois être améliorée dans le domaine de la formation et la formation de spécialistes en matière d'entraide. Un besoin marqué de formation initiale et continue, directement lié au fait que le thème de l'entraide judiciaire évolue au fil du temps a été mis en évidence.

  1. Face au traitement de dossiers transnationaux, plusieurs conventions et  instruments réglementaires internationaux, ainsi que des instruments nationaux très divers, peuvent être appliqués à l'occasion de l'exécution ou de l'élaboration d'une demande d'entraide judiciaire. La mise en application de la convention sur la répression du terrorisme du Conseil de 1977 est un instrument qui complète les conventions générales sur l’entraide et l’extradition et leurs protocoles. Les nouvelles formes de coopération qui s’instaurent au sein de l’union européenne ( le mandat d’arrêt, les équipes communes d’enquête) devront se combiner avec les conventions existantes du Conseil de l’Europe.  Une connaissance approfondie des relations entre tous les instruments impliquent une formation spécialisée. Egalement, une méconnaissance des instruments aboutit à ce qu’il en soit fait peu usage et dès lors empêche la négociation  d'instruments internationaux plus performants et l'adoption de lois nouvelles par les États membres.

104.                     Il convient d’ accélérer, d’ amplifier et d’ actualiser la formation initiale et continue des magistrats afin que les autorités judiciaires possèdent les compétences les plus appropriées pour la mise en oeuvre de l'entraide et de l’extradition. Il faudrait encourager le développement de formations spécialisées en ce qui concerne les criminalités les plus graves.



Le droit des victimes

  1. Face au terrorisme, la justice doit être exemplaire car, «  dans le cas du terrorisme, on juge aussi l’assassin par rapport à sa victime »[76]. L’exemplarité de la justice ne doit pas être entendue sous l’angle de la répression dans le chef de la victime mais plutôt sous l’angle de l’accès à la justice. Cet accès doit être garanti à la victime en tant que demandeur de réparation du dommage subi mais elle constitue aussi un acteur important de l’action pénale. Il en va sans doute d’autant plus en matière de terrorisme.

  1. En ce qui concerne la question de l’indemnisation de la victime, la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions, conclue au sein du Conseil de l’Europe constitue le premier instrument pertinent même si l’on peut constater un faible taux de ratification [77]. Le droit à la réparation du dommage a aussi été reconnu dans des instruments récents de l’Union européenne. Ainsi, dans la foulée de la publication d’un  livre vert consacré à l’indemnisation des victimes de criminalité [78], la Commission européenne a déposé une proposition de directive relative à l’indemnisation des victimes de criminalité , consciente de la nécessité, suite aux attentats du 11 septembre 2001, d’offrir une couverture complète pour l’indemnisation des victimes de terrorisme [79].

  1. Ces instruments constituent une réelle prise en compte de la nécessité d’une indemnisation. Cependant, la victime doit pouvoir disposer d’un droit à l’accompagnement et surtout d’un droit à la reconnaissance de son statut [80]. Cette reconnaissance semble justifier de lui confier un véritable rôle d’acteur et de lui accorder ainsi une réelle place dans le procès pénal.

  1. Dans sa recommandation R (85) 11, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe avait mis l’accent sur un ensemble de lignes directrices permettant de dépasser les objectifs d’une justice pénale, exprimés en terme de rapports entre l’Etat et le délinquant pour développer une fonction fondamentale de la justice pénale, à savoir répondre aux besoins de la victime et la sauvegarde de ses intérêts [81].

  1. L’Union européenne a adopté une décision-cadre le 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales [82] qui a pour but de rapprocher les dispositions législatives et réglementaires en vue d’offrir aux victimes  un niveau élevé de protection en y englobant certaines mesures d’assistance. La décision – cadre  reconnaît nécessaire de rapprocher les règles concernant les statuts et les principaux droits de la victime en veillant tout particulièrement au respect de leur dignité , à leur droit à informer et à être informées, à comprendre et à être comprises, à être protégées aux diverses étapes de la procédure [83].

  1. Cependant, la décision-cadre stipule, dans ses considérants , qu’elle n’impose pas aux Etats membres de garantir aux victimes un traitement équivalent à celui des parties au procès [84]. Ce considérant doit être mis en balance avec un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 1 juillet 1997 par lequel la Cour a estimé que l’article 6, §1 de la Convention européenne s’appliquait  à une demande d’indemnisation par l’Etat de la victime d’un délit [85] puisqu’il s’agissait d’une contestation de droit civil. Cela implique dès lors le droit à une procès équitable et tous ses corollaires.

  1. Il pourrait être recommandé que la réponse juridique des Etats membres prennent dûment en compte le statut de la victime par l’adoption de moyens leur permettant d’en user dans le plein respect de la Convention européenne des droits de l’homme.

Conclusion

  1. Les attentats du 11 septembre 2001 et ceux de 11 mars 2003 ont d’une part révélé la mondialisation du terrorisme et donc la nécessité d’une réponse répressive commune et d’autre part, la nécessité de développer des mécanismes de coopération à la hauteur du défi à surmonter. Cependant, cette lutte ne peut se faire que dans le strict respect des normes qui fondent les Etats de droit.

  1. Si le terrorisme concerne la communauté internationale, il incombe à chaque Etat individuellement de réprimer pénalement ce phénomène et aux Etats ensemble de tendre à une harmonisation et à une convergence des règles nationales issues des instruments internationaux qui visent à incriminer globalement le terrorisme et à assurer une plus grande entraide judiciaire.

  1. Le présent document, certes perfectible, avec ses suggestions constitue une tentative « face à la mondialisation du terrorisme, d’harmoniser la réponse judiciaire » [86] tant à l’égard des auteurs d’actes terroristes que de leurs victimes en se fondant sur l’acquis du Conseil de l’Europe.

Récapitulatif des suggestions avancées par le Rapport

En ce qui concerne les choix d’une réponse juridique efficace face au terrorisme

En ce qui concerne les structures étatiques en charge de la lutte contre le terrorisme

En ce qui concerne les difficultés de preuve

En ce qui concerne la formation des magistrats

En ce qui concerne le droit des victimes



[1] Voir rapport de la Bulgarie MJU-25(2003)1, rapport du Secrétaire général du Conseil de l’Europe  MJU-25(2003)2, rapport de l’Allemagne MJU-25(2003)5, rapport de la Bosnie-Herzégovine MJU-25(2003)6, rapport du Liechtenstein MJU-25(2003)7, rapport de la Serbie et du Monténégro MJU-25(2003)10, rapport de la Slovénie MJU-25(2003)9, rapport de Chypre MJU-25(2003)11, rapport de la Suède MJU-25(2003)8, rapport de The Former Yugoslav Republic of Macedonia MJU-25(2003)15, rapport de la Pologne MJU-25(2003)14, rapport de la Norvège, MJU-25(2003)4, rapport de la Turquie MJU-25(2003)3, rapport de la Hongrie MJU-25(2003)17, rapport de l’Espagne MJU-25(2003)18, rapport du Canada MJU-25(2003)12,rapport de l’ UNMIK MJU-25(2003)16, rapport de la Commission internationale de l’état civil MJU-25(2003)13.          

[2]  Voir Codexter (2004) misc 02 du 30 mars 2004.

[3] Voir Cassese, A., Violence et droit dans un monde divisé, P.U.F., Coll. Perspectives internationales , 1990 ,p. 115.

[4] La formule est de Marcelo Kohen, professeur de droit international à Genève dans un article intitulé « L’arme de la civilisation, c’est le droit », Le Temps, 17 septembre 2001.

[5] CEDH, 29 novembre 1988, arrêt Brogan et al c/ Royaume Uni, 145-B ; Arrêt Fox, Campbell  et Hartley précité.

[6] CEDH, 28 mars 2000, arrêt Cemil Kiliç c/ Turquie 2000-III, p. 62 ; voir à propos d’une ingérence qui a pour finalité de protéger des droits et libertés d’autrui, CEDH, 29 avril 1999, arrêt Chassagnou et al c/ France, 1999-III,§ 113.

[7] CEDH,  6 septembre 1978, arrêt Klass et al c / Allemagne, série A-28.

[8] CEDH, 28 octobre 1994, arrêt Margaret Murray et al c/ Royaume Uni, 300-A

[9] CEDH, 25 novembre 1997, arrêt Zana c/ Turquie, 1997-VII.

[10] Adoptées par le Comité des Ministres le 11 juillet 2002 à l’occasion de la 804ième  session des délégués.

[11] Voir pour les résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’ouvrage intitulé « La lutte contre le terrorisme : les normes du Conseil de l’Europe », éd. du Conseil de l’Europe, 2004, p. 325 et suivantes.

[12] Voir la recommandation 1644 ( 2004) du 29 janvier 2004 ; Codexter (2004) 06.

[13] Voir  Albert Camus, Chroniques algériennes, Actuelles III, 1958.

[14] V. relevé des définitions des différents instruments internationaux ou régionaux ci-après.

[15] V de Salvia, M., Compendium de la CEDH, article 7, p. 387.

[16] V. de Schutter, O., la Convention européenne des droits de l’homme à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme,    in Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, Bruylant, 2002, p. 141.

[17] CEDH, arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, § 52.

[18] Voir Codexter (2004) 05 restreint du 16 février 2004, voir aussi Codexter (2003) 13 du 23 octobre 2003 en ce qui concerne un examen comparé du champ d’application des conventions des Nations Unies concernant la lutte contre le terrorisme.

[19] Voir rapport du Secrétaire général à Sofia, MJU – 25 ( 2003) 2, §§. 25, 33, 62.

[20] CM /Del/Dec (2001)765bis, point 21, Strasbourg 21 septembre 2001

[21] Voir Codexter (2004) 17 prov du 2 avril 2004, par. 15.

[22] Journal officiel L 164 du 22.06.2002.

[23] Ces mesures s’ajoutent à celles déjà prévues par la décision – cadre 2001/220/JAI.

[24] Voir. JO.CE du 12 juillet 2002, n° L 190, p. 1.

[25] Nonobstant la Charte des droits fondamentaux proclamée lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000, le mandat d’arrêt tombe dans le champ d’application de l’article 5 CEDH.

[26] Tribunal Correctionnel de Mons ( Chambre du Conseil), décision du 24 avril 2004), Procureur fédéral c/ M. L.,, cette décision est frappée d’appel ; Tribunal Correctionnel de Mons (Chambre du Conseil), décision du 28 avril 2004, Procureur fédéral c/ M. U et Cour d’appel de Mons, arrêt du 13 mai 2004.

[27] Voir Com(2004) 221 final du 29 mars 2004 et repris dans un document du Conseil de l’Union européenne du 5 avril 2004, 8200/04, JAI 109.

[28] L’impossible guerre contre le terrorisme. Entretien avec Pierre Hassner, « Esprit » août – septembre 2002, p.72 et suiv.

[29] Convention européenne pour la répression du terrorisme [STE n° 90]du 27 février 1977.

[30] Rapport explicatif de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, § 1.

[31] Rapport explicatif, § 12.

[32] Protocole [STE n° 190]

[33] Voir §§. 17 et 18 du rapport explicatif à la convention amendée in La lutte contre le terrorisme : les normes du Conseil de l’Europe, 2003, p. 20.

[34] Voir pour le projet initial de recommandation et plus particulièrement le § 11, Codexter (2004) 06, p. 8.

[35] Voir  de Salvia, M., Compendium de la CEDH, article 7, p. 387.

[36] Voir de Schutter, O., la Convention européenne des droits de l’homme à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme, in Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, Bruylant, 2002, p. 141.

[37] CEDH, arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, § 52.

[38] Cette qualification est empruntée à M. G. Guillaume «  Terrorisme et droit international », R.C.A.D.I., 1989-III, vol. 215, p.304.

[39] voir la réponse de la France , PC-TI (2003) 8, p. 73.

[40] Voir GAFI-XII, rapport sur les typologies du blanchiment de capitaux 2000-2001, p.21.

[41] CEDH, 30 août 1990, arrêt Fox, Campbell et Hartley, série A n°182.

[42] Voir C.E.D.H., affaire Klaus, § 48.

[43] Voir C.E.D.H., arrêt du 22 février 1994, affaire Raimondo c/ Italie, Série A, vol. 281-A,§§ 27 et 30.

[44] Voir C.E.D.H., 18 octobre 2001, Indelicato c. Italie (réf HUDOC 2885) qui rappelle que l’article 3 CEDH consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques même dans les circonstances les plus difficiles telles la lutte contre le  terrorisme et le crime organisé.

[45] Voir PC-TI (2003) 11 du 6 octobre 2003.

[46] Voir CEDH, 28 octobre 1994, arrêt Margaret Murray et al c/ Royaume Uni, 300-A

[47] Voir l’exposé des motifs du rapporteur de la Commission des questions politiques de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, point II, Codexter(2004)6 du 25 février 2004.

[48] Voir rapport sur les typologies de blanchiment de capitaux 2001-2002, GAFI-XIII, p.2.

[49] Voir rapport sur les typologies de blanchiment de capitaux 2002-2003, GAFI-XIV, p.7 : Les groupes terroristes peuvent tirer des revenus d’actes criminels, comme le fait la criminalité organisée. Un groupe terroriste cité en exemple dans l’exercice sur les typologies de cette année et des années précédentes tire l’essentiel de ses ressources de la prise d’otages (avec demande de rançon) et de l’extorsion de fonds (« impôt révolutionnaire » ou paiements en échange d’une protection). Un autre groupe, également mentionné dans les exercices précédents, utilise essentiellement des fonds provenant du trafic de stupéfiants. Lorsqu’ils obtiennent des fonds au moyen d’activités illicites, les groupes terroristes sont assimilables dans leur comportement à des organisations criminelles non terroristes.

[50] Convention STE 141 du Conseil de l’Europe du 8 novembre 1990.

[51] Voir pour le dernier état d’avancement des travaux le rapport de la troisième réunion du PC-RM, PC-RM (2004) 12 du 3 mai 2004.

[52] Journal Officiel  L 349 du 24.12.2002 p. 1 ; le comité de l’article 36 a approuvé les 23-24 janvier 2004 le thème de la première évaluation relatif à l’échange d’informations en relation avec les activités terroristes entre les autorités de poursuite, les services de renseignement et tout autre service  s’occupant des aspects du terrorisme en ce compris la coordination nationale et européenne.

[53] Les rapports sur la Belgique et la France devront être examinés le 8 juin 2004. A noter que le Conseil européen du 25 mars 2004 a demandé un rapport intérimaire pour septembre 2004 et un rapport final englobant les Etats nouveaux adhérents pour septembre 2005.

[54] Voir décision-cadre du 13 juin 2002 publiée au JO.CE du 20 juin 2002, n° L 162, p.1.

[55]   Voir Journal officiel L 16 du 22 janvier 2003

[56] Voir à propos de cette thèse reprise dans le cadre de l’étude du corpus juris qui a élaboré un certain nombre de principes directeurs en matière de protection pénale des intérêts financiers de l’Union européenne, l’ouvrage de M. Delmas Marty et J. Vervaele, La mise en œuvre du corpus juris dans les Etats membres, Intersentia, 2000, vol. I. En proposant l’idée d’un ministère public européen, les auteurs du corpus juris ne parlent plus d’un juge d’instruction mais d’une chambre européenne de l’instruction.

[57] Voir Coosemans, Th, « Promouvoir l’Europe du renseignement : nécessité et perspectives », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, avril 2004, p. 241.

[58] Voir BRODEUR,J-P., « Les services de renseignement et les attentats de septembre 2001 », Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal (disponible sur le site www.unites.uqcam.ca); voir aussi TREVERTON Gr., « Remodeler le renseignement pour le partager avec « nous-mêmes », Commentaire n° 82, Publication du Service Canadien du Renseignement de Sécurité, 16 juillet 2003 (disponible sur le site csis-scrs.gc.ca).

[59]  Voir Assemblée de l’UEO, « Le contrôle parlementaire des services de renseignement dans les pays de l’UEO – Situation actuelle et perspectives de réforme », rapport présenté au nom de la commission pour les relations extérieures et publiques par Mme Kestelijn-Sierens, Document A/1801 du 4 décembre 2002, quarante-huitième session.

[60] Voir Assemblée de l’UEO, « Renseignement européen : les nouveaux défis – Réponse au rapport annuel du Conseil », rapport présenté au nom de la Commission de défense par M. Lemoine, document A/1775, 4 juin 2002.

[61] Compte-rendu du colloque « Secret d’Etat ou transparence ? », 20 janvier 1999 - Comité permanent de contrôle des services de renseignement, Rapport d’activités 1999, Belgique.

[62] Voir rapport PC-TI, op. cit., § 51 ;voir C.E.D.H, arrêt  Rotaru , 4 mai 2000, Série A, 2000-V, 59 : un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale comporte le risque de saper, voire de détruire la démocratie au risque de la défendre.

[63] Assemblée de l’UEO, « Le contrôle parlementaire des services de renseignement dans les pays de l’UEO – Situation actuelle et perspectives de réforme », op. cit.

[64] Voir CEDH, Arrêt Margaret Murray, précité.

[65] Voir CEDH, Arrêt Leander c/ Suède 26 mars 1997, série A-116.

[66] Voir rapport du Comité d’experts sur les techniques spéciales d’investigation en relation avec le terrorisme, PC-TI(2003)11, 6 octobre 2003.

[67] Voir CEDH, Arrêt Fox, Campbell et Hartley, 30 août 1990, série A-182 ; la Cour considère que la criminalité terroriste entre dans une catégorie spéciale qui oblige la police à agir avec célérité pour exploiter des informations afin de réduire le risque de souffrances et de perte de vies humaines.

[68] Il est symptomatique de constater que les services de renseignement occidentaux réorientent de plus en plus leurs activités vers le secteur de la criminalité organisée et bien sûr le terrorisme

[69] Voir Jean Pradel, De l’enquête pénale proactive : suggestions pour un statut légal, Dalloz, 1998, p.57 et suivantes.

[70] Voir rapport PC-TI, op.cit, § 47.

[71] Voir rapport PC-TI, op. cit, § 48.

[72] Voir PC-OC(2004)2 du 16 février 2004, avis soumis par M. Stefano Dambruoso, Procureur à Milan.

[73] Voir Oberto, G.,  « Recrutement et formation des magistrats en Europe », publié par les Editions du Conseil de l’Europe en mars 2003.

[74] Voir Conseil de l’Europe, MJU-25(2003) 1, p. 11.

[75] Rapport final sur le premier exercice d'évaluation consacré à l'entraide judiciaire en matière pénale,
Journal officiel n° C 216 du 01/08/2001 p. 14 - 26

[76] Cette citation est empruntée à M. WALZER in Guerres justes et injustes, Paris, Belin, 1999, p. 278.

[77] Voir Convention STE 116 du 24 novembre 1983, voir aussi extrait du rapport sommaire de la 48ième réunion du Comité d’experts sur le fonctionnement des Conventions européennes dans le domaine pénal (PC-OC), Codexter(2004)08 du 16 mars 2004.

[78] Voir Com/ 2001/ 536 final.

[79] Voir la proposition de directive publiée au J.O. C. 405 E du 25 février 2003, pp.69 à 89.

[80] Voir l’article de CARIO, R., «  Terrorisme et droit des victimes » in Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, Calman-Lévy, 2003, pp. 342 et suivantes.

[81] Recommandation adoptée lors de la 387ième réunion des délégués des Ministres le 28 juin 1985.

[82] Voir J.O. n° L 82 du 22 mars 2001, pp. 1 à 4.

[83] Considérant 8 de la décision cadre du 15 mars 2001.

[84] Considérant 9.

[85] Voir CEDH, arrêt du 1.7.1997, Gustafson, R c/ Suède, Rec. 1997-I ; voir aussi CEDH, Arrêt Pérez c/ France du 12 février 2004, requête n° 47287/99.

[86] La formule est empruntée à la Présidente de l’association SOS Attentats dans son introduction à l’ouvrage intitulé «  Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale », Calman-Lévy, 2003.