CCPE (2010)1

                                                                                                                       

Strasbourg, 20 octobre 2010

Conseil consultatif de procureurs européens

(CCPE)

Avis N° 5

Le ministère public et la justice des mineurs

DECLARATION DE EREVAN

 

La présente Déclaration a été adoptée lors de la 5ème réunion plénière du CCPE, qui s’est tenue à Erevan (Arménie) du 19 au 21 octobre 2010.
DECLARATION DE EREVAN

Introduction

1.           Le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) a été créé en 2005 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui lui a fixé pour tâche la formulation d’avis sur les questions relatives au fonctionnement des services du procureur et la promotion de la mise en œuvre effective de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats membres relative au rôle du ministère public dans le système de justice pénale.

2.           Pour 2010, le Comité des Ministres a chargé le CCPE[1], à la lumière de la Résolution n°2 sur la justice adaptée aux enfants[2], d’adopter un Avis sur "les principes d’action publique en matière de justice des mineurs " et d’examiner, entre autres, la place des mineurs avant, pendant et après la procédure judiciaire, les moyens de tenir compte, au cours de ces procédures, des intérêts du mineur, les améliorations possibles concernant les moyens d’information des autorités à l’encontre des mineurs concernant leurs droits et l’accès à la justice, y compris l’accès à la Cour européenne des droits de l’Homme.

3.           Les procureurs sont des autorités publiques chargées de veiller, au nom de la société et dans l'intérêt général, à l'application de la loi lorsqu’elle est pénalement sanctionnée. Pour ce faire, ils prennent en compte d’une part, les droits des individus et, d’autre part, la nécessaire efficacité du système de justice pénale, conformément à la Recommandation Rec(2000)19.

4.           Le rôle des procureurs varie considérablement d’un pays à un autre; le but de cet Avis est d’établir des lignes directrices visant à guider l’action de tous les procureurs impliqués dans la justice des mineurs. Cet Avis consiste à assurer que, dans toutes les procédures concernant les mineurs, dans lesquelles les procureurs sont impliqués, certains principes fondamentaux sont appliqués en tenant compte du niveau de maturité, de vulnérabilité et de capacité mentale du mineur qu’il soit en infraction avec la loi pénale, victime ou témoin. Ces principes s’appliquent à tous les stades de la procédure, ce qui signifie avant le procès, pendant le procès, lors de l’exécution de la décision et lors de l’exécution des décisions concernant les mineurs.

5.           Dans les affaires impliquant des mineurs, les procureurs devraient accorder une attention particulière à la préservation d’un équilibre entre, d’une part l’intérêt public et les objectifs de la justice, et d’autre part les intérêts, besoins spécifiques et la vulnérabilité des mineurs.

6.           Dans les Etats où les procureurs ont des compétences en dehors du domaine pénal (par exemple, en matière de droit de la famille, de droit de garde et de droit administratif), ils devraient toujours  promouvoir les droits et libertés fondamentaux et, en particulier, ceux concernant la protection spécifique des mineurs, tel qu’explicités dans cet Avis.  

7.           Les lignes directrices suivantes s’appliquent dans le cadre des compétences reconnues aux procureurs et conformément aux lois nationales en vigueur.

8.           Les principes du présent Avis concernant les mineurs peuvent également être appliqués aux jeunes majeurs.

9.           En outre, le CCPE exprime le souhait que les Etats membres prennent les mesures appropriées pour combattre les autres facteurs socio-économiques susceptibles de conduire à la délinquance des mineurs (par ex. mineurs sans domiciles, le chômage, le manque de formation).

Documents de référence

10.         Le CCPE a préparé le présent Avis sur la base des réponses de la part de (37) Etats membres à un questionnaire spécifique sur la question[3].

11.         Cet Avis se base sur des instruments juridiques universels[4] ou régionaux[5], y compris la jurisprudence de la Cour en la matière[6].

12.         Le CCPE a également tenu compte des travaux et conclusions de la 7ème Conférence des Procureurs Généraux d'Europe (Moscou, 2006)[7]sur le rôle du ministère public dans la protection des individus, ainsi que des Avis du CCPE n°2 sur les mesures alternatives aux poursuites, n°3 sur le rôle du ministère public en dehors du système de la justice pénale et n°4 sur les relations entre les juges et les procureurs dans une société démocratique[8].

Définitions

13.         Aux fins du présent Avis, le CCPE se réfère aux définitions contenues au paragraphe 21 de la Recommandation Rec(2008)11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l'objet de sanctions ou de mesures et au Point I de la Recommandation Rec(2003)20 concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs.

(i)         “Mineur” s’entend comme une personne de moins de 18 ans ;

(ii)        "Délinquant mineur” s’entend comme une personne de moins de 18 ans suspectée d’avoir commis ou ayant commis une infraction ;

(iii)       “Infraction” s’entend comme tout acte ou omission qui constitue une violation de la loi entraînant une sanction et dont connait une juridiction pénale ou toute autre autorité judiciaire ou administrative. 

Particularités de la justice des mineurs

14.         La justice des mineurs, en raison de la fragilité de ceux qui en font l’objet, doit bénéficier d’une attention particulière de la part de tous les acteurs judiciaires et sociaux, compétents  en matière d’exécution. Quel que soit le système en vigueur, le procureur devrait prendre en compte l’état de minorité, éventuellement l’atténuation de responsabilité qui en découle et accorder une attention particulière à l’exercice des droits des mineurs.

15.         Les mesures suivantes devraient, le cas échéant, être envisagées:

§    vidéo ou enregistrement audio des témoignages donnés par des mineurs, auditions des mineurs réalisées avec l'aide de psychologues pour enfants, de pédagogues, de     travailleurs sociaux ou d'autres experts;

§    auditions de mineurs réalisées, lorsque cela est approprié, en présence du titulaire de la          responsabilité parentale ou d'une autre personne proche des services pour mineurs ou        sociaux;

§    salles d'auditions spécialement adaptées pour les jeunes. Les victimes mineures      devraient être interrogées le moins de fois possible;

§    les auditions devraient être menées de manière à éviter la double victimisation.

16.         Les procureurs devraient veiller à la promotion des mesures visant à prévenir les infractions des mineurs qui, en raison de leurs conditions de fragilité, sont susceptibles de commettre des infractions. Les parents devraient être consultés et impliqués dans la mise en œuvre de ces mesures préventives.

17.         Les sanctions devraient tenir compte de l’éducation, de la formation, de l’environnement personnel et de la personnalité des mineurs concernés et ne pas seulement viser à sanctionner une infraction pénale ou tout autre comportement illégal. Les mesures qui limitent la liberté des mineurs devraient être précisées par la loi et limitées aux strictes nécessités de protection de la société.

18.         Conformément à leurs compétences, le procureur devrait veiller à s’assurer que tout contact du mineur avec le système judiciaire, qu’il soit délinquant, victime ou témoin, fasse l’objet de précautions particulières visant à lui permettre de recevoir l’information nécessaire, par des moyens que son âge lui permet de comprendre, sur le déroulement de la procédure, le rôle des acteurs judiciaires et les mesures dont il est susceptible de faire l’objet. 

19.         Les procureurs devraient disposer de tous les moyens utiles et appropriés pour l’exercice de leurs compétences à l’égard des mineurs et ces moyens devraient aussi être attribués aux autres services compétents qui interviennent à l’égard des mineurs. Ils doivent en particulier bénéficier d’un système de recrutement et de formation appropriée ainsi que de la mise à disposition du personnel, du matériel et des services spécialisés indispensables. De même, les Etats membres devraient envisager la mise en place d’unités ou d’agents spécialisés pour les mineurs délinquants. 

20.         Lors des poursuites ou des enquêtes pénales et des autres procédures impliquant des mineurs, les procureurs devraient veiller à porter une attention particulière aux délais et s’assurer que de telles affaires sont traitées en priorité et sans retard injustifié. Une longue procédure peut aggraver l'impact négatif de l'infraction commise et peut freiner la réhabilitation du mineur, délinquant ou victime.

21.         Les procureurs devraient être conscients que, selon les normes internationales, les enfants privés de leur liberté doivent, en règle générale, être séparés des adultes et ont le droit d’être en contact avec leur famille[9].

22.         L’intérêt de la société exige que les médias reçoivent l’information nécessaire sur le fonctionnement du système judiciaire[10]. Néanmoins, l’exposition médiatique des mineurs impliqués dans des poursuites pénales ou des autres procédures peut leur être particulièrement préjudiciable. Les procureurs devraient donc être particulièrement sensibilisés sur leur responsabilité de ne pas révéler une information susceptible de violer les droits des mineurs impliqués ou d’augmenter leur préjudice.

23.         L’échange d’expériences entre les procureurs ainsi que la coopération internationale en matière de justice des mineurs est fortement recommandée[11].  

Les mineurs avant le procès

24.         Afin de mieux connaître la situation du mineur impliqué dans une procédure, les procureurs devraient, dans leur domaine de compétence, jouer un rôle clef dans la coordination et la coopération des divers acteurs de la phase de poursuite pénale (par exemple la police, les services de probation et les services sociaux).

25.         Les procureurs devraient, si cela est approprié, faire appel aux conseils des services sociaux, des services spécialisés de protection de l’enfance avant de décider de poursuivre ou non les mineurs impliqués. Les procureurs devraient également y faire appel avant de décider quelle sanction ou mesure proposer au tribunal. Ils devraient également être sensibilisés et recourir, le cas échéant, à des moyens techniques adaptés aux mineurs pour les auditions ainsi qu’à des experts (voir paragraphe 16 ci-dessus).

26.         Gardant à l’esprit l’éventuel impact négatif des procédures pénales ou autres sur le développement futur des mineurs, les procureurs devraient, le plus souvent possible et conformément à la loi, envisager des alternatives aux poursuites des mineurs délinquants, dès qu’elles peuvent constituer une réponse judiciaire appropriée à l’infraction tout en tenant compte des intérêts des victimes et de l’intérêt général, en cohérence avec les objectifs de la justice des mineurs[12].

 

27.         Selon les normes internationales, la détention provisoire des mineurs devrait être uniquement utilisée comme une mesure de dernier ressort et pour une durée la plus courte possible. S’ils en ont la charge, les procureurs devraient tout particulièrement vérifier si les motifs de la détention provisoire peuvent être atteints par des mesures moins coercitives et s’assurer que la détention provisoire des mineurs s’effectue dans des conditions minimisant leurs éventuelles conséquences négatives.

28.         Des lignes directrices ou des recommandations sur les mesures appropriées en réponse aux différents types d’infractions commises par les mineurs, pourraient être utiles pour assurer l’égalité devant la loi.

Les mineurs pendant le procès

29.          L’objectif d’assurer le bien être et l’intérêt des mineurs pendant le procès, devrait être une valeur partagée par tous les procureurs. Les procureurs devraient veiller à ce que la procédure pénale ne cause pas de troubles excessifs à l’encontre des délinquants et ne nuisent pas aux victimes et aux témoins, si cela est approprié, au moyen d’une approche protectrice.

30.         Le procureur devrait veiller à ce que le mineur soit informé des charges retenues contre lui, et exercer pleinement sa défense, afin qu’il soit en mesure de présenter ses explications et de bénéficier de l’assistance d’un avocat dans toutes les procédures qui le concernent, et de pouvoir s’exprimer librement devant l’instance judiciaire compétente.

 

Exécution des décisions concernant les mineurs

31.         En matière de justice des mineurs, les procureurs devraient, lorsque cela entre dans leurs compétences, veiller à ce que des mesures d’éducation et de socialisation soient utilisées le plus largement possible, telles que la réparation, la formation, le contrôle par les services sociaux, le traitement, le placement dans des établissements spécialisés pour mineurs, la médiation, ainsi que le contrôle judiciaire, la mise à l’épreuve et la liberté conditionnelle, tout en tenant compte de l’intérêt de la victime, de l’intérêt général, de l’intérêt du mineur ainsi que des objectifs de la justice pénale.

32.         Lorsque cela entre dans leurs compétences, les procureurs devraient contrôler la légalité de la mise en œuvre de toutes les sanctions et mesures ainsi que le placement des mineurs en établissements spécialisés et régulièrement inspecter les établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs. Ces inspections devraient également concerner les établissements utilisés pour la détention provisoire.

33.         Les procureurs devraient, lorsque cela entre dans leurs compétences, veiller à ce que le mineur qui a commis une infraction et qui a fait l’objet d’une mesure ou d’une sanction judiciaire, puisse faire l’objet d’un suivi et d’une assistance afin d’éviter au maximum les risques de récidive.

34.         Les Etats  membres sont invités à vérifier régulièrement la mise en œuvre, au sein de leur système national, de la Recommandation (2000)19, en particulier au regard de la justice des mineurs telle que détaillée dans le présent Avis . 



[1]Voir mandat du CCPE pour 2009-2010 (1044ème réunion des Délégués des Ministres, 10 décembre 2008).

[2] Résolution adoptée lors de la 28ème Conférence des Ministres européens de la Justice (Lanzarote, Espagne, Octobre 2007).

[3] Voir document CCPE-GT(2010)1REV6.

[4] Voir notamment les instruments juridiques des Nations Unies, incluant: la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants (20 novembre 1989);  l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (« Règles de Beijing », 29 novembre 1985); les principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (« Principes directeurs de Riyad »,14 décembre 1990); les règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (« Règles de la Havane », 14 décembre 1990). Voir également l’Observation Générale n°10 du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs (CRC/C/GC/10, 2007) et le Règlement de procédure et de preuve de la Cour Pénale Internationale (9 Septembre 2002), et en particulier les règles 67 (« Témoignages en direct présentés par liaison audio ou vidéo »), 68 (« Témoignages préalablement enregistrés »), 87 (« Mesures de protection ») et 88 (« Mesures spéciales »).

[6] Voir jurisprudence de la CEDH, notamment : X et Y. c/ Pays-Bas (26 mars 1985, n°8978/80); Bouamar c/ Belgique (29 février 1988, n°9106/80); V. c/ Royaume-Uni (16 décembre 1999, n°24888/94) et T. c/ Royaume-Uni (16 décembre 1999, n°24724/94); Couillard c/ Maugery c/ France (1er juillet 2004, n°64796/01); Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c/ Belgique (12 octobre 2006, n°13178/03); Okkali c/ Turquie (17 octobre 2006, n°52067/99); Maumousseau et Washington c/ France (6 décembre 2007, n°39388/05); Yunus Aktaş et autres c/ Turquie (20 octobre 2009, n°24744/03); M.B. c/ France (17 décembre 2009, n°22115/06) (Recours devant la Grande Chambre en cours); Salduz c/ Turquie (27 novembre 2008, n°36391/02).

[7] Voir 7ème session de la Conférence des procureurs généraux d'Europe (Moscou, 5 à 6 Juillet 2006) organisée par le Conseil de l'Europe en coopération avec le Bureau du procureur général de la Fédération de Russie.

[8] Voir également le résumé de l'analyse du questionnaire relatif au traitement des mineurs délinquants (Document PC-CP (2009) 04final) et le projet de lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, préparé par un groupe de spécialistes du Comité européen de coopération juridique (Document CJ-S-CH (2011) 9).

[9] Voir Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, article 37.

[10] Voir la Déclaration de Bordeaux dans l’Avis n°12(2009) du CCJE et l’Avis n°4(2009) du CCPE sur les juges et procureurs dans une société démocratique.

[11] Voir Avis n°1 du  CCPE sur les moyens d’améliorer la coopération internationale dans le domaine pénal.

[12] Voir Avis n° 2 du CCPE sur les mesures alternatives aux poursuites.