28ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe – 24-26 mars 2015

Calais, Lampedusa, Siirt : les villes européennes face aux flux migratoires

Plusieurs villes européennes font face à un flux de migration sans précédent, en raison notamment des conflits et de situations d’instabilité politique et d’insécurité au Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne. Ce flux a une incidence particulière au niveau local car les villes sont en première ligne pour accueillir ces nouveaux migrants et réfugiés et sont confrontées à d’énormes difficultés pour assurer les services de base comme les services de santé, l’éducation ou la gestion des déchets. Partant de cette réalité le Congrès a organisé, le 24 mars, un débat intitulé “les collectivités locales et régionales face aux flux de migration” avec les maires des villes de Calais (France), Lampedusa (Italie) et Siirt (Turquie), particulièrement touchées par ces flux migratoires.

Tuncer Bakirhan, Co-Maire de la municipalité de Siirt et Co-Président de l’Union des municipalités de la région d’Anatolie du Sud-Est en Turquie, a rappelé que la région où se trouve sa ville est un « espace de chaos et d’instabilité». Cette instabilité, a-t-il indiqué, « s’est aggravée avec la Première Guerre du Golfe, et avec ce que l’on appelle « le Printemps arabe », qui est en fait devenu l’hiver noir de la région, elle s’est transformée en une tragédie humaine ». M. Bakirhan a rappelé que sa ville et sa région ont dû faire face, en 2014, à des flux successifs de réfugiés. La région d’Anatolie du Sud-Est a dû d’abord accueillir environ 30 000 membres de la minorité Yézidi du nord de l’Irak échappant aux attaques des djihadistes de Daech. La ville de Siirt elle-même a créé un camp de réfugié pour 1 200 Yézidis. La région a ensuite dû faire face à un flux de milliers de réfugiés kurdes de la ville de Kobané au nord de la Syrie en raison toujours des attaques de Daech. « Aucune des villes de la région n’était préparée à accueillir un tel flux de réfugiés », a ajouté le co-maire de Siirt.

D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OMI), en 2014, 3 279 migrants ont péri en mer en tentant de traverser la Méditerranée en direction de l’Europe. Entre 2000 et 2013, 23 258 personnes seraient mortes ou disparues en tentant de gagner l’Europe, a révélé une équipe de journalistes spécialisés dans une enquête publiée sur le site internet The Migrants Files. Au lendemain du “Printemps arabe” les flux de migration se sont intensifiés, touchant surtout la région euro-méditerranéenne. Les conflits en Libye et en Syrie ont également provoqué des déplacements en masse de personnes.

La petite île italienne de Lampedusa est devenue, ces dernières années, le symbole de cette tragédie. A l’automne 2013, 366 personnes avaient perdu la vie lors d’un naufrage au large de cette île méditerranéenne qui se trouve à 355 km des côtes libyennes et à seulement 167 km de celles de la Tunisie. Dans son intervention devant le Congrès, Giuseppina Maria Nicolini, Maire de Lampedusa, a tiré la sonnette d’alarme et rappelé la situation « très particulière » de son île qui accueille non pas des migrants, mais des naufragés. « Chaque année, on prédit une invasion plus massive. Cela suscite des angoisses, des peurs. Les gens qui sont chez nous ont envie de fuir. Ils se demandent qui se trouve dans ces camps de réfugiés. Rien ne changera si nous ne changeons pas notre façon de faire » a-t-elle dit, ajoutant que « l’Europe doit, dès que possible, se doter d’une politique commune de droit d’asile ».

Pour le cardinal Francesco Montenegro, Archevêque d’Agrigente, Représentant du Saint-Siège, « Lampedusa pour ceux qui arrivent du nord de l’Afrique, c’est le début d’un monde meilleur. Malheureusement le rêve d’un monde meilleur se transforme souvent en tragédie ». Le cardinal a évoqué une « situation explosive pour 2014 » en précisant que « sur les côtes et dans les ports de l’Italie, on a vu arriver 170 000 personnes, trois fois plus qu’en 2012 et 2013 ». “L’Europe qui repense ses politiques migratoires doit gérer ses frontières de la Méditerrannée en respectant les droits de l’homme de ceux qui la traversent” selon le cardinal.

Plus au nord del’Europe, la ville de Calais en France est un autre symbole des récents flux de migration. Pour Natacha Bouchart, Maire de Calais, « l’Europe est dans le monde d’aujourd’hui comme un îlot de prospérité, même si cette prospérité est relative, face à un monde instable aussi bien aux plans économique que politique ». « La situation de ma ville est devenue préoccupante dès le début des années 2000 » a-t-elle indiqué. « La manière dont a été pensée la gestion de nos frontières, à la fin du XXème siècle, ne répond plus au contexte dans lequel nous nous trouvons… Calais est tout simplement devenu le point de sortie de toute l’Europe, pour des migrants désireux de rejoindre le monde anglo-saxon. A Calais, nous tentons d’apporter des réponses à la fois humaines et fermes». La maire de Calais a également mis en question l’Espace Schengen et les accords du Touquet qui en ont découlé : « En raison de ces accords, notre ville est devenue un poste frontière de l’Angleterre en sol français ». Elle a aussi proposé « un financement européen de lieux d’accueil aussi bien que de dispositifs de sécurisation, dans les points géographiquement exposés ».

Encore plus au nord, en Allemagne, la question des migrations se pose différemment. « Les migrants n’étaient pas, pour l’Allemagne, un phénomène nouveau, et les migrants ont rendu notre pays plus fort » reconnaît Thorsten Klute, Secrétaire d’Etat, Ministère du Travail, de l’intégration et des Affaires sociales de Rhénanie du Nord Westphalie. « Aujourd’hui un quart des Allemands ont, directement ou indirectement, un profil de migrant » a-t-il ajouté en rappelant que le pays avait accueilli, en 2013 et 2014, beaucoup plus d’étrangers que les années précédentes.

D’après l’Organisation internationale du travail (OIT) deux cent trente-deux millions de migrants vivaient à l’étranger en 2013, et leur nombre a augmenté de 57 millions depuis 2000. L’OIT estime que « les migrations s’intensifieront probablement dans un avenir prévisible ».

Interviews :

http://bit.ly/1Hxm1Kw : (ITA) Giuseppina Nicolini, Il sindaco di Lampedusa, Italia: si discute la migrazione irregolare nel Mediterraneo e l'esperienza di Lampedusa. (24/03/15)

http://bit.ly/1GOZk4i : (ITA) Cardinale Montenegro, l'arcivescovo di Agrigento, si discute la migrazione irregolare nel Mediterraneo e la necessità di trovare un nuovo modo di gestire il fenomeno in Europa. (24/03/15)

http://t.co/12IHad69x9 : (FRA) Natacha Bouchart, Maire de Calais, parle de l'expérience de Calais en matière d'immigration irrégulière et de l’urgence d’une politique cohérente au niveau de l'Europe. (24/03/15)