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Strasbourg, 12 décembre 2014                                                            CEPEJ(2014)14

COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE

(CEPEJ)

 

Lignes directrices sur le rôle des experts

nommés par un tribunal

dans les procédures judiciaires

des Etats membres du Conseil de l’Europe

Document adopté par la CEPEJ lors de sa 24ème réunion plénière

(Strasbourg, 11 – 12 décembre 2014)

 


Table des matières

Introduction. 4

1.      OBJET DE L’AVIS D’EXPERT – MISSION DE L’EXPERT. 5

2.      L’EXPERT. 6

2.1         Personne physique ou groupe de personnes. 6

2.2         Personnel / collaborateurs. 6

2.3         Nombre d’experts / remplacement d’un expert 6

3.      SELECTION DE L’EXPERT / CRITERES DE SELECTION. 6

3.1         Conditions posées par les parties / nomination par les parties. 6

3.2         Nomination par le tribunal 7

3.2.1          Critères de sélection. 7

3.2.2          Procédure de sélection / garantie de qualité. 8

3.2.3          Obligation des parties d’entendre l’expert et droit de le récuser 9

3.2.4          Mission confiée à l’expert par voie de nomination judiciaire. 9

3.2.5          Voies de recours pour les parties contre la nomination. 9

3.2.6          Moyens de contrôle du tribunal après la nomination et pendant la procédure de sélection. 9

4.      CONDITIONS DE PREPARATION DE L’AVIS D’EXPERT (EVALUATION) / FORME DE L’AVIS D’EXPERT  10

4.1         Ordre de mission. 10

4.2         Destinataire de l’avis d’expert 10

4.3         Enquête menée par l’expert 10

4.4         Préparation des inspections ou examens sur site. 10

4.5         Obtention de rapports ou d’évaluations supplémentaires et complémentaires. 10

4.6         Règles relatives au contenu de l’avis d’expert 10

4.7         Avis d’expert verbal ou écrit / forme de l’avis d’expert 10

4.8         Rapport intermédiaire ou rapport final 11

4.9         Etablissement de l’avis d’expert dans un délai raisonnable. 11

4.10      Consignes du tribunal et des parties. 11

5.      OBLIGATIONS DE L’EXPERT. 11

5.1         Obligations personnelles. 12

5.1.1          Evaluation réalisée en personne. 12

5.1.2          Indépendance et impartialité. 12

5.1.3          Obligation de confidentialité. 12

5.1.4          Obligation de prêter serment 13

5.1.5          Obligation de maintenir ses connaissances à jour 13

5.2         Obligations procédurales. 13

5.2.1          Obligation de rendre un avis d’expert 13

5.2.2          Procédure correcte. 13

5.2.3          Préparation de l’avis d’expert dans un délai raisonnable. 13

5.2.4          Coût estimatif de l’avis d’expert 13

5.2.5          Obligation de comparaître devant le tribunal 13

5.2.6          Communication et documentation / obligation de notification. 13

5.2.7          Obligation de contracter une assurance. 14

6.      DROITS DE L’EXPERT. 14

6.1         Droits personnels. 14

6.1.1          Pas d’obligation de nomination. 14

6.1.2          Droit de refuser une nomination si l’expert est de parti pris ou n’est pas qualifié. 14

6.1.3          Droit à une rémunération. 14

6.1.4          Droit de percevoir une avance. 14

6.1.5          Remboursement des frais. 15

6.1.6          Comptabilité. 15

6.2         Droits procéduraux. 15

6.2.1          Droit de recevoir des instructions du tribunal ou du client 15

6.2.2          Droit d’accès et droit à l’information. 15

7.      POSSIBILITES DE SUIVI DE L’EXPERTISE ET DE SANCTION EN CAS DE MANQUEMENT A SES OBLIGATIONS  15

7.1         Possibilités de sanction ouvertes au tribunal 16

7.1.1          Possibilités de sanction pour manquement à une obligation personnelle ou procédurale. 16

7.1.2          Possibilités de sanction en cas d’évaluation incorrecte / de qualification insuffisante. 16

7.1.3          Possibilités de sanction en cas de retard. 16

7.2         Possibilités de sanction ouvertes aux parties. 16

7.2.1          Droit de récuser l’expert 16

7.2.2          Droit à un nouvel expert, à un deuxième avis d’expert 16

7.2.3          Demandes de dommages-intérêts en cas d’évaluation factuellement inexacte à caractère délictueux  17

7.2.4          Obligation de l’expert de contracter une assurance pour les préjudices causés. 17

8.      EFFETS DE L’AVIS D’EXPERT DANS LA PROCEDURE JUDICIAIRE OU LE PROCES. 17

8.1         Effet contraignant de l’avis d’expert 17

8.2         Valeur de preuve. 17

9.      PERSPECTIVES. 17


Introduction

1.     Le présent document vise à offrir aux législateurs, juges et à toutes les parties à une procédure judiciaire un cadre de référence sur le rôle d’expert technique (ci-après « l’expert »), lorsque l’expert est nommé par un tribunal, dans le processus de décision judiciaire. La définition d’expert nommé par un tribunal utilisée dans ce document est celle mentionnée dans le rapport de la  CEPEJ sur les systèmes judiciaires européens[1], selon laquelle l’expert technique “met à disposition du tribunal  sa connaissance scientifique et technique sur des questions de fait”.  Il expose les principes fondamentaux régissant cette fonction dans le système judiciaire des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il énonce également des règles destinées à clarifier l’interprétation juridique et l’application de la loi concernant le travail de ces experts dans les systèmes judiciaires des Etats membres du Conseil de l’Europe pendant les procédures judiciaires. Ces règles s’appliquent à l’ensemble des procédures pré-judiciaires et judiciaires dans tous les domaines du droit – droit civil, mais aussi droit pénal et droit administratif.

2.     Le rôle des experts dans le procès ou la procédure présente des différences selon les Etats membres du Conseil de l’Europe, mais aussi des points communs. En règle générale, les experts apportent une aide à la décision aux juges et aux autres décisionnaires du système judiciaire. Ils contribuent à l’établissement des faits, préalable essentiel à toute décision de justice. Dans certains cas, ils se bornent à assister le juge ; dans d’autres ils vont jusqu’à mener leurs propres investigations.

3.     Une décision judiciaire ne sera juste et équitable que si elle repose sur une procédure d’établissement des faits objective et correctement menée. Les experts sont désignés soit  par le tribunal, soit par l’une des parties pour rendre un avis d’expert. Ils sont parfois chargés de déterminer les faits. Dans d’autres cas, ils peuvent (se limiter à) présenter des éléments de preuve au nom des parties. Ainsi, les experts sont amenés soit à combler les lacunes techniques du juge, soit à contribuer à l’établissement des faits, dès lors qu’une partie est juridiquement tenue d’argumenter/de produire des preuves.    

4.     Le travail des experts s’arrête là où commence l’appréciation des faits, laquelle relève exclusivement du juge. Cette règle prévaut même dans les cas où l’expert est habilité à diriger ou mener l’administration des preuves.

5.     Le travail et l’avis de l’expert sont de la plus haute importance pour la procédure en raison de sa connaissance spécialisée de la matière en cause, et ce quelle que soit la valeur probante de ses conclusions. Le juge n’est pas tenu de retenir la solution suggérée par l’expert dans son avis ; toutefois, s’il s’en écarte, le tribunal doit expliquer les raisons de cette divergence de vues. En règle générale, le principe de la liberté de la preuve prévaut.

6.     La fonction de l’expert suppose non seulement qu’il possède une très grande compétence– son niveau de qualification devant toutefois correspondre  à la complexité de la question en cours d’examen -  mais en outre qu’il fasse preuve d’indépendance et d’impartialité.

7.     Pour satisfaire à ces normes rigoureuses et garantir le bon déroulement de l’établissement des faits, il y a lieu de concevoir, d’étayer et d’appliquer des règles afin que les experts soient mandatés par le tribunal et/ou par les parties et qu’ils s’acquittent de leur fonction conformément aux principes constitutionnels.

8.     Le présent code de pratique énonce les règles minimales que doivent respecter tous les experts, étant entendu que les différents systèmes juridiques et juridictions d’Europe peuvent leur imposer des obligations et des responsabilités supplémentaires.

9.     L’expert ne doit pas se laisser influencer par d’autres intérêts que celui de produire un témoignage. Toutes les règles relatives aux droits de l’expert et à son rôle dans le procès/la procédure judiciaire doivent découler de ce principe général et s’y conformer.

10.  C’est pourquoi il est primordial que des règles soient en place au niveau national (dans les différents systèmes juridiques) afin de garantir l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité des experts.

11.  Par ailleurs, il est nécessaire que des règles favorisent la conduite diligente du processus afin qu’il soit possible de parvenir à une décision dans un délai aussi bref que possible. Il convient d’éviter les procédures juridiques qui traînent en longueur, car elles requièrent souvent un processus complexe d’établissement des faits. Enfin, le présent document fournit un cadre simple relatif à l’incidence financière de l’élaboration des avis d’experts.

12.  Les lignes directrices ci-après passent en revue ces différents objectifs.

13.  Elles n’ont pas pour but de répondre à la question générale de savoir si et dans quelles circonstances il y a lieu de nommer un expert conformément à la législation et aux principes du droit procédural, mais de fournir des critères applicables à la sélection et à la nomination des experts, à l’élaboration des avis d’expert et à leur présentation au tribunal.

14.  Les autres avis qui peuvent être établis par des experts publics ou privés hors du cadre de la procédure judiciaire ne sont pas visés par ces lignes directrices- même s’ils peuvent servir de moyen de preuve devant le tribunal, les lignes directrices se rapportent uniquement au travail d’analyse effectué par l’expert- quelle qu’en soit concrètement la teneur dans les différents systèmes juridiques nationaux. Elles ne s’appliquent donc pas aux affaires dans lesquelles un expert comparaît en qualité de témoin ou de témoin professionnel.

15.  Ce document a été préparé par le Groupe de travail de la CEPEJ pour la qualité de la justice (CEPEJ-GT-QUAL) sur la base d’un document de travail préparé par Anke Eilers (membre du groupe, Allemagne) et d’une étude de Gar Yein Ng (expert scientifique, Norvège) sur le rôle des experts dans les systèmes judiciaires.

1.       OBJET DE L’AVIS D’EXPERT – MISSION DE L’EXPERT

16.  L’expert a pour tâche de rechercher et de présenter au tribunal les faits qui ne peuvent être recueillis que par un spécialiste dans le cadre d’une étude spécialisée et objective. Il communique au juge les connaissances scientifiques qui permettent à ce dernier de mener une enquête et une évaluation des faits objective et précise. L’expert n’est pas compétent pour endosser la responsabilité du juge en ce qui concerne l’appréciation et l’évaluation des faits sur lesquels se fonde la décision du tribunal, et il ne lui est pas mandaté pour ce faire.

17.  L’expert est chargé, dans le cadre du processus de décision judiciaire, de communiquer des connaissances spécialisées au tribunal. Ces connaissances se rapportent à la recherche, à l’évaluation et parfois à l’appréciation des faits[2]. Par conséquent, l’expert assure seulement la fonction d’auxiliaire ou de consultant auprès du juge. Sa mission diffère donc de celle du juge, à qui il revient de trancher les questions de droit. L’expert présente au tribunal les faits établis grâce à ses connaissances, sa formation et son expérience de spécialiste, à partir desquels le juge tire ses conclusions.

18.  Même si, dans certaines juridictions, l’expert peut avoir des attributions plus étendues dans le cadre du processus de décision judiciaire, il doit toujours se cantonner à l’établissement des faits sans contribuer à l’interprétation de loi.

19.  Les avis d’experts ont ainsi pour but de décrire et d’expliquer la situation des personnes, les circonstances matérielles et les événements considérés et d’exposer les (différentes) causes des événements ayant entraîné un préjudice.

20.  A titre exceptionnel, l’expert peut être amené à évaluer des dispositions de droit étranger. En tout état de cause, il n’est pas habilité à appliquer lui-même la loi.

21.  Dans les procès pénaux, l’évaluation porte principalement sur des questions relatives à la culpabilité juridique et à la responsabilité pénale du défendeur, à la situation personnelle et économique de la victime et à la recherche des causes. Dans les procédures civiles ou administratives, elle s’intéresse surtout à la situation des personnes, aux éléments matériels et au déroulement des événements.

22.  De ce fait, les expertises dans les domaines de la médecine, de la psychologie, du bâtiment et de l’économie, tout comme celles concernant les accidents de la route sont particulièrement importantes.

23.  Etant donné que la décision judiciaire s’appuie souvent sur une évaluation factuelle, les conclusions de ces avis d’expert sont de plus en plus déterminantes pour l’issue des procédures. Aussi est-il de la plus haute importance de choisir l’expert le plus qualifié pour la tâche considérée.

2.       L’EXPERT

2.1              Personne physique ou groupe de personnes

24.  En principe, la fonction d’expert ne peut être exercée que par une personne physique. L’avis d’expert doit être établi à titre individuel et personnel. En effet, l’expert doit assumer en personne la responsabilité de son contenu. En pratique, il est possible qu’une société ou une institution soit sélectionnée pour effectuer l’expertise. Cependant, un expert devra alors endosser à titre personnel la responsabilité du contenu de l’avis en le signant ou en le présentant verbalement devant le tribunal.

2.2              Personnel / collaborateurs

25.  L’expert peut faire appel à des collaborateurs au cours de la préparation de son avis. Ceux-ci peuvent non seulement effectuer des tâches préparatoires, mais aussi rédiger l’avis selon les instructions de l’expert, à condition d’être convenablement supervisés. Toutefois, les collaborateurs n’assument pas le rôle d’expert en effectuant ces tâches préparatoires et rédactionnelles. Seule la personne responsable de l’avis d’expert – celle qui signe l’avis – est l’expert nommé et mandaté. Il importe de préciser clairement dans l’avis l’identité de l’expert (nom, adresse et coordonnées). Les collaborateurs ne sont responsables de leur travail que vis-à-vis de l’expert. Ils n’ont ni droits ni obligations du point de vue du tribunal. Il convient d’indiquer dans l’avis le degré de contribution des collaborateurs ou des assistants à la préparation de l’avis, sauf s’ils ne sont intervenus que pour des tâches mineures.

2.3            Nombre d’experts / remplacement d’un expert

26.  Le tribunal ou les parties peuvent nommer plusieurs experts, en fonction de la question à examiner. Il se peut aussi que l’expert estime nécessaire de solliciter un deuxième avis d’expert concernant des points de détail qui sortent de son champ de compétence. En pareil cas, le tribunal (ou les parties) devra (devront) nommer une personne chargée de fournir cet avis d’expert ou autoriser l’expert à rechercher ces connaissances spécialisées en désignant lui-même un expert.

27.  Si plusieurs experts sont nommés, en fonction de la question concrète à examiner, ils doivent émettre un avis d’expert uniforme à l’intention de la cour. Lorsque les experts ne sont pas en mesure de fournir un avis uniforme, ils doivent indiquer clairement les points sur lesquels ils sont en désaccord.

28.  Par souci de clarté et de simplicité, le nombre d’experts nommés doit rester gérable et ne pas dépasser une certaine limite. Il doit se limiter à un certain nombre qui dépend de la complexité et de l’opportunité de la question examinée. Cette limite doit être définie par le tribunal ou par la loi. Si de très nombreux experts sont amenés à contribuer à l’avis, il importe de préciser sans ambiguïté de quelle partie de l’expertise chacun est chargé. L’avis doit être signé par tous les experts. Si l’un des experts se charge d’une partie des tâches confiées à un autre expert, il doit l’indiquer clairement.

29.  Si l’expert nommé par le tribunal n’est pas en mesure de procéder à la préparation de l’avis  (en raison d’une maladie, par manque de temps ou parce qu’il refuse la mission pour d’autres raisons), le tribunal peut le remplacer après avoir entendu les parties à ce sujet.

3.       SELECTION DE L’EXPERT / CRITERES DE SELECTION

3.1       Conditions posées par les parties / nomination par les parties

30.  Le tribunal désigne un expert. Il peut aussi demander aux parties de proposer une personne pour agir en qualité d’expert. Si les deux parties proposent le même expert, le tribunal est tenu de considérer cette proposition comme le critère principal de choix, mais il n’est pas lié par celle-ci.

31.  Les parties n’ont pas d’obligation de proposer un expert ; elles ont simplement le droit de le faire si elles le souhaitent. A titre exceptionnel, le tribunal pourrait avoir le droit de refuser la proposition des deux parties s’il sait que l’expert proposé n’est absolument pas qualifié.

3.2       Nomination par le tribunal

32.  En général, il revient au tribunal lui-même de nommer l’expert, faute de proposition d’expert qualifié émanant des deux parties. En tout état de cause, le tribunal doit alors nommer l’expert sur la base de critères de sélection spécifiques, le principe général étant la qualification de l’expert.

3.2.1     Critères de sélection

33.  Le tribunal – le juge chargé de l’affaire ou l’organe administratif au sein du tribunal - doit nommer l’expert sur la base des critères de sélection suivants. La constitution d’une liste d’experts (qui se doit d’être vérifiée et mise à jour régulièrement par la cour) répondant aux critères fixés peut être utile dans le processus de sélection. Cependant, le tribunal doit avoir le libre choix de nommer des experts qui ne figurent pas sur la liste si les circonstances de l’affaire l’exigent.

Détermination des connaissances de l’expert

34.  L’expert doit posséder une qualification appropriée ainsi que l’expérience ou les compétences nécessaires. La qualification dépend du domaine d’expertise et de la tâche spécifique à accomplir. Les experts issus du secteur de la science et de la recherche ont généralement un large champ de compétence. Toutefois, la compétence peut aussi être acquise par l’expérience pratique. Les critères de qualification de l’expert varient par conséquent selon le profil professionnel et la mission confiée.  

Indépendance effective et impartialité personnelle

35.  L’expert doit faire preuve d’indépendance dans son analyse et d’impartialité vis-à-vis des deux parties. Il ne doit pas avoir été chargé par l’une des parties d’établir un avis d’expert à titre privé dans la phase pré-procédurale. Il ne doit pas non plus entretenir avec l’une des parties une relation personnelle étroite qui pourrait donner l’impression qu’il existe un conflit d’intérêts. Il doit garantir que son avis est objectif et non influencé par ses éventuels intérêts propres.

36.  En règle générale, le fait que l’expert défende telle ou telle position scientifique n’est pas un obstacle à sa nomination. Il importe toutefois, en pareil cas, qu’il soit possible de faire intervenir dans la procédure un expert soutenant la thèse adverse.

    Temps et moyens techniques / capacité personnelle

37.  L’expert doit disposer de suffisamment de temps et des équipements techniques nécessaires pour procéder correctement à l’expertise dans le cadre temporel de traitement de l’affaire. Il doit aussi être personnellement capable de réaliser l’évaluation et être disponible pour le procès.

    Coûts prévisibles 

38.  Il convient de ne pas se limiter au seul critère du plus bas taux horaire, sous peine de nommer un expert qui ne soit pas indépendant et compétent. Cependant, le montant des frais d’expert peut être un critère de sélection et dépendre du montant en litige. La prise en compte de ce critère peut éventuellement conduire à nommer un expert local par souci d’économie. Par ailleurs, les frais estimés de l’expertise doivent être portés à l’attention des parties au stade le plus précoce possible.

39.  Si la loi ne fixe pas de système particulier de rémunération des experts nommés par la justice, le coût moyen d’un expert est à considérer comme un critère de sélection valide.

    Expérience de l’expertise judiciaire / expert professionnel

40.  La sélection de l’expert  ne doit pas être subordonnée au fait qu’il possède ou non une expérience dans le domaine de l’expertise judiciaire. Si le tribunal connaît déjà l’expert et que celui-ci a fait la preuve de sa compétence, cela milite en faveur de sa nomination. Cependant, il importe de noter qu’un expert qui est régulièrement nommé pour examiner le même type de questions risque de manquer d’indépendance effective.

41.  Il est possible, mais pas obligatoire, de nommer des experts judiciaires professionnels.

    Prévisibilité du résultat de l’évaluation

42.  Le caractère prévisible du résultat de l’évaluation ne saurait être un critère de sélection. On ne peut pas toujours éviter la prévisibilité si l’expert se réclame de tel ou tel courant scientifique. Toutefois, il n’est pas admissible de nommer sciemment un expert qui défend un certain point de vue scientifique afin d’influer sur le résultat de l’évaluation. En tout cas, les experts se doivent d’indiquer clairement être prêts à s’aligner sur une vue scientifique dominante, dans le cas contraire, ils se doivent d’expliquer leur décision de ne pas le faire.

43.  Au contraire, il faut toujours s’efforcer de nommer un expert indépendant qui soit à même de présenter les différentes opinions scientifiques et d’opter pour l’un de ces points de vue en expliquant les raisons de son choix au tribunal et aux parties.

    Langage compréhensible / nationalité

44.  L’expert doit être capable de présenter son avis dans des termes clairs et compréhensibles ainsi que, si nécessaire, dans le langage officiel employé par les tribunaux. Il doit s’exprimer de telle façon que les destinataires de l’avis - le tribunal et les parties- comprennent non seulement la lettre mais aussi le fond de son exposé et soient en mesure d’examiner les éléments de preuve.

45.  La nationalité de l’expert, et notamment le fait qu’il soit ressortissant du pays du for, n’a pas d’importance et n’est donc pas un critère de sélection.

    Autorité et référence aux résultats

46.  L’expert doit faire preuve d’autorité face aux questions qui lui sont posées et s’efforcer d’y répondre sans laisser de points en suspens. On peut partir du principe que ce sera généralement le cas avec des experts ayant l’expérience des expertises judiciaires.

    Prise en considération de tous les critères / vue globale

47.  Les critères de sélection doivent être considérés dans leur globalité. Le principe général est de nommer un expert compétent, indépendant et impartial, à même d’élaborer un avis d’expert dans le cadre d’une procédure judiciaire régulière. Seul le respect de ce principe garantit que le processus d’établissement des faits sera correct et utile aux fins de la procédure judiciaire.

3.2.2     Procédure de sélection / garantie de qualité

48.  Le tribunal doit déterminer si l’expert possède les compétences nécessaires et satisfait au niveau de qualité voulu, et donc a une formation générale et spécialisée dans le domaine considéré lui permettant de clarifier et de déterminer les faits de la cause. Il doit faire la preuve de sa compétence. Au cours de la procédure de sélection, il convient de suivre les règles suivantes :

Responsable de la sélection / de la nomination de l’expert  au sein du tribunal

49.  L’expert peut être nommé soit par le juge chargé de la procédure judiciaire, soit par un organe administratif du tribunal. La sélection peut intervenir dans le cadre général de la procédure judiciaire ou faire l’objet d’une procédure spéciale. La procédure de sélection doit avoir pour principe général de garantir un certain niveau de qualité et a par conséquent pour objectif de désigner un expert compétent et indépendant, qui ne soit pas en situation de conflit d’intérêts.

    Liberté de choix ou conditions impératives

50.  Au cours du processus de sélection judiciaire, il est possible de laisser à la personne ou à l’instance responsable toute liberté de choix, sous réserve des critères énumérés ci-dessus. Une autre possibilité consiste à guider le choix au moyen d’une liste d’experts présélectionnés.

    Experts agréés

51.  Le tribunal - le juge chargé de l’affaire ou l’organe administratif du tribunal- peut décider de dispenser l’expert d’apporter la preuve de sa qualification s’il nomme un expert agréé dont la compétence générale a été reconnue par les organismes publics compétents. La procédure de sélection s’en trouve alors facilitée et il n’est plus nécessaire de procéder à un contrôle de compétence.

52.  Il convient d’assurer un suivi régulier du statut d’expert agréé afin de vérifier que les experts conservent leurs compétences. Par ailleurs, ce statut devrait être limité dans le temps avec une possibilité d’extension.

    Experts des chambres professionnelles

53.  Les chambres et les organisations professionnelles disposent parfois d’une liste d’experts qui peut être consultée en vue de la sélection et de la nomination d’un expert. Il est parfois possible de demander à ces chambres et à ces organisations de suggérer au tribunal les noms d’un ou plusieurs experts. Cela est particulièrement utile pour des questions concernant des domaines d’expertise inhabituels et faisant rarement l’objet d’investigations. Toutefois, ces suggestions n’ont pas de caractère contraignant.

    Autres listes

54.  Les experts peuvent être  nommés par l’intermédiaire d’associations professionnelles créées afin de proposer des experts. Ces organisations peuvent être mieux à même de fournir l’expert le plus approprié. Néanmoins, il convient de tenir compte des garanties ou de l’indépendance de l’expertise que ces organisations peuvent fournir.

    Obligation du tribunal d’entendre l’expert avant sa nomination

55.  Dans tous les cas, l’expert qui a été retenu et nommé doit pouvoir être entendu par le tribunal après avoir été sélectionné et avant de recevoir son ordre de mission. Il doit avoir la possibilité de refuser la nomination.

    Durée de la nomination de l’expert

56.  L’expert est nommé uniquement dans le cadre d’une procédure donnée, aux fins de l’établissement des faits de cette cause spécifique. Pour examiner des questions dans le cadre d’une nouvelle procédure, il est indispensable de procéder à une nouvelle nomination.

3.2.3     Obligation des parties d’entendre l’expert et droit de le récuser

57.  Après que l’expert a été sélectionné dans le cadre de la procédure judiciaire, les parties doivent avoir la possibilité de formuler un avis sur sa nomination. A cet égard, les parties peuvent communiquer d’autres informations concernant d’éventuelles relations personnelles de l’expert avec les parties et l’appréciation de sa compétence et de sa capacité à préparer l’avis d’expert. Les parties qui invoquent un motif spécifique de récusation doivent l’exposer de façon détaillée. La cour peut écarter ou remplacer un expert si la récusation est fondée.

58.  Les situations entraînant une violation du principe d’indépendance effective ou d’impartialité personnelle peuvent être des motifs valables de récusation : par exemple favoritisme, parti pris ou préjugé, relation étroite avec l’une des parties, conflit avec l’une des parties, intérêt personnel dans l’issue de la procédure, incompétence dans un domaine précis. 

3.2.4     Mission confiée à l’expert par voie de nomination judiciaire

59.  L’expert est investi d’une mission d’expert judiciaire par voie de nomination par le tribunal.

3.2.5     Voies de recours pour les parties contre la nomination

60.  Afin que le respect des principes d’indépendance et d’impartialité soit garanti, les parties doivent avoir la possibilité de former un recours contre la nomination d’un expert. 

3.2.6     Moyens de contrôle du tribunal après la nomination et pendant la procédure de sélection

61.  Le tribunal ou l’organe administratif compétent doit avoir la possibilité d’annuler la nomination de l’expert au cours de la procédure en le relevant de ses fonctions. Cette possibilité est importante dans les cas où l’expert se révèle a posteriori incapable de remplir sa mission, notamment parce que sa situation personnelle a changé au cours de la procédure, comme par exemple en cas de maladie et d’insolvabilité ou parce qu’il s’est rendu compte qu’il ne possédait pas l’expertise précise voulue. Certains pays ont jugé utile de désigner des juges spécifiquement chargés des questions liées à l’expertise, y compris les questions liées à la sélection des experts, l’incapacité des experts de rendre un avis d’expert répondant aux standards de bonne qualité, etc.

4.       CONDITIONS DE PREPARATION DE L’AVIS D’EXPERT (EVALUATION) / FORME DE L’AVIS D’EXPERT

62.  Les avis d’expert sont des moyens de preuve dans le cadre de la poursuite judiciaire. C’est pourquoi il est important, compte tenu de l’usage qui en sera fait et de la nécessité que les avis aient un caractère probant, d’établir des règles générales relatives à leur forme. Tel est l’objectif des règles ci-après.

4.1  Ordre de mission

63.  L’expert doit se conformer exactement aux consignes données par le tribunal dans l’ordre de mission. Il semble raisonnable que l’avis fasse ressortir clairement ces consignes si l’expert s’y réfère correctement et explicitement.

4.2 Destinataire de l’avis d’expert

64.  L’expert doit préparer son avis en tenant compte de son destinataire (potentiel). Ce point est en effet essentiel afin d’adapter la présentation de l’avis et le langage employé.

65.  Le destinataire est la partie qui nomme l’expert et lui délivre l’ordre de mission, c’est-à-dire le tribunal ou l’organe administratif judiciaire et, dans certains cas, les parties elles-mêmes. Quelles que soient les connaissances dont disposent les parties, l’avis d’expert doit être compréhensible et fournir des éléments de preuve utilisables par le tribunal.

4.3  Enquête menée par l’expert

66.  Dans la mesure où cela est nécessaire pour répondre aux questions posées à l’expert, celui-ci doit mener sa propre enquête, examiner l’objet ou la personne concerné, procéder à des tests ou reconstituer l’enchaînement des événements.

 

4.4  Préparation des inspections ou examens sur site

67.  En vue de ces examens, l’expert doit préparer et organiser ses propres visites sur site et en informer à l’avance les parties et le tribunal. Il doit aussi leur donner la possibilité d’y participer. La procédure doit être transparente pour toutes les parties prenantes ; elle ne doit pas être partiale ni unilatérale. Le principe général du droit d’être entendu (par le tribunal) doit être respecté à tout moment.

4.5  Obtention de rapports ou d’évaluations supplémentaires et complémentaires

68.  Si l’expert ne dispose pas de la compétence voulue et qu’il se procure des rapports ou des avis d’expert supplémentaires et complémentaires concernant certains points des questions posées, il doit en informer le tribunal et les parties. L’avis d’expert doit mentionner expressément ces rapports ou évaluations supplémentaires et en préciser le contenu.

4.6  Règles relatives au contenu de l’avis d’expert

69.  L’avis d’expert doit être cohérent, bien présenté, bien structuré, dûment fondé sur le plan scientifique et compréhensible. De plus, il doit former un tout autonome et respecter les règles les plus récentes du domaine d’expertise considéré.

70.  L’avis doit présenter les faits sur lesquels se fondent les conclusions de l’expert de façon aussi claire et exacte que possible. Si l’expert a travaillé à partir de faits supposés ou tirés de ses propres déductions, il doit l’indiquer.

71.  En outre, l’avis doit comprendre un résumé des conclusions et répondre précisément aux questions posées par le tribunal.

4.7  Avis d’expert verbal ou écrit / forme de l’avis d’expert

72.  En règle générale, l’avis d’expert est produit par écrit ou par voie électronique. Selon les instructions du tribunal, il peut aussi être communiqué verbalement. Si l’expert produit son avis par voie électronique, il doit veiller à protéger le fichier contre toute falsification. L’avis doit être remis au tribunal et aux parties sous forme papier ou électronique.

73.  Le contenu de l’avis écrit peut, le cas échéant, cibler les questions suivantes :

-       description de la mission ;

-       référence à la nomination judiciaire (description de l’ordre d’obtention d’éléments de preuve) ; notifications relatives aux examens effectués, aux visites sur site, ordre d’investigation, participants aux visites sur site et aux examens ;

-       informations sur les collaborateurs ou les autres experts ayant contribué à l’élaboration de l’avis ;

-       preuves scientifiques (littérature) ou autres sources (par exemple règles techniques) ;

-       notifications indiquant quels faits ou circonstances ont été examinés, établis ou simplement présumés ;

-       s’il y a lieu, indication des méthodes appliquées ou des examens réalisés et, le cas échéant, des autres méthodes et théories existantes ;

-       controverses scientifiques et informations sur les différences dans les résultats obtenus ;

-       explication des conclusions ;

-       degré de fiabilité des conclusions et éléments ne pouvant être établis de façon incontestable.

4.8  Rapport intermédiaire ou rapport final

74.  L’expert peut élaborer des rapports intermédiaires en fonction de l’étendue de sa mission. En tout état de cause, il fournit au minimum au tribunal un rapport final. Il doit pouvoir compléter ultérieurement l’avis dans les délais prévus à cet effet.

4.9  Etablissement de l’avis d’expert dans un délai raisonnable

75.  L’expert doit élaborer son avis dans un délai raisonnable. Si le tribunal fixe une échéance pour la remise de l’avis, l’expert doit la respecter.

4.10 Consignes du tribunal et des parties

76.  Les consignes spécifiques données par le tribunal au sujet de l’élaboration de l’avis, portant notamment sur le contenu de l’avis, la procédure et le rapport de l’expert, doivent être respectées. Les parties peuvent demander des éclaircissements sur le rapport avant la mise en jugement.

77.  Le tribunal ou l’organe administratif qui a nommé l’expert doit avoir la possibilité de lui donner des consignes concernant l’élaboration de l’avis (l’évaluation) spécifique qui lui est demandé.

78.  Les parties au procès ou à la procédure judiciaire doivent être dûment informées de ces consignes. Le principe général du droit d’être entendu doit être respecté.

79.  La cour peut également demander à l’expert de préparer un rapport préliminaire, à soumettre aux parties avant la soumission du rapport final. Cette pratique réduit les risques d’omissions ou d’erreurs  pendant la mission d’expertise et clarifie l’avis de l’expert sur une question donnée, ce qui engendre la diminution du risque d’un contentieux ultérieur concernant l’avis de l’expert.

5.       OBLIGATIONS DE L’EXPERT

80.  L’expert a des obligations relatives à sa personne (obligations personnelles) ainsi que des obligations relatives à la procédure d’évaluation.


5.1       Obligations personnelles

5.1.1   Evaluation réalisée en personne

81.  L’expert doit établir et communiquer lui-même son avis. Il doit assumer personnellement la pleine responsabilité de l’avis et ne peut déléguer cette responsabilité à des tiers. Cela vaut tout particulièrement dans le cas où il a recours aux services de collaborateurs au cours de l’évaluation.

5.1.2   Indépendance et impartialité

82.  L’expert doit être indépendant non seulement à titre personnel mais aussi vis-à-vis de l’issue de la procédure et des intérêts des parties. Les principes généraux d’indépendance et d’impartialité doivent être respectés et appliqués. A cette fin, l’expert doit se conformer à des principes et des règles professionnels précis.

83.  Ceux-ci sont énumérés ci-dessous:

-       L’expert doit remplir sa mission dans le respect des normes en vigueur sur le plan scientifique, technologique et expérimental et avec la diligence attendue d’un expert honorable. Il doit apprécier avec diligence le contexte effectif de son évaluation professionnelle/technique et expliquer les résultats de cette évaluation de façon compréhensible.

-       Dans l’exercice de ses fonctions et la conduite des évaluations, il doit toujours prendre garde au risque de partialité et de préjugé. Lors de la préparation et de l’établissement de l’avis d’expert, il doit faire preuve d’une stricte neutralité et répondre aux questions objectivement et sans parti pris (impartialité).

-       Un expert mandaté ou nommé dans une procédure contentieuse n’est pas autorisé à passer des accords susceptibles de compromettre son impartialité ni à subordonner sa rémunération à l’issue de la procédure. Il lui est par ailleurs interdit d’accepter des avantages autres que ses honoraires et le remboursement de ses frais.

-       Un expert doit déclarer au début d’une procédure judiciaire ne pas avoir d’intérêt commun avec l’une des parties et ne doit accepter en aucune circonstance des instructions lorsqu’un conflit d’intérêts réels ou potentiels pourrait se présenter. Un expert ne peut accepter une mission qui le mettrait ou pourrait le mettre en situation de conflit d’intérêts. Nonobstant cette règle, il peut se charger d’une telle mission dans certains cas à condition que le juge ou les personnes qui le nomment soient pleinement informées de la situation et donnent expressément leur accord. Si un conflit d’intérêts effectif ou potentiel surgit après le début de la mission, l’expert doit immédiatement en informer toutes les parties concernées et, le cas échéant, peut avoir à se retirer de l’affaire.

-       L’expert doit rendre compte de toutes les circonstances pouvant faire surgir des doutes quant à son indépendance et son impartialité dans le cadre de la mission considérée, par exemple s’il fait faillite ou s’il fait l’objet de poursuites pénales.

84.  Les tribunaux doivent être vigilants dans les situations de monopole de l’expertise. La rotation d’experts peut être considérée comme un moyen approprié afin d’éviter une dépendance réciproque et d’améliorer l’indépendance de l’expert vis-à-vis du tribunal.

5.1.3   Obligation de confidentialité

85.  L’expert ne doit divulguer aucune information concernant les circonstances qu’il a établies au cours de ses investigations et du processus d’évaluation. Il lui est interdit d’informer des tiers non habilités des connaissances acquises dans le cadre de l’évaluation conduite en sa qualité d’expert ainsi que d’exploiter ces connaissances dans l’intérêt d’autrui. L’expert doit imposer à ses collaborateurs de respecter l’obligation de confidentialité. Cette obligation perdure après l’expiration de la nomination judiciaire.


5.1.4   Obligation de prêter serment

86.  L’expert doit donner un gage public de son indépendance, qui prend généralement la forme d’une prestation de serment concernant ses obligations. Cela n’est pas nécessaire lorsque l’expert est agréé, la prestation de serment d’impartialité de l’expert ne pouvant avoir lieu qu’une seule fois.

5.1.5   Obligation de maintenir ses connaissances à jour

87.  De plus, l’expert doit posséder des connaissances techniques et professionnelles et une expérience pratique très poussées dans son domaine de compétence. L’expert doit maintenir ses connaissances à jour non seulement en ce qui concerne son domaine d’expertise mais aussi concernant les principes régissant son travail d’expert. Il doit par conséquent suivre régulièrement des formations professionnelles et acquérir des qualifications appropriées. Dans certains pays, les experts doivent suivre des formations liées aux règles de procédure concernant l’expertise et le rôle de l’expert, ainsi qu’aux conditions de participation de   l’expert aux audiences et de présentation de l’avis de l’expert.

5.2          Obligations procédurales

5.2.1   Obligation de rendre un avis d’expert

88.  Dès lors qu’il est nommé, l’expert est tenu de rendre un avis. Il ne peut se libérer de cette obligation que si une exemption lui est accordée. Il doit se borner à élaborer l’avis d’expert sans dispenser de conseils juridiques aux parties ni entreprendre d’évaluation juridique à l’intention du tribunal.

5.2.2   Procédure correcte

89.  L’expert doit conduire l’évaluation de manière régulière et correcte. Il est tenu de respecter les consignes qui lui ont été données. Il doit aussi informer toutes les parties concernées (les parties et le tribunal) des examens et des actions préparatoires qu’il réalise. De plus, il doit leur donner la possibilité d’y participer le cas échéant. Le principe général du droit d’être entendu doit être respecté. L’expert a l’obligation de conserver et de traiter les dossiers avec diligence, de les rendre dans les délais prévus et d’étayer son évaluation.

5.2.3   Préparation de l’avis d’expert dans un délai raisonnable

90.  L’expert doit procéder à l’évaluation et préparer son avis dans un laps de temps raisonnable et, en tout état de cause, dans le délai qui lui a été fixé. S’il ne remet pas son avis à la date prévue, il est tenu d’informer le tribunal des raisons de ce retard et de lui indiquer de combien de temps il a encore besoin.

5.2.4   Coût estimatif de l’avis d’expert

91.  L’expert doit indiquer au tribunal et aux parties, avant sa nomination, le montant prévisible de l’élaboration de l’avis. Au cours du processus d’évaluation, il doit aussi informer le tribunal et les parties de tout changement dans l’estimation initiale et de toute augmentation des frais due au fait que l’évaluation se révèle plus complexe et plus coûteuse que prévu.

92.  Il peut s’avérer souhaitable d’informer au préalable les  parties des frais estimés de l’avis de l’expert.

5.2.5   Obligation de comparaître devant le tribunal

93.  L’expert est tenu, s’il y a lieu, de comparaître devant le tribunal et d’expliquer verbalement son rapport.

5.2.6   Communication et documentation / obligation de notification

94.  L’expert doit informer les parties et le tribunal de toutes les étapes de son évaluation (dates des examens, collecte d’informations auprès de tiers, avis d’experts supplémentaires et complémentaires). Dans certains cas, il peut aussi être nécessaire d’obtenir l’accord du tribunal et/ou des parties concernant les dépenses.

95.  L’expert a l’obligation de conserver l’avis et de rendre compte des étapes de l’évaluation. A cette fin, il peut avoir à décrire les conditions de réalisation de examens, à prendre des photos, etc. Il est possible de limiter dans le temps l’obligation de conserver les dossiers.  

5.2.7   Obligation de contracter une assurance

96.  L’expert (sauf instruction contraire du tribunal) devrait contracter auprès d’une compagnie fiable une assurance appropriée offrant une couverture suffisante. Le contrat d’assurance doit courir sur la totalité de la période prévue pour la mission.

6.       DROITS DE L’EXPERT

97.  L’expert a des droits relatifs à sa personne ainsi que des droits relatifs à la procédure d’établissement de l’avis.

6.1          Droits personnels

6.1.1   Pas d’obligation de nomination

98.  Le tribunal et/ou les parties ne sont pas tenus de nommer l’expert.

6.1.2   Droit de refuser une nomination si l’expert est de parti pris ou n’est pas qualifié

99.  L’expert a le droit de refuser sa nomination s’il n’est pas en mesure de remplir sa mission de manière impartiale et indépendante ou s’il n’est pas suffisamment qualifié.

6.1.3   Droit à une rémunération

100.    Lorsqu’il est nommé par le tribunal, l’expert a le droit d’être rémunéré en contrepartie de son travail. Cette rémunération doit couvrir les frais engagés ainsi que ses honoraires professionnels. Elle doit avoir un montant prévisible en rapport avec les tarifs du marché ; elle ne doit pas être négociée au cas par cas ; elle doit être propre à garantir la qualité de la prestation et être fonction de la complexité de l’évaluation et du temps nécessaire pour la réaliser. Le travail de l’expert doit être rétribué de façon raisonnable et suffisante afin d’éviter toute tentation susceptible de compromettre son indépendance. Cependant, le niveau de rémunération ne doit pas être fixé par la loi. Il est toutefois recommandé d’établir un barème si l’expert est nommé par le tribunal. De même, si les parties nomment un expert pour qu’il fournisse un avis au cours de la procédure judiciaire, sa rémunération doit satisfaire aux principes généraux de proportionnalité, de caractère raisonnable et de prévisibilité.

101.Les experts nommés par le tribunal peuvent être rémunérés en fonction d’un taux horaire. Le montant de la rémunération n’est pas subordonné aux résultats de l’expertise. Il ne doit pas non plus être lié à la somme en litige. C’est seulement à ces conditions que les principes généraux de neutralité et d’objectivité pourront être respectés.

102.Outre le taux horaire, la rémunération de l’expert dépend de son domaine d’expertise ainsi que de sa qualification. Dans certaines circonstances, la complexité et la difficulté de l’expertise peuvent aussi être prises en considération.

103.Lorsque la question l’exige, les systèmes d’aide judiciaire doivent comprendre les frais des avis de l’expert en appliquant les mêmes règles que pour les avocats.

6.1.4   Droit de percevoir une avance

104.L’expert nommé par le tribunal a le droit de percevoir une avance en fonction de l’étendue et de l’importance de l’évaluation. Dans une affaire civile, les parties sont généralement tenues d’accepter un paiement d’avance en application des principes du droit procédural général.

105.Dès réception d’un avis d’expert complet et approprié, l’expert doit pouvoir être payé intégralement[3] .

6.1.5   Remboursement des frais

106.L’expert nommé par le tribunal a le droit de demander le remboursement de ses frais. Toutefois, ce droit ne concerne que les frais nécessaires. Il peut s’agir par exemple de frais de déplacement, de frais de photocopie et de téléphone, ou encore de frais liés aux logiciels informatiques, aux examens, à l’utilisation d’équipements spéciaux ou aux services de collaborateurs.  

6.1.6   Comptabilité

107.L’expert a le droit d’exiger de son client  le règlement du solde de sa rémunération à l’issue de sa mission. S’il a été nommé par le tribunal, il doit demander au service comptable d’établir le montant de ses honoraires et de ses frais.

108.Le client (la partie) doit régler le solde des honoraires et rembourser les frais. Si l’expert a été nommé par le tribunal, la somme est versée par le Trésor public. Dans les procédures civiles, ces frais sont généralement considérés comme des dépens qui sont portés à la charge des parties conformément à la législation générale en la matière.

 

6.2     Droits procéduraux

6.2.1   Droit de recevoir des instructions du tribunal ou du client

109.L’expert a le droit de recevoir des instructions concernant les modalités de délivrance de son avis. Il a également le droit d’être informé de ses obligations personnelles et procédurales. Si nécessaire et lorsque l’expert demande un appui, le juge doit pouvoir assister l’expert.

6.2.2   Droit d’accès et droit à l’information

110.Pour pouvoir procéder à une évaluation correcte et régulière, l’expert doit être habilité à accéder à tous les objets, personnes et faits soumis à examen et évaluation. Une photocopie de l’original de l’ordonnance ou de l’examen des éléments de preuve doit être envoyée à l’expert. Si cette possibilité lui est refusée, il risque de ne pas être en mesure d’établir l’avis d’expert qu’il est chargé de produire. 

111.Il est recommandé à la cour de faire un retour à l’expert et de lui envoyer une photocopie de la décision de l’affaire dans laquelle il a fourni une assistance.

7.       POSSIBILITES DE SUIVI DE L’EXPERTISE ET DE SANCTION EN CAS DE MANQUEMENT A SES OBLIGATIONS

112.Les obligations de l’expert, notamment celle de communiquer l’avis dans un délai raisonnable, revêtent une très grande importance pour le déroulement de la procédure. On sait que les lenteurs judiciaires  sont souvent dues à des retards dans la collecte des preuves, et en particulier dans l’établissement des avis d’expert. C’est pourquoi, il est extrêmement important que le juge et/ou le greffe de la cour donne(nt) suite au processus d’évaluation et intervien(nen)t en cas de retard dans la livraison du rapport de l’expert.  

113.Le manque de prévisibilité des coûts liés à la mission de l’expert peut aussi entraver la procédure judiciaire.

114.Enfin, un manquement de l’expert à son obligation  de produire un avis rendant fidèlement compte des faits de la cause risque d’être source d’une erreur judiciaire.

115.De plus, il est important que l’expert s’acquitte de ses obligations générales personnelles et procédurales.

116.Par conséquent, il est indispensable de prévoir des possibilités de sanction pour garantir le respect des obligations. Il convient de faire la distinction entre les possibilités de sanction ouvertes au tribunal et celles ouvertes à l’organe administratif qui nomme l’expert ainsi qu’aux parties.

117.La sanction peut prendre diverses formes : non-versement de la rémunération, retrait de la mission, disqualification en tant qu’expert agréé, amende administrative, arrestation, poursuites pénales, sanctions disciplinaires, paiement de dommages-intérêts.

118.     Comme ci-dessus mentionné (chapitre IV f), certains pays ont jugé utile de désigner des juges spécifiquement chargés des questions liées à l’expertise, y compris les questions liées à la sélection des experts, manquement au devoir, etc.

7.1     Possibilités de sanction ouvertes au tribunal

7.1.1   Possibilités de sanction pour manquement à une obligation personnelle ou procédurale

119.En fonction de la nature du manquement, l’expert peut encourir des poursuites pénales ou d’autres conséquences juridiques. S’il enfreint l’obligation de confidentialité ou s’il s’abstient de comparaître devant le tribunal pour rendre compte de ses résultats et présenter son avis d’expert, il manque à son obligation d’informer le tribunal ou les parties. S’il fait de fausses déclarations concernant sa situation personnelle, il est passible d’une amende administrative ou disciplinaire. Dans des cas plus graves, il peut même faire l’objet de poursuites pénales.

120.Dans certaines circonstances liées à la nature du manquement, l’expert peut se voir retirer définitivement la mission d’évaluation dans l’affaire considérée. Toutefois, s’il reste chargé d’établir l’avis d’expert, celui-ci conserve sa valeur de preuve.

7.1.2   Possibilités de sanction en cas d’évaluation incorrecte / de qualification insuffisante

121.Dans différents cas, le tribunal ou les parties doivent avoir la possibilité de poser des questions à l’expert et de demander que celui-ci fasse des ajouts à son avis. C’est notamment le cas si le rapport de l’expert est incomplet, confus, ambigu et objectivement inexact, s’il n’est pas actualisé, n’est pas étayé par des preuves scientifiques ou n’est pas conforme aux instructions données, ou encore si l’expert se révèle incompétent. En cas de négligence grave, sa responsabilité peut être engagée.

122.S’il est démontré au cours de la procédure judiciaire ou ultérieurement que l’expert n’a pas établi son avis de manière objectivement correcte, le tribunal ne peut prétendre à des dommages-intérêts.

123.S’il apparaît qu’un expert n’est pas qualifié pour exercer cette fonction en raison de compétences insuffisantes, le statut d’expert agréé peut lui être refusé ou retiré.

7.1.3   Possibilités de sanction en cas de retard

124.Si l’expert ne termine pas son évaluation dans le délai prévu, il doit être possible de lui appliquer une pénalité et, dans les cas les plus graves, de lui retirer la mission. Par ailleurs, dans les cas très graves, il doit être possible de révoquer son mandat. 

125.Si l’avis n’est pas remis dans les temps mais que l’expert reste chargé de l’établir, l’avis conserve sa valeur de preuve.

126.Dans des cas très graves où le retard est attribuable à l’expert, la cour doit pouvoir réduire le montant du paiement.

127.En toutes éventualités, la cour doit avoir le contrôle sur les délais attribués à l’expert.

7.2     Possibilités de sanction ouvertes aux parties

7.2.1   Droit de récuser l’expert

128.Si l’expert manque à son obligation d’indépendance, les parties doivent pouvoir le récuser pour partialité. Les parties doivent justifier leur demande en expliquant les raisons du manque d’indépendance.

7.2.2   Droit à un nouvel expert, à un deuxième avis d’expert

129.En outre, il convient que les parties aient le droit procédural de produire un avis concernant l’avis d’expert, de questionner l’expert et d’étayer leur propre argumentation/leurs propres éléments de preuve par un avis d’expert établi à titre privé ou l’avis d’un expert judiciaire en chef. Seul le tribunal – et non les parties – a le droit de communiquer directement avec l’expert.

7.2.3   Demandes de dommages-intérêts en cas d’évaluation factuellement inexacte à caractère délictueux

130.Dans certains cas précis où l’expert a manqué, de façon fautive, à l’obligation de procéder à une évaluation correcte et régulière, les parties peuvent introduire une demande de dommages-intérêts à son encontre.

131.Pour qu’il soit fait droit à cette demande, il faut généralement que l’expert ait établi intentionnellement un avis incorrect ou ait fait preuve de négligence délibérée. Le degré de la faute est apprécié sur la base de l’évaluation elle-même.

132.La demande de dommages-intérêts peut faire l’objet d’une procédure distincte. Néanmoins, les parties peuvent aussi engager une procédure judiciaire ordinaire  à l’encontre de l’expert.

7.2.4       Obligation de l’expert de contracter une assurance pour les préjudices causés

133.Dans la perspective d’une action éventuelle en dommages-intérêts engagée par les parties, il peut être utile de faire obligation à l’expert de contracter une assurance couvrant tous les cas où sa responsabilité peut être engagée (assurance responsabilité).

8.       EFFETS DE L’AVIS D’EXPERT DANS LA PROCEDURE JUDICIAIRE OU LE PROCES

8.1     Effet contraignant de l’avis d’expert

134.L’avis d’expert n’est contraignant ni pour le tribunal ni pour les parties. Le tribunal l’évalue librement. Il doit vérifier et établir s’il est objectivement convaincant. Lors de cette vérification, il doit examiner toutes les objections opposées par les parties à l’avis d’expert.

135.L’avis d’expert est versé à la procédure par soumission écrite ou explication verbale pendant le procès. Les parties et le tribunal doivent avoir le droit de poser des questions à l’expert. Celui-ci est tenu de donner son avis sur la question et peut avoir à formuler un avis d’expert complémentaire. Aux fins de la discussion avec l’expert concernant la teneur de son avis, les parties peuvent produire ou faire établir des avis d’expert contradictoires à titre privé.

136.Toutefois, les questions posées à l’expert diffèrent d’une véritable audition contradictoire, qui ne peut avoir lieu qu’avec des témoins. Le droit de questionner l’expert vise seulement à permettre de mieux comprendre le contenu de son avis et de vérifier l’exactitude scientifique de ses affirmations.

8.2     Valeur de preuve

137.En substance, l’avis d’expert doit avoir la même valeur de preuve que les autres pièces du dossier. S’il n’est pas destiné à servir d’élément de preuve dans le procès mais seulement à aider le juge à mieux comprendre les faits, les affirmations de l’expert n’ont pas d’effet contraignant. Le juge a la possibilité de s’écarter de la position et de l’interprétation présentée par l’expert s’il a des motifs raisonnables de le faire.

9.       PERSPECTIVES

138.Compte tenu des règles énoncées dans le présent document, chaque Etat membre du Conseil de l’Europe devrait soit adopter des dispositions juridiques relatives aux droits et aux responsabilités des experts dans le processus judiciaire, soit vérifier si leurs dispositions existantes à ce sujet sont conformes aux normes minimales présentée ci-dessus concernant la conduite des experts.



[1] Rapport de la CEPEJ sur les systèmes judiciaires européens (données 2012), chapitre 15.

[2] Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, le droit étranger peut être considéré comme un fait. Le juge peut également désigner des consultants (qui souvent sont  issus d’un milieu académique) afin de clarifier certaines questions liées à l’ interprétation et l’application du droit étranger et d’ assister le juge dans le processus de prise de décision.

[3] Le paiement des frais finaux de l’expertise par les parties dépend des solutions judiciaires de chaque état membre.