Strasbourg, 8 décembre 2009

AVIS N°12 (2009)

DU CONSEIL CONSULTATIF DE JUGES EUROPÉENS (CCJE)

ET

AVIS N°4 (2009)

DU CONSEIL CONSULTATIF DE PROCUREURS EUROPÉENS (CCPE)

À L’ATTENTION DU COMITÉ DES MINISTRES

DU CONSEIL DE L'EUROPE

SUR

JUGES ET PROCUREURS DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE

Le présent Avis, adopté conjointement par le CCJE et le CCPE contient :

§  une Déclaration, dite « Déclaration de Bordeaux » ;

§  une Note explicative.


DÉCLARATION DE BORDEAUX :

« JUGES ET PROCUREURS DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE »[1]

Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) et le Conseil consultatif des procureurs européens (CCPE), à la demande du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de fournir un avis sur les relations entre les juges et les procureurs, sont convenus de ce qui suit :

1.     L’intérêt de la société requiert que l’Etat de droit soit garanti par une justice équitable, impartiale et efficace. Les procureurs et les juges doivent veiller, à tous les stades de la procédure, à ce que les droits individuels et les libertés soient garantis et que l’ordre public soit protégé. Cela implique le respect absolu des droits de la personne mise en cause et des victimes. Une décision de classement sans suite par le procureur devrait faire l’objet d’un contrôle par le juge. Une option serait de permettre à la victime de porter l’affaire directement devant le tribunal.

2.     Une justice équitable exige le respect de l’égalité des armes entre le ministère public et la défense. Elle implique également le respect de l’indépendance du tribunal, du principe de la séparation des pouvoirs ainsi que de la force contraignante des jugements définitifs.

3.     Le rôle distinct mais complémentaire des juges et des procureurs est une garantie nécessaire pour une justice équitable, impartiale et efficace. Si les juges et les procureurs doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent l’être et apparaitre ainsi également les uns vis-à-vis des autres.

4.     Des moyens organisationnels, financiers, matériels et des ressources humaines suffisants devront être mis à la disposition de la justice.

5.     Le rôle des juges et, le cas échéant, des jurys, est de juger les affaires portées régulièrement devant eux par le ministère public, sans aucune influence illicite exercée par l’accusation ou la défense, ou par toute autre source.

6.     L’application de la loi et, le cas échéant, le pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites par le ministère public pendant la phase préalable au procès, exigent que le statut des procureurs soit garanti par la loi, au plus haut niveau, à l’instar de celui des juges. Les procureurs doivent être indépendants et autonomes dans leur prise de décision et doivent exercer leurs fonctions de manière équitable, objective et impartiale.

7.     Le CCJE et le CCPE se réfèrent à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 3 et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Il s’agit, en particulier, des décisions dans lesquelles la Cour a affirmé l’exigence d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties, pour tout magistrat exerçant des fonctions judiciaires, ce qui n’exclut toutefois pas la subordination à une autorité hiérarchique judiciaire indépendante. Toute attribution de fonctions juridictionnelles aux procureurs devrait être limitée aux affaires n’impliquant que des sanctions mineures, ne devrait pas se cumuler avec le pouvoir de poursuivre dans la même affaire et ne devrait pas porter atteinte au droit du prévenu d’obtenir une décision sur la même affaire par une autorité indépendante et impartiale exerçant des fonctions judiciaires.

 

8.     Un statut d’indépendance des procureurs requiert certains principes de base, en particulier :

-          ils ne doivent pas être soumis dans l’exercice de leurs fonctions à des influences ou à des pressions de  toute origine extérieure au ministère public;

-          leur recrutement, leur carrière, leur sécurité de fonction, y compris le déplacement de fonctions qui ne peut être effectué que conformément à la loi ou soumis à leur consentement, ainsi que leur rémunération, doivent  être protégés par la loi.

9.     Dans un Etat de droit, et lorsque le ministère public est hiérarchisé, l’efficacité des poursuites est, en ce qui concerne les procureurs, indissociable de la nécessité d’instructions transparentes émanant de l’autorité hiérarchique, de l’obligation de rendre compte à celle-ci et de la responsabilité. Les instructions envers les procureurs doivent être faites par écrit, dans le respect de la loi et, le cas échéant, conformément à des directives et critères préalablement publiés. Toute révision, autorisée par la loi, d’une décision de poursuite ou de non poursuite prise par un procureur, doit être faite de manière impartiale et objective. En tout état de cause, les intérêts de la victime devront être pris en compte.

 

10.  Le partage de principes juridiques et de valeurs éthiques communes par tous les professionnels impliqués dans le processus judiciaire est essentiel pour une bonne administration de la justice. La formation, y compris la formation à la gestion administrative, est un droit et un devoir pour les juges et les procureurs. De telles formations devront être organisées sur une base impartiale. Elles devront également être régulièrement et objectivement évaluées quant à leur efficacité. Lorsque cela est approprié, une formation commune aux juges, aux procureurs et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun peut contribuer à la recherche d’une justice de la plus haute qualité.

11.  L’intérêt de la société exige également que les médias puissent informer le public sur le fonctionnement du système judiciaire. Les autorités compétentes doivent fournir cette information, en respectant en particulier la présomption d’innocence des personnes mises en cause, le droit à un procès équitable et le droit à la vie privée et familiale de toutes les personnes impliquées dans un procès. Juges et procureurs devraient rédiger un code de bonnes pratiques ou des lignes directrices régissant leurs relations respectives avec les médias.

12.  Les juges et les procureurs sont des acteurs clef de la coopération internationale en matière judiciaire. Le renforcement de la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des différents Etats est indispensable. Dans ce contexte, il est impératif que l’information recueillie par les procureurs au moyen de la coopération internationale, et utilisée dans les procédures judiciaires, soit transparente tant dans son contenu que sur son origine, et soit disponible pour les juges et toutes les parties, dans le but d’assurer une protection efficace des droits et des libertés fondamentaux.

13.  Dans les Etats membres où le ministère public exerce des fonctions s’étendant au-delà du domaine pénal, les principes mentionnés s’appliquent à toutes ces fonctions.


NOTE EXPLICATIVE

I. INTRODUCTION 

a.             Objet de l’Avis

1.    L’une des missions essentielles d'une société fondée sur la démocratie et la primauté du droit est de veiller au respect absolu des libertés et droits fondamentaux et de l'égalité devant la loi, conformément, en particulier à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CEDH) ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (la Cour). Dans le même temps, il est important de garantir la sécurité et la justice au sein de la société en prenant des mesures efficaces contre les comportements criminels. La sécurité au sein de la société doit également être garantie dans un Etat démocratique par l’exécution effective des sanctions imposées aux comportements criminels (Déclaration, paragraphe 1).

2.    Ainsi, appartient-il à l’Etat de mettre en place et d’assurer le fonctionnement d’un système judiciaire qui respecte pleinement les droits de l’homme et les libertés fondamentales, tout en étant efficace. Alors que de nombreux acteurs participent à cette mission, qu’ils soient issus du secteur public ou privé (tel que les avocats), les juges et les procureurs jouent un rôle-clé lorsqu’ils assurent le fonctionnement de la justice d’une manière indépendante et impartiale.

3.    Dans leurs précédents avis, le Conseil consultatif de Juges européens (CCJE) et le Conseil Consultatif des Procureurs européens (CCPE) se sont penchés sur de nombreux aspects importants qui permettent de rendre la justice efficace et respectueuse des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il convient de noter que le but commun des juges et des procureurs, y compris pour les procureurs qui ont de telles tâches dans les matières non pénales, est d’assurer une justice équitable, impartiale et efficace. La nouveauté de cet avis vient du fait qu’il a été élaboré par des juges et des procureurs représentant leurs collègues nationaux et qu’il touche à des principes sur lesquels les juges et les procureurs se sont mis d’accord au vu de leur expérience du terrain.

4.    C’est pourquoi le texte est concentré sur des aspects essentiels des deux missions et notamment: l’indépendance, le respect des droits et des libertés fondamentales, l’objectivité et l’impartialité, l’éthique et la déontologie, la formation et les relations avec les medias.

5.    Cet avis devrait être compris dans le contexte des relations des juges et des procureurs avec les autres professionnels qui interviennent aux différents stades de la procédure judiciaire, par exemple les avocats, les experts judiciaires, les greffiers, les huissiers de justice ou la police, comme le préconise le Programme cadre d’action global pour les juges en Europe adopté par le Comité des Ministres le 7 février 2001 et la Recommandation Rec (2000) 19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, adoptée par le Comité des Ministres le 6 octobre 2000 .

b.            Diversité de systèmes nationaux

6.    Au sein des pays du Conseil de l'Europe, plusieurs systèmes judiciaires cohabitent :

i.      les systèmes de « common law » où il existe une séparation nette entre les juges et les procureurs et où le pouvoir d’investigation n’est pas combiné avec les autres fonctions ; 

ii.     les systèmes de droit continental où l’on trouve des variantes dans lesquels juges et procureurs font partie du ”corps judiciaire” ou au contraire dans lesquels cette appartenance est réservée aux seuls juges.

De plus, dans ces divers systèmes, l’autonomie du ministère public par rapport à l’exécutif peut être complète ou limitée.

7.    Le but de cet Avis est d’identifier des principes et approches applicables, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, en tenant compte des points communs et des différences.

8.    La garantie de séparation des fonctions représente une condition essentielle de l’impartialité du juge à l’égard des parties au procès. Ainsi que l’énonce l’Avis n°1 du CCJE sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, l’impartialité est la première des garanties organiques qui définissent la mission du juge. Elle implique, par ailleurs, que le ministère public a la charge de la preuve et  développe l’acte d’accusation, ce qui constitue une des premières garanties procédurales de la décision finale de juger

9.    La mission du juge est donc différente de celle du ministère public et ce, dans tous les systèmes. Leurs missions respectives n’en demeurent pas moins complémentaires. Il n’existe pas de relations hiérarchiques entre le juge et le procureur (Déclaration, paragraphe 3).

10. L’indépendance du ministère public constitue un corollaire indispensable à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le procureur ne joue jamais aussi bien son rôle dans l'affirmation et la défense des droits de l'homme – tant des personnes mises en causes que des victimes – que lorsqu’il prend des décisions indépendamment des organes exécutif et législatif et que juges et procureurs exercent correctement leurs fonctions respectives. Dans les démocraties qui se fondent sur la prééminence du droit, c'est le droit qui sert de base à la politique du ministère public (Déclaration, paragraphe 3).

c.             Spécificités des fonctions

11. Les procureurs et les juges doivent exercer leurs fonctions de façon juste, impartiale, objective et cohérente, respecter et s’efforcer de protéger les droits de l’homme et garantir que le système de justice fonctionne de façon prompte et efficace. 

12. Que l’action des procureurs se base sur un système de poursuite discrétionnaire (principe d’opportunité) ou sur un système de poursuite obligatoire (principe de légalité), ceux-ci agissent non seulement au nom de la société dans son ensemble mais ils ont aussi des devoirs envers des individus bien précis, notamment les accusés, vis-à-vis desquels ils ont un devoir d’équité, et les victimes à qui ils doivent garantir que justice sera faite. En ce sens, et sans préjudice du respect de l’égalité des armes, les procureurs ne doivent pas être considérés comme une partie comme les autres (Déclaration, paragraphe 2). Les procureurs devraient également tenir dûment compte du point de vue et des préoccupations des victimes et prendre ou encourager des mesures visant à garantir que celles-ci soient informées de leurs droits et de l’évolution de la procédure. Lorsqu’une enquête impartiale conclut sur la base des preuves disponibles que la charge n’est pas fondée, le procureur ne doit pas déclencher ni poursuivre l’action pénale.

d.            Normes internationales existantes

13. Plusieurs textes du Conseil de l’Europe ainsi que la jurisprudence de la Cour concernent, directement ou implicitement, les relations entre juges et procureurs.

 

14. Tout d’abord, la Cour réserve certaines tâches aux juges garants des droits et libertés – voir en particulier les articles 5 (Droit à la liberté et à la sûreté) et 6 (Droit à un procès équitable) – mais aussi au ministère public (par le biais de l’article 5 paragraphes 1a et 3 et de l’article 6).

15. La Cour, dont l’un des rôles est d’interpréter la CEDH, s’est prononcée à plusieurs reprises sur des questions relatives aux rapports institutionnels entre les juges et le ministère public ainsi que sur des questions de procédure dans des affaires pénales et civiles.

16. Elle s’est notamment prononcée sur l’exercice successif des fonctions de procureur et de juge par une seule et même personne dans la même affaire (arrêt du 1er octobre 1982, affaire Piersack c. Belgique, §§ 30-32), sur la nécessité de garantir l’absence de toute pression politique sur les tribunaux et les autorités de poursuite (arrêt du 12 février 2008, affaire Guja c. Moldova, §§ 85-91), sur la nécessité de protéger les juges et les procureurs dans le contexte de la liberté d’expression (arrêt du 8 janvier 2008, affaire Saygili et autres c. Turquie, §§ 34-40), sur l’obligation procédurale des tribunaux et des services du ministère public d’instruire, de poursuivre et de sanctionner les violations des droits de l’homme (arrêt du 15 mai 2007, affaire Ramsahai et autres c. Pays-Bas, §§ 321-357) et enfin sur la contribution des autorités de poursuite à l’uniformisation de la jurisprudence (arrêt du 10 juin 2008, affaire Martins de Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, §§ 51-66).

17. En ce qui concerne la procédure pénale, la Cour a examiné le statut et les pouvoirs du ministère public et les exigences posées par l’article 5 paragraphe 3 de la CEDH (relatif aux juges ou aux autres magistrats habilités « par la loi à exercer des fonctions judiciaires ») à partir de différentes situations de fait (voir, parmi d’autres, l’arrêt du 4 décembre 1979, affaire Schiesser c. Suisse, §§ 27-38 ; l’affaire De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, §§ 49-50 ; l’affaire Assenov et autres c. Bulgarie, §§ 146-150 ; affaire Niedbala c. Pologne, §§ 45-47 ; l’affaire Pantea c. Roumanie, §§ 232-243, et l’arrêt du 10 juillet 2008, affaire Medvedyev et autres c. France, §§ 61, 67-69). La Cour a également examiné le statut, la compétence et les pouvoirs de contrôle des autorités de poursuite dans des affaires d’écoutes téléphoniques (arrêt du 26 avril 2007, affaire Dumitru Popescu c. Roumanie, §§ 68-86) et la question de la présence du ministère public aux délibérés des juridictions suprêmes (arrêt du 30 octobre 1991, affaire Borgers c. Belgique, §§ 24-29, et arrêt du 8 juillet 2003, affaire Fontaine et Berlin c. France, §§ 57-67).

18. Enfin, en dehors de la sphère pénale, la Cour a une jurisprudence claire et bien établie sur la « théorie des apparences », selon laquelle la présence du ministère public aux délibérés des juridictions est contraire à l’article 6 § 1 de la CEDH (arrêt du 20 février 1996, affaire Lobo Machado c. Portugal, §§ 28-32, et arrêt du 12 avril 2006, affaire Martinie c. France [GC], §§ 50-55).

19. D’autres textes ont été élaborés par le Conseil de l’Europe :

-           la Recommandation Rec(94)12 du Comité des Ministres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, qui est applicable à toutes les personnes exerçant des fonctions judiciaires, reconnaît l’existence de rapports entre les juges et le ministère public, au moins dans les pays où ce dernier a une dimension d’autorité judiciaire au sens qui est accordé à cette expression par la Cour ;

-           la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale souligne explicitement les rapports entre les juges et le ministère public, tout en mettant en avant les principes généraux essentiels pour garantir que ces rapports contribuent à l’accomplissement des missions des juges et du ministère public. La Recommandation met en particulier l’accent sur l’obligation positive qui incombe aux Etats de prendre « toutes mesures afin que le statut légal, la compétence et le rôle procédural des membres du ministère public soient définis par la loi de sorte qu'il ne soit possible de nourrir aucun doute légitime quant à l'indépendance et à l'impartialité des juges ».

-    La Recommandation Rec(87)18 du Comité des Ministres concernant la simplification de la justice pénale, contient divers exemples de tâches qui étaient précédemment dévolues aux seuls juges et qui sont aujourd’hui confiées au ministère public (dont la mission première consiste toujours à engager et diriger les poursuites). Ces nouvelles tâches créent des exigences supplémentaires quant à la manière d’organiser le ministère public et au choix des personnes appelées à assumer ces fonctions.

II. STATUT DU JUGE ET DU PROCUREUR

a.             Garanties d’indépendance interne et externe des juges et des procureurs ; l’Etat de droit, condition nécessaire à leur indépendance

20. Les juges et les procureurs doivent être indépendants les uns par rapport aux autres et jouir d’une indépendance effective dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Ils ont des fonctions distinctes au sein du système judiciaire et de la société dans son ensemble. Il existe ainsi différentes perspectives d’indépendance institutionnelle et fonctionnelle (Déclaration, paragraphe 3).

21. Le pouvoir judiciaire se fonde sur le principe de l'indépendance à l'égard de tout pouvoir extérieur et sur l’absence tant de toute directive émanant de qui que ce soit que de hiérarchie interne. Son rôle et, le cas échéant, celui du jury, est de juger régulièrement les causes portées devant lui par le ministère public et par les parties. Ceci implique l’absence de toute influence illicite exercée par le ministère public ou la défense (Déclaration, paragraphe 5). Juges, procureurs et avocats doivent chacun respecter le rôle des autres.

22. Le principe fondamental de l'indépendance des juges est inscrit dans l’Article 6 de la CEDH et souligné dans les avis précédents du CCJE.

23. La fonction de juger implique la responsabilité de rendre des décisions contraignantes pour les personnes concernées par celles-ci et de trancher les litiges en disant le droit. Les deux sont l’apanage du juge, autorité judiciaire indépendante des autres pouvoirs de l’Etat[2]. En général, elle n’est pas du ressort du procureur, qui est lui-même responsable de l’engagement ou de la conduite des poursuites pénales.

24. Le CCJE et le CCPE se réfèrent à la jurisprudence constante de la Cour en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 3 et l’article 6 de la CEDH. Il s’agit en particulier de l’arrêt Schiesser c. Suisse dans lequel la Cour a affirmé l’exigence d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties pour tout « magistrat exerçant des fonctions judiciaires », ce qui n’exclut toutefois pas la subordination à une autorité hiérarchique judiciaire indépendante (Déclaration, paragraphe 7).

25. Certains Etats membres attribuent au ministère public le pouvoir de rendre des décisions contraignantes dans certains domaines, au lieu d’engager des poursuites criminelles ou afin de protéger certains intérêts. Le CCJE et le CCPE estiment que toute attribution de fonctions juridictionnelles aux procureurs devrait être limitée aux affaires impliquant des sanctions mineures, ne devrait pas se cumuler avec le pouvoir de poursuivre dans la même affaire et ne devrait pas porter atteinte au droit du prévenu d’obtenir une décision sur la même affaire par une autorité indépendante et impartiale exerçant des fonctions judiciaires. Cette attribution ne devrait en aucun cas permettre au ministère public de prendre des décisions définitives restrictives des libertés individuelles et privatives de liberté, dépourvues du droit d’exercer un recours devant un juge ou un tribunal. (Déclaration, paragraphe 7).

26. Le ministère public est une autorité indépendante qui doit se fonder sur la loi, au plus haut niveau. Dans un Etat démocratique, ni le Parlement ni aucune instance gouvernementale ne doivent chercher à influencer indûment les décisions du ministère public relatives à telle ou telle affaire pour déterminer la manière de conduire les poursuites dans un cas précis, ou contraindre le ministère public à modifier sa décision (Déclaration, paragraphes 8 et 9).

27. L’indépendance du ministère public est indispensable pour lui permettre de remplir sa mission. Elle renforce le rôle de celui-ci dans l’Etat de droit et la société et est également une garantie pour que le système judiciaire fonctionne avec impartialité et efficacité et pour que tous les bénéfices attendus de l’indépendance des juges soient effectifs (Déclaration, paragraphes 3 et 8). A l’instar de l’indépendance accordée aux juges, l’indépendance du ministère public n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans l’intérêt de ses membres, mais une garantie pour une justice équitable, impartiale et efficace et protège les intérêts publics et privés des personnes concernées.

28. La mission du procureur, qui peut se caractériser par les principes de légalité ou d'opportunité des poursuites, diffère selon le système existant dans chaque Etat, en fonction de la place qu’occupe le ministère public dans le paysage institutionnel et dans la procédure pénale.

29.  Quel que soit son statut, le ministère public doit jouir d’une indépendance fonctionnelle totale dans l’exercice de ses missions légales, tant pénales que non pénales. Qu’il soit ou non hiérarchisé, pour que ses membres puissent rendre compte et afin d’empêcher que des poursuites soient intentées de manière arbitraire ou sans raison valable, le ministère public doit édicter des lignes directrices claires et transparentes sur l’exercice des poursuites. (Déclaration, paragraphe 9).

30.  A cet égard, le CCJE et le CCPE renvoient en particulier à la Recommandation Rec (2000) 19 qui reconnaît que pour favoriser l’équité, la cohérence et l’efficacité de l’action du ministère public, les Etats doivent veiller à arrêter des principes et des critères généraux servant de référence aux décisions dans les affaires individuelles prises par les procureurs[3].

31. Les instructions aux procureurs doivent être faites par écrit, dans le respect de la loi et, le cas échéant, conformément à des directives et critères préalablement publiés (Déclaration, paragraphe 9).

32. Toute décision du Ministère public de poursuite ou de non poursuite doit être légalement justifiée. Toute révision autorisée par la loi d’une décision de poursuite ou de non poursuite prise par un procureur doit être faite de manière impartiale et objective, que ce soit par le ministère public lui-même ou par une autorité judiciaire indépendante. Les intérêts de la victime doivent, tout comme ceux des autres personnes concernées, toujours être pris en compte (Déclaration, paragraphe 9).

33. La complémentarité des fonctions de juge et de procureur implique qu’ils soient chacun conscients qu’une justice impartiale exige l’égalité des armes entre le ministère public et la défense et que le ministère public doit toujours agir dans ses poursuites avec honnêteté, objectivité et impartialité. Juge et ministère public auront à chaque moment le souci de respecter la personne mise en cause et les victimes ainsi que les droits de la défense (Déclaration, paragraphes 2 et 6).

34.  L'indépendance du juge et du ministère public est indissociable de la primauté du droit.  Les juges comme les procureurs agissent dans l'intérêt général, au nom de la société et des citoyens qui veulent que leurs droits et libertés soient garantis sous tous leurs aspects. Ils interviennent dans des domaines où les droits de l'homme les plus sensibles (liberté individuelle, vie privée, préservation des biens, etc.) méritent la plus grande protection. Ainsi, le ministère public doit s’assurer que les preuves sont recueillies et les poursuites engagées et menées conformément à la loi. Ce faisant, il doit respecter les principes consacrés par la CEDH et les autres conventions internationales, notamment la présomption d’innocence, les droits de la défense et le droit à un procès équitable. Le juge doit veiller au respect de ces principes dans les procédures qui lui sont soumises.

35. S'il est permis au procureur de saisir le juge des actions et demandes définies par la loi et de lui présenter tous les éléments de fait et de droit à l'appui de celles-ci, il ne peut s'ingérer d'une manière quelconque dans le processus décisionnel du juge et est tenu de respecter ses décisions. Il ne peut s'opposer à l'exécution de ces décisions, sauf en exerçant les recours prévus par la loi (Déclaration, paragraphes 4 et 5).

36. L’intervention et l’attitude du ministère public et du juge ne doivent laisser planer aucun doute sur leur impartialité objective. Si les juges et les procureurs doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent l’être et apparaitre ainsi également les uns vis-à-vis des autres. Il ne faut pas qu’aux yeux du justiciable et de la société en général, il puisse exister ne fût-ce qu’une impression de connivence entre eux  ou deconfusion entre les deux fonctions.

37.  Le respect des principes qui précèdent implique que le statut des procureurs soit, à l’instar de celui des juges, garanti par la loi au plus haut niveau. La proximité et la complémentarité des missions de juge et de procureur imposent des exigences et garanties semblables sur le plan du statut et des conditions d’emploi, en particulier en ce qui concerne le recrutement, la formation, le développement de la carrière, la discipline, le déplacement de fonctions (qui ne peut être effectué que conformément à la loi ou soumis à leur consentement), la rémunération, la cessation de fonctions et la liberté de créer des associations professionnelles (Déclaration, paragraphe 8).

38. Les juges et les procureurs doivent selon le système national en vigueur, être directement associés à l’administration et à la gestion de leurs services respectifs. A cette fin, les moyens budgétaires suffisants ainsi que l’infrastructure et les ressources humaines et matérielles nécessaires doivent être mis à la disposition des juges et des procureurs et doivent être utilisés et gérés sous leur autorité (Déclaration, paragraphe 4)

b.            Ethique et déontologie des juges et des procureurs

39.  Les juges et les procureurs doivent être intègres et posséder les qualifications professionnelles et compétences organisationnelles nécessaires. En raison de la nature de leurs fonctions qu’ils ont acceptées en connaissance de cause, les juges et les procureurs sont constamment exposés aux critiques publiques et doivent en conséquence s’imposer un devoir de réserve,  sans préjudice, dans le cadre de la loi, de leur droit à communiquer sur les affaires dont ils sont saisis. Acteurs essentiels de la justice, ils doivent en permanence préserver la dignité et l'honneur de leur charge et adopter une attitude digne de leur fonction[4] (Déclaration, paragraphe 11).

40. Juges et procureurs doivent s'abstenir de toute action ou attitude qui pourrait compromettre la confiance en leur indépendance et leur impartialité. Ils doivent examiner les causes qui leur sont présentées avec diligence et dans un délai raisonnable, d’une manière objective et impartiale.

41. Les procureurs doivent s’abstenir, en public, de toute déclaration ou commentaire susceptible de donner à penser qu’ils font pression directe ou indirecte sur le tribunal pour que celui-ci rende une certaine décision, ou qui pourrait compromettre le caractère équitable de la procédure.

42.  Les procureurs devraient se familiariser avec les normes éthiques qui régissent les fonctions des juges, et réciproquement. Cela permettrait d’améliorer la compréhension et le respect pour les deux missions et ainsi d’augmenter les chances d’une collaboration harmonieuse.

c.             Formation des juges et des procureurs

43.  Le plus haut niveau de compétences professionnelles constitue une condition préalable indispensable à la confiance que l’opinion publique accorde aux juges et aux procureurs et dont ceux-ci tirent principalement leur légitimité et leur rôle. Il est crucial que leur formation professionnelle soit appropriée, car elle permet d’améliorer l’efficacité de leur performance dans leur travail et, partant, de renforcer la qualité de la justice dans son ensemble (Déclaration, paragraphe 10).

44.  La formation des juges et des procureurs ne vise pas seulement l’acquisition des aptitudes professionnelles exigées pour l’accès à la profession, mais également la formation permanente tout au cours de la carrière. Elle revêt les aspects les plus divers de leur vie professionnelle, y compris la gestion administrative des cours et services d’enquête et doit aussi répondre aux nécessités de spécialisation. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la formation permanente requise pour maintenir un niveau élevé de qualification professionnelle et pour parfaire celle-ci est pour chaque juge et procureur non seulement un droit mais aussi un devoir (Déclaration, paragraphe 10).

45.  Lorsque cela est approprié, une formation commune aux juges, aux procureurs et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun peut contribuer à la recherche d’une justice de la plus haute qualité. Cette communauté de formation devrait permettre de créer un socle de culture juridique commun (Déclaration, paragraphe 10).

46.  Les différents systèmes juridiques européens forment les juges et les procureurs selon des modèles divers. Certains pays ont créé une académie, une école nationale ou d’autres instituts spécialisés. D’autres pays confient la formation à des organes spécifiques. Des formations internationales pour les juges et les procureurs devraient être organisées. Dans tous les cas, il est essentiel de veiller à l’autonomie de l’institution chargée d’organiser la formation judiciaire, car cette autonomie est la garante du pluralisme culturel et de l’indépendance[5].

47.  Dans ce contexte, la contribution directe des juges et des procureurs aux cours de formation revêt une importance capitale, car elle permet de présenter des points de vue tirés de l’expérience professionnelle respective. Les matières enseignées devraient porter non seulement sur le droit et la protection des libertés individuelles, mais également sur les techniques de management et comporter une réflexion sur les missions respectives des juges et des procureurs. Dans le même temps, les contributions d’autres juristes et du monde universitaire sont essentielles pour éviter le risque d’une approche étroite d’esprit. Enfin, la qualité et l’efficacité de la formation devraient être régulièrement et objectivement évaluées.

III. FONCTIONS ET ROLES DES JUGES ET DES PROCUREURS DANS LA PROCEDURE PENALE

a.         Rôles des juges et procureurs pendant la phase préparatoire

48. Au stade de l’enquête, le juge contrôle, seul ou parfois en collaboration avec le procureur la légalité des enquêtes, en particulier lorsqu’elles touchent aux droits fondamentaux (décisions concernant l’arrestation, le placement en détention, la confiscation de biens, recours à des techniques d’enquête spéciales).

49. En règle générale, lorsqu'il décide de déclencher ou de poursuivre l'action pénale, le ministère public doit vérifier attentivement que l’enquête est menée de manière conforme au droit et qu’elle respecte les droits de l'homme.

50. Selon la Recommandation Rec(2000)19, lorsque la police est placée sous l'autorité du ministère public ou que les enquêtes de police sont dirigées ou supervisées par ce dernier, l'Etat prend toutes mesures pour que le ministère public puisse donner des instructions, procéder aux évaluations et aux contrôles nécessaires et puisse sanctionner les violations. Lorsque la police est indépendante du ministère public, le texte préconise simplement que l’Etat prenne toutes mesures pour que le ministère public et les autorités d’enquête coopèrent de façon appropriée et efficace.

51. Même dans les systèmes où l’enquête est contrôlée par le procureur dont le statut fait de lui une autorité judiciaire, il est impératif que les mesures prises dans ce cadre et constituant des atteintes importantes aux libertés, notamment la détention provisoire, soient contrôlées par les juges ou un tribunal.

b.            Relations entre juges et procureurs pendant les poursuites et l’audience

52. Dans certains Etats, le ministère public peut réguler le flux des affaires grâce au pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider des dossiers à transmettre aux tribunaux et des affaires pouvant être réglées par voie extrajudiciaire (conciliation entre l’accusé et la victime, règlement avant procès avec le consentement des parties, procédures simplifiées et raccourcies dérivées du plaider-coupable, mesures alternatives aux poursuites, médiation), ce qui contribue à réduire l’encombrement judiciaire et à dégager des priorités en matière de poursuites.

53. Ces compétences du ministère public, qui reflètent la modernisation, l’adaptation à la société, l’humanisation et la rationalisation de l’exercice de la justice pénale, sont utiles pour réduire la surcharge des tribunaux. Cela étant, à partir du moment où les procureurs ont le pouvoir de ne pas porter telle ou telle affaire devant les tribunaux, il est nécessaire d’éviter toute décision arbitraire ou discrimination, ou toute pression illicite qui émanerait du pouvoir politique et de protéger les droits des victimes. Il est également nécessaire de permettre à toute personne intéressée, en particulier aux victimes, d’exercer un recours contre la décision du procureur de ne pas mettre l’action publique en mouvement. Une option pourrait permettre à la victime de porter l’affaire directement devant le tribunal.

54. Par conséquent, dans les pays où s’applique le principe de l’opportunité des poursuites, le ministère public doit se montrer particulièrement attentif lors de la décision d’engager ou non des poursuites et se référer à des principes objectifs ou lignes directrices destinés à assurer la cohérence des décisions relatives aux poursuites.

55. L’impartialité du procureur, pendant le déroulement de la procédure, doit se manifester comme suit : il doit faire preuve d'objectivité et d'équité pour veiller notamment à ce que les tribunaux disposent de tous les éléments de fait ou de droit pertinents, y compris les preuves favorables à l’accusé ; il doit tenir dûment compte de la situation du mis en cause et de la victime, vérifier que les preuves ont été obtenues par des méthodes admissibles au regard des règles du procès équitable et rejeter les preuves obtenues en violation des droits de l'homme, telles que la torture (Déclaration, paragraphe 6).

56. Lorsqu'une instruction impartiale a établi que les accusations sont sans fondement, le procureur ne doit pas déclencher ou poursuivre l’action pénale mais mettre fin à la procédure.

57. Globalement, pendant la procédure, le juge et le ministère public exercent leurs fonctions respectives pour garantir le déroulement équitable du procès pénal. Le juge veille au respect de la légalité des preuves réunies par le ministère public ou les autorités d’enquête et à l’abandon des poursuites lorsque les preuves sont insuffisantes ou illégales. De son côté, le ministère public a le pouvoir de faire appel des décisions judiciaires.

c.         L’exercice des droits de la défense à tous les stades de la procédure

58. Les juges doivent appliquer les règles de procédure pénale en respectant pleinement les droits de la défense (en donnant aux accusés la possibilité d'exercer leurs droits, en leur notifiant leur chef d’accusation, etc.), les droits de la victime dans la procédure, le principe de l’égalité des armes et le droit à une audience publique, de manière à ce que l’équité du procès soit en toute hypothèse sauvegardée[6] (Déclaration, paragraphes 1, 2, 6 et 9).

59. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Cour européenne des droits de l'homme, arrêt du 19 décembre 1989, affaire Kamasinski c. Autriche, § 79). En matière pénale, l’exigence du procès équitable prescrite par l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH implique pour l’accusé la possibilité de discuter les preuves recueillies sur les faits contestés qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi la qualification juridique donnée à ces faits.

60. Dans les pays où le ministère public supervise l’enquête, il incombe aussi au procureur de s’assurer que les droits de la défense sont respectés. Dans les pays où l’enquête pénale est dirigée par la police ou toute autre autorité chargée de l’application de la loi, le juge intervient en tant que garant des libertés individuelles (habeas corpus), notamment en matière de détention provisoire, et il lui appartient de vérifier que les droits de la défense sont respectés.

61. Toutefois, dans de nombreux Etats, le contrôle de l’exercice des droits de la défense ne revient au juge et au procureur qu’une fois l’enquête terminée et lorsque commence l’examen des charges. Il appartient alors au procureur qui reçoit les procès-verbaux des autorités d’enquête, puis au juge qui examine les charges et les preuves recueillies, de vérifier que tout accusé a notamment été informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

62. Le procureur et le juge, selon leur rôle dans le pays considéré, doivent ensuite s’assurer notamment que l’accusé a pu disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense, qu’il est défendu, le cas échéant par un avocat commis d’office à la charge de l’Etat, qu’il dispose si nécessaire d’un interprète et qu’il peut solliciter certains actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

63. Une fois l’affaire portée devant la juridiction de jugement, les pouvoirs du juge et du procureur varient selon le rôle de l’un et de l’autre dans le procès. En tout état de cause, si l’un des éléments du respect des droits de la défense fait défaut, soit le juge, soit le procureur, soit les deux selon le système national en vigueur, doivent avoir la capacité de relever cette situation et d’y remédier objectivement.

IV. RELATIONS ENTRE JUGES ET PROCUREURS ET ROLE DU MINISTERE PUBLIC en dehors du domaine pénal et devant les cours suprêmes

64. Selon les Etats membres, le procureur peut avoir ou non des fonctions en dehors de la sphère pénale[7]. Lorsqu’il remplitde telles fonctions, celles-ci peuvent inclure, entre autres, le droit civil, administratif, commercial, social, électoral et le droit du travail, ainsi que la protection de l’environnement, les droits sociaux des groupes vulnérables tels que les mineurs, les personnes handicapées et les personnes à faibles revenus. Le rôle du procureur dans ce domaine ne devrait pas lui permettre d’exercer une influence illicite sur le processus définitif de prise de décision des juges (Déclaration, paragraphe 13).

65. Il convient également de mentionner le rôle que le ministère public remplit dans certains pays devant la cour suprême. Ce rôle est comparable à celui des avocats généraux devant la Cour de justice des Communautés européennes. Devant ces juridictions, l’avocat général (ou son équivalent) n’est pas une partie et ne représente pas l’Etat, mais est un organe indépendant qui dépose des conclusions dans chaque affaire ou seulement dans les affaires qui présentent un intérêt particulier afin d’éclairer la cour sur tous les aspects des questions de droit qui lui sont soumises en vue d’une application correcte du droit .

66. Conformément aux règles de l’Etat de droit dans une société démocratique, toutes les compétences des procureurs, ainsi que toutes les procédures d’exercice de celles-ci devraient être établies avec précision par la loi. Lorsqu’un procureur agit en dehors du domaine pénal, il doit respecter la compétence exclusive du juge et tenir compte des principes suivants, développés notamment par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme:

            i.        la participation du ministère public aux procédures judiciaires ne doit pas affecter l'indépendance des tribunaux ;

           ii.        le principe de la séparation des pouvoirs doit être respecté dans le cadre, d’une part, des tâches et activités confiées aux procureurs en dehors du domaine de la justice pénale et, d’autre part, du rôle des tribunaux dans la protection des droits de l'homme ;

          iii.        sans préjudice de leur mission de représentants de la société, les procureurs doivent jouir des mêmes droits et être soumis aux mêmes obligations que toute autre partie et ne doivent pas bénéficier d'une position privilégiée dans la procédure (égalité des armes) ;

          iv.        lorsqu'ils agissent au nom de la société pour défendre l'intérêt public et les droits des individus, les procureurs ne doivent pas violer le principe de l'autorité de la chose jugée (res judicata), sous réserve des exceptions établies par les mesures et engagements internationaux y compris par la jurisprudence de la Cour.

Les autres principes mentionnés dans la Déclaration s’appliquent mutatis mutandis à toutes les fonctions des procureurs en dehors du domaine pénal (Déclaration, paragraphe 13).

V. LE JUGE, LE PROCUREUR ET LES MEDIAS (Déclaration, paragraphe 11)

67. Les médias jouent un rôle essentiel dans les sociétés démocratiques et notamment à l’égard du système judiciaire. La perception de la qualité de la justice au sein de la société dépend beaucoup de la façon dont les médias rendent compte de la manière dont le système judiciaire fonctionne. La publicité des débats contribue à l’équité du procès, en protégeant les parties contre une justice opaque.

68. L’opinion publique et les médias accordant de plus en plus d’attention aux affaires pénales et civiles, les tribunaux et les autorités de poursuite doivent leur fournir de plus en plus d’informations objectives.

69. Il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables [8]. La publicité de la procédure est l’un des moyens essentiels de préserver cette confiance.

70. Deux instruments du Conseil de l’Europe traitent notamment de cette question : (i) la Recommandation Rec (2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales ; (ii) l’Avis n°7 du CCJE sur Justice et Société (2005).

71. Compte tenu du droit du public à recevoir des informations d’intérêt général, les journalistes doivent pouvoir recevoir les informations nécessaires pour être à même de rendre compte du fonctionnement du système judiciaire et faire des commentaires à ce sujet. Ce droit s’exerce sans préjudice du devoir de réserve des juges et des procureurs concernant les affaires pendantes et des limitations prévues par les lois nationales et conformément à la jurisprudence de la Cour.

72. Les médias doivent respecter, tout autant que les juges et les procureurs, certains principes fondamentaux, tels que la présomption d’innocence[9] et le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, la nécessité d’éviter de porter atteinte au principe et à l’apparence d’impartialité des juges et des procureurs impliqués dans une affaire.

73. La couverture médiatique d’affaires en cours d’instruction ou de procès peut constituer une ingérence et exercer une influence et une pression néfastes sur les juges, les jurés et les procureurs chargés de l’affaire. De bonnes compétences professionnelles, de solides valeurs éthiques et une autodiscipline afin de ne pas faire une évaluation prématurée des affaires en cours, sont nécessaires aux juges et procureurs pour faire face à ce défi.

74. Des personnes chargées de la communication avec les médias, par exemple les responsables de l’information au sein des tribunaux ou un groupe de juges et procureurs formés à entretenir des contacts avec les médias, pourraient aider ces derniers à diffuser des informations plus précises sur le travail et les décisions judiciaires.

75. Les juges et les procureurs doivent respecter mutuellement le rôle spécifique de chacun dans le système judiciaire. Juges et procureurs devraient élaborer des lignes directrices ou un code de bonne conduite pour chaque fonction dans sa relation avec les médias[10]. Certains codes d’éthique interdisent aux juges de commenter les affaires pendantes, afin de ne pas faire de déclarations dont le public pourrait estimer qu’elles mettent en cause l’impartialité du juge[11] et la présomption d’innocence. En toute hypothèse, le juge doit s’exprimer avant tout par sa décision et, lorsqu’il s’exprime, conformément à la loi, sur des affaires pendantes ou jugées, la retenue et le choix des mots sont importants[12]. Le procureur doit commenter avec retenue la procédure suivie par le juge ou la décision rendue, et ne doit faire part de son désaccord avec une décision que par le biais, le cas échéant, de l’appel.

VI. LE JUGE, LE PROCUREUR ET LA COOPERATION INTERNATIONALE (Déclaration, paragraphe 12)

76. Pour une protection efficace des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il importe de souligner la nécessité d’une coopération internationale efficace, notamment entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et sur la base des valeurs contenues dans des instruments internationaux pertinents, tout particulièrement la CEDH. La coopération internationale doit reposer sur la confiance mutuelle. Les informations rassemblées grâce à la coopération internationale et utilisées dans les procédures judiciaires doivent être transparentes tant dans leur contenu que dans leur origine et accessibles au juge,  au procureur et aux parties. Il conviendra de veiller à ce que la coopération judiciaire internationale fasse l’objet d’une évaluation et tienne compte, de manière appropriée, en particulier des droits de la défense et de la protection des données personnelles.



[1] La présente Déclaration est suivie d’une note explicative. Elle a été préparée à Bordeaux (France) conjointement par les Groupes de travail du CCJE et du CCPE et adoptée officiellement par le CCJE et le CCPE à Brdo (Slovénie) le 18 novembre 2009.

[2] Voir notamment l’Avis n°1 du CCJE sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges et la Recommandation Rec(94)12 sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges.

[3]Voir également Avis n°3 (2008) du CCPE sur le rôle du Ministère public en dehors du système de la justice pénale.

[4] En ce qui concerne les juges, voir par exemple l’Avis n° 3 (2002) du CCJE sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité, ainsi que les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002) (adoptés par l’ECOSOC des Nations Unies en 2006) ainsi que la Charte universelle du juge, adoptée par le conseil central de l’association international des juges le 17 Novembre 1999 à Taipei  (Taiwan). En ce qui concerne les procureurs, voir les principes directeurs de l’ONU sur le rôle des procureurs ainsi que les Lignes directrices européennes sur l’éthique et la conduite des membres du ministère public (Lignes directrices de Budapest), adoptées par les Procureurs généraux d’Europe lors de leur Conférence de Budapest le 31 mai 2005.

[5] Voir l’Avis n° 4 (2003) du CCJE sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen et l’Avis n° 10 (2007) du CCJE sur le Conseil de la Justice au service de la société, paragraphes 65-72.

[6]Voir l’Avis n 8 (2006) du CCJE sur le rôle des juges dans la protection de l'Etat de droit et des droits de l'homme dans le contexte du terrorisme.

[7] Voir également Avis n°3 du CCPE sur le rôle du Ministère public en dehors du système de la justice pénale.

[8] Voir par exemple Cour européenne des droits de l’Homme, Olujić c. Croatie (requête n° 22330/05). 

[9] Voir notamment le Principe I de l’annexe de la Recommandation Rec(2003)13 et son exposé des motifs.

[10] Ceci a été proposé pour les juges et les journalistes dans l’Avis n°7 du CCJE sur Justice et Société, paragraphe 39 (2005).

[11] Voir par exemple Avis n° 3 du CCJE sur l’éthique et la responsabilité des juges, paragraphe 40 (2003).

[12] Voir par exemple Cour européenne des droits de l’Homme, Daktaras c. Lituanie (Requête n°42095/98) et Olujić c. Croatie (Requête n° 22330/05)