NB_CE

CCPE(2015)3

Strasbourg, le 20 novembre 2015

CONSEIL CONSULTATIF DE PROCUREURS EUROPÉENS

(CCPE)

Avis n°10 (2015)

du Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE)

à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

sur

le rôle des procureurs dans l’enquête pénale

I.                      Introduction

 

 

1.    Le Conseil Consultatif de Procureurs Européens (CCPE) a été créé par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2005, qui lui a fixé pour tâche la formulation d’avis sur des questions touchant à l’application de la Recommandation(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale.  

2.    Le Comité des Ministres a chargé le CCPE en 2015 de préparer et d'adopter un avis à son attention concernant le rôle des procureurs dans l’enquête pénale. Le CCPE a rédigé le présent Avis sur la base des réponses au questionnaire reçues de 29 Etats membres[1].

3.    Il ressort de ces réponses que les différents aspects des relations entre procureurs et services d’enquête sont régis par la Constitution et/ou par la législation nationale et des instruments de réglementation interne (par exemple, des consignes et instructions du Procureur général, des règles de conduite, des codes d’éthique, etc.).

4.    Le rôle du procureur dans l’enquête pénale varie d’un système à l’autre. Dans certains pays, les procureurs peuvent conduire des enquêtes eux-mêmes. Dans d’autres pays, la police ou les autres autorités d’enquête peuvent mener les enquêtes sous l’autorité et / ou la supervision des procureurs, ou peuvent agir de manière indépendante.

5.    Le système de poursuites peut également varier selon les Etats. Il peut être fondé sur le principe de la légalité ou sur le principe de l’opportunité des poursuites. En outre, les divers systèmes de poursuites sont traditionnellement basés sur le modèle inquisitoire ou accusatoire.

6.    L’évolution constatée ces dernières années en Europe, notamment sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la Cour), est de voir se rapprocher ces modèles, dans un souci d’assurer une enquête à la fois efficace et respectueuse des droits des personnes concernées, en ayant pour but commun le respect de tous ces systèmes qui partagent des valeurs fondamentales.

A.           Textes de référence

7.    Le CCPE souligne l’importance de se référer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH), en particulier à ses articles 2, 3, 5, 6 et 8 ainsi qu’à la jurisprudence pertinente de la Cour. Il rappelle également l’importance des conclusions et recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

8.    Le CCPE a pris en considération la Recommandation Rec(2000)19 mentionnée ci-dessus, qui constate que dans certains systèmes de justice pénale, le ministère public conduit, dirige ou supervise l’enquête[2]. Le CCPE a également pris en considération la Recommandation Rec(2001)10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le Code européen d’éthique de la police[3], la Recommandation Rec(2005)10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative « aux techniques spéciales d'enquête » en relation avec des infractions graves, y compris des actes de terrorisme, ainsi que les conclusions adoptées par la 6ème Conférence des Procureurs Généraux d'Europe à Budapest, Hongrie, le 31 mai 2005, concernant les rapports entre le ministère public et la police. Le CCPE s’est appuyé sur les principes contenus dans l’Avis n° 9(2014) sur les Normes et principes européens concernant les procureurs – « Charte de Rome » et dans ses autres Avis pertinents, en particulier ses Avis n° 3(2008) sur le rôle du ministère public en dehors du système de la justice pénale, et n° 8(2013) sur les relations entre procureurs et medias.  

9.    Le CCPE a également pris en compte les documents pertinents des Nations Unies, tels que
le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 17 décembre 1979 (Résolution 34/169), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, les Lignes directrices sur le rôle des procureurs de 1990 et les recommandations des comités chargés de la surveillance de la mise en œuvre des instruments concernés des Nations Unies[4].

10.  Le CCPE a aussi considéré les Normes de responsabilité professionnelle et la Déclaration des droits et devoirs essentiels des procureurs et poursuivants, adoptés par l’Association internationale des Procureurs et poursuivants (AIP) en 1999, les autres documents pertinents adoptés par l’AIP, ainsi que la Déclaration de Sopot des Procureurs Généraux du Groupe de Visegrad[5] du 25 mai 2015 concernant les relations entre les services de poursuite et la police.  

B.        But et champ d’application de l’Avis

11.  Le présent Avis vise à établir des recommandations sur le rôle du procureur dans l’enquête pénale, en prenant en considération les droits de toutes les personnes concernées par cette enquête (victimes, défendeurs, avocats, témoins, etc.), et à identifier et promouvoir les bonnes pratiques professionnelles entre les procureurs et les enquêteurs.

12.  La Recommandation (2000)19 souligne brièvement les relations entre les procureurs et les services d’enquête en veillant à distinguer les différents systèmes existants au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe.

13.  Cette question est essentielle dans le cadre d’une bonne administration de la justice pénale. L’un des principes élémentaires de l’Etat de droit est le respect, par les procureurs et les services d’enquête, des droits de l’homme et des libertés fondamentales à tous les stades de l’enquête pénale.

14.  Ceci implique que :

·         les procureurs, lorsque telle est leur mission, devraient veiller à ce que les personnes concernées par une enquête soient traitées de manière humaine et puissent faire valoir leurs droits légitimes ;

·         les procureurs devraient user de toute leur autorité, dans la mesure du possible et dans le cadre de leurs compétences et pouvoirs, pour veiller à ce que les services d’enquête respectent la loi et adoptent des normes de conduite précises, afin qu’ils rendent compte de tout abus de pouvoir ou de comportement devant une autorité qualifiée ;

·         les procureurs devraient s’assurer que les résultats de l’enquête, qui seront présentés au juge du fond, reflètent la réalité des constatations afin que le tribunal ne soit pas induit en erreur.

15.  Le présent Avis se limite aux enquêtes pénales et à l’exercice de l’action publique par les procureurs.

II.            Le rôle des procureurs dans l’enquête pénale

 

  1. La surveillance des enquêtes par les procureurs

16.  D'une manière générale, les procureurs devraient vérifier la légalité des enquêtes au plus tard lorsqu’ils décident d'engager ou de poursuivre l'action publique. A cet égard, ils devraient aussi surveiller la façon dont les enquêtes sont menées et si les droits de l’homme sont respectés.

17.  Lorsque cela relève de leur compétence, les procureurs peuvent donner des instructions contraignantes, des conseils, des directives ou des lignes directrices appropriés aux organes d’enquête, concernant aussi bien le déroulement général de l’enquête que certains actes d’enquête spécifiques dans le but d’assurer le respect des règles de fond et de forme de la loi pénale, ainsi que des droits garantis par la CEDH.

18.  Pour pouvoir assurer des poursuites efficaces, ces instructions ou lignes directrices peuvent concerner, entre autres, les preuves qui doivent être obtenues, la stratégie propre à l’évolution de l’enquête, les méthodes ou outils qui doivent être utilisés lors de la collecte de preuves, les faits qui doivent être clarifiés et prouvés, et les mesures qui doivent être adoptées durant l’enquête.

19.  Si les procureurs ont le pouvoir de superviser les enquêtes, ils devraient veiller à ce que les services d’enquête les tiennent informés de l’évolution de l’enquête pénale, de la mise en œuvre des priorités de politique pénale qui leur ont été assignées et de l’application des instructions reçues des procureurs. 

20.  Dans les Etats où telle est leur mission, les procureurs devraient :

·         veiller à ce que les enquêtes aient pour seul objectif la recherche de la vérité et l’élucidation des affaires, qu’elles se déroulent légalement, conformément aux droits de l’homme et aux principes fondamentaux contenus notamment dans les articles 2, 3, 5, 6 et 8 de la CEDH et qu’elles soient menées en temps voulu, avec objectivité, impartialité et professionnalisme. Lorsqu’ils sont chargés de diriger, de contrôler ou de superviser le travail des enquêteurs, ils devraient dans la mesure du possible et dans le cadre de leurs compétences et pouvoirs, s’assurer que ces derniers respectent les mêmes principes ainsi que les droits fondamentaux ;

·         veiller à ce que la présomption d’innocence et les droits de la défense soient respectés tout au long des enquêtes. Dans la mesure du possible, il est nécessaire durant cette phase d’enquête de ne pas divulguer publiquement l’identité des suspects, de veiller à leur sécurité personnelle et de respecter leurs droits à la dignité et à la protection de leur vie privée ;

·         veiller à garantir, au cours des enquêtes, la confidentialité des informations afin de ne pas compromettre le déroulement et l’efficacité des enquêtes ;

·         durant le déroulement des enquêtes dans lesquelles ils sont impliqués, veiller à ce que la sécurité personnelle et les droits des parties, des témoins et des autres personnes concernées par le dossier soient garantis ;

·         veiller à l’information des victimes, en particulier des personnes vulnérables, sur le commencement et le résultat des enquêtes, par des modalités appropriées et respectueuses de leurs droits.

21.  En accomplissant ces tâches, les procureurs devraient agir de manière équitable, efficace et rapide, contribuant ainsi à assurer le bon déroulement de la procédure et le bon fonctionnement du système de justice pénale.

 

22.  Si telle est leur compétence, les procureurs devraient également prendre en compte les questions concernant la gestion efficace des ressources, y compris les ressources humaines et financières. Ils devraient aussi veiller à éviter les dépenses disproportionnées, en respectant toujours l’Etat de droit et les droits procéduraux.

  1. Situations dans lesquelles les procureurs conduisent eux-mêmes des enquêtes

23.  Dans les pays dans lesquels les procureurs peuvent mener des enquêtes, ils doivent mener celles-ci conformément à la loi, avec professionnalisme, de manière impartiale, avec célérité, en utilisant au mieux leurs compétences et sans préjudice ou discrimination envers quiconque. Ils devraient également développer des moyens d’enquête susceptibles d’être favorables à la défense et rassembler et communiquer des preuves à cet effet.

 

24.  Dans le cadre de leur fonction d’enquête, les procureurs devraient avoir au moins les mêmes droits et obligations que les autres autorités d’enquête et disposer des moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs fonctions.

  1. Situations dans lesquelles la police ou les autres organes d’enquête conduit les enquêtes sous l’autorité du procureur

 

25.  Dans les pays dans lesquels la police est placée sous l’autorité des procureurs ou dans lesquels les enquêtes policières sont supervisées par les procureurs, ces derniers devraient être investis de pouvoirs effectifs leur permettant d’assurer pleinement leurs tâches dans le cadre des enquêtes pénales, toujours dans le respect du droit national et international. Ils devraient veiller à ce que les enquêtes soient conduites de la manière la plus appropriée et efficace, dans le respect permanent de l’Etat de droit et des droits procéduraux.

26.  Ces tâches peuvent consister :

·         à assurer la mise en œuvre effective des priorités de politique pénale ;

·         à donner des instructions à la police concernant le moment d’initier l’enquête pénale et la façon de la mener ;

·         à attribuer les affaires individuelles aux organes d’enquête appropriés ;

·         à promouvoir une coopération efficace et effective entre la police et les procureurs, et à coordonner l’enquête lorsqu’elle concerne plusieurs services ;

·         à donner des conseils et des instructions sur des points de droit ;

·         à superviser la légalité et la qualité des enquêtes ;

·         à mener les évaluations et les contrôles nécessaires au respect de la loi ;

·         et, le cas échéant et conformément à la loi nationale, à sanctionner ou à promouvoir la sanction de violations.

27.  Dans les Etats où les procureurs supervisent les enquêtes, ils devraient être investis de pouvoirs procéduraux larges de manière à s’assurer que l’enquête pénale est réalisée de manière efficace et conformément à la loi. En particulier, dans les Etats dans lesquels la loi nationale confère aux procureurs le pouvoir de superviser les enquêtes :

·         les procureurs devraient veiller à ce que les enquêteurs respectent les dispositions légales, y compris celles concernant la légalité de l’ouverture, de la suspension et de la clôture d’une affaire pénale. Ils devraient aussi prendre en compte les droits des personnes concernées par la procédure pénale, y compris les victimes et les parties défenderesses. Pour ce faire, les procureurs devraient veiller à être dûment informés de toutes les décisions importantes concernant les enquêtes à venir et déjà réalisées qu’ils peuvent suivre particulièrement lorsqu’elles impliquent la possibilité de restrictions importantes des droits et des libertés des participants dans la procédure pénale (par exemple, sur les conséquences de la constatation d’un crime, et les principaux événements de cette enquête) ;

·         les procureurs devraient avoir le pouvoir soit d’approuver l’adoption de telles décisions importantes par l’enquêteur, soit de les rejeter ;

·         les procureurs devraient également informer, le cas échéant, les participants à la procédure pénale de leur droit de recours devant un procureur de rang plus élevé ou un tribunal, afin que leurs droits et intérêts légaux soient dûment respectés ;

·         les procureurs devraient respecter la confidentialité de l’enquête. Ils ne devraient pas autoriser la divulgation d’informations confidentielles reçues d’enquêteurs ou de tiers, sauf si la divulgation de telles informations peut être nécessaire dans l’intérêt de la justice ou conformément à la loi ;

·         les procureurs devraient avoir la possibilité d’accéder librement et à tout moment à tous les éléments d’enquête dont disposent les enquêteurs afin de permettre une surveillance efficace et en temps voulu de l’enquête, si nécessaire, pour éviter la perte de preuves importantes, pour assurer la sécurité et l’accès au dossier des victimes (si la loi le permet), ou pour prévenir la possibilité pour les personnes qui devraient faire l’objet de poursuites d’échapper à la justice ;

·         les procureurs devraient superviser les enquêtes de façon régulière, notamment pour empêcher la détention illégale ou infondée de personnes ;

·         les procureurs devraient s’efforcer de protéger, conformément au droit international et national, toutes les personnes privées de liberté des traitements abusifs de la part de toute personne ou autorité, et ils devraient examiner avec attention les plaintes déposées dans ce cadre ;

·         les procureurs devraient disposer de compétences établies par la loi leur permettant non seulement d’évaluer la légalité des actions des enquêteurs et le respect de leurs instructions, mais aussi, autant que possible, de prévenir les violations de la loi par ces enquêteurs ;

·         en cas d’utilisation de méthodes illégales constituant une violation grave des droits de l’homme, les procureurs devraient avoir le droit de poursuivre pénalement ces enquêteurs, ou d’inviter les autorités compétentes à engager une procédure pénale ou disciplinaire à l’encontre de ces enquêteurs ;

·         les procureurs devraient avoir le droit de rendre visite à un suspect/prévenu en détention provisoire.

  1. Situations dans lesquelles la police est indépendante pour conduire les enquêtes

28.  Dans les Etats où la police ou les autres autorités d’enquête agissent de manière indépendante, les systèmes judiciaires devraient disposer de procédures de contrôle appropriées, permettant de garantir la légalité des enquêtes et de s’assurer que la police ou les autres autorités chargées de l’enquête ont agi avec professionnalisme, équité et célérité.

29.  Dans tous les cas, les procureurs devraient pouvoir prendre des mesures effectives pour promouvoir une coopération adaptée et fonctionnelle avec les autorités d’enquête.

III.      Le rôle des procureurs concernant le respect des droits de la défense lors des enquêtes et les techniques d'enquête

A.           Le respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense

30.  Selon la jurisprudence de la Cour[6], tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense. C’est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. De plus, l’Article 6(1) de la CEDH exige que, durant la phase du procès, les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge. Le droit à un procès équitable inclut le principe de l’égalité des armes et suppose également une procédure contradictoire. Il comprend le droit d’avoir accès, dans un délai raisonnable, à toutes les informations dont le procureur dispose. Cela implique que tous les éléments de preuve sont disponibles et une obligation, pour le procureur ou l’autorité chargée de l’enquête, de rechercher des preuves conduisant à la fois à la culpabilité et à l’innocence.

31.  Les procureurs, quel que soit leur rôle dans l’enquête, devraient faire en sorte que leurs actions respectent la loi et en particulier les principes suivants:

·         l’égalité devant la loi ;

·         l’impartialité et l’indépendance du procureur ;

·         le droit à un avocat ;

·         le droit de la défense de se voir communiquer l’ensemble des éléments pertinents ;

·         la présomption d’innocence ;

·         l’égalité des armes ;

·         l’indépendance du tribunal ; 

·         le droit d’un prévenu à un procès équitable.

32.  Le respect de la présomption d’innocence lie non seulement les tribunaux mais aussi toutes les    autres instances étatiques. Il appartient aux procureurs et aux services d’enquête de s’abstenir de toute déclaration ou attitude qui contribuerait à enfreindre ce principe.

 

33.  Le respect du principe de l’égalité des armes impose, dans le cadre d’une procédure pénale équitable, que la personne qui fait l’objet d’une enquête puisse présenter sa cause devant un tribunal dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse. Un juste équilibre devrait être trouvé entre les parties, permettant à chacune de discuter de tous les éléments de l’enquête.

34.  Le respect du principe du contradictoire en matière pénale implique de distinguer la phase d’enquête de la phase de jugement. Concernant la première phase d’instruction, le principe du contradictoire n’est pas absolu. Il s’agit plutôt d’une anticipation à celui-ci : elle consiste en la recherche de preuves permettant d’établir qu’il y a des raisons suffisantes pour procéder à une inculpation et, lors de cette phase, la procédure peut être confidentielle[7].

35.  Toutefois, l’Article 6(3)(a) de la CEDH énonce le droit de tout accusé d’être informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Le prévenu doit être informé précisément des charges que l’on entend porter contre lui, au moins à partir du moment où l’intéressé est interpellé. De plus, c’est également à partir de ce moment que court le délai raisonnable au sens de l’Article 6(1). Une personne qui est arrêtée, détenue ou privée de liberté devrait être immédiatement informée par écrit de ses droits. Une telle notification devrait être rédigée clairement, dans une langue que la personne peut comprendre. Cette notification devrait, entre autres, inclure des informations précisant ses droits :

·         d’être pleinement informée des charges portées contre elle ;

·         d’être pleinement informée des raisons de sa détention ;

·         d’avoir accès à, et de consulter de manière effective un avocat ;

·         à la traduction et/ou l’interprétation.

36.  L’obligation de chercher et préserver des preuves de culpabilité ou d'innocence devrait être interprétée de façon réaliste en fonction des faits propres à chaque affaire, et la pertinence de ces preuves devrait être évaluée.

37.  Les preuves permettant d’établir la culpabilité ou l’innocence devraient, dans la mesure où cela est nécessaire et faisable, être conservées, conformément au droit national, au moins jusqu’à la fin de la procédure. Le fait que la preuve ne soit pas utilisée lors des poursuites, ne justifie pas sa destruction, son indisponibilité ou la destruction des notes ou des archives la concernant. Lorsque la preuve peut raisonnablement permettre de ne pas justifier les poursuites, elle devrait être conservée.

38.  Si des éléments pertinents sont portés à la connaissance du procureur pour l’innocence d’un accusé et/ou pouvant être utiles pour la défense, il devrait divulguer ces éléments. S’il refuse de le faire ou ne peut le faire, cela pourra avoir comme conséquence un acquittement ou un abandon des poursuites.

39.  A tout moment, les procureurs devraient agir de manière professionnelle, conformément à la loi, aux règles et normes éthiques professionnelles, ainsi qu’au Code de Déontologie des Procureurs (les « Lignes directrices de Budapest »[8]). Ils devraient veiller à atteindre les normes les plus élevées en matière d’intégrité, tout en veillant à ce que leur conduite soit irréprochable.

  

B.        Les techniques spéciales d’enquête

 

40.  Les procureurs devraient adapter leur action à l’évolution rapide de la criminalité. Dans ce cadre, ils devraient utiliser les nouvelles techniques disponibles, pour autant qu’elles soient conformes à la loi, et tenir compte des besoins de spécialisation et de multidisciplinarité.

41.  Les procureurs devraient prendre en compte que l’utilisation de certaines techniques peut néanmoins conduire à des restrictions ou des contraintes concernant les droits des personnes : par exemple, l’utilisation d’informateurs, d’agents infiltrés, d’enregistrement de réunions, la surveillance et l’interception téléphonique, des messageries électroniques et des communications internet, l’utilisation de programmes informatiques intrusifs, de G.P.S. ou de scanners, etc.

42.  Dans les Etats membres dans lesquels les procureurs sont impliqués dans des enquêtes utilisant des techniques spéciales  particulièrement intrusives pour la vie privée, ils ne devraient recourir à ces mesures d’investigation que dans des cas graves, lorsqu’une infraction grave a été commise ou préparée, et uniquement si d’autres moyens d’enquête ne sont pas utilisables ou appropriés, et « dans la mesures où cela est nécessaire dans une société démocratique et considéré comme adéquat pour la conduite efficace d’enquêtes et de poursuites pénales » (Rec.(2005)10, paragraphe 2). Les procureurs devraient, dans ce cadre, respecter les principes de proportionnalité et d'impartialité, les droits fondamentaux des individus ainsi que la présomption d’innocence.

43.  Afin de parvenir à un juste équilibre dans l’utilisation de ces techniques, les Etats membres devraient :

·         prendre les mesures législatives appropriées pour permettre et définir les limites de la production de preuves par le biais de ces nouvelles techniques ;

·         prendre des mesures appropriées pour répondre aux exigences imposées par la CEDH et les principes émanant de la jurisprudence de la Cour (contrôle judiciaire, respect de la légalité, etc.) ;

·         dispenser des formations adéquates aux procureurs ou au personnel du ministère public afin de leur permettre d’utiliser efficacement les nouvelles techniques et de faciliter les enquêtes criminelles.

IV.    Mesures pour renforcer le rôle des procureurs dans l’enquête

  1. Coopération internationale

44.  Les procureurs devraient promouvoir la coopération internationale et la confiance mutuelle en matière de procédure pénale en prenant en compte la nécessité de respecter la souveraineté des Etats et le strict respect des dispositions pertinentes du droit international et national.

45.  Les Etats devraient promouvoir les contacts directs entre les procureurs des différents Etats membres ou des organisations internationales, dans le cadre des conventions et accords internationaux en vigueur, en vue notamment d’un partage d’expériences par le biais de réseaux spécialisés, de colloques ou d’ateliers.

46.  Les procureurs devraient prendre en compte les demandes internationales d’extradition et d’assistance judiciaire en matière pénale y compris le gel, la saisie et la confiscation dans le cadre de leurs compétences, en prêtant une attention égale à celle qu’ils prêteraient à leurs propres affaires ou à des affaires similaires à un niveau national.

47.  La coopération entre procureurs devrait être améliorée par l’utilisation, lorsque cela est possible, des nouvelles technologies de l’information, en particulier pour le transfert et l’exécution des demandes d’assistance judiciaire, ainsi que par une mise à niveau régulière de la qualité de leurs requêtes et de leur traduction dans d’autres langues.

48.  Il conviendrait de promouvoir une plus grande spécialisation des activités des procureurs en matière de coopération internationale, notamment en nommant des procureurs spécialisés pour accomplir ces tâches ou en établissant des structures appropriées pour traiter les dossiers de coopération internationale et susceptibles d’aider les procureurs.

49.  Une formation spécifique concernant les questions de coopération internationale est indispensable pour les procureurs et les autres participants à la procédure, afin de disposer des compétences nécessaires pour préparer les demandes d’extradition et d'entraide judiciaire, ainsi que pour prendre en compte et répondre aux demandes similaires provenant de pays tiers. Cette formation devrait inclure l’apprentissage de langues étrangères, ainsi qu’une mise à jour du droit international et comparé, afin de promouvoir et faciliter le dialogue entre les autorités judiciaires des différents pays.

50.  Lorsqu’un bureau du procureur est désigné autorité nationale centrale en charge de la coopération internationale en matière pénale, il devrait avoir le droit, dans le cadre de la législation interne, d’exécuter directement la requête provenant de l’étranger ou/et de la transférer à d’autres autorités compétentes en vue de son exécution, tout en préservant le droit de superviser son exécution.

51.  Dans ce contexte, il serait souhaitable de mettre en place des points de contacts dans chaque pays, permettant une communication directe, avec des réunions régulières entre les autorités compétentes de ces Etats afin d’échanger sur des questions d’intérêt commun. Ces points de contacts devraient bénéficier d’une grande expérience en matière de coopération internationale et devraient comprendre et parler des langues étrangères. La mise à disposition de « magistrats de liaison » pourrait être utile dans cette optique et devrait être encouragée.

B.   Relations avec les médias

52.  Les procureurs devraient être conscients de la nécessité d’entretenir une relation suivie avec les medias, en ligne avec la publicité et la transparence nécessaires de leurs travaux, en vue d’accroître la confiance du public, la diffusion des informations sur leurs fonctions et leurs compétences, et de  promouvoir ainsi une meilleure connaissance de leur profession[9]

53.  Les informations données par les procureurs aux médias devraient être claires, fiables et précises. Elles ne devraient pas mettre en danger l’intégrité et l’efficacité de l’enquête ou la sécurité personnelle des procureurs. Elles ne devraient pas se référer à des procureurs spécifiques, mais se référer à l’action du ministère public en général. Les procureurs devraient traiter les différents médias en évitant toute discrimination entre ceux-ci.

54.  Ces informations devraient également respecter la liberté d’expression, la protection des données, la confidentialité de l’enquête, la dignité, le principe de présomption d’innocence, les normes éthiques qui concernent les autres participants à la procédure, ainsi que les normes légales règlementant et limitant la divulgation d’informations spécifiques.

55.  Les procureurs peuvent aussi communiquer des informations au public, par l’intermédiaire des médias, en vue de promouvoir la prévention et/ou la poursuite d’infractions, ainsi qu‘une meilleure compréhension du fonctionnement des procédures pénales, tant au niveau national qu’international.

56.  Afin de mieux informer le public sur leurs activités dans des délais appropriés, les procureurs devraient faire usage des technologies de l’information, ce qui inclut la mise en place, la bonne gestion et la mise à jour régulière des sites web.

57.  Une formation spécifique à la relation avec les medias devrait être prévue, notamment pour faire face aux situations dans lesquelles les procureurs ont des contacts directs et réguliers avec les professionnels des medias, dans le but de fournir des informations précises et de qualité. Une telle formation pourrait être effectuée, si nécessaire, avec l’assistance d’experts et de journalistes.

  1. Formation

58.  Un haut niveau de qualification professionnelle des procureurs, particulièrement dans le cadre des enquêtes, est une condition nécessaire à un travail efficace des services du procureur et pour améliorer la confiance du public. C’est la raison pour laquelle les procureurs devraient être formés à ces aspects et bénéficier de formations initiales et continues concernant leur spécialisation.


Liste des recommandations

a.      Les Etats membres devraient définir clairement les droits et obligations des procureurs et des services d’enquête dans le cadre des enquêtes pénales.

b.      D'une manière générale, les procureurs devraient vérifier la légalité des enquêtes au plus tard lorsqu’ils décident d'engager ou de poursuivre l'action publique. A cet égard, ils devraient aussi contrôler la façon dont les enquêtes sont menées et si les droits de l’homme sont respectés.

c.      Pour accomplir cette tâche, les procureurs devraient disposer des moyens légaux, financiers et techniques pour vérifier la légalité des enquêtes et réagir à toute violation de la loi.

d.      Les enquêtes devraient toujours être menées de manière impartiale et prévoir une obligation pour les enquêteurs de rechercher et préserver les preuves pertinentes tant de la culpabilité que de l’innocence.

e.      Les procureurs devraient présenter au tribunal tous les éléments de preuve crédibles et disponibles ainsi que communiquer au prévenu toutes les preuves pertinentes.

f.       Les procureurs devraient respecter à tout moment les droits des prévenus, victimes, témoins ou des personnes impliquées dans la procédure.

g.      Les procureurs et les services d’enquête devraient collaborer entre eux et échanger toutes les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.

h.      Les procureurs et les services d’enquête devraient accomplir leurs tâches de la manière la plus efficace et rapide, particulièrement lorsque l’affaire concerne des personnes détenues, et respecter le principe de la proportionnalité dans l’utilisation des moyens de l’enquête.

i.       Les procureurs et les services d’enquête devraient disposer d’une formation appropriée tant concernant le droit applicable que les techniques d’enquête les plus modernes.

j.       Les procureurs et les services d’enquête devraient, de la manière la plus efficace possible, développer des relations internationales et promouvoir la coopération internationale.

k.      Les procureurs devraient chercher à développer la confiance du public en fournissant des informations au sujet de leurs fonctions et pouvoirs, contribuant ainsi à favoriser une meilleure connaissance de leur travail tout en respectant les droits et principes fondamentaux tels que la présomption d'innocence et le droit à un procès équitable.



[1] Voir les réponses des Etats membres au questionnaire sur le site web du CCPE (www.coe.int/ccpe) sous « Travaux préparatoires – Le rôle des procureurs dans le cadre d’une enquête pénale (2015) ».

[2] Pour ces Etats, la Recommandation confère au procureur la vérification de la légalité des enquêtes, la possibilité de donner des instructions aux services de police, le contrôle de leur exécution et le droit de sanctionner les éventuelles violations. Les Etats dans lesquels la police est indépendante du ministère public doivent prendre toutes les mesures pour s’assurer que le ministère public et la police coopèrent de manière appropriée et efficace.

[3] Il donne des indications sur les principes à respecter dans le cadre des enquêtes judiciaires menées par la police et stipule qu’il revient au ministère public ou au magistrat instructeur d’en assurer le respect.

[4] Le comité des droits de l'homme, le comité contre la torture, le comité sur les droits de l'enfant.

[5] Le Groupe de Visegrad est composé de la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie.

[6] Voir Messier contre France (CEDH, 30 juin 2011).

[7] Voir Salduz contre Turquie (CEDH, 27 novembre 2008). Salduz était condamné pour des faits de terrorisme sur la base de déclarations faites sans assistance d’un avocat lors du premier interrogatoire par la police. Selon la Cour, le droit dont disposent tous les suspects d’accès à un avocat est un des éléments fondamentaux d’un procès équitable.

[8] Lignes directrices européennes sur l'éthique et la conduite des membres du ministère public adoptées par la Conférence des Procureurs Généraux d’Europe en 2005 à Budapest, Hongrie.

[9] Voir l’Avis n° 3(2008) du CCPE sur le rôle du ministère public en dehors du système de la justice pénale, et l’Avis n° 8(2013) sur les relations entre procureurs et medias.