Strasbourg, le 28 mars 2013                                                                CDLR(2013)12

                                                                                      Point E.2 de l'ordre du jour

COMITE EUROPEEN SUR LA DEMOCRATIE LOCALE ET REGIONALE

(CDLR)

SENSIBILISATION ACCRUE A LA DIMENSION DROITS DE L’HOMME DE LA GOUVERNANCE LOCALE ET REGIONALE

Pour instruction et action

Note du Secrétariat

établie par la

Direction de la gouvernance démocratique

Service des institutions et de la gouvernance démocratiques


This document is public. It will not be distributed at the meeting. Please bring this copy.

Ce document est public. Il ne sera pas distribué en réunion. Prière de vous munir de cet exemplaire.


Introduction

Décision du Comité des Ministres

Lors de la 1156e réunion des Délégués, le Comité des Ministres a adopté un nouvel ensemble de décisions conformément à la Déclaration de Kiev. Parmi les nouvelles activités qui lui ont été confiées dans ce contexte, le CDLR a été chargé « d’élaborer des propositions pour une sensibilisation accrue à la dimension droits de l’homme de la gouvernance locale et régionale, en concertation avec l’Assemblée parlementaire, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe et la Conférence des OING ».

Les droits de l’homme sont‑ils un sujet de préoccupation des collectivités locales ?

Il est communément admis que la protection des droits de l’homme assurée par le Conseil de l'Europe conformément au droit international ne s’applique qu’à deux sortes d’intéressés : les Etats et les personnes physiques. Les droits de l’homme sont reconnus sous la forme de traités entre Etats qui mettent l’accent sur la protection des droits fondamentaux de tout être humain. Etant donné qu’il s’agit d’une question de droit international, c’est l’Etat qui, à cet égard, est la seule entité juridiquement pertinente et ses dispositions institutionnelles doivent être considérées comme relevant de son pouvoir souverain. C’est pourquoi seuls des Etats peuvent voir leur responsabilité mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Cela dit, au sein d’un Etat, plusieurs acteurs peuvent se voir confier des pouvoirs et des fonctions dont l’exercice a des répercussions sur la jouissance effective des droits fondamentaux de l’être humain par les personnes physiques. Compte tenu du principe de subsidiarité, les collectivités locales sont à l’avant‑poste de l’exécution des politiques en ce qui concerne notamment la participation, l’éducation, les soins de santé, le logement et l’intégration sociale. En conséquence, ce sujet revêt une importance particulière pour le CDLR, surtout pour deux raisons. En premier lieu, les collectivités locales et régionales devraient être conscientes de l’importance de leur rôle s’agissant d’assurer la jouissance des droits fondamentaux de l’être humain par ceux qui relèvent de leur « juridiction » (car leur défaut d’ « exécution » pourrait entraîner la responsabilité internationale de l’Etat). En second lieu, les ministres responsables des collectivités locales et régionales devraient réfléchir aux répercussions et conséquences potentielles de ces obligations sur leurs relations avec les collectivités locales et régionales ainsi qu’avec les autres ministères.

Ces réflexions font apparaître un lien évident entre les droits de l’homme (au niveau local et régional) et les dispositions internes à l’Etat (entre les différents niveaux de gouvernement) dans le domaine des politiques en matière de droits de l’homme en vue de promouvoir un modèle de « gouvernance » qui soit transversal et qui propage la prise de conscience des droits de l’homme et la responsabilité en ce qui concerne ces derniers.


Compte tenu des débats qui ont eu lieu à Kyiv, et comme suite aux conclusions des Ministres eux‑mêmes, le Comité des Ministres a chargé le CDLR d’élaborer des propositions pour accroître la sensibilisation à la dimension droits de l’homme au niveau local, en coopération avec le Congrès, l’Assemblée parlementaire et la Conférence des OING.

Dans un premier temps, le Secrétariat a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’élaborer un document sur la jurisprudence actuelle de la CEDH qui concerne des affaires résultant des mesures prises par les collectivités locales (voir Addendum). Le rapport de la CEDH montre que les actes des collectivités locales et régionales peuvent effectivement donner lieu à des violations de la Convention européenne des droits de l’homme, engageant par là même la responsabilité de l’Etat. L’Annexe contient un résumé de trois des affaires présentées dans le rapport susmentionné du Secrétariat.

Ces informations corroborent l’idée selon laquelle il serait opportun, avant de se lancer dans l’élaboration de propositions précises, de déterminer plus clairement comment les actes des collectivités locales ou régionales peuvent donner lieu à des violations des droits de l’homme. En outre, étant donné que cette préoccupation est partagée par de nombreux intéressés (le Congrès, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, les Etats membres individuellement …), il faut également des mécanismes appropriés pour partager des points de vue et développer une approche cohérente.  

Mesures que le CDLR pourrait prendre dans ce domaine

A ce stade des travaux, et à la lumière de ce qui ressortira de la discussion que le CDLR est invité à tenir à l’occasion de cette réunion, le CDLR pourrait envisager l’approche suivante :

-        charger les deux rapporteurs du CDLR sur les droits de l’homme[1] de mettre en évidence, éventuellement avec l’aide d’un consultant, les points faibles[2] dans la mise en œuvre des droits de l’homme au niveau local, par exemple en matière d’aménagement et de développement du territoire ainsi que dans les activités quotidiennes (date limite : fin juin) ;

-        avec l’aide du Secrétariat, les rapporteurs pourraient recueillir, auprès de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, des informations récentes sur le programme de travail et les initiatives de l’Agence pour 2013 afin de développer, s’il y a lieu, des synergies et d’éviter tout chevauchement (date limite : fin juillet) ;

-        les rapporteurs pourraient suivre l’élaboration (par le Secrétariat et l’expert susmentionné, le cas échéant) d’un document préliminaire mettant en relief les mesures qu’il serait possible d’adopter pour accroître la sensibilisation à la dimension droits de l’homme de la gouvernance locale et régionale (date limite : fin août), à discuter tout d’abord au sein du Bureau (septembre) puis avec le Congrès, l’Assemblée parlementaire et la Conférence des OING à l’occasion d’une réunion qui pourrait se tenir en marge de la partie de session d’automne de l’Assemblée parlementaire (fin septembre).

Le « paquet sensibilisation » serait ensuite adopté par le CDLR à l’occasion de sa réunion d’automne en vue de sa transmission au Comité des Ministres avant la fin de cette année.

Décision à prendre

Le CDLR est invité à formuler ses observations et donner au Secrétariat des instructions concernant l’approche suggérée pour formuler des propositions d’initiatives visant à renforcer la sensibilisation à la dimension droits de l’homme de la gouvernance locale et régionale.

 


Annexe

Résumé de trois affaires résultant de mesures prises par des

collectivités locales 

Les trois affaires ci‑après, qui trouvent leur origine dans des mesures prises par des collectivités locales ou régionales, ont conduit à des violations de la Convention européenne des droits de l’homme, engageant par là même la responsabilité de l’Etat. Ces affaires ont été citées dans un rapport récent, élaboré par la Cour européenne des droits de l’homme à la demande du Secrétariat général et approuvé par le Bureau du CDLR à l’occasion de sa réunion de février. En ce qui concerne les faits de chaque affaire et les conclusions de la Cour, les détails donnés dans le rapport sont très succincts et ils figurent ci‑dessous en italique, sous l’intitulé de chaque affaire.

La présentation plus détaillée a été faite par le Secrétariat dans le but de souligner au CDLR l’utilité d’une analyse plus approfondie de la jurisprudence pour ses activités de sensibilisation aux droits de l’homme.

McCann c. Royaume-Uni, n°  19009/04, 13 mai 2008

L’éviction du mari d’un logement appartement à la collectivité locale avait porté atteinte à ses droits procéduraux.

Violation de l’article 8 [3]

Bref résumé des faits : M. et Mme McCann étaient locataires indivis d’une maison comprenant trois chambres à coucher. En avril 2001, un tribunal prit une ordonnance de non‑molestation d’une durée de trois mois et une ordonnance d’éviction imposant à M. McCann de quitter la maison. Dix jours plus tard, des poursuites pénales furent exercées à l’encontre de celui‑ci, après qu’il eut forcé la porte d’entrée de la maison avec un pied‑de‑biche, mais les poursuites se soldèrent par l’acquittement de l’intéressé faute de preuves. Mme McCann fut relogée par l’autorité locale en août 2001 pour cause de violences conjugales. Elle écrivit à l’autorité locale une note indiquant qu’elle renonçait à son droit au bail. En novembre 2001, alors que les relations des McCann s’étaient améliorées, M. McCann était retourné vivre dans l’ancienne maison familiale, où il avait effectué d’importants travaux de rénovation. Compte tenu de la taille de la maison, il avait demandé à échanger celle‑ci contre un logement plus petit d’un autre locataire social. Cette demande avait été appuyée par Mme McCann.

Le jour où M. McCann a rempli sa demande d’échange de la maison, l’autorité locale a incité Mme McCann à signer un avis de congé concernant le bail indivis. En droit britannique, un bail indivis peut être résilié par la signature d’une seule des parties à ce bail. L’autorité locale n’avait pas averti Mme McCann qu’en signant l’avis de congé elle ferait perdre à son époux son droit au bail et, par là même, son droit d’échanger le logement.


En vertu du manuel sur la politique de la commune de Birmingham en matière d’attribution de logements sociaux, en cas de rupture de la relation entre les locataires, celui qui quitte les lieux (en l’espèce, Mme McCann) doit signer un formulaire de congé. L’autre locataire peut alors soit bénéficier d’un nouveau bail pour le logement soit se voir attribuer un autre logement. Néanmoins, la violence conjugale est considérée comme un motif de rupture du bail, si bien que l’auteur de violences peut perdre son logement ou être considéré comme devenu intentionnellement sans domicile.

Par la suite, l’autorité locale a introduit une action en justice à l’encontre de M. McCann devant la County Court en vue d’expulser celui‑ci. La County Court s’est prononcée en faveur de M. McCann. En appel, la Court of Appeal s’est prononcée en faveur de l’autorité locale. Enfin, la demande de contrôle juridictionnel présentée par M. McCann a été rejetée, car le juge a estimé que l’autorité locale avait agi dans le respect de la légalité.

Conclusions de la Cour : La Cour a jugé la requête recevable en vertu de l’article 8 de la Convention, compte tenu de l’allégation du requérant selon laquelle il y avait eu méconnaissance de son droit au respect de son domicile. La question de savoir si un bien immobilier est un « domicile » est une question de fait qui ne dépend pas de la légalité de l’occupation. En l’espèce, le bien immobilier était le domicile du requérant, bien qu’en droit interne il n’ait plus eu le droit de continuer à l’occuper. De par ses effets, l’avis de congé en question, conjugué à la procédure de prise de possession engagée par l’autorité locale devant la County Court a emporté ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de son domicile. Certes, cette ingérence était prévue par la loi et avait pour but légitime de protéger les droits et libertés d’autrui, notamment le droit qu’avait l’autorité locale de recouvrer la possession d’un immeuble, et les droits des personnes censées bénéficier du dispositif légal d’attribution de logements sociaux ; mais l’ingérence n’était pas proportionnée au but visé. L’autorité locale n’a pas fait le moindre cas du droit du requérant au respect de son domicile lorsqu’elle a choisi de contourner le dispositif légal en demandant à Mme McCann de signer un avis de congé régi par la common law. Si l’autorité locale avait cherché à reprendre possession du bien en question en application de la loi de 1985 relative au logement (« Housing Act 1985 »), la justice aurait eu la possibilité de déterminer la proportionnalité de l’ingérence. En l’occurrence, ni la procédure ultérieure de prise de possession, introduite devant la County Court, ni la procédure de contrôle juridictionnel n’ont offert cette possibilité. Devant la County Court, la proportionnalité ne pouvait être examinée que dans des cas exceptionnels, or la présente affaire ne pouvait pas être qualifiée ainsi ; quant au contrôle juridictionnel, il ne porte que sur l’examen de la légalité de la mesure prise par l’autorité locale, mesure qui, en l’espèce, était légale. Le requérant a été dépossédé de son domicile, sans avoir eu la possibilité de faire examiner en justice la proportionnalité de cette mesure. Il y a donc eu violation de l’article 8, en raison de l’absence de garanties procédurales.

K et T c. Finlande, n° 25702/94, 12 juillet 2001

Placement d’enfants à l’assistance publique, défaut d’adoption de mesures adéquates en vue d’une éventuelle réunification de la famille des requérants.

Violation de l’article 8 (voir note 3 ci‑dessus)


Bref résumé des faits : Les requérants étaient une mère (K) et son compagnon (T). K avait quatre enfants, dont deux étaient aussi les enfants de son compagnon. On avait diagnostiqué chez K une schizophrénie, pour laquelle elle était souvent hospitalisée, ses séjours à l’hôpital pouvant parfois durer jusqu’à trois mois. Un compagnon précédent et père de son premier enfant avait la garde du premier enfant (X). En 1993, son deuxième enfant, son fils (M), avait été placé dans un foyer pour enfants par le Conseil de protection sociale et, quand son avant‑dernière enfant (J) était née, celle‑ci avait été aussitôt placée provisoirement à l’assistance publique. Le père requérant avait alors été informé par les responsables des services de protection sociale qu’il devait mettre un terme à sa relation avec la mère requérante s’il souhaitait conserver sa fille (J). Il ne le fit pas et le couple alla même jusqu’à avoir un second enfant (le quatrième enfant de K), « R » né en 1995. R était resté avec ses parents, K et T, à la suite d’une évaluation psychiatrique estimant que K était capable d’avoir la garde de R. En 1994, les deux enfants (M et J) avaient été placés dans un foyer d’accueil, le droit de visite des deux requérants étant limité à une seule visite par mois sous stricte surveillance (par exemple, en application du troisième projet de prise en charge (novembre 1997 – décembre 1998), les requérants avaient eu droit à une visite mensuelle de trois heures dans l’enceinte d’une école). Le programme de prise en charge avait été révisé à plusieurs reprises et les restrictions apportées au droit de visite avaient continué indéfiniment. Tous les recours contre ces décisions avaient échoué.

Les requérants se sont plaints d’avoir subi une violation de leur droit à une vie familiale et de leur droit à une réparation effective de cette violation devant les autorités nationales en application de l’article 13.

Constatations de la Cour : La décision de prise en charge plaçant J à l’assistance publique aussitôt après sa naissance constituait une violation de l’article 8. Bien que les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation s’agissant d’évaluer la nécessité du placement d’un enfant, la Cour a estimé que les motifs invoqués pour justifier les décisions de prise en charge n’étaient pas suffisants et que les méthodes employées pour mettre en œuvre ces décisions étaient excessives. Le placement d’un nouveau‑né à l’assistance publique dès sa naissance est une mesure extrêmement rigoureuse. Il incombait aux autorités nationales compétentes de rechercher si une ingérence moins considérable dans la vie de famille était possible. Il faut des motifs extraordinairement impérieux pour qu’un bébé puisse être physiquement enlevé à la garde de sa mère, contre la volonté de celle‑ci, aussitôt après sa naissance, en conséquence d’une procédure à laquelle ni elle‑même ni son compagnon n’ont participé. La mesure était donc disproportionnée.

Quant à l’absence de mesures prises par les autorités pour permettre la réunification de la famille, la Cour a jugé que les autorités n’avaient fait aucun effort pour envisager sérieusement de mettre fin au placement à l’assistance publique, malgré des preuves d’amélioration de la situation qui avait conduit aux décisions de prise en charge. La Grande Chambre a estimé qu’une décision de prise en charge devait être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant. Elle a reconnu que les autorités avaient enquêté pour déterminer si les requérants seraient à même d’établir des liens avec les enfants, mais cela ne représentait pas un effort sérieux ou soutenu pour faciliter la réunion de la famille comme celui que l’on pouvait raisonnablement escompter aux fins de l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH. Les restrictions et interdictions qui ont touché le droit pour les requérants de voir leurs enfants ont plutôt contribué à empêcher une éventuelle réunion de la famille qu’à la préparer.


Öneryildiz c. Turquie, n° 48939/99, 30 novembre 2004

Décès et destruction d’une maison, à cause d’une explosion sur un site industriel relevant de l’autorité et de la responsabilité d’un conseil municipal.

Violation de l’article 21 […] de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 12

Bref résumé des faits : Le requérant, Masallah Öneryildiz, vivait avec douze membres de sa famille dans un logement insalubre sur un terrain situé à proximité d’une décharge dont se servaient pour leurs ordures quatre conseils de district, sous l’autorité et la responsabilité du Conseil municipal d’Istanbul. Le taudis avait été construit sans autorisation. Cependant, en 1989, une action introduite devant le tribunal de district d’Üsküdar contre le conseil de district d’Ümraniye par deux autres habitants d’un taudis analogue établi près de la décharge a révélé que les habitants payaient des impôts locaux pour leur logement ainsi que des factures d’eau et d’électricité. Ils avaient aussi été invités par le conseil à présenter une demande de régularisation de leur titre de propriété.

Le 28 avril 1993, la décharge d’ordures a explosé en raison d’une accumulation de gaz de méthane, tuant 39 personnes dont neuf membres de la famille du requérant.

Deux ans plus tôt, en mai 1991, un rapport d’expert établi à la demande du tribunal de district d’Üsküdar, saisi de la question par le conseil de district d’Ümraniye, avait mis en relief le fait qu’aucune mesure n’avait été prise à la décharge pour empêcher une explosion de ce genre (générée par des déchets en décomposition) et que, si une explosion en résultait, les dégâts pour le bidonville situé à proximité seraient considérables. Au début du mois de juin 1991, trois des conseils de district ont demandé que le rapport d’expert soit invalidé, faisant valoir qu’il avait été établi à leur insu et qu’il était contraire au Code de procédure civile. Cette action a finalement été abandonnée. Quelques jours plus tard, le Bureau de l’environnement du Premier ministre a ordonné, sur le fondement du rapport, que des mesures soient mises en œuvre pour remédier à la situation. Le maire d’Ümraniye a demandé au tribunal de district d’Üsküdar des mesures provisoires pour empêcher le Conseil municipal et les autres conseils voisins d’utiliser la décharge. Le représentant du Conseil municipal d’Istanbul s’est opposé à cette demande, affirmant que le Conseil municipal avait des projets de réaménagement du site et que le premier contrat avait déjà été attribué.

___________________

1 ARTICLE 2 : Droit à la vie : 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. 2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : (a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; (b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; (c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

2 ARTICLE 1 du PROTOCOLE n° 1 : Protection de la propriété : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possède les Etats de mettre en vigueur les lois qu’il juge nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.


A la suite de l’explosion, des procédures d’enquête pénales et administratives ont été engagées, et les maires du conseil de district d’Ümraniye et du Conseil municipal d’Istanbul ont été traduits en justice. Cependant, la procédure pénale visait à établir si les autorités pouvaient être tenues responsables non pas des décès qui s’étaient produits mais de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. Les deux maires ont été reconnus coupables et condamnés à une peine d’amende de 160 000 livres turques ainsi qu’à la peine minimale de trois mois d’emprisonnement prévue par le Code pénal turc. Leurs peines d’emprisonnement ont par la suite été commuées en peines d’amendes et l’exécution de ces peines d’amendes a ultérieurement été suspendue.

Le requérant a introduit une action en réparation pour lui‑même et ses trois enfants survivants, tenant les autorités responsables du décès de ses proches et de la destruction de son logement. En novembre 1995, les autorités ont été condamnées à verser au requérant et à ses enfants 100 000 000 TRL (2 077 €) au titre du préjudice moral et 10 000 000 TRL (208 €) pour dommage matériel.

Conclusions de la Cour : Responsabilité de l’Etat pour les décès, violation de l’article 2 :

Violation de l’article 2

Etant donné que les autorités turques savaient ou étaient censées savoir que les personnes vivant à proximité de la décharge municipale étaient menacées de manière réelle et imminente, elles avaient, au regard de l’article 2 de la CEDH, l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ces personnes, d’autant plus qu’elles avaient elles‑mêmes mis en place et autorisé l’exploitation génératrice de la menace en question. Or le Conseil municipal d’Istanbul avait non seulement omis de prendre les mesures urgentes qui s’imposaient mais il avait de surcroît fait obstacle à toute tentative de mise en conformité de la décharge avec les normes applicables. En outre, les autorités locales auraient pu installer un système de dégazage dans la décharge avant que la situation ne devienne fatale, mais elles ne l’avaient pas fait.

Le Gouvernement ne pouvait pas s’absoudre de ses responsabilités parce que le requérant avait agi illégalement en s’installant à côté de la décharge. En effet, la politique de l’Etat avait encouragé l’intégration de bidonvilles dans l’environnement urbain. En outre, l’administration avait aussi fait payer au requérant une taxe locale et elle les avait admis, lui et d’autres habitants, au bénéfice des services publics payants.

Le Gouvernement n’avait pas démontré qu’il aurait pris des mesures pour informer les habitants du bidonville des risques qu’ils couraient. En tout état de cause, quand bien même il aurait respecté ce droit à l’information, l’absence de mesures concrètes pour éviter de faire peser des risques sur la vie des habitants du bidonville aurait de toute façon engagé la responsabilité de l’Etat.


En conclusion, le cadre réglementaire applicable en l’espèce s’était révélé défectueux car on avait permis à la décharge d’ouvrir et de fonctionner en l’absence de tout système de contrôle cohérent. Cette situation avait été exacerbée par une politique générale qui s’était révélée impuissante à régler des questions générales d’urbanisme et qui avait sans nul doute joué un rôle dans la succession d’événements ayant conduit à l’accident. En conséquence, la Cour a conclu à une violation de l’article 2.

Responsabilité de l’Etat quant à la nature de l’enquête :

La procédure pénale qui avait suivi l’accident était insuffisante. En effet, elle avait simplement pour but d’établir si les autorités pouvaient être tenues responsables non pas des décès qui s’étaient produits mais de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. Dans les cas où il est établi que la faute imputable aux agents ou organes de l’Etat va au‑delà d’une erreur de jugement ou d’une imprudence, l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre de ces personnes peut entraîner une violation de l’article 2, abstraction faite de toute autre forme de recours que les justiciables pourraient exercer. Les juridictions nationales ne doivent en aucun cas s’avérer disposées à laisser impunies des atteintes à la vie.

Violation de l’article 1 du Protocole n° 1

La Cour a rejeté l’argument du Gouvernement selon lequel les autorités turques s’étaient refusées, pour des raisons humanitaires, à détruire la maison du requérant. L’obligation positive qui incombe aux autorités en vertu de l’article 1 du Protocole n° 1 leur imposait en l’espèce de prendre les précautions pratiques déjà indiquées par la Cour pour empêcher la destruction de l’habitation du requérant.

Certes, le requérant avait pu acquérir un logement social dans des conditions très favorables, mais les éventuels avantages obtenus ne pouvaient pas faire perdre à M. Öneryildiz sa qualité de « victime », d’autant moins que la lecture des documents devant être versés au dossier ne dénote nullement une reconnaissance par les autorités d'une violation du droit de l’intéressé au respect de ses biens.

La Cour a relevé en outre que l’indemnité accordée au requérant par les tribunaux turcs au titre du dommage matériel demeurait impayée, au mépris d’un jugement définitif.

La Cour a conclu en conséquence à une violation de l’article 1 du Protocole n° 1.



[1] M. Auke van der Goot et M. Paul-Henri Philips ont été nommés à cette fonction avant la Conférence de Kiev.

[2] A titre d’information, on pourrait considérer ce qui suit comme des « points faibles ».

Comblement de lacunes : On pourrait notamment réfléchir à l’examen des moyens et informations à la disposition des citoyens pour contester des violations potentielles des droits de l’homme par les autorités locales. Dans l’affaire Öneryildiz (voir Annexe I ci‑dessous), ni l’autorité locale ni l’autorité nationale n’avaient empêché activement le requérant d’établir son domicile à côté d’un dépôt d’ordures connu pour présenter un danger. Le requérant n’était probablement pas conscient du danger que cette décharge présentait pour sa santé et celle de sa famille. Si les pouvoirs publics ne protègent pas activement leurs citoyens et si les citoyens ne sont pas du tout conscients du fait qu’ils ont activement besoin d’être protégés, il y a alors une lacune à combler en ce qui concerne le niveau de protection.

Code de conduite / manuel : les affaires McCann c. Royaume‑Uni et K et T c. Finlande font apparaître que, même lorsqu’elles suivent à la lettre la procédure et le droit, les collectivités locales ne réfléchissent parfois guère à la dureté des mesures qu’elles appliquent. Bien que légale en droit interne, leur action, en raison de sa dureté ou, ainsi que l’a dit la Cour dans l’affaire McCann, en raison du fait qu’il s’agit d’une « atteinte des plus graves », peut néanmoins enfreindre le droit international. On pourrait donc réfléchir aussi à un code de conduite ou manuel destiné aux autorités locales, qui prendrait pour point de départ les décisions de la Cour. Le texte étudierait les différents articles de fond et il mettrait en lumière la manière dont les décisions de la Cour rendues en application de ces articles auraient une incidence en termes généraux sur les obligations des autorités locales. Par exemple, dans l’affaire Öneryildiz, un code de conduite ou un manuel aurait mis en lumière la nécessité pour l’autorité locale de prendre des mesures appropriées afin de protéger une personne lorsqu’il y a un risque réel ou immédiat pour la vie de cette personne. Dans les affaires McCann c. Royaume‑Uni et K et T c. Finlande, un code de conduite aurait attiré l’attention de l’autorité locale, chaque fois qu’elle commettait une ingérence dans les droits d’une personne reconnus par l’article 8, sur la nécessité de s’assurer que sa politique ou son action était indispensable, qu’elle visait l’un des buts légitimes reconnus et qu’elle était proportionnée à ce but.

 

[3] ARTICLE 8 : Droit au respect de la vie privée et familiale : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.