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Ulrich Bohner : « Le développement de la coopération transfrontalière passe par la décentralisation »

Intervenant à Strasbourg dans le cadre d’un séminaire sur la dimension européenne de la coopération transfrontalière, le Secrétaire Général du Congrès, Ulrich Bohner, a rappelé le rôle joué depuis 60 ans par le Conseil de l’Europe dans ce domaine, tout en plaidant pour un renforcement de cette coopération.

Question : Le Conseil de l’Europe a été le premier à promouvoir la coopération transfrontalière au niveau européen, mais l’Union européenne se préoccupe aussi de ce sujet : comment s’organise la coopération entre ces deux entités ?

Ulrich Bohner : Je voudrais rappeler que le simple choix de Strasbourg comme siège du Conseil de l’Europe, dès 1949, marquait la volonté des 10 pays fondateurs d’installer l’Organisation sur une frontière, justement pour dépasser les conflits nés des frontières, ces « cicatrices de l’histoire » comme les appelait Denis de Rougemont. En 1980, à Madrid, le Conseil de l’Europe a adopté la première convention cadre sur la coopération transfrontalière, qui a permis l’essor de cette dernière. Aujourd’hui, de nombreuses régions de l’Union européenne sont engagées dans des programmes de coopération, à l’image des programmes Interreg, mais nous veillons à ce que les régions des pays non membres de l’Union puissent elles aussi développer de telles actions entre elles : c’est tout le sens d’un nouveau protocole à la convention de Madrid, qui permettra à des collectivités d’un Etat membre d’intervenir dans un autre Etat pour y fournir certains services, par exemple en matière d’environnement ou de santé. Cela pourrait concerner des pays comme l’Ukraine et la Russie ou la Turquie et la Géorgie.

Question : Quels sont aujourd’hui les grands axes de la politique du Congrès dans le domaine de la coopération transfrontalière ?

Ulrich Bohner : Outre le grand travail de formation et de réflexion que nous menons dans toute l’Europe, avec la tenue régulière de conférences et de séminaires, nous avons créé le concept d’Eurorégions, autour des trois principales mers semi-fermées d’Europe, à savoir l’Adriatique, la Baltique et la Mer Noire. L’Eurorégion de l’Adriatique se révèle prometteuse, et illustre les progrès de la coopération entre des pays membres de l’Union et d’autres qui n’en feront partie que dans un avenir plus lointain. L’Eurorégion de la Mer Noire a été lancé en septembre 2008, mais ce projet est moins avancé, notamment parce que les collectivités locales de tous les pays participants n’ont pas le même degré de compétence et d’autonomie.

Question : Cette autonomie des collectivités locales est-elle, pour vous, la clé de la coopération transfrontalière ?

Ulrich Bohner : Il est évident que seule la décentralisation peut donner aux collectivités locales suffisamment de latitude pour leur permettre de collaborer efficacement avec leurs homologues situées de l’autre côté d’une frontière. La coopération transfrontalière passe par le développement de la démocratie locale et régionale, et implique des élus bien formés, agissant dans le cadre d’administrations locales efficaces. Le Congrès porte ce message politique, et il faut rappeler sans cesse que la coopération transfrontalière, loin de n’être qu’un facteur de stabilité, est aussi un outil de développement économique de premier plan.