28ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe – 24-26 mars 2015

Le combat contre la radicalisation passe par l’éducation

Lors d’un débat d’urgence tenu le 25 mars 2015, le Congrès a recherché les moyens de détecter et de prévenir la radicalisation soudaine de jeunes qui se rallient à des mouvements extrémistes. Il lancera prochainement plusieurs initiatives soulignant la valeur ajoutée constituée par les villes et les régions en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, dans le respect des droits fondamentaux de tous les citoyens.

Gunn Marit Helgesen (Norvège, PPE/CCE) a présenté la résolution et la recommandation préparées par Leen Verbeek (Pays-Bas, SOC) au nom du Bureau du Congrès sur le rôle des collectivités locales et régionales pour « combattre la radicalisation au plus près de citoyens ». Le Congrès, qui a adopté ces textes à l’unanimité, s’ engage à élaborer, d’ici le mois d’octobre 2015, des lignes directrices pour prévenir la radicalisation et le discours de haine à l’échelon local, et à créer des outils pédagogiques pour aider les élus territoriaux à organiser des activités interculturelles et interreligieuses, tout en renforçant leur propre formation aux droits de l’homme.

Former les cadres religieux aux droits de l’homme

Destiné à donner des pistes d’action concrètes aux élus locaux et régionaux, le débat s’est ouvert sur l’intervention du Pr Hugh Starkey, professeur de citoyenneté et d’éducation aux droits de l’homme, au sein du Collège Universitaire de Londres. Il a rappelé l’importance et les compétences de l’école pour enseigner la résolution des conflits sans violence et promouvoir une culture des droits de l’homme capable de faire barrage à l’antisémitisme, au racisme et à l’islamophobie. Enseignant chercheur à l’institut européen en Sciences des Religions de l’Ecole Pratique des  Hautes Etudes de Paris, Philippe Gaudin a rappelé le paradoxe des crispations identitaires dans des sociétés de plus en plus « mondialisées », avant de préciser des notions comme l’antisémitisme ou l’islamophobie, soulignant que l’on peut critiquer le judaïsme ou l’islam sans verser pour autant dans le discours de haine. Plaidant  pour la formation des cadres religieux aux droits de l’homme, il voit dans l’éducation le meilleur rempart au terrorisme, surtout face aux manipulations des extrémistes : « Les vidéos de propagande de Daech sont tellement t bien faites que, si j’avais 17 ans, je risquerais de me laisser attirer par elles », a-t-il alerté.

Comment déconstruire les processus d’endoctrinement ?

Maire de Vilvorde (Belgique), non loin de Bruxelles, Hans Bonte a vu partir plusieurs jeunes de sa commune pour faire le « Jihad » en Syrie : après avoir organisé des rencontres avec des jeunes de sa ville, il s’est penché sur les processus de radicalisation qui poussent certain d’entre eux à sacrifier leur avenir et parfois leur vie pour une telle cause. « Ils sont d’abord endoctrinés, ce qui passe par une conversion à l’islam et une rupture avec tous leurs proches. Ensuite, on leur explique qu’ils sont la personne idéale pour jouer le rôle héroïque que l’on attend d’eux ». Ces jeunes gens, en situation de faiblesse, se sentent alors « choisis » pour une mission qu’ils croient d’autant plus glorieuse qu’elle se situe dans un contexte fortement médiatisé, poursuit-il.

Il existe, heureusement, des techniques de « déconstruction » du discours des islamistes radicaux, comme l’explique Moussa Al-Hassan Diaw, expert en extrémisme et en dé radicalisation au Collège Universitaire d’Education de Linz (Autriche). Le discours islamiste fonctionne autour d’un certain nombre de stéréotypes, avec quatre ennemis désignés, les Etats-Unis, Israël, les Juifs et l’Occident. On peut apprendre à vider le discours extrémiste de son sens et à montrer ce qui se cache derrière mais le problème est d’intervenir au bon moment : s’interposer trop tôt peut susciter le rejet. De plus, l’endoctrinement touche surtout des gens marginalisés dans la société, aussi bien d’ailleurs d’origine étrangère qu’autochtone : « l’été dernier, des jeunes Autrichiens de 13 et 14 ans ont tenté de rejoindre le Moyen-Orient », rappelle-t-il, car ils avaient l’impression que ces idéologies allaient « donner du sens » à leur vie. Pour lui, il est toutefois particulièrement urgent d’intervenir non seulement dans les écoles, mais aussi dans les casernes, les établissements pénitentiaires et les camps de réfugiés. Son institut universitaire participe à de nombreuses formations, dans les écoles, pour contrer les discours de haine et promouvoir le dialogue interculturel.

La radicalisation, ce n’est pas seulement l’islamisme

Une vingtaine d’orateurs se sont succédés lors des échanges avec les intervenants, dans le cadre d’un débat intense. Lelia Hunziker (Suisse, SOC) a rappelé que les migrants restent trop souvent catalogués comme « étrangers » et mis à la marge, ce qui nuit à la cohésion sociale, tandis que Tracey Simpson-Laing (Royaume-Uni, SOC) s’est inquiétée d’une autre forme de radicalisation et d’intolérance, illustrée par l’inquiétante montée de l’extrême droite violente au Royaume-Uni. Roland Schäfer (Allemagne, SOC) a plaidé pour la mobilisation des pouvoirs locaux pour le dialogue interculturel et interreligieux, « sans lesquels il n’y aura pas de stabilité en Europe ». Harald Bergmann (Pays-Bas, GILD) a relevé « l’importance de la culture » pour instaurer  le dialogue et la tolérance, comme essaient de le faire les communes de son pays.

Gaye Doganoglu (Turquie, PPE/CCE) a souligné le danger d’un amalgame entre les terroristes et « les millions de musulmans pacifiques pour qui la religion signifie la paix et la fraternité ». Enfin, Lars O. Molin (Suède, PPE/CCE), est intervenu sur le thème de la liberté d’expression, et a déploré l’annulation, suite aux attentats de Paris, d’un festival de la caricature qui devait se tenir en Normandie  peu après : « tout élu local doit certes  protéger ses concitoyens, mais doit aussi garantir le droit aux débats et la liberté d’expression », a-t-il conclu.

Les jeunes délégués du Congrès, qui ont participé au débat, ont rappelé leur volonté de vivre dans une société ouverte et tolérante, qui doit respecter les valeurs de tous. Pour eux, il faut être conscient qu’il n’y a pas qu’un seul extrémisme, mais un climat violent qu’il faut combattre par le dialogue et la lutte contre la marginalisation. Ils rappellent que « la liberté totale peut générer l’anarchie, et fixer par le respect des limites au discours, tout en rejetant la haine et la violence ».

Interview:

Vidéos du débat:

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