30ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe– 22 to 24 mars 2016

Relever le défi de la création des sociétés interculturelles au niveau local

Intervention de Charles Saint-Prot, Directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques, Paris

Seul le prononcé fait foi

Je vais évoquer une problématique qui me semble particulièrement importante : celle de la question de la  diversité, notamment religieuse, et la coexistence dans les sociétés européennes.

Il s’agit toutsimplement du vivre-ensemble – expression moins pompeuse et plus réaliste que celle, plus vague, de dialogue. 

Cette question nous renvoie à la question de la religion : sa connaissance, son rôle dans la société et sa capacité à faire dialoguer des personnes de cultures différentes.

Les sociétés européennes ont été confrontées au défi de l’intégration de populations venues de pays dont les cultures sont différentes.

Aujourd’hui, la crise économique et sociale a gagné un bon nombre des pays européens. Nous voyons les débats qui les agitent. Les conséquences les plus alarmantes sont les stéréotypes et la stigmatisation.

En tout cas, les problèmes tournent autour de notions comme le communautarisme, l’intégration, la cohabitation interculturelle.

Le plus souvent, c’est la question religieuse qui est soulevée. C’est-à-dire, pour être précis, la place de l’Islam dans les nations européennes.

Ici, nous sommes au cœur du débat. Celui-ci concerne à la fois la gestion de la diversité et le rapport entre religion  et société.

La diversité existe ; elle a toujours existé dans le monde européen. L’Europe n’est évidemment pas une nation, elle n’est pas une entité uniforme ; c’est un ensemble de peuples, de nations et de civilisations.

L’héritage religieux fait partie du socle de l’identité nationale de chaque pays. Il serait vain de le nier mais cela ne signifie pas qu’il ne faut pas accepter la diversité et respecter les autres croyances.

Le respect doit être réciproque. Chacun doit se garder de toute exagération.

Soyons clairs, c’est l’exagération qui est le principal obstacle à une bonne coexistence, et l’exagération est  souvent nourrie par l’ignorance.

C’est ici le point le plus important. Ce qui nuit à la bonne coexistence c’est principalement l’ignorance. Celle-ci crée les clichés, les fausses idées que les uns se font des autres, les replis sectaires, en bref tout ce qui fait obstacle à une vie commune harmonieuse.

Qu’il soit permis d’ajouter que ce qui est en cause c’est non seulement l’ignorance de l’autre, mais aussi l’ignorance de  sa propre religion parfois pratiquée par routine, selon des habitudes folkloriques ou en suivant des préceptes erronés.

La priorité devrait consister à favoriser la connaissance du fait religieux. Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme mais d’instruire les citoyens, notamment les jeunes, sur les grandes religions.

 Pourquoi ? Pour la simple raison qu’à force de ne pas vouloir parler de religion, au nom d’une laïcité bornée et rigide, on a laissé le champ libre aux charlatans.

Sans l’instrumentalisation de la religion par des extrémistes, le phénomène de radicalisation n’aurait pas pris d’ampleur. Il est donc indispensable de déconstruire le discours politico-religieux des extrémistes.

Ce qui est en cause, c’est d’abord la formation des imams. C’est eux qui encadrent les croyants. Pour cela ils doivent être bien formés.

Il faut combattre la radicalisation déviante par l’Islam et au nom de l’Islam.

Pour cela il faut des références.

Je pense qu’il faut prendre l’exemple du Maroc. La maitrise du champ religieux par le Roi Mohammed VI, place le Maroc en pointe dans la lutte contre la déviance extrémiste. L’institut Mohammed VI destiné à la formation des imams est un modèle aussi bien pour les pays africains que pour  les pays européens. Il faut s’en inspirer.

Donc une première exigence : faire progresser la connaissance pour faire reculer les mauvaises interprétations.

À partir de là, il conviendrait de découvrir les valeurs communes, plutôt que de toujours insister sur ce qui oppose.

Nous touchons maintenant un point qui est fondamental : le vivre ensemble.

L’intégration à une société ce n’est pas seulement parler sa langue,  respecter ses lois, se conformer aux règles sociales et ne souffrir d’aucune discrimination. Cela c’est le moindre qu’on puisse exiger de toute personne vivant dans une société.

Il ne s’agit pas de vivre côte à côte en voisinant comme les manchots sur la banquise. Une société humaine n'est pas une sorte d’association volontaire, née d’on ne sait quel « contrat » ; ce n’est la cacophonie d’intérêts communautaires antagonistes; ce n’est pas un assemblage de groupes retranchés dans de pseudo-identités de substitution, s'excluant les uns les autres.

Le respect des croyances de chacun, celui des diversités, ne signifie pas d'additionner des particularismes mais plutôt de rechercher les valeurs partagées.

Il s’agit donc de concevoir les hommes comme appartenant d’abord à une nation et non à des groupes particuliers, à des tribus coexistant tant bien que mal.

C’est la nation qui constitue le plus efficace des cercles d’appartenance, celui qui prime tous les autres parce qu’il permet de donner la conviction d’une unité de destin pour faire quelque chose ensemble.

En effet, une nation c’est beaucoup plus que le seul vouloir vivre ensemble, c’est surtout une vision commune, c’est vouloir faire des choses ensemble.

Cela suppose deux choses : d’une part, un projet de société précis ; d’autres part, des principes partagés, des valeurs communes.

Aujourd’hui, certains jeunes issus de l’immigration ne se retrouvent pas dans une volonté de s’intégrer à la société et peuvent être tentés par une radicalisation plus ou moins dangereuse. Il faut se demander pourquoi. 

Des idéologies mortifères ont conduit à la perte du sentiment d’appartenance à une collectivité nationale. Même si cela ne fait pas plaisir à certains, il faut avoir la lucidité de remonter aux causes idéologiques de la crise : une certaine vision sociétale, héritée de la pensée 68, a créé une doxa dévastatrice à l’encontre des valeurs traditionnelles de la société.

La panne de l’intégration provient peut être du fait qu’on ne peut s’intégrer qu’à une société solide et porteuse de valeurs.

Pourquoi des gens adhèrent-ils au discours des extrémistes ? Parce qu’ils ne se retrouvent pas dans un système de valeurs crédible. Les prédicateurs extrémistes vont au-devant de jeunes en mal de repères et leur apportent des réponses, certes simplistes, sur leur identité.

Par ailleurs, l’exaltation imprudente des particularismes, donc du communautarisme,  a conduit à ne pas porter l’accent sur les valeurs partagées.

Désormais, alors que la morale commune a été remplacée par des bricolages individuels ou limités à des groupes, il est temps de retrouver des principes directeurs qui puissent rapprocher les hommes.

Par-dessus tout, il faut retrouver la notion de bien commun qui s’oppose aux  intérêts particuliers.

Là encore, il convient de souligner que vivre ensemble ne se limite pas à l’accès à des biens matériels et à des prestations sociales garanties par l’État.

Ce qui doit primer c’est l’adhésion à une même idée du bien commun,  un bien commun qui ne peut être réduit à la somme d’intérêts particuliers ou à des conceptions utilitaires.

Sur ce point les religions devraient rapprocher et non séparer les citoyens. Plutôt que de répéter le mot dialogue comme une incantation, il faut prendre conscience des valeurs communes des grandes religions. Il faut les enseigner. À commencer par un point essentiel qui est la conception du bien commun, telle qu’elle a été clairement exposée aussi bien par l’Islam (la maslaha) que par le christianisme, on pense naturellement à Thomas d’Aquin.

La prise en compte du bien commun est ce qui peut rassembler les citoyens et les conduire à vouloir  faire de grandes choses ensembles.

Voilà le grand défi qu’il faut relever.

L’avenir inquiète de plus en plus les citoyens des nations européennes, en particulier la jeunesse. À la déstabilisation des équilibres écologiques et économiques s’ajoute  celle de la sociabilité.

Par conséquent, le renforcement du vivre ensemble s’impose pour lutter contre la vulnérabilité dans ses différentes dimensions.

En conclusion, ce qu’il faut reconstruire c’est une certaine idée de la citoyenneté. C’est la condition pour que les citoyens des nations européennes puissent, au-delà de leurs diversités,  se réunir afin de construire un avenir commun.