24ème Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (19-21 mars 2013)

Table ronde sur: “Régionalisation et décentralisation en Europe dans un contexte de crise économique” – 20 mars 2013

Françoise Dupuis, Présidente du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Présidente de la CALRE

Embargo jusqu'à l'intervention - la version prononcée fait foi

L'invitation qui m'a été adressée évoquait les thèmes de :

      l'impact de la crise sur le processus de régionalisation,

      du rôle des régions pour trouver des réponses à la récession et l'exclusion sociale,

      et enfin des liens possibles entre la crise et les tendances de «nationalisme régional ».

Je vais tenter d'aborder chacun de ces sujets.

A titre préliminaire, permettez-moi de vous présenter en quelques mots la Conférence des Assemblées Législatives Régionales Européennes (dite

CALRE), dont je suis actuellement présidente, et que j'ai le plaisir de représenter dans ce débat.

Créée en 1997 à Oviedo, la CALRE réunit 74 présidents d'assemblées législatives régionales européennes: les parlements des communautés espagnoles, les régions italiennes, les états fédéraux allemands et autrichiens, les régions portugaises des Açores et de Madère, l’Écosse et l’Irlande du Nord au Royaume Uni, les Communautés et Régions de Belgique et bien d'autres...

La plus petite de ces régions (en population) est l'archipel finlandais d'Aaland, qui compte 28.000 habitants. La plus grande est le Land allemand de Rhénanie-du-Nord – Westphalie, peuplé de 17.000.000 d'habitants.

Les assemblées régionales membres de la CALRE ont la spécificité de disposer d'un pouvoir législatif propre dans de nombreuses matières et les place en pointe des processus de décentralisations.

La CALRE a pour ambition de contribuer à la participation démocratique à l'Union européenne, ainsi, bien sûr, que de renforcer les relations entre les assemblées régionales. Elle soutient les projets de coopération transfrontalière de ses membres. Six groupes de travail sont actuellement en activité en son sein, dont le moindre n'est pas celui dédié à la fiscalité régionale. Le programme de travail comprend notamment l'étude des effets des mesures « anti-crises » nationales sur les budgets des autorités locales ainsi que des meilleures pratiques en termes de fédéralisme fiscal.

Nos régions sont directement concernées par la crise financière et économique qui a commencé à frapper l'Europe à partir de 2008. En effet, les finances publiques régionales sont trop souvent prises en tenaille entre des besoins sociaux plus importants auxquelles elles devraient répondre et des recettes fiscales restreintes par la crise. Enfin, elle sont également contraintes par les normes européennes de déficit qui limitent leur possibilité de prendre part à des politiques anti-cycliques.

Ce contexte financier difficile ne manque pas de générer des tensions entre entités fédérales et fédérées sur base budgétaire, et également des tensions entre différentes entités fédérées pour la répartition des ressources fiscales.

Les régions peuvent jouer un rôle actif en matière d'emploi et de relance, mais il faut admettre que ces questions les dépassent largement, comme elles dépassent parfois les Etats eux-mêmes. La crise elle-même étant d'envergure mondiale. En effet, que peut faire une région lorsqu'une grande entreprise multinationale lui annonce qu'elle va délocaliser sa production vers le territoire le moins coûtant, tout en laissant à l'autorité locale la responsabilité de prendre en charge les dégâts sociaux causés?

La décentralisation bien comprise doit dès lors s'accompagner d'un renforcement de la cohésion sociale au niveau européen, du soutien aux régions en difficultés et de programmes de convergence économique ambitieux.

Dans cette perspective, le programme CALRE 2013 souligne notamment la nécessité d'un cadre financier de l'UE 2014-2020 ambitieux, afin de permettre un financement adéquat des politiques régionales européennes. Il s'agit-là d'un de nos points d'attention principaux.

La décentralisation et l'assignation de responsabilités aux régions doivent être accompagnées de moyens suffisants. Sans quoi, elles se transformeraient en une dilution des solidarités générant in fine l'affaiblissement de la démocratie.

En outre, la CALRE souligne la nécessité d'accompagner le pacte budgétaire de mesures visant à éviter une austérité trop contraignante.

Nous avons besoin d'une relance économique européenne. Plus aucun citoyen ne croit que la recette du développement économique global se réduit à un mélange pur de libre marché et de coupes dans les dépenses publiques. Les grandes institutions bancaires qui tenaient parfois des discours de ce type ont été les premières à solliciter l'intervention solidaire de l'Etat et de l'Union européenne pour les sauver de la faillite et sauver le système financier, devenu lui-même victime des excès de la dérégulation.

Il faut que l'Union européenne aille au-delà et se dote de mécanismes garantissant un haut niveau de cohésion et de protection sociale à l'ensemble de ses citoyens. Sans quoi, il y a un risque de fragmentation spatiale de l'UE (balkanisation), de spirale récessioniste touchant en particulier les régions pauvres et de création d'entités territoriales non-viables.

La décentralisation doit être un processus mutuellement avantageux pour l'ensemble des entités, tant fédérées que fédérales. Nous sommes bien conscients des disparités existantes entre les économies régionales. La décentralisation bien conçue ne peut conduire à accentuer celles-ci, et doit en particulier éviter la création d'entités territoriales marginalisées, à viabilité économique limitée et source d'instabilité, qui mettraient sous tension la pacification et la stabilisation des peuples européens intervenue après la seconde guerre mondiale. L'Europe doit se démarquer de cette voie, sous peine de voir les citoyens se détourner des espoirs qu'elle a suscités.

Si l'immigration peut être une chance pour des régions vieillissantes, un accroissement de la divergence économique des régions, conjugué au principe de libre circulation, pourrait initier des flux migratoires internes à l'UE générant des tensions sociales importantes et encore une fois un rejet de l'Union.

La CALRE défend le principe de subsidiarité. La mise en place du contrôle du respect de ce principe par le législateur européen, ainsi que la participation des assemblées régionales au processus législatif européen ont été nos préoccupations constantes. Ce principe ne signifie toutefois nullement que les régions doivent exercer l'ensemble des compétences ni que les Etats doivent disparaître, il signifie que les décisions doivent être prises au niveau où il est le plus efficace qu'elles le soient et que chacun doit disposer des moyens d'initiative et de contrôle adéquats.

Enfin, le déficit démocratique de l'Union européenne est une préoccupation constante de la CALRE. Le fossé entre les citoyens et les institutions européennes est régulièrement pointé du doigt. La présidence de la CALRE soutiendra toute initiative visant à renforcer la légitimité démocratique de l'Union européenne. Les élection européennes de 2014 feront l'objet de notre meilleure attention, car elles devraient être l'occasion d'insuffler un souffle nouveau à l'Union européenne et de remettre celle-ci en phase avec les attentes de développement et de bien être partagé des populations.

La Région de Bruxelles-Capitale, dont je préside le Parlement, est placée au cœur de ces débats et illustre à maints égards les enjeux liés à ceux-ci.

Nous sommes en effet, après 5 réformes de l'Etat belge, assez avancés sur le plan législatif. En particulier nous disposons de compétences exclusives et Bruxelles a beaucoup changé depuis la création de la Région, il y a 25 ans.

Elle connait le paradoxe d'être à la fois une région très riche au point de vue de la valeur ajoutée produite, siège de nombreuses institutions internationales, tout en étant en même temps un territoire dont un quart de la population connait une situation sociale très difficile et où le chômage des jeunes est élevé.

C'est une région-carrefour, riche en paradoxes. Un des problèmes majeurs qu'elle rencontre tient aux tensions entre sa définition territoriale et les flux qui la traversent, aux rapports entre centre et périphérie. En gros, Bruxelles a connu un exode urbain des ménages à hauts revenus, attirés par les espaces plus aérés de la périphérie extra-régionale. Or l'impôt sur les personnes physiques, et par là en partie les recettes des régions, n'est pas perçu en Belgique au lieu où se situe le travail, mais au lieu du domicile du ménage. Cette situation génère quelques problèmes pour les finances de la Région Bruxelloise, particulièrement sensibles dans un contexte de crise.

Les principes d'une 6éme réforme de l'Etat ont été adoptés en décembre 2011.

Elle confiera d'avantage de responsabilités aux régions, mais diminuera à terme certaines solidarités inter-régionales. D'autres seront en revanche prises en compte : c'est le cas notamment pour la couverture des besoins en matière de transport et de sécurité engendrés par le très grand nombre de navetteurs journaliers d'une part, d'évènements de l'autre.

Il va de soi que la Région Bruxelloise est heureuse qu'un nouvel équilibre institutionnel ait pu être dessiné et qu'elle entend valoriser au mieux les opportunités offertes par cette évolution, qui accroitra significativement ses compétences. Il n'empêche qu'elle est également vigilante et très consciente des difficultés qui pourraient être générées par l'évolution du paysage institutionnel : qu'il s'agisse de transferts de charge entre entités fédérées (comme, par exemple, déjà récemment en matière de transport scolaire), de course aux réductions fiscales (comme c'est déjà le cas pour les droits de succession), de taille critique pour organiser de solidarités et organiser des services ou d'accroissement de la concurrence entre les régions.

De même, la décentralisation de certains aspects de la sécurité sociale nationale, tels que les allocations familiales ou l'accueil des personnes âgées, doit être accompagnée des moyens financier suffisants pour garantir l'équité de traitement de tous.

Bruxelles, siège des institutions européennes, n'est jamais indifférente à l'Europe. N'ayons pas peur des évolutions, mais maîtrisons-les. La crise est l'expression d'un déséquilibre du système et donc d'un profond besoin de changement. Il ne faut pas minimiser sa profondeur. Selon le dernier sondage Eurostat de décembre 2012, seuls 31% des européens ont « plutôt confiance » dans l'Union européenne et 62% d'entre-eux pensent que « le pire est à venir » concernant la crise sur le marché de l'emploi.

Si le déséquilibre systémique est reconnu et est corrigé, en un sens inclusif de tous, la crise peut être une chance pour les régions européennes et leurs citoyens.