CCPE(2011)Final

Strasbourg, 24 novembre 2011

CONSEIL CONSULTATIF DE PROCUREURS EUROPEENS

(CCPE)

Avis N°6 du CCPE

sur les relations entre procureurs et administrations pénitentiaires

adopté par le CCPE lors de sa 6ème réunion plénière

(Strasbourg, 24-25 novembre 2011)


I.          Introduction

1.         Le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) a été créé en 2005 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui lui a fixé pour tâche la formulation d’avis sur les questions relatives au fonctionnement des services du procureur et la promotion de la mise en œuvre effective de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats membres relative au rôle du ministère public dans le système de justice pénale.

2.         Le Comité des Ministres a chargé le CCPE[1] d’adopter en 2011 un avis à son attention sur les relations entre les procureurs et l’administration pénitentiaire, à la lumière de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes.

3.         Le CCPE a rédigé cet avis sur la base de 25 réponses reçues des Etats membres[2] à un questionnaire. Celles-ci démontrent clairement que les relations entre le Ministère public et les autorités pénitentiaires varient grandement dans leurs objectifs, contenu ou structure, allant de l’absence d’interaction à une interaction très structurée, voire contrôlée par le Ministère public. L’histoire juridique, la culture nationale et les développements dans les différentes institutions judiciaires explique la diversité actuelle.

Champ d’application de l’Avis

4.         Toutes les dispositions de cet Avis s’appliquent aux Etats dans lesquels les procureurs ont un rôle spécifique en matière pénitentiaire. Dans les Etats où les procureurs n’ont pas de tels pouvoirs, une autre autorité doit toujours pouvoir protéger les droits des personnes privées de liberté.

5.         Le présent Avis concerne les relations entre les procureurs et les institutions chargées des « personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation », telles que visées par la Recommandation Rec(2006)2.

Objectifs de l’Avis

6.         L’enfermement des personnes détenues contiendra toujours le risque, dans une entité fermée, que ne soient pas respectés les droits de l’homme les plus élémentaires.

7.         Le CCPE vise à définir des lignes directrices concernant les procureurs dans l’exercice de leurs fonctions vis-à-vis des personnes privées de liberté, et en particulier :

·                     à déterminer les domaines d’action permettant de contrôler les conditions de détention dans les prisons et le respect de la loi et des droits de l’homme ainsi que de favoriser l’amendement des condamnés et leur réinsertion dans la société dans les meilleures conditions possibles ;

·                     à sensibiliser toutes les autorités concernées, y compris les membres du ministère public, au sort des personnes détenues afin qu’elles remplissent pleinement le rôle que les lois nationales leur assignent en la matière ;

·                     à mettre en lumière les principes fondamentaux et des mesures concrètes définies dans la Recommandation Rec(2006)2 afin d’en améliorer la connaissance et d’en faciliter le respect par toutes les autorités concernées.

Principes généraux

8.         Il est nécessaire, pour un Etat de droit, qu’un système bien coordonné d’exécution et de contrôle, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, soit instauré concernant la privation de liberté du fait de l’Etat. Cela implique que, tant dans le cadre du déroulement de la détention provisoire que dans le cadre de l’exécution des peines, des mécanismes de surveillance et de contrôle appropriés soient mis en place.

9.         A cet égard, tous les Etats membres doivent mettre en place une autorité impartiale, objective et professionnelle chargée de suivre et contrôler, périodiquement et de manière structurée, l’exécution des peines privatives de liberté. Dans certains Etats membres, à cette fin, les procureurs disposent de tous les pouvoirs dont ils ont besoin pour exécuter ces tâches de manière effective. Dans d’autres Etats membres, ces pouvoirs peuvent être confiés à une instance judiciaire ou à une autre instance indépendante extérieure à l’administration pénitentiaire.

10.       De ce fait, une importance particulière doit être accordée aux buts et tâches des institutions pénales et aux fonctions et pouvoirs du Ministère public, quand ils ont ces compétences, concernant la légalité de l’application des peines, le respect des droits et des libertés fondamentaux des personnes qui purgent leur peine ou qui sont en détention provisoire. 

11.      Le procureur, lorsqu’il exécute ou demande l’exécution d’une peine ou d’une détention provisoire décidée par toute autorité compétente, est directement concerné par la privation de liberté d’un individu. Dans le cadre de ces activités, le procureur doit toujours être tenu par le respect du principe de légalité, d’impartialité et d’indépendance vis-à-vis de toute influence indue. Il doit donc éviter, dans l’accomplissement de ses tâches, toute discrimination qui serait basée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la langue, la religion, les orientations sexuelles, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, l’association avec une minorité nationale, les biens, la naissance ou tout autre statut (principe de non discrimination).

Instruments de référence

12.      S’agissant des conditions de détention, le CCPE souligne l’importance de se référer, à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (La Cour). Le CCPE insiste notamment sur le respect de l’article 3 de la CEDH énonçant l’interdiction de la torture[3] et des traitements inhumains et dégradants[4], l’article 8 (respect de la vie privée et familiale)[5] et l’article 13 (droit à un recours effectif)[6].

13.      Le CCPE a particulièrement pris en compte les Recommandations Rec(2000)19 relative au rôle du ministère public dans le système de justice pénale et Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes qui énumère les règles à appliquer lorsqu’un Etat membre décide de placer un individu en détention (Principes fondamentaux, conditions de détention, santé, bon ordre, direction et personnel, inspection et contrôle, prévenus, détenus condamnés) ainsi que d’autres instruments du Conseil de l’Europe[7].

14.      Le CCPE a également tenu compte de documents pertinents des Nations Unies[8] ainsi que d’autres instruments juridiques internationaux[9].

II.            Le rôle du procureur

A.           La détention provisoire

15.      La détention provisoire dans les affaires pénales doit toujours répondre à des motifs raisonnables conformes à la loi et aux exigences de la CEDH et de la jurisprudence pertinente de la Cour.

16.      Dans les Etats dans lesquels les procureurs ont des compétences en matière pénitentiaire, ils devraient pouvoir :

- contrôler le respect, par les services chargés des enquêtes, des droits des détenus tels qu'ils sont protégés par la CEDH et par le droit national (tels que le droit de connaître le motif de sa détention, le droit de prévenir ses proches de sa détention, le droit à la défense, y compris d'être défendu par un avocat, etc.) et prendre des mesures pour faire cesser les violations constatées et de faire rendre des comptes aux personnes coupables de les avoir commises ;

- prendre des mesures visant à libérer immédiatement un détenu, lorsque les conditions de privation de liberté ne sont pas remplies (par ex :absence d’un titre autorisant la détention ou si des mesures moins intrusives sont considérées comme suffisantes) ;

- vérifier la légalité de la manière dont est exécutée la détention décidée par un juge.


B.           L’exécution des peines

17.      L’exécution d’une peine d’emprisonnement aboutit à la privation d’un droit fondamental de l’individu : celui de la liberté.

18.      Cette conséquence justifie que des mesures soient prises par le procureur, s’il a des compétences en la matière, afin que :

·                     cette peine soit exécutée en temps non prescrit en raison d’une condamnation définitive rendue par une autorité judiciaire impartiale et indépendante ;

·                     cette peine soit fixée avec précision quant à sa nature et/ou sa durée conformément à la décision rendue ;

·                     les raisons de cette peine soient portées à la connaissance de la personne incarcérée tant dans son fondement que dans ses modalités.

19.      Avant l’exécution de la peine d’emprisonnement, il importe qu’une autorité indépendante de la direction de l’établissement pénitentiaire concerné soit garante de la légalité d’une telle exécution.

20.      L’autorité compétente pour exécuter la peine doit:

- vérifier en particulier que toutes les conditions légales sont remplies pour mettre la peine à exécution, mais aussi que la peine est exécutée dans le respect de la dignité humaine. Sauf circonstance particulière justifiée par l’urgence (risque de fuite ou motif de sécurité), elle veillera à répondre avec célérité à toute interrogation du détenu lui-même ou de ses avocats ou de l’administration pénitentiaire quant à l’exécution de la peine et à produire tout document pour justifier sa position ;

- traiter et transmettre sans délai à l’autorité compétente toute demande pouvant affecter l’exécution de la peine (par exemple recours en grâce, demande de libération).

21.      Selon les systèmes nationaux, le procureur peut jouer un rôle important dans la procédure de libération conditionnelle des personnes condamnées ainsi que dans leur réhabilitation dans la société.

C.           Le régime de détention

22.      Bien que les Règles pénitentiaires européennes ne précisent pas le rôle et la position ni du procureur, ni de tout autre organe de contrôle dans le cadre de la détention, il appartient au procureur, lorsque cela entre dans ses compétences, de contrôler strictement l’exécution des lois nationales mettant en œuvre ses Règles. Il importe notamment qu’il veille, dans la limite de ses compétences, à assurer la protection totale et effective des droits des personnes détenues afin de permettre une application cohérente des droits de l’homme et des libertés au sein des prisons.

23.      La détention doit respecter la dignité des personnes privées de leur liberté et limiter les effets négatifs de l'emprisonnement, tout en protégeant la société.

24.      Si le procureur est responsable du contrôle du respect de la réglementation au sein des centres de détention, il devrait pouvoir:

·                     inspecter régulièrement les installations de détention à tout moment,

·                     avoir accès et disposer des documents, des dossiers, des ordres écrits et des décisions    de l’administration pénitentiaire,

·                     rencontrer librement les personnes privées de liberté sans la présence d'autres      personnes,

·                     demander des explications pertinentes aux employés des lieux de détention,

·                     vérifier la légalité des procédures et résolutions émises par les instances    éducatives       concernant les soins et la protection, ainsi que des ordonnances et des résolutions de   l'administration pénitentiaire concernant la détention provisoire ou la sanction,

·                      s’assurer du respect de la législation applicable dans les divers lieux de détention,

·                      prendre les mesures nécessaires pour libérer immédiatement une personne dont la détention est sans titre.

25.      En cas de violation des dispositions légales lors de la détention, un procureur, lorsque cela entre dans ses compétences, devrait réagir en exigeant le respect strict des dispositions applicables, indépendamment des coûts supplémentaires que cela pourrait entraîner. Le cas échéant, le procureur initie une enquête disciplinaire ou pénale à l’encontre des agents pénitentiaires responsables.

D.           Réponses aux infractions commises en prison (matières pénales et disciplinaires)

26.      Le CCPE rappelle que le procureur est «l'autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l'intérêt général, à l'application de la loi lorsqu’elle est pénalement sanctionnée, en tenant compte, d’une part, des droits des individus et, d’autre part, de la nécessaire efficacité du système de justice pénale»[10]. Les Etats devraient prendre des mesures appropriées afin d’assurer aux procureurs le pouvoir d’exercer leurs fonctions sur l’ensemble des lieux de privation de liberté.

 

27.      Les individus privés de leur liberté vivent dans une relation spéciale de subordination et de vulnérabilité. En raison de cette situation, il est particulièrement important de veiller à ce que les lieux de privation de liberté soient à l’abri de violation de la loi pénale et des règles élémentaires touchant aux droits de l’homme et aux libertés.

28.       En tant qu'instrument de prévention de la criminalité au sein des prisons, toutes les infractions pénales commises dans ces lieux méritent une attention particulière.

 

29.      L’intérêt public commande que les procureurs, lorsque cela entre dans leurs compétences, ouvrent des enquêtes appropriées lorsque des infractions pénales ont été commises, en particulier en matière de corruption ou de pression sur le détenu, ou en cas de violation des droits de l’homme commises par le personnel des établissements de privation de liberté.

30.      Dans tous les cas de violation de la loi dans les prisons, les Etats membres devraient prendre les mesures appropriées pour s'assurer que les autorités chargées de l’enquête aient toutes les informations nécessaires à la conduite, la direction ou le contrôle de l'enquête, afin de permettre qu’une décision puisse être prise concernant l’initiation ou la continuation des poursuites devant le tribunal.

E.            L’administration pénitentiaire

31.      Dans les Etats dans lesquels les procureurs ont des compétences en matière pénitentiaire, ils devraient:

-       tenir compte des instruments du Conseil de l’Europe, et en particulier les recommandations du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notamment en matière de conditions de détention[11]. Lorsqu’ils constatent une violation de ces recommandations, ils peuvent soumettre la question aux autorités compétentes. Le cas échéant, le Procureur général, par exemple à l’occasion du Rapport annuel présenté au Parlement, ou d’un autre événement, peut proposer des mesures appropriées pour assurer le respect de ces recommandations ;

-       - assurer l’Etat de droit sous deux aspects : d’une part, assurer les droits des détenus afin qu’ils ne soient pas, dans leur situation spécifique, moins bien traités que comme la loi le prévoit; d’autre part, protéger la société en assurant que la sanction est exécutée conformément à la loi ;

-       - assurer une protection effective des personnes détenues dans la mesure où ils ont accès aux lieux de détention, ils peuvent visiter régulièrement ces lieux et agir immédiatement en disposant des moyens appropriés et d’une expérience spécifique.

III.                    Conclusions

32.      Quel que soit le système en vigueur au sein de chaque Etat membre du Conseil de l’Europe, le respect des droits de l’homme au sein des lieux de détention devrait être une préoccupation essentielle des procureurs, garants du respect des lois et des principes fondamentaux énoncés dans la CEDH.

33.      Le CCPE a constaté que, dans nombre d’Etats, les procureurs jouent un rôle important dans l’exécution des peines d’emprisonnement et dans le contrôle de la légalité des détentions et des conditions de traitement des détenus au sein des prisons. Dans d’autres Etats néanmoins, les procureurs n’ont pas de compétence en matière pénitentiaire, ce rôle étant confié à d’autres autorités, qui devraient toujours pouvoir protéger les droits des personnes privées de liberté.

34.      Le CCPE estime nécessaire que les établissements pénitentiaires disposent de moyens suffisants, tant matériels qu’humains, afin de permettre des conditions de détention adéquates ainsi que des conditions optimales pour leur réinsertion.

35.      Les conclusions ci-après concernent les Etats membres dans lesquels les procureurs sont compétents en matière pénitentiaire:

a)        Les procureurs impliqués dans cette sphère d’activités devraient disposer des moyens nécessaires financiers et humains pour remplir leurs tâches de manière appropriée;

b)        En fonction de l’ampleur de leurs tâches, les services du procureur devraient prévoir des unités spécialisées au sein de leur structure organisationnelle pour leurs relations avec l’administration pénitentiaire;

c)        Si nécessaire, il devrait exister des lignes directrices synthétisant les bonnes pratiques ou des recommandations visant à harmoniser, au sein de chaque système, les approches générales ou spécifiques concernant les activités des procureurs qui sont en relation avec l’administration pénitentiaire;

d)        Les Etats membres ou les services du procureur devraient développer des formations spécifiques pour les procureurs amenés à travailler en relation avec l’administration pénitentiaire;

e)        Dans l’exécution de leurs fonctions, les procureurs devraient mettre en place ou développer, lorsque cela est approprié, une coopération ou des contacts avec un médiateur ou des institutions ayant un rôle de médiateur, avec les autorités concernées par la réhabilitation et la réinsertion, et avec les autres autorités pertinentes, ainsi qu’avec les représentants de la société civile, y compris les ONG concernées.

36.      Le CCPE estime qu’il appartient à toute autorité compétente, y compris aux procureurs, d’entreprendre les efforts nécessaires pour améliorer le sort des personnes détenues et favoriser leur réinsertion dans la société.

37.      Les Etats membres devraient s’assurer que les autorités compétentes appropriées pour exécuter les peines d’emprisonnement vérifient que toutes les conditions légales sont remplies pour mettre la peine à exécution dans le respect de la dignité humaine et en veillant à ce que les droits et conditions des personnes détenues soient évaluées.

38.      Les Etats membres doivent s’assurer que des enquêtes appropriées sont menées lorsque la commission d’infractions a été portée à leur connaissance, concernant la violation des dispositions légales lors de la détention.


ANNEXE

Description des différents systèmes juridiques et des diverses compétences des procureurs en matière pénitentiaire (Analyse des réponses au questionnaire)

1.            Dans près de la moitié des 25 Etats membres qui ont répondu au questionnaire, le contrôle sur les établissements pénitentiaires fait partie des missions du ministère public. Par contre, les procureurs de plusieurs Etats n'ont que des pouvoirs limités pour veiller à la protection des droits des personnes séjournant dans les lieux de privation de liberté.

2.            Les compétences des procureurs varient fortement d'un État à l'autre: elles vont d'un contrôle général sur les établissements pénitentiaires à l’absence de pouvoir en matière de contrôle de privation de liberté ou de détention provisoire. De ce point de vue, les Etats membres peuvent être répartis en trois grands groupes: (1) ceux où le ministère public contrôle les établissements pénitentiaires; (2) ceux où les procureurs disposent d'un pouvoir de contrôle limité sur les lieux de privation de liberté et de détention provisoire; (3) ceux où le procureur n'a aucun pouvoir dans les domaines susmentionnés.

3.            Dans les pays où les procureurs ont tout pouvoir en matière de contrôle de l'application des lois par les administrations qui gèrent les établissements pénitentiaires et de sûreté, les centres de détention provisoire et les autres lieux de privation de liberté et par les autres instances chargées de l'application des peines et des mesures de sûreté, ils veillent également au respect des droits et obligations des détenus et des personnes condamnées ou soumises à des mesures de sûreté ou de contraintes.

4.            Pour déceler et supprimer rapidement les violations de la loi à l'égard des personnes qui purgent leur peine ou ont été arrêtées, le procureur dispose de pouvoirs relativement étendus: il peut procéder à des contrôles indépendants dans les établissements pénitentiaires; demander aux administrations de créer des conditions propices au respect des droits des détenus et des personnes arrêtées, condamnées ou soumises à des mesures de sûreté ou de contraintes; vérifier la conformité des ordres, règlements et décisions des administrations des établissements pénitentiaires avec le droit national.

5.            La législation de certains Etats membres exige que les procureurs effectuent des contrôles réguliers dans les établissements pénitentiaires. La fréquence de ces contrôles varie d'un pays à l'autre, et va de visites journalières à un contrôle tous les trois mois. Certains pays ne réglementent pas le nombre de contrôles, et se limitent à recommander au procureur de procéder à une éventuelle inspection. De tels contrôles peuvent donner lieu à un rapport, un rapport officiel de synthèse (déclaration) ou à une action en justice sur les violations constatées, qui doivent être adressés au directeur de l'établissement contrôlé et à l'administration compétente, le cas échéant.

6.            Dans nombre de pays, le principal moyen de garantir la légalité est de conférer à un procureur le droit de visiter à tout moment les lieux de privation de liberté et de sûreté. Ces visites offrent au procureur l'occasion de se familiariser avec les documents, de vérifier les conditions de détention des personnes et d'avoir des entretiens libres et confidentiels avec les personnes condamnées.

7.            Dans la plupart des Etats, la fréquence des contrôles sur les conditions de détention est définie par la loi et cette fréquence peut aller d’un contrôle hebdomadaire à des visites programmées quatre fois par an. Dans d’autres Etats, les procureurs ont l'obligation de rencontrer individuellement les détenus à intervalles réguliers; parallèlement, les plaintes des personnes prévenues ou condamnées relatives aux conditions de détention sont perçues comme une raison d’initier un contrôle ad hoc de l’institution concernée. Dans un troisième groupe de pays, les visites sont motivées par une réclamation ou une déclaration des personnes condamnées. Les requêtes des condamnés au procureur peuvent être motivées par une violation alléguée de leurs droits de personne détenue ou arrêtée, mais il peut aussi s'agir de demandes d'une autre nature, comme le transfert d'un condamné dans une autre prison pour garantir sa sécurité.

8.            Dans les pays qui confèrent au ministère public des pouvoirs limités de contrôle sur les établissements pénitentiaires, il n'est pas exclu que les personnes condamnées puissent coopérer avec le procureur. En outre, dans ces pays, l'initiative d'une telle demande est souvent prise par le condamné ou la personne arrêtée, qui affirme être victime de traitements cruels ou d'autres violations des droits de l'homme. En règle générale, l'absence de loi régissant ces rencontres n'exclut pas le droit pour le procureur d'avoir, si nécessaire, un entretien confidentiel avec un détenu.

9.            Dans pratiquement tous les Etats où le ministère public dispose d'un pouvoir de contrôle sur les lieux de privation de liberté et de détention, le procureur peut, s'il constate des violations des droits de l'homme, exiger que les fonctionnaires fournissent des explications, suspendre l'exécution des ordres et décisions illégaux de l'administration et annuler les sanctions infligées aux détenues en violation de la loi. S'il constate qu'une mesure ou une instruction des administrations des institutions d'application des peines et des autres mesures de sûreté, le procureur est autorisé à demander le réexamen ou même, en toute indépendance, à suspendre la validité de la disposition illégale. Dans de nombreux pays qui confèrent de larges pouvoirs au ministère public, le procureur peut immédiatement faire libérer toute personne détenue sans motif légal dans les établissements d'application des peines, ou dont l'arrestation ou la détention provisoire n'est pas conforme à la loi.

10.          Une violation des droits de l'homme pendant une peine de privation de liberté ou une détention provisoire justifie une intervention du procureur pour la faire cesser. L'efficacité et la nature de l'intervention du procureur face aux agissements des administrations d'établissements pénitentiaires varient d'un Etat membre à l'autre. Dans plusieurs pays, le procureur qui constate une violation des droits de l'homme dans un lieu de privation de liberté ou de détention provisoire lance une enquête indépendante qui conduit, le cas échéant, à engager la responsabilité disciplinaire, administrative ou pénale des fonctionnaires mis en cause. Il convient de noter que les procureurs sont habilités à réagir aux violations de droits de l'homme dans les établissements pénitentiaires, même dans les pays qui ne lui accordent pas un pouvoir de contrôle étendu sur les lieux de privation de liberté et de détention provisoire.

11.          Dans la plupart des Etats membres, les procureurs ne disposent pas de pouvoirs indépendants pour prendre des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires coupables. S'ils constatent une violation disciplinaire lors d'un contrôle, ils peuvent saisir l'organisme national compétent pour sanctionner, le cas échéant, le personnel des lieux de privation de liberté et de détention provisoire. Seuls quelques pays donnent au procureur le droit de prendre des mesures à l'encontre des personnels dont ils constatent les fautes disciplinaires.

12.          Le procureur a des pouvoirs nettement plus étendus en cas d'infraction pénale constatée dans un établissement pénitentiaire. Face à une telle situation, la plupart des pays donnent au procureur le droit d'engager des poursuites pénales et de mener une enquête indépendante. Dans pratiquement tous les Etats membres, le procureur est habilité à enquêter sur les atteintes à la personne humaine commises dans les établissements pénitentiaires. Si l'on signale le décès inopiné d'un détenu ou des crimes commis à l'encontre d'un détenu, ou par un détenu à l'encontre d'une autre personne condamnée ou du personnel pénitentiaire, le procureur doit intervenir. La législation de la plupart des pays confère au procureur le droit de mener une enquête indépendante ou de confier l'affaire criminelle aux organismes d'enquête tout en conservant un droit de contrôle sur l'enquête.

13.          Certains pays prévoient que si une violation des droits de l'homme des détenus ou de personnes placées en détention provisoire par l'administration d'un établissement est avérée, le procureur est fondé à engager des poursuites et à demander réparation des dommages dans le cadre d'un procès au civil.

14.          Dans les pays qui confèrent au ministère public un droit de contrôle sur les établissements pénitentiaires, les parquets jouent un rôle important dans la surveillance de la conformité des conditions de détention par rapport aux normes du droit international et aux recommandations du Conseil de l'Europe.

15.          Dans certains pays, le procureur a des pouvoirs supplémentaires. Il peut ainsi décider du calcul de la durée d'une peine; il participe aux discussions sur le transfert des condamnés; il peut imposer des restrictions sur les conditions de vie d'un condamné pour assurer la sécurité; il rend les décisions autorisant, le cas échéant, les détenus à quitter les établissements pénitentiaires en cas d'urgence; il invite les médecins des diverses spécialités à examiner, si nécessaire, les personnes privées de liberté ou placées en détention. Dans divers pays qui donnent au procureur des pouvoirs limités en matière de contrôle sur les établissements pénitentiaires, le procureur dispose d'un droit d'examen des faits pour définir les conditions de traitement des personnes placées en détention, y compris leur degré d'isolement et les limites à fixer à leurs contacts et à leur utilisation des moyens de communication.

16.          Dans quelques Etats, les pouvoirs du procureur en matière de contrôle sur les établissements pénitentiaires ne couvrent que les lieux où les détenus et les gardés à vue sont maintenus. Dans ce cas, le procureur est compétent pour vérifier les documents qui confirment la légalité de la détention provisoire, pour visiter ces établissements à tout moment et pour communiquer librement avec les personnes détenues. De plus, certains Etats confèrent également au procureur un droit de rendre des décisions sur l'arrestation et la mise en détention provisoire et de participer aux décisions sur la nécessité de prendre des mesures spéciales pour protéger pendant leur détention provisoire les personnes qui sont en danger en raison de leur appartenance à des organisations criminelles.

17.          Dans la plupart des pays, le procureur est indépendant des autres instances de l'Etat dans ses activités de contrôle de la légalité des incarcérations. Cependant, dans pratiquement tous les Etats où le ministère public appartient à un système centralisé et unique, les procureurs sont soumis à l'autorité du procureur général dans l'exercice de leurs fonctions.

18.          Certains parquets interviennent dans les décisions relatives à une grâce. Dans le cadre de telles procédures, les procureurs sont très souvent appelés à exprimer leur avis sur le bien-fondé d'une telle grâce à l'égard d'une personne condamnée. Les procureurs de plusieurs Etats ont également le pouvoir de contrôler la légalité de l'exécution des décisions d'amnistie et de grâce.

19.          Une grande importance est accordée aux activités des parquets dans le domaine de la libération conditionnelle de détenus. Dans ces cas, le rôle du procureur ne se limite généralement pas à introduire une demande de libération conditionnelle et à l'élaboration, à l'attention du tribunal, de la déclaration suggérant la possibilité d'accorder une libération conditionnelle: certains pays lui permettent de participer aux réunions de la commission compétente et aux audiences sur la libération conditionnelle, ainsi que de contrôler la légalité de la libération.

20.          Dans de nombreux Etats membres, le ministère public est habilité à faire appel des décisions des tribunaux relatives à l'application des peines (condamnation). Au cours de l'examen de telles affaires, les procureurs peuvent participer aux audiences avec une possibilité d'y soumettre des documents, de déposer des motions, etc.

21.          Dans certains Etats, le procureur est en contact avec des instances publiques chargées de surveiller et contrôler le respect des droits de l’Homme dans les lieux de détention. Les lois de plusieurs pays réglementent la coopération des représentants du ministère public avec le médiateur (pour les droits de l'homme). Dans la plupart des Etats, cette coopération comporte deux volets: d'une part les informations présentées dans les rapports du médiateur, qui peuvent servir de base aux contrôles réalisés par les procureurs et, d'autre part, les conclusions des procureurs concernant leurs efforts pour faire éliminer les violations des droits de l'homme dans les lieux de détention, qui sont soumises au médiateur.



[1] 1099ème réunion des Délégués des Ministres (23 novembre 2010).

[2] Voir l’Annexe au présent Avis ainsi que les réponses des Etats membres au questionnaire sur le même thème sur le site du CCPE : www.coe.int/ccpe

[3] Voir notamment Selmouni c. France (n°25803/94), Aksoy c. Turquie (18 décembre 1996) et Aydın c. Turquie (25 septembre 1997).

4 Voir notamment Jalloh c. Allemagne (n°54810/00), Olswewski c. Pologne (13 novembre 2003), Labita c. Italie (n°26772/95), Kantyrev c. Russie (21 juin 2007), Orchowski c. Pologne (n°17885/04) et Nazarento c. (29 Avril 2003).

[5]Voir notamment Vlasov c. Russie (12 juin 2008), Ostrovar c. Moldova (13 septembre 2005), Enea c. Italie (17 septembre 2009).

[6] Voir notamment Kaya c. Turquie (19 février 1998) et Melnik c. Ukraine (28 mars 2006).

[7] Voir également la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, les Recommandations N° R(89)12 sur l'éducation en prison, N° R(93)6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du SIDA, et les problèmes connexes de santé en prison, N° R(97)12 sur le personnel chargé de l'application des sanctions et mesures, N° R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, N° R(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale, Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle et Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée.

[8] Voir, en particulier, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), les règles minima pour le traitement des délinquants (1955), les principes directeurs applicables au rôle du magistrat du parquet (1990), les règles pour la protection des mineurs privés de liberté (1990).

[9] Voir, en particulier , les « Standards of Professional Responsibility and Statement of the Essential Duties and Rights of Prosecutors », adoptés par l’Association internationale des procureurs en 2005.

[10] Voir paragraphe 1 de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale.

[11] En vertu de la Recommandation Rec(2006)2 (paragraphe 4), “Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.” Conformément aux politiques et pratiques issues de la Recommandation, le fait de déroger gravement à la loi n’est pas acceptable. Si de telles violations de la loi ont lieu, conformément aux paragraphes 92 et 93 de cette Recommandation, il convient d’agir pour y remédier (y compris par le biais d’inspections par les procureurs).