Discours du Président Giovanni Di Stasi
A la Conférence internationale sur le parlementarisme européen : histoire et présent
(Saint-Pétersbourg, le 28 avril 2006)

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
OuvajEmye dAmy i gospodA,

2006 est une année riche en anniversaires importants pour la Russie et, donc, pour l’Europe. Ces jours-ci, nous célèbrerons les cent ans du premier parlement russe élu – la Douma d’État . Cette élection fut le fruit d’une action concertée, d’une lutte armée – en fait, d’une révolution – de toutes les sphères de la société russe. Il y a cent ans, pour la première fois de son histoire, la Russie instaurait un modèle démocratique avec, à sa tête, un organe représentant le pouvoir du peuple, modèle qui entendait rendre justice au peuple.

Plus de deux cents ans avant l’instauration de la première Douma, le savant Blaise Pascal déclarait : « Il faut […] mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, et que ce qui est fort soit juste. » Il est réconfortant de voir que, après avoir connu les vicissitudes de l’histoire, les guerres et les dictatures, notre continent – Russie comprise – a su retrouver le sens de la responsabilité envers ses citoyens et reconnaître que pouvoir et légitimité suprêmes – et justice suprême – appartiennent au peuple. En 1949, dix pays fondaient le Conseil de l’Europe ; aujourd’hui, notre Organisation réunit sous son toit 46 démocraties européennes.

Dans quelques jours à peine, nous allons célébrer un autre anniversaire capital : il y a dix ans, en effet, la Russie entrait au Conseil de l’Europe, dans la famille des démocraties européennes. La chute du mur de Berlin et la fin des régimes communistes en Europe ont donné à notre Organisation une chance historique de remplir sa mission paneuropéenne : unir notre continent tout entier autour des valeurs communes que sont le pluralisme, le respect des droits de l’homme et la prééminence du droit. L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe a été un élément déterminant du processus final. Tout au long de ces dix années, la Fédération de Russie a participé très activement aux principaux organes du Conseil de l’Europe – Comité des Ministres, Assemblée parlementaire et, bien sûr, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, que je représente. C’est pourquoi je ne puis que me réjouir de la prochaine présidence russe de notre Comité des Ministres, qui débutera en mai.

Mesdames et Messieurs,

Lorsqu’on évoque le parlementarisme européen, on pense le plus souvent aux parlements nationaux. Or, pour le Congrès, la construction d’une Europe sans clivages signifie davantage de cohésion aux niveaux régional et municipal, les plus proches des citoyens. En tant qu’organe représentant plus de 200 000 collectivités territoriales de notre continent, nous savons bien que l’Europe est une mosaïque de régions, de villes et de villages – de lieux où les gens vivent et travaillent. Aujourd’hui, construire une Europe sans clivages signifie aussi prendre acte de l’actuelle évolution politique, économique et sociale vers le niveau territorial, d’une forte tendance à la décentralisation, situation qui modifie radicalement l’équilibre national et local et qui nous engage impérativement à développer une coopération interrégionale et interterritoriale, une action commune. La Fédération de Russie, avec son vaste territoire et plus de 80 sujets – régions –, le comprend mieux que quiconque. En vérité, notre Congrès n’a pas attendu que ce pays adhère au Conseil de l’Europe pour s’intéresser au fédéralisme russe et nous poursuivons nos travaux sur la question.

Pour nous, autonomie régionale et autonomie locale sont les piliers porteurs de toute société démocratique, le complément indispensable du parlementarisme national, la première ligne de défense des droits de l’homme et de l’État de droit, mais aussi le meilleur niveau qui soit pour garantir une bonne gouvernance produisant des résultats tangibles pour nos citoyens. N’oublions pas que la démocratie est née au niveau local… Sur l’Agora, à Athènes, lieu où les citoyens pouvaient faire connaîte leur volonté aux autorités et prendre des décisions publiques. N’oublions jamais que, sans démocratie locale et régionale, l’édifice démocratique de nos sociétés risque toujours de s’effondrer. A l’inverse, une démocratie locale et régionale qui fonctionne bien est un solide garant de la stabilité démocratique de notre continent.

C’est aussi au niveau des municipalités et des régions que commence la participation du peuple aux processus démocratiques – et son désenchantement vis-à-vis des institutions démocratiques et des représentants élus . A l’heure où nous évoquons la nécessité de renforcer la démocratie participative et l’implication citoyenne – l’une des grandes priorités fixées par le Troisième Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe à Varsovie, en mai dernier –, gardons à l’esprit la célèbre maxime « Penser globalement, agir localement ». C’est pour cette raison que le Congrès du Conseil de l’Europe se préoccupe activement, et depuis longtemps, des questions concernant la participation démocratique – des jeunes et des résidents étrangers, par exemple – à la vie publique et politique au niveau régional et local.

Comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, l’esprit et l’objectif du parlementarisme sont d’offrir une possibilité de consultation entre autorités et citoyens. A cet égard, les régions et les municipalités représentent un lien primordial – un pont, si vous préférez – pour ce type de consultation entre le niveau local et le niveau national. De fait, une assemblée de délégations parlementaires nationales européennes – l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – reconnaissait la nécessité de ce lien, et de cette consultation, dès 1957, à l’occasion de la toute première Conférence des pouvoirs locaux. Dans les années 1990, cette Conférence est devenue le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux. Il est donc tout naturel que le Congrès et ses membres, représentants locaux et régionaux élus, aient toujours entretenu des liens étroits avec l’Assemblée – et, donc, avec les parlements nationaux. Certains membres du Congrès font aussi partie, d’ailleurs, des délégations nationales auprès de l’Assemblée, ce qui renforce la dynamique de la relation entre première et seconde chambres du Parlement – souvent dites chambre basse et chambre haute . Le rôle de la seconde chambre, et son interaction avec la première chambre, méritent toute notre attention – avec la multiplication des régions d’Europe qui acquièrent un pouvoir législatif, le nombre des parlements à deux chambres va, lui aussi, en augmentant. La Russie, bien sûr, ne fait pas exception à la règle, et le rôle du Conseil de la Fédération, qui représente le niveau régional de l’administration russe, est aussi important, comme il se doit, que celui de la Douma d’État.

Pour le Conseil de l’Europe, la question du parlementarisme régional n’a rien d’une nouveauté. Dès 1978, le Conseil tenait une importante conférence sur les problèmes de la régionalisation, à Bordeaux, en France. Dans la Déclaration de Bordeaux, les participants à la conférence affirmaient que la régionalisation ne se limitait pas à promouvoir l’« Unité dans la diversité » ; elle était l’une des conditions de l’unité européenne elle-même. La conférence a fait valoir qu’il ne pouvait y avoir de réelle communauté européenne dans un système où les régions riches s’enrichiraient et les régions pauvres s’appauvriraient, et que la régionalisation était un moyen essentiel de remédier aux profondes disparités économiques et sociales entre les différentes parties de l’Europe.

Aujourd’hui, dans une Europe unie, nous avons une occasion unique d’atteindre cet objectif : faire progresser la coopération interrégionale et transfrontalière à travers notre continent tout en respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’État central. Voilà pourquoi le Congrès travaille actuellement à la proposition suivante: créer un Centre de coopération interrégionale et transfrontalière ici, à Saint-Pétersbourg… Une sorte de bureau central chargé de promouvoir une coopération et une action commune entre les régions européennes, un centre qui s’emploiera à renforcer la cohésion politique, économique et sociale au profit de 800 millions d’Européens. Nous comptons sur le soutien actif des gouvernements nationaux, des parlements et des régions – de vous tous – pour faire de ce centre une réalité, pour faire de Saint-Pétersbourg – « oknO v EvrOpu », la « fenêtre sur l’Europe » préconisée par Pierre le Grand – un point de rencontre entre les pays de la CEI et de l’Europe, une véritable capitale européenne à l’instar de Strasbourg et de Bruxelles.

Mesdames et Messieurs,
Dans la première partie de mon discours, j’ai cité Blaise Pascal pour évoquer la nécessité de réunir la force et la justice. Ce n’est pas là une notion abstraite car, en notre qualité de représentants élus par le peuple, nos efforts reposent sur sa confiance et son soutien. Or, cette confiance, nous la perdrons si nous ne sommes pas justes. Le soutien du peuple, nous le perdrons si nous n'agissons pas pour son bien à tous les niveaux – national, régional et local. En effet, le parlementarisme incarne la démocratie représentative – le pouvoir du peuple, seul système capable d’assurer le développement et le bien-être durables de nos sociétés – système qui fut établi sur l’Agora, il y a des milliers d’années, par les citoyens d’Athènes.

Je souhaite à cette conférence tout le succès possible et conclurai par ces mots : Que notre force soit toujours juste, et notre justice toujours forte.

Merci.