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22e Session du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

Séance de la Chambre des régions

Strasbourg, 21 mars 2012

Allocution de M. Abdelkébir BERKIA, Parlementaire, Président du Conseil régional de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Maroc)

« L’expérience de la régionalisation au Maroc »

Mesdames et Messieurs,

Honorable assistance,

Je voudrais remercier chaleureusement les organisateurs pour l’invitation qui m’a été adressée pour faire une communication sur le thème de l’expérience de la régionalisation au Maroc.

Si vous le permettez, je voudrais commencer par souligner le fait que le mouvement de décentralisation est aujourd’hui un mouvement continu qui se constate dans le monde entier. Naturellement, le degré de décentralisation est différent d’un pays à l’autre. Rien n’est en effet plus vrai que cette assertion d’Alexis de TOCQUEVILLE : 

« La démocratie locale est à la démocratie politique ce que les écoles primaires sont à la science ».

Dans ce contexte, le Maroc, pays alliant authenticité et modernité, se fixe pour objectif la promotion de la décentralisation et le renforcement du rôle des collectivités locales dans l’amélioration du cadre de vie des populations.

A ce titre, le Maroc a connu à travers son histoire une tradition de gestion de tous les aspects de la vie collective par la tribu.

La décentralisation effective est l’œuvre du Maroc indépendant qui a entrepris à partir de 1956 l’édification d’un Etat moderne, la mise en place des infrastructures, le lancement de grands projets de développement et l’ouverture du grand chantier de réformes institutionnelles, l’option pour le pluralisme politique, le choix du libéralisme économique, la réforme judiciaire et l’édification progressive de l’appareil décentralisé et déconcentré.

Le processus de décentralisation du Maroc reste cependant marqué par la notion de progressivité.

Cela veut dire que le processus est de longue durée et repose sur une méthode expérimentale qui permet d’éviter l’aventurisme en adaptant progressivement les textes à l’évolution du cadre humain, politique, social, économique et culturel du pays.


Cette progressivité concerne :

-               le renforcement des attributions des collectivités locales,

-               le renforcement de leurs moyens humains et de leur autonomie financière,

-               et l’allègement de la tutelle à la faveur du contrôle juridictionnel a posteriori.

Cette progressivité s’illustre aussi dans le temps à travers les catégories de collectivités locales créées.

-1960 : première Charte communale ;

-1971 : Loi portant création de 7 Régions économiques, simples assemblées consultatives ;

-1976 : 2ème Charte Communale érigeant, notamment, le Président du Conseil Communal en ordonnateur du budget ;

-1992 : Création de la Région en tant que collectivité locale par la constitution de 1992, reprise par la constitution de 1996 ;

-1997 : dahir du 2 Avril 1997 portant promulgation de la loi 47/96 relative à l’organisation de la Région ;

-2002 : 3ème Charte communale reconnaissant de larges attributions aux communes et consacrant leurs compétences en matière de coopération décentralisée internationale.

-2002 : Nouvelle Charte préfectorale et provinciale reconnaissant de larges attributions aux Préfectures et Provinces et consacrant également leurs compétences pour nouer des liens de coopération décentralisée internationale.

-2008 : nouvel amendement à la Charte communale de 2002.

Sur le plan institutionnel, le Maroc a opté pour une politique territoriale diversifiée donnant naissance à un édifice décentralisé à trois strates dont l’existence est garantie par la Constitution :

- La Commune, est l’entité de base de l’administration territoriale.

Le Royaume compte 1547 Communes : 249 urbaines et 1298 rurales.

Le Conseil Communal dispose de compétences propres, de compétences transférées par l’Etat et de compétences consultatives.

Les membres du Conseil Communal sont élus pour 6 ans au suffrage universel direct au scrutin uninominal à la majorité relative à un tour.

Le Conseil dispose d’une compétence générale pour régler toutes les questions d’intérêt communal.

- La Préfecture et la Province :se situent au niveau intermédiaire, équivalant au Département français.

Le Royaume compte 26 Préfectures et 45 provinces.

Le Conseil exerce des attributions propres, des attributions transférées par l’Etat. Ses membres sont élus au suffrage indirect.

La Région :se situe au sommet de la pyramide des Collectivités locales du Royaume. Elle est la dernière-née de ces collectivités.

En effet, après avoir engrangé les fruits de la décentralisation communale, préfectorale et provinciale, le Maroc a opté pour la Région comme cadre approprié à même de parfaire l’édifice institutionnel du Royaume.

Après l’expérience des 7 Régions économiques créées par une Loi de 1971 où la Région n’était qu’une simple assemblée consultative en matière de planification économique et d’aménagement de l’espace, dépourvue de la personnalité morale et de l’autonomie financière, la Région a été revitalisée par le Discours du 24 Octobre 1984 de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II Que Dieu Ait Son Ame dans lequel il a exprimé son vœu de doter le Maroc du XXIe siècle de structures régionales avec des compétences législatives, financières et administratives, s’inspirant du modèle des Länder allemands.

A la suite des deux révisions constitutionnelles de 1992 et de 1996, la Région, qui a longtemps souffert d’un déficit d’identité, sera promue en Collectivité Locale dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Après une gestation qui a pris plus de treize ans, la Région politique a enfin pris forme après un accord scellé par tous les acteurs politiques, à la faveur de la nouvelle culture du consensus.

Pour relever les défis du développement, la Loi, promulguée en 1997,a confié de larges compétences aux Régions : propres, transférables par l’Etat et consultatives, les prédisposant à promouvoir le développement économique, social, culturel et environnemental. le cas échéant, en partenariat avec l’Etat et les autres collectivités territoriales.

Ce développement territorial, doit, selon le législateur marocain, s’articuler sur les schémas régionaux d’aménagement du territoire, véritable feuille de route de la planification à long terme du développement.

L’importance accordée à ce volet de l’action des Conseils régionaux découle, en effet, de l’attribution par le législateur au Président du Conseil régional, la présidence de la Commission de l’aménagement du territoire.

16 Régions ont été créées en 1997 dans le Royaume. Les Conseils régionaux sont élus pour six ans au suffrage indirect à partir de 3 collèges de base représentant les Communes, les Préfectures et Provinces du ressort territorial de la Région, les Chambres professionnelles, et les Organisations représentant les salariés.

Parallèlement, les parlementaires élus de chaque Région, siégeant à la Chambre des Représentants ou à la Chambre des Conseillers, ainsi que les Présidents des Conseils Préfectoraux et Provinciaux sont membres du Conseil Régional en vertu de la loi à titre consultatif seulement.

A la différence de la Commune et de la Préfecture ou Province, la Région est moins une collectivité d’administration du territoire qu’une institution de planification, d’études, de promotion économique et d’aménagement du territoire.

La Région est ainsi entendue comme étant un espace de débat, de concertation, de planification de proximité, dans un cadre partenarial entre le Conseil Régional, l’Etat, et ses représentants à l’échelle de la Région, les différentes Collectivités, les Chambres professionnelles, les Universités, et associations…

Cela dit, la régionalisation reste l’étape d’approfondissement de la démocratie locale, mise au service d’un mieux-être économique et social.

Le Président du Conseil Régional représente officiellement la Région dans tous les actes de la vie civile, administrative et judiciaire en synergie avec le Wali, chef- lieu de la Région (équivalent du Préfet de Région en France), et représentant de l’Etat, qui assure l’exécution matérielle des délibérations souveraines du Conseil régional.

En outre, la création de la Région permet de mettre au service de la régionalisation les potentialités que recèle la déconcentration.

Ce qui est sûr c’est que la régionalisation initiée depuis 1997 au Maroc constitue une première étape d’un processus perfectible, donc, de longue haleine.

En effet, beaucoup de travail reste à faire pour atteindre l’autonomie administrative et financière réelle.

Il convient à ce sujet de souligner que le Royaume du Maroc est décidé à passer à un système évolué de régionalisation, prenant en considération les spécificités marocaines.

Ce sont là les préoccupations du projet de la régionalisation avancée au Maroc, qui constitue un chantier de règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, autour duquel existe un véritable consensus national.

Il s’agit, d’un projet de régionalisation Maroco – Marocain, devant prendre en considération les fondamentaux du Royaume, et en particulier l’attachement aux sacralités et aux constantes de la nation, notamment l’unité de l’Etat et du territoire dont le Souverain est le garant et le protecteur.

Ce modèle de régionalisation sera inspiré des spécificités marocaines et des législations avancées en la matière.

Il concernera toutes les Régions du Maroc, avec, à leur tête, les Régions du Sahara du Sud Marocain.

A ce sujet, il s’agit pour le Royaume, mu par sa volonté nationale souveraine, de réaffirmer son attachement au processus onusien visant à trouver une solution politique réaliste au conflit artificiel suscité autour des Provinces du Sahara Marocain, lesquelles, grâce aux efforts inlassables déployés par l’Etat, sont devenues un espace de prospérité, en termes d’infrastructures et de projets de développement.

Ce modèle de régionalisation reposera sur les principes d’unité, d’équilibre et de solidarité entre les Régions.

Une Commission Consultative pour la régionalisation a été mise en place à cet effet par Sa Majesté le Roi en 2011, qui a rendu ses conclusions au Souverain relatives au projet de régionalisation avancée, à la lumière du droit comparé, des spécificités locales et des concertations avec les acteurs politiques, économiques, sociaux et associatifs.

Il faut d’ailleurs souligner que les principes cardinaux de ce projet ont été affirmés dans la Constitution du 1 Juillet 2011, dans l’attente de la nouvelle loi sur la régionalisation avancée.

Parmi ces principes :

-  L’innovation de l’élection des Conseils des Régions au suffrage universel direct,

-  L’autre innovation consistant à promouvoir le Président du Conseil régional en autorité exécutive des décisions du Conseil,

-  La mise en place par les Conseils des Régions de mécanismes participatifs, de dialogue et de concertation favorisant l’implication des citoyennes, des citoyens et des associations, dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement,

-  La consécration de la prééminence du rôle de la Région par rapport aux autres collectivités, dans le respect des compétences de ces dernières,

-  L’attribution aux Walis et Gouverneurs du rôle d’assistance des présidents des collectivités territoriales, et notamment les Présidents des Conseils régionaux, en vue de la mise en œuvre des plans et des programmes de développement,

-  La création d’un fonds de mise à niveau sociale destiné à la résorption des déficits en matière de développement humain, d’infrastructures et d’équipements,

-  La création, en outre, d’un fonds de solidarité inter régionale visant une répartition équitable des ressources, en vue de réduire les disparités entre les régions.

-  La promotion de l’intercommunalité,

-  La consécration des principes qui gouvernent l’organisation territoriale du Royaume, à savoir : la libre administration, la coopération et la solidarité…

Il faut en définitive reconnaître que cette réforme constitutionnelle initiée par le Souverain, alors que le monde arabe connaît des mutations et bouleversements profonds, ouvre de larges perspectives pour le règlement définitif de la question du Sahara Marocain par l’application du projet d’autonomie dans le cadre de l’unité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Royaume.

Mesdames et Messieurs,

Le Maroc entend cependant franchir une nouvelle étape dans la consolidation de son expérience de plus d’un demi-siècle de décentralisation avec pour objectif majeur de confirmer les collectivités locales dans leur vocation d’acteurs économiques de premier plan.

Pour ce faire, le Royaume est conscient des objectifs stratégiques à atteindre, à savoir :

- un cadre juridique cohérent, adapté à la gestion optimale des affaires locales,

- un corps d’élus formés et expérimentés pour la fixation des choix et orientations d’intervention,

- une administration locale performante, aux ressources humaines et financières appropriées,

- et enfin, un Etat accompagnateur qui réussit le passage de la tutelle à l’accompagnement et de l’action sectorielle à la contractualisation autour de projets intégrés.

Mesdames et Messieurs,

Si personne ne conteste de nos jours le fait que les niveaux infra -étatiques constituent un espace pertinent de réflexion et d’action pour des politiques à dimension globale comme l’investissement, l’emploi, les services sociaux de base, l’enseignement et l’aménagement du territoire, nul ne contestera non plus le fait que la coopération décentralisée internationale reste un levier incontournable à la disposition des collectivités locales pour réaliser le développement de leur territoire.

Ce sont bien là les convictions de nombreuses Régions du Royaume qui sont aujourd’hui membres d’associations de collectivités territoriales comme l’Association Internationale des Régions Francophones « AIRF », la Conférence des Régions Périphériques et Maritimes d’Europe « CRPM », Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique « CGLUA », l’Organisation des Régions Unies / FOGAR, du Comité Permanent pour le Partenariat Euro-Méditerranéen « COPPEM », pour ne citer que ces Organisations dont l’action est essentielle au renforcement de la décentralisation de par le monde et à la promotion de la coopération pour le développement Nord-Sud et Sud- Sud.

Il est indéniable que le renforcement des acquis des Régions marocaines en matière de coopération décentralisée, notamment avec les Régions européennes, héritières d’une longue et riche expérience en la matière, en termes de transfert d’expertise, d’échange de bonnes pratiques et de montage de projets de co-développement, sera un levier pertinent de consolidation de l’expérience marocaine de décentralisation.

C’est là, à mon avis, la continuité logique du Statut de partenariat avancé accordé par l’Union Européenne au Maroc en 2008, un partenariat privilégié sur les questions de la vie régionale, continentale et internationale, ou sur les questions économiques, culturelles, environnementales, de lutte contre le terrorisme et contre l’immigration clandestine dans l’espace Euro-Méditerranéen et Africain.

Cette relation tire sa raison d’être :

·       de la stabilité politique du Royaume,

·       de sa proximité géographique de l’Europe,

·       de l’interpénétration des Communautés Humaines,

·       des flux commerciaux et d’investissement en croissance constante,

·       des valeurs partagées de société, à savoir : la paix, la démocratie, les droits de l’Homme, le développement éducatif et social, la décentralisation et la déconcentration…

Pour ne pas accaparer davantage la parole, je voudrais avant de conclure cette communication, réitérer mes remerciements aux organisateurs de cette rencontre pour leur aimable invitation et souhaiter pérennité à la coopération Maroco –Européenne.

Je vous remercie de votre attention.