30ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe– 22 to 24 mars 2016

Autonomies et frontières dans une Europe en mutation

Notes d’allocutions pour Karl-Heinz LAMBERTZ (Belgium, SOC°)

Seul le prononcé fait foi

Autonomie et frontières dans une Europe en mutation

Principes, cadres et procédures pour protéger et modifier le statut, les compétences et les limites territoriales des entités infranationales dans le droit interne

Chers collègues,

Autonomie et frontières.  Deux petits mots qui peuvent paraître anodins, deux mots qui résument une grande partie de nos préoccupations en tant qu’élus territoriaux. Nos frontières nous définissent, elles nous encadrent, mais elles ne sont jamais aussi stables qu’on peut le croire …

Le présent rapport sur l’ « Autonomie et [les] frontières dans une Europe en mutation », a pour objet l’étude des Principes, cadres et procédures pour protéger et modifier le statut, les compétences et les limites territoriales des entités infranationales dans le droit interne.

L’équilibre entre les principes contradictoires de l’unité de l’Etat et de l’autonomie infranationale requiert une adaptation permanente.

Une adaptation radicale peut entraîner des changements concernant la répartition des compétences ou même le statut légal ou constitutionnel des entités infranationales.

Souvent, le désaccord et le conflit entre le gouvernement national et l’entité infranationale en sont la conséquence inévitable.

Comme certains d’entre vous le savent, ce rapport trouve son origine dans une initiative de notre collègue LAMMERSKITTEN qui avait écrit au bureau il y a tout juste un an pour nous sensibiliser à la question des importants programmes de réformes ayant pour objet la réorganisation de l’architecture territoriale de certains pays en Europe et la rationalisation de l’autonomie locale et régionale.

La Commission de la gouvernance a donc décidé de se saisir de cette question, derrière laquelle se cache le problème fondamental – voire même existentiel – de la naissance d’une région ou d’un Etat et de la tension qui existe entre le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe de l’intégrité territoriale des Etats.

Il est heureux que la présentation de rapport intervienne après l’adoption en octobre dernier du rapport de Mme MIALOT-MULLER sur l’évolution de la régionalisation dans les États membres du Conseil de l’Europe entre 2007 et 2015. Ce dernier constituait une très bonne introduction à la thématique puisqu’il abordait la situation de la régionalisation en Europe d’une manière générale et dessinait également le cadre dans lequel des situations plus conflictuelles avaient pu évoluer. Une étude complétant ce rapport vous sera d’ailleurs présentée tantôt par le Professeur MERLONI.

Et pour nous ici au Congrès, il s’agit également d’une excellente occasion de faire revivre un document qui nous a occupés – et frustrés – dans le passé : le projet de Charte de l’autonomie régionale qui a conduit au Cadre de référence pour la démocratie régionale. Celui-ci s’est avéré très utile pour l’étude que nous avons menée.

Venons-en à l’étude en question. Celle-ci a pour objectif d’identifier un certain nombre de problèmes particulièrement importants en cas de conflits au sujet de la configuration de la structure interne d’Etats. Nous avons décidé d‘approcher la thématique en comparant différents cas de figure concrets.

Selon une méthode comparative, le présent rapport examine ainsi les garanties et procédures existant le droit interne de quinze pays membres du Conseil de l’Europe en matière notamment de modification des constitutions infranationales, des compétences et des ressources financières des entités infranationales, des limites et des statuts territoriaux ainsi que les principes de prévention et de résolution des conflits.

Les pays étudiés ont été sélectionnés pour refléter au mieux la variété des modèles existant en Europe, du point de vue en particulier de la symétrie ou de l’asymétrie des dispositifs juridiques et des modes de résolution des désaccords. Nous pouvons regrouper ces quinze Etats en quatre catégories :

1.    des Etats fédéraux,

2.    des Etats ayant une régionalisation assez poussée

3.    des Etats qui ont des situations asymétriques très particulières pour des petites parties de leur territoire comme le Danemark avec les Îles Féroé ou la Finlande avec les Îles Åland ;

4.    enfin des Etats unitaires décentralisés plus classiques où des situations particulières existent également.

En analysant ces différentes situations, nous avons très vite pu constater que des différends et des tensions pouvaient apparaitre dans tous les cas de figure. Dans le même temps, dans ces mêmes cas de figues, des garanties et procédures existent pour permettre la coexistence d’entités ayant des relations conflictuelles, et l’évaluation comparative des droits internes de ces quinze pays nous a permis de recenser les bonnes pratiques.

Ce rapport contient également un message non pas juridique mais politique. Celui-ci est basé sur trois convictions.

-       En cas de conflits, il est toujours mieux de trouver une solution en droit interne que d’envisager la sécession – qu’elle soit volontaire, négociée ou forcée. Mais il est évident que parfois, une telle solution s’avère impossible à trouver. C’est pour cela que ce rapport aborde également la question de la sécession. 

-       La deuxième conviction profonde à dire que l’on doit toujours aborder ces processus dans un esprit de coopération et d’entente – même en cas de désaccord. C’est surtout en cas de conflits qu’il faut faire preuve de maturité, de capacité de négociation et de volonté de compromis.

-       La troisième conviction est évidente : le prérequis fondamental du non-recours à la force armée.

Chers collègues,

En travaillant sur ce rapport, j’en suis arrivé à plusieurs conclusions.

Le recours à de moyens non démocratiques pour redessiner les limites territoriales et modifier l’organisation territoriale des Etats membres au mépris des standards internationaux doit être pour nous une réelle source d’inquiétudes.

Lorsque des tensions apparaissent, lorsqu’une réorganisation territoriale s’avère nécessaire, le respect de la règle de droit et des partenaires en présence doit toujours prévaloir.

Par ailleurs, les parties en présence doivent s’efforcer faire preuve d’une attitude favorable à la recherche du compromis. Les relations entre les collectivités régionales et le pouvoir central doivent reposer sur les principes de loyauté mutuelle, dans le respect de l’unité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Etat.

Dans notre projet de résolution nous appelons ainsi les autorités locales et régionales des Etats membres à privilégier les modes de règlement judiciaires afin de faire respecter les principes de l’autonomie régionale lorsqu’elle est consacrée dans le droit interne ; ainsi qu’à développer et améliorer, en matière de prévention et de règlement des conflits, des procédures de dialogue efficace et transparent avec les autorités centrales.

Compte tenu des importants enjeux soulevés par les questions de modification des statuts, des compétences et des limites territoriales des entités régionales en droit interne, nous invitons la Commission de la gouvernance à développer et approfondir ses travaux en la matière, et à organiser, au cours de l’année 2017, une conférence internationale de haut niveau sur le thème « Autonomies et frontières dans une Europe en mutation ».

Nous nous adressons également aux Etats membres du Conseil de l’Europe et les appelons à continuer de réaffirmer et de promouvoir les solutions pacifiques et constitutionnelles aux litiges relatifs aux territoires.  

Nous les invitons à veiller à ce que toutes les modifications des compétences et des ressources financières des entités infranationales soient introduites suivant des procédures et garanties préétablies.

Enfin, afin d’assurer la plus grande légitimité aux solutions envisagées, il leur revient de garantir que la consultation de toutes les populations concernées et que les procédures de dialogue soient pleinement mises en œuvre.

Chers collègues,

C’est à la lumière de ces conclusions que je vous demande aujourd’hui d’adopter ces projets de résolution et de recommandation.

Je vous remercie pour votre attention.