Discours de Giovanni Di Stasi,
Président du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux,
à l’occasion de la conférence sur « La gouvernance européenne locale et régionale – bonnes pratiques et politiques innovantes »
(Athènes, 8-9 avril 2006)

M. le président,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Je tiens tout d’abord à remercier le PASOK, et tout particulièrement M. Papandreou, pour m’avoir aimablement invité à cette conférence et donné l’occasion de m’adresser à vous. Je crois fermement, il est inutile de le préciser, que le mouvement socialiste joue un rôle très important à la fois dans le processus d’intégration européenne à tous les niveaux et dans l’amélioration de la qualité de la gouvernance sur notre continent ─ c’est d’ailleurs le thème central de cet événement.

Comme dit le proverbe chinois : « Puisses-tu NE PAS vivre une époque de changement ! », ce qui veut dire qu’en période de changement, les systèmes traditionnels sont ébranlés, et les choses deviennent floues, obscures, confuses. Mais c’est aussi une occasion d’améliorer les choses, de créer de nouveaux systèmes, d’aller de l’avant – en d’autres termes, une occasion d’innover.

Mesdames, messieurs, nous VIVONS actuellement une période de changement. L’Europe connaît des transformations considérables depuis la fin des régimes communistes, ce qui offre de vastes possibilités pour l’avenir. Pour la première fois dans l’histoire, la quasi-totalité du continent – à l’exception regrettable du Belarus – est unie sur la base des valeurs communes de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Quarante-six démocraties européennes sont aujourd’hui représentées au Conseil de l'Europe, y compris tous les Etats membres de l’Union européenne.

Les clivages s’estompent, les frontières nationales disparaissent, et on assiste à la mise en place de structures internationales conjointes, parfois dotées de compétences supranationales. D’un autre côté, le référendum de l’année dernière sur le Traité de constitution européenne a montré que le processus d’intégration européenne était un chemin semé d’embûches. Il a mis en évidence la nécessité de renforcer le dialogue entre le gouvernement et les citoyens, de rétablir la confiance du public dans les hommes politiques et les machines gouvernementales. La Commission européenne a commencé à parler d’un « Plan D » pour « dialogue ».

Au même moment, l’ancien Président du Comité des Régions de l’Union européenne, M. Peter Straub, a indiqué que le Plan D était également synonyme de « décentralisation ». Les événements de l’année dernière ont aussi clairement révélé qu’il fallait accélérer le transfert de compétences vers le niveau territorial, vers les régions et les communes ─ autrement dit vers les citoyens. On assiste déjà à cette délégation de pouvoirs entre les niveaux national et local, les territoires jouant un rôle de plus en plus important dans les domaines politique, économique et social, notamment en ce qui concerne le développement économique et la concurrence interterritoriale.

C’est pourquoi cette conférence vient, à mon sens, à point nommé. Nous devons aujourd’hui nous demander comment mettre en œuvre une bonne gouvernance – c’est le seul moyen de rétablir la confiance du public dans les institutions démocratiques. Mais il nous faut dans le même temps nous intéresser à la gouvernance régionale et locale, qui fait partie intégrante du système de gouvernement de nos sociétés démocratiques – et en particulier parce les résultats de la gouvernance aux niveaux local et régional sont palpables et touchent de très près les citoyens. Les collectivités locales et régionales sont également les mieux placées pour expliquer à la population les subtilités et l’importance du processus d’intégration européenne.

Le Congrès de Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, dont je suis le président, représente plus de 200 000 collectivités territoriales de notre continent. Il est doté d’outils juridiques et pratiques ─et il en élabore d’autres─ qui visent à promouvoir la bonne gouvernance au niveau territorial, notamment par la coopération interterritoriale. L’un de nos instruments juridiques fondamentaux – la Charte européenne de l’autonomie locale – a en effet permis de donner aux collectivités territoriales un rôle à jouer au niveau européen. La Charte a établi le principe de subsidiarité selon lequel la gouvernance doit être réalisée au niveau le plus proche du citoyen. Ce principe était reconnu dans le Traité de constitution européenne.

Le Congrès a pour mission principale d’être le juge politique de la démocratie territoriale en Europe en encourageant la décentralisation, en contrôlant l’état de la démocratie territoriale et son développement, et en aidant les collectivités territoriales à mettre en œuvre les résolutions et recommandations du Congrès. C’est pourquoi le Congrès participera activement aux travaux du centre d’expertise récemment créé sur la réforme de l’autonomie locale. La décision de créer ce centre a été prise à Varsovie en mai dernier à l’occasion du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l'Europe.

Le fait que cette conférence se déroule aujourd’hui à Athènes, en Grèce – berceau de la démocratie─ est très symbolique car c’est ici, sur la place de l’Agora, qu’est née la démocratie participative au niveau local. La démocratie locale est donc sans aucun doute le pilier de toute société démocratique ; sans elle, aucune forme de démocratie n’est possible.

Nous ne pouvons pas nous en tenir à nos réalisations passées. Nous vivons dans une société fondée sur la connaissance, qui se mondialise et requiert une nouvelle stratégie pour promouvoir la bonne gouvernance et la prestation de services publics non seulement au niveau national, mais aussi aux niveaux régional et local. Nous savons que nous ne pourrons y parvenir sans innovations, sans pratiques ni actions novatrices – c’est ce que l’Assemblée des Régions européennes, un autre organe très représentatif, appelle judicieusement « l’innovaction ». C’est pourquoi le Congrès collabore étroitement avec le Comité des Régions de l’Union européenne, dans le cadre d’un accord de coopération, pour mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne adoptée par l’Union européenne.

Il importe d’appliquer cette stratégie pour répondre aux exigences d’un monde en constante évolution, dans lequel nous pouvons aujourd’hui identifier clairement deux grands processus : la mondialisation d’une part, et la décentralisation d’autre part. Le deuxième processus, celui de la décentralisation, requiert des compétences territoriales solides pour mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne et accélérer le processus d’intégration européenne aux niveaux local et régional. Bien sûr, la délégation de pouvoirs et de compétences doit s’accompagner du transfert de ressources nécessaires, et le Congrès travaille activement avec le Comité des Régions de l’Union européenne sur la question de l’utilisation efficace des fonds structurels au niveau territorial.
[Nouveaux fonds structurels pour 2007-2013]

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d’évoquer maintenant quelques actions et initiatives récemment mises en œuvre par le Congrès. Comme nous nous trouvons en Grèce, je commencerai par parler de nos activités en Europe du Sud-Est : nous attendons en effet de la Grèce qu’elle s’engage fermement à instaurer la stabilité dans cette région et à relancer son développement économique et social. Le Congrès est actif en Europe du Sud-Est depuis que nous avons lancé, il y a plus de douze ans, le programme de création d’Agences de la démocratie locale en ex-Yougoslavie. Ce programme visait à développer la démocratie locale et à promouvoir les mesures de confiance auprès des populations qui sortaient de la guerre. Les Agences de la démocratie locale ont été une telle réussite que nous avons mis en place l’Association des Agences de la démocratie locale (AADL), et nous travaillons actuellement à la création d’agences de la démocratie locale dans le Sud-Caucase, une autre région d’Europe en difficulté.

Notre initiative la plus récente en Europe du Sud-Est est la création du Réseau d’associations nationales de pouvoirs locaux (NALAS), qui unit des collectivités locales représentant presque 60 millions de personnes. Le Réseau n’a été créé que l’année dernière mais il a déjà prouvé qu’il était un outil de promotion très utile pour la coopération territoriale, dont l’objectif est de renforcer la cohésion sociale et économique dans la région. Le Congrès œuvre actuellement à la mise en place d’un réseau similaire dans le Sud-Caucase. L’Association nationale des pouvoirs locaux de Géorgie (NALAG) a déjà été mise sur pied et une association de pouvoirs locaux est en cours de création en Azerbaïdjan.

Parmi ses grands domaines d’activités, le Congrès œuvre également à la création d’eurorégions « nouvelle génération », réunissant des autorités nationales, locales et régionales des Etats membres et non membres de l’Union européenne. Ces eurorégions, qui se mettent en place autour des mers européennes semi-fermées, jouiront d’un statut spécial et serviront à renforcer la cohésion politique, économique, sociale et culturelle dans ces régions, à relancer l’économie locale et à contribuer au processus d’intégration européenne. La première région du genre, l’eurorégion adriatique qui rassemble six pays riverains de la mer Adriatique, a été constituée en février dernier lors d’une conférence à Venise. Je tiens à signaler que les pays de l’Europe du Sud-Est participent activement à cette eurorégion, et que les collectivités territoriales grecques ont tout intérêt à y adhérer pour qu’elle devienne l’eurorégion adriatique-ionienne.

Le 30 mars dernier, le Congrès a organisé une conférence majeure à Constanta, Roumanie, dans le cadre de la présidence roumaine du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Cet événement avait pour objectif d’examiner les questions relatives à la coopération dans le bassin de la mer Noire et d’entamer le processus de création de l’eurorégion de la mer Noire. Cette initiative est à nos yeux très importante non seulement parce qu’elle va permettre de stabiliser la région mais aussi parce que l’écosystème du bassin de la mer Noire se fragilise et nécessite des efforts internationaux communs face aux problèmes d’environnement. Mais, pour nous, parler du bassin de la mer Noire signifie adopter une vue d’ensemble qui inclut non seulement les pays riverains de la mer Noire, mais aussi ceux qui bordent par exemple les bassins du Danube ou du Dniestr – deux fleuves qui se jettent dans la mer Noire.
Enfin, nous envisageons de créer l’eurorégion de la mer Baltique. Cette région compte bien sûr déjà beaucoup d’organisations intergouvernementales, autant que la région de la mer Noire, mais les nouvelles eurorégions seront les premières à renforcer la démocratie locale et régionale et à promouvoir la coopération à tous les niveaux, local, régional et national.

Enfin et surtout, le Congrès défend l’idée d’implanter à Saint-Pétersbourg un centre de coopération interrégionale et transfrontalière. Ce centre sera chargé de consolider la démocratie régionale – mais aussi locale – et de renforcer la cohésion des régions européennes, y compris dans le domaine économique. Il facilitera également l’établissement de liens et le rapprochement entre les régions des pays membres et non membres de l’Union européenne, et en particulier avec les régions de la Russie. Nous comptons sur les gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe, et notamment sur la Grèce, pour soutenir activement cette initiative.

Mesdames, Messieurs,

Je viens de vous présenter brièvement comment le Congrès et moi-même envisageons le rôle des collectivités locales et régionales dans le processus d’intégration européenne et de renforcement des institutions européennes. Je vous ai également donné un aperçu des actions récemment mises en œuvre par le Congrès pour consolider la démocratie locale et régionale et par conséquent le rôle des collectivités locales et régionales dans l’intégration européenne. Je voudrais conclure de la manière dont j’ai commencé, et corriger le vieil adage chinois en déclarant avec optimisme : « Puisses-tu VIVRE une époque de changement ! »

Nous ne devons toutefois pas perdre de vue notre objectif politique immuable qui est de construire une société démocratique. Il y a plus de 2 500 ans, à l’âge d’or d’Athènes, Périclès aurait déclaré en regardant l’Acropole : « On dira de nous que nous avons bâti la plus belle et la plus heureuse des cités ». Notre principal but est de construire une société faite de bonheur et de prospérité, durable voire éternelle, et la démocratie est le seul moyen d’y parvenir.

Nous avons encore beaucoup de défis à relever, et l’ordre du jour de la conférence contient beaucoup de points importants. Je souhaite que tous vos efforts – tous nos efforts – soient dûment récompensés. Unissons-nous pour construire la plus belle des sociétés !

Merci de votre attention.