Les trois bourgmestres belges non-nommés: «Le Congrès du Conseil de l’Europe ne doit pas abandonner ce dossier»

Empêchés d’entrer en fonction pour ne pas avoir respecté à la lettre une circulaire linguistique flamande lors de l’envoi de convocations électorales à leurs administrés, trois bourgmestres (maires) francophones de la périphérie de Bruxelles se battent depuis deux ans pour pouvoir, enfin, occuper le siège auquel ils ont été régulièrement élus. Les trois bourgmestres sont venus, mardi 2 décembre, participer à un débat sur la situation de la démocratie locale en Belgique lors de la session du Congrès.

 
Les trois bourgmestres lors du débat sur la démocratie locale en Belgique

Interview, 02.12.2008

Question : Vue de l’étranger, votre non-nomination semble justifiée par des motifs pour le moins complexes : pourriez vous, d’abord, rappeler ici l’origine de cette affaire ?

François van Hoobrouck d’Aspres, bourgmestre non nommé de Wezembeek-Oppen : En Flandre, le bourgmestre, élu par le conseil communal lequel est lui-même élu par les citoyens, doit  être nommé par l’exécutif, en l’occurrence la région, pour pouvoir entrer en fonction. Selon la circulaire, il appartient aux bourgmestres d’envoyer des convocations aux électeurs, qui doivent obligatoirement être rédigées en néerlandais, y compris dans les communes dites « à facilité », où l’usage du français est admis sous certaines conditions. Or, en 2006, nous avons envoyé directement des convocations en français à nos électeurs francophones, conformément à la loi fédérale applicable depuis plus de 40 ans et aux avis multiples de la « commission linguistique », chargée du respect de ces lois.

En d’autres termes, alors que j’avais été jugé capable d’assurer mes fonctions de 1995 à 2000 puis de 2001 à 2006 lors de mes deux premiers mandats, le ministère flamand de l’intérieur a considéré que je n’étais pas en mesure de le faire une troisième fois pour cette simple raison, ce qui me semble tout à fait excessif. Mes collègues Damien Thiery, de Linkebeek, et Arnold d’Oreye de Lantremange, de Kraainem/ Craainhem, subissent la même sanction.

Question : Alerté par certains membres de la délégation belge du Congrès, ce dernier a chargé deux de ses membres, Michel Guégan (France) et Dobrica Milovanovic (Serbie) d’enquêter sur place sur cette affaire. En mai 2008, ils ont estimé que cette non nomination constituait une violation de la Charte européenne de l’autonomie locale, ratifiée par la Belgique. Qu’attendez vous maintenant du Congrès dans son ensemble ?

François van Hoobrouck d’Aspres : Nous appelons le Congrès à confirmer les conclusions de la mission d’enquête et à déclarer que la décision du gouvernement flamand, est absolument contraire à la Charte. Nous souhaitons que le Conseil de l’Europe ne baisse pas les bras dans cette affaire, car c’est vraiment de l’avenir de la démocratie locale en Belgique qu’il s’agit. Il faut savoir qu’outre la question des convocations, nous sommes tenus, dans les communes à facilités, majoritairement francophones, d’organiser tous nos débats en néerlandais. Si un conseiller communal prend la parole en français, nous avons l’obligation de le faire taire… et on nous reproche aussi de ne pas appliquer cette mesure, alors que la Cour constitutionnelle considère depuis un arrêt de 1998, que les conseillers communaux peuvent s’exprimer en français dans nos communes. Nous souhaitons que le Congrès mette la Belgique sous monitoring, pour qu’elle respecte enfin ses engagements.

Question : Dans l’hypothèse où une telle mesure serait prise, mais se révèlerait infructueuse, quelle serait alors votre attitude ?

François van Hoobrouck d’Aspres : Je crains que le gouvernement flamand ne recule pas, car cela devient une affaire de principe, mais nous ne reculerons pas non plus. La sanction dont nous sommes victimes est tout à fait disproportionnée : pensez que les 25 bourgmestres flamands de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui, eux, ont refusé d’organiser les élections, ou menacé de ne pas les organiser, n’ont même pas été inquiétés pour cela, alors qu’il s’agit d’un délit passible de sanctions pénales !

Nous appelons le Conseil de l’Europe à nous soutenir, et nous poursuivrons les procédures européennes : la Flandre n’a pas respecté le suffrage universel, et, même si elle venait à nous répondre qu’il faut d’abord consulter le Conseil d’Etat avant de saisir l’Europe, nous rappelons qu’on ne peut compter sur une décision de sa part avant de très longues années, c'est-à-dire après l’expiration de nos mandats.

Question : Au-delà des questions de droit et de langue, comment réagissent les électeurs et les citoyens des communes concernées ?

François van Hoobrouck d’Aspres : Nous avons le soutien absolu de nos citoyens francophones, et nous avons d’ailleurs tous été élus avec 60 ou 70% des voix. Plusieurs milliers d’électeurs ont récemment manifesté dans les rues en notre faveur. Les néerlandophones, eux, sont par contre nombreux à soutenir leur gouvernement régional. Le raidissement des autorités flamandes est inquiétant, car il risque de rendre inapplicable le système des facilités, qui est pourtant constitutionnel et définitif. J’ajouterai que cette querelle est d’autant plus triste que la Belgique est l’un des pays fondateurs de la construction européenne, à la base de l’entente harmonieuse entre les peuples…

Tout le monde est conscient ici que l’affaire dépasse le seul cadre des convocations électorales en français : il s’agit vraiment de deux visions de la politique qui s’affrontent, la thèse du territoire - « en Flandre, on parle flamand » et la thèse humaine, «on utilise la langue parlée par les populations ». Les francophones se sentent harcelés et, il y a quelques jours encore, des parlementaires et des journaux flamands se sont déchaînés contre notre intervention devant le Congrès, dans des termes peu amènes : on a pu lire, par exemple, que ce n’étaient pas « un Breton et un Serbe qui allaient régler les problèmes de la périphérie bruxelloise », et ce ton en dit long sur le climat qui règne actuellement dans la région.