28e Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe – 24-26 mars 2015

Le Congrès débat de la décentralisation au Royaume-Uni

Dix-sept années après son ouverture, le débat sur la décentralisation du Royaume-Uni est arrivé à Strasbourg. Pendant près de deux heures, les membres du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ont débattu de la situation actuelle en matière de décentralisation des compétences au Royaume-Uni. Où en est la décentralisation, où est-elle déjà effective et où va-t-elle prochainement modifier le paysage que les responsables politiques et les citoyens ont connu jusqu’à présent ? Après plus d’une décennie, la décentralisation du Royaume-Uni reste un débat ouvert, comme l’atteste le débat du Congrès

En vue de remporter les élections législatives britanniques de 1997, le futur Premier ministre travailliste Tony Blair (natif d’Ecosse) promit de transférer certaines des compétences de Londres aux diverses nations du Royaume-Uni. Un an plus tard, la décentralisation débuta en Ecosse, et suivit peu après en Irlande du Nord et au pays de Galles ; le mouvement s’étend désormais à de nombreuses régions d’Angleterre. Le Parlement écossais d’Edimbourg, créé en mai 1999, est vu aujourd’hui comme un modèle de la décentralisation britannique. Il apporte chaque jour la preuve qu’un parlement régional pleinement opérationnel peut œuvrer dans un contexte où le pouvoir politique reste encore très centralisé; la preuve aussi de ce qu’un tel parlement peut accomplir et du lien qu’il peut recréer entre les citoyens et la politique. En seize années d’existence, le Parlement a créé une nouvelle façon d’être écossais, nourri une nouvelle réflexion spécifique et contribué à l’éclosion d’une identité écossaise moderne. L’aboutissement de ce parcours a été le référendum de septembre 2014 sur l’indépendance de l’Ecosse. Même si les partisans de l’indépendance n’y ont pas eu gain de cause et si l’Ecosse a décidé de rester au sein du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le référendum a changé le paysage politique britannique. Il a déclenché un débat bien plus vaste sur la décentralisation, qui a contraint le parlement et le gouvernement du Royaume-Uni à repenser la décentralisation dans son ensemble et à réfléchir à ce qu’elle signifierait à l’avenir pour l’Ecosse, le pays de Galles, l’Irlande du Nord et finalement pour les régions d’Angleterre.

Le débat organisé par le Congrès sur « Le Royaume-Uni : perspectives de dévolution » a illustré clairement l’état actuel de la décentralisation, sous le Gouvernement de coalition britannique entre les conservateurs et les démocrates libéraux. Après avoir promis à l’Ecosse et au Parlement écossais / Gouvernement écossais l’octroi de nombreuses nouvelles compétences, par exemple en matière de levée d’impôts, en guise de remerciements pour ne pas avoir quitté le Royaume-Uni, le Sous-secrétaire d’Etat au ministère des Collectivités et de l’Administration locale, Lord AHMAD OF WIMBLEDON, a indiqué clairement dans son allocution au Congrès ce que les régions d’Angleterre dites « à compétences » peuvent attendre, pour commencer. L’initiative britannique « Northern Powerhouse » pour l’Angleterre du Nord comprendra la création d’un Conseil du Grand Manchester, l’élection du maire au suffrage direct et une influence accrue par exemple concernant la police et le Service national de santé dans la région. Davantage de revenus seront levés à Manchester, plutôt que d’être transférés de Londres, par exemple pour soutenir les initiatives locales en matière de logement. La décentralisation pour le Grand Sheffield suivra peu de temps après. Le débat sur le référendum écossais a favorisé la décentralisation dans les régions d’Angleterre, alors que Londres dispose déjà d’une Assemblée du Grand Londres et d’un maire élu au suffrage direct. L’objectif du Gouvernement britannique actuel, tel que l’a formulé Lord AHMAD OF WIMBLEDON, est que les populations locales décident du visage à donner à la décentralisation sur leur territoire.

Parallèlement à cette évolution en Angleterre, l’Assemblée galloise, à Cardiff, se verra confier des compétences supplémentaires en matière de transport et d’énergie, tandis que l’Irlande du Nord obtiendra par exemple des compétences plus étendues concernant l’impôt sur les entreprises. En Ecosse, le débat sur l’« extension des compétences » semble ne jamais devoir s’arrêter. La Commission Smith, dirigée par l’homme d’affaires écossais Lord Smith of Kelvin et créée après le référendum afin de réunir tous les partis d’Ecosse à la même table pour débattre des compétences futures de l’Ecosse, a rendu son rapport final. Entre autres points, il semble que l’Ecosse pourrait renforcer ses compétences concernant la manière dont elle dépense les dotations reçues de Londres – le budget annuel de l’Ecosse s’élève à environ 30 milliards de livres – mais aussi à l’avenir concernant la levée de leur propre impôt sur les revenus et bénéfices. Lord WALLACE OF TANKERNESS, membre du Conseil privé et conseiller de la Reine, Avocat général pour l’Ecosse, ancien membre du Gouvernement écossais parlant maintenant au nom du Gouvernement britannique, l’a résumé dans son allocution au Congrès : « Le Parlement écossais sera l’un des plus puissants d’Europe ! ».

Dans sa réponse, Christina McKelvie, élue du Parti national écossais au Parlement écossais d’Edimbourg et présidente de la commission parlementaire sur les relations européennes et extérieures, a totalement réfuté cette affirmation. Elle considère que les « nouvelles compétences Smith » de l’Ecosse sont très largement insuffisantes et qu’elles ne constituent qu’une faible avancée vers l’indépendance. Celle-ci reste le principal objectif du Parti national écossais. Tant qu’il ne sera pas possible de l’atteindre au sein de la « famille des nations » du Royaume-Uni, Edimbourg ne cessera jamais de réclamer toutes les compétences qui contribueront à rendre l’Ecosse plus ou moins indépendante !

Tous les sondages actuels pour les élections législatives de mai prochain au Royaume-Uni vont dans le sens de Christina McKelvie. Aucun futur gouvernement britannique, qu’il soit travailliste ou conservateur, ne pourra gouverner sans le soutien du Parti national écossais. Les sondages prédisent que le parti défait au référendum de septembre 2014 pourrait remporter jusqu’à 50 des 56 sièges écossais au Parlement de Westminster. Un tel résultat donnerait au Parti national écossais un rôle d’arbitre au Parlement, que le  gouvernement soit de coalition ou même minoritaire.

Le débat en cours actuellement sur le transfert de compétences supplémentaires au Parlement et au Gouvernement écossais a déclenché un débat similaire en Angleterre. David Sparks, Président de l’Association des pouvoirs locaux d’Angleterre et du pays de Galles, et membre du Conseil du district métropolitain de Dudley, a aussi appelé dans sa déclaration à ce que des compétences soient décentralisées de Londres vers les régions et les comtés d’Angleterre. « Les comtés d’Angleterre ont un besoin urgent de fonds pour leur financement et de dirigeants pour animer le débat sur la décentralisation », a-t-il déclaré pour décrire l’état actuel de ce débat en Angleterre. Comme l’exemple de l’Ecosse l’a déjà montré, l’Angleterre doit maintenant faire l’objet, dans ses termes, d’une « double décentralisation » : des compétences devraient dans un premier temps être transférées de Londres aux comtés anglais et, dans un deuxième temps, au niveau local. « Sept personnes sur dix en Angleterre font davantage confiance à leur conseil local qu’au Gouvernement britannique », a-t-il indiqué. « Les célébrations actuelles des 800 ans de la Magna Carta, fondement constitutionnel de l’Angleterre, seraient une bonne occasion d’intensifier le débat en Angleterre sur ce que pourraient et devraient être les nouvelles compétences des régions et des comtés d’Angleterre ».